Une dépêche de l'Agence France Presse se penche sur le problème de la restitution et du droit de propriété des icônes ancienne russes:

A qui doit revenir l'honneur d'abriter les icônes anciennes qui ont réchappé au siècle exceptionnellement tourmenté que vient de traverser la Russie ? La controverse couve entre des musées sur la défensive et une Église orthodoxe de plus en plus influente.

A l'occasion d'un vernissage début février au très prestigieux musée Pouchkine, une commissaire d'exposition a dû disculper publiquement les collectionneurs qui avaient prêté des œuvres, assurant qu'ils n'étaient pas des "voleurs".

"Beaucoup de soupçons" pèsent sur leur compte et sur celui des musées, a reconnu la responsable, Alina Loguinova, alors qu'elle présentait une exposition de 130 icônes anciennes (des XIV-XVIè siècles, considérés comme les "siècles d'or" en la matière) issues --ce qui est très rare-- de collections privées.


Rien n'est pourtant plus injuste, selon elle: "Qui a volé quoi à qui ? Les musées ont sauvé une grande quantité d'icônes", souligne-t-elle. Et de rappeler la période soviétique, durant laquelle spécialistes et passionnés arpentaient le gigantesque territoire dans l'espoir de soustraire les œuvres à une destruction certaine.

Les experts estiment que l'immense majorité d'entre elles --peut-être des millions-- ont malgré tout été brûlées, perdues, voire transformées en matériaux de construction, le tout avec la bénédiction d'un régime communiste farouchement athée.

A présent, les musées se voient accusés d'avoir "pillé les églises", a déploré la curatrice.

"C'est douloureux, car les meilleurs représentants de notre société, les croyants et les employés des musées, deviennent antagonistes. Et cela ne vient pas des musées", a regretté Mme Loguinova.

Le conflit, refoulé pendant des décennies, a brusquement surgi au grand jour à l'automne dernier lorsque le plus célèbre musée de peinture de Moscou, la Galerie Tretiakov, s'est vue intimer l'ordre de "prêter" pendant trois jours l'une de ses plus belles icônes, la "Sainte Trinité" d'Andreï Roublev à un monastère proche de la capitale.

Son cas a aussitôt pris des allures de symbole, les professionnels de l'art craignant que la Trinité ne leur soit jamais rendue, leurs détracteurs exigeant une restitution générale des œuvres religieuses à l'Église.

Mais en réalité, les racines de la querelle sont vieilles d'un siècle. Le tournant eut lieu en 1909, lorsque le célèbre peintre et collectionneur Ilia Ostrooukhov présenta pour la première fois au public des icônes anciennes restaurées de manière à faire ressortir leur valeur artistique.

Il s'agissait d'une petite révolution pour l'époque: les gens, habitués à vénérer les icônes dans la pénombre des églises, étaient d'autant moins à même de percevoir leur puissance expressive que les peintures étaient recouvertes d'un vernis voilé par le temps et la fumée des cierges. Nombre d'entre elles avaient en outre été couvertes de plusieurs couches de peinture superposées.

Si le conflit demeure pour l'heure feutré, le fossé entre les positions du clergé et celles des musées et collectionneurs paraît voué à se creuser alors que l'Église orthodoxe est en pleine renaissance depuis la chute de l'URSS et que son influence sur la société croît à vue d'œil.

Quant aux autorités, elles se retrouvent de facto en position d'arbitre.

L'homme d'affaires et mécène Mikhaïl Abramov a réclamé lors du vernissage qu'un "véritable musée" soit enfin dédié à l'art des icônes.

Mais le père Georgui Riabykh, qui représentait le Patriarcat de Moscou, a pour sa part insisté sur leur rôle en tant que "porte vers une autre réalité qui enrichit notre âme".

MOSCOU (AFP)

Rédigé par Nikita Krivochéine le 6 Mars 2009 à 20:48 | 3 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Marina Doriomedova le 17/03/2009 16:51
Les mérites des restaurateurs russes sont immenses, mais, aujourd'hui , en une époque qui a si peu le sens du sacré, il faut revenir aux sources: qu'est ce qu'une icône ? où est sa place ? dans un musée ou dans une église ? Quand S.Andrej Rublev a peint l'icône de la Très Sainte Trinité, c'était pour le monastère de Saint Serge et la demande de prêter (!!) cette icône pour les célébrations au Monastère de la Trinité Saint Serge n'a rien d'étrange: c'est en un sens un 'retour à la maison'. Le 'prêt' serait plutôt en sens contraire: sa présence dans un musée !
Me trouvant depuis quelques années en Italie, il m'est arrivé d'avoir des personnes qui me demandent de peindre une icône avec couleurs assorties au mobilier!
On appelle icône un urlateur rock ou quelque 'demoiselle' très dévêtue de la TV et un 'peintre' contemporain propose, dans un fameux sanctuaire italien, une fresque où Dieu serait représenté par une parabole TV.
Pire encore les ventes avec boniment (au plus mauvais sens du terme) d'icônes russes sur certaines chaines TV italiennes, probablement parvenues en Europe par des voies plus que douteuses.
Il me semble qu'il faut revenir au vrai sens de l'icône comme objet liturgique sacré d'abord, comme objet d'art ensuite .
Pourquoi faire des difficultés pour un parcours de moins de 100 km alors que de nombreuses et précieuses icônes russes ont été transportées pour des expositions bien plus loin et hors de la Russie.

2.Posté par Anna Rotnov le 07/04/2009 15:59
Ce texte est choquant , mais cadre bien avec notre époque . Une icône étant un objet sacré de vénération son seul lieu est dans une église , mais nous en avons tous chez nous . Et le problème peut se poser déjà - certains ont les icônes pour prier devant et d' autres pour décorer joliment le salon .Comme on pie les églises , je me suis même surprise à me dire ; ' Au moins dans un musée elles seront en sécurité ' , mais il ne s' agit pas d' objets d' art à admirer . Pour cela il y a des tableaux et si on ne signe pas les icônes de son nom il y a bien une raison . La meilleur façon de procéder serait de trouver un moyen d' entente et de collaboration entre les musées qui abritent les icônes et les monastères et églises . Mais avec le temps toutes devront réintégrer les lieux de culte : c' est simplement logique et normal.

3.Posté par vladimir le 08/04/2009 21:39
Vrai problème et, comme toujours, pas de solution simple! J'ai discuté avec une conservatrice d'icônes du musée d'Arkhangelsk et elle m'a raconté avoir récupéré des icônes anciennes qui servaient de volet ou de planche à découper... Beaucoup de collectionneurs ont fait de même.

Les cas de la Trinité se St. André Roublev et de la Vierge de Vladimir sont complexes: d'après les spécialistes, leur conservation ne serait plus assurée dans une église, avec fumée des cierges et surcharge hygrométrique. Et en effet, nombre d'icônes en place sont méconnaissables... D'ailleurs pour prier, une copie bénie vaut un original ancien et la copie en place dans l'iconostase de la Trinité a reçu depuis des années d'innombrables prières...

Enfin, je trouve très positif aussi que des incroyants aient l'occasion de voir des icônes dans les musées. Pour certain cela peut être un chemin de Damas...

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