"Il y a deux christianismes, le traditionnel et le libéral"
"LA VIE" - Interview de Mgr Hilarion Alfeyev

par Jean Mercier

Même si l'on mettait de côté son titre, celui de président du département des relations extérieures du patriarcat de Moscou, l'un des postes-clés de l'orthodoxie russe, il mériterait d'être signalé comme étant l'une des figures montantes du christianisme contemporain.
Le jeune archevêque de Volokolamsk, âgé de 43 ans, est non seulement un intellectuel polyglotte formé à Oxford, spécialiste des Pères de l'Eglise, mais aussi un musicien qui a composé une Passion selon Saint Matthieu.
Avant de devenir l'un des bras droits du patriarche Kirill, il s'est notamment illustré à Vienne, en Autriche, où il a tissé des liens avec le cardinal Christoph Schönborn. Ce brillant bretteur a aussi été le représentant de l'Eglise russe auprès des organisations internationales européennes.
A l'occasion de son passage en France – pour l'inauguration du Séminaire d'Epinay-sous-Sénart -, La Vie l'a rencontré.

Le projet d'une rencontre entre Benoit XVI et le patriarche Kirill progresse-t-elle ?

Je suis toujours étonné que ce soit toujours la première question que me posent les journalistes ! Comme si c'était la chose la plus importante que le pape de Rome et le patriarche de Moscou puissent se rencontrer !

En 1997, on avait une date et un lieu, le protocole était minutieusement fixé, au point qu'on savait qui entrerait par quelle porte. Mais la chose n'a pas pu finalement se faire. Aujourd'hui, notre attention ne se focalise pas sur la date et le lieu, mais sur les conditions qui pourraient rendre cette rencontre possible, opportune et nécessaire. Pour l'instant, l'obstacle principal est la situation en Ukraine Occidentale, où, dans de nombreux endroits, les fidèles orthodoxes n'ont pas de lieux de prière. (lesquels, sont, selon le Patriarcat russe, illégitimement occupés par les grecs-catholiques unis à Rome, ndlr) Il faut qu'on trouve une solution.

Quels sont les signes d'espoir entre catholiques et orthodoxes ?

Globalement, les relations entre nos deux Eglises se développent dans un sens positif. Le Patriarche estime que catholiques et orthodoxes doivent travailler ensemble sur un plan social et éthique, pour témoigner dans une société sécularisée sur les dossiers de la famille, de l'économie, de l'environnement, de l'éducation. C'est l'idée d'une alliance stratégique entre catholiques et orthodoxes face à l'idéologie séculariste. Nous soutiendrons toujours l'Eglise catholique lorsqu'elle défendra les traditions évangéliques contre l'esprit du temps. C'est ce que j'ai dit au Saint Père : « On vous critique trop lorsque vous défendez des positions traditionnelles. Nous vous soutiendrons toujours. »

Quel portrait faites-vous de Benoît XVI ?

C'est un vrai homme d'Eglise. Il a consacré toute sa vie à cette Eglise. Il exprime sa doctrine sans se soucier des normes du politiquement correct. C'est pour cela qu'il n'est pas populaire dans les medias. Mais ce qu'il fait est ce que doit faire le chef d'une Eglise qui défend les valeurs traditionnelles.

Où en est-on du dialogue œcuménique, notamment avec les Eglises issues de la réforme libérales qui ordonnent des femmes comme évêques ou acceptent l'ordination d'homosexuels, comme en Suède ?

Il faut ici affirmer qu'il y a deux versions du christianisme. Il y a un christianisme traditionnel et un christianisme libéral. Et il y a une grande distance entre les deux. Les Eglises catholique et orthodoxe sont dans le camp traditionnel. Plusieurs communautés protestantes ont décidé de libéraliser leurs doctrines et leurs pratiques et il nous devient parfois impossible de continuer le dialogue avec elles. Je pense par exemple à l'EKD, l'Eglise évangélique d'Allemagne (luthéro-réformée), avec laquelle nous avons mené un dialogue depuis 50 ans, dialogue que nous avons continué en dépit de l'ordination de femmes pasteurs et évêques en son sein. Mais elle vient de se donner une femme comme présidente. Le dialogue sera poursuivi, mais pas dans la forme que l'on a connue jusqu'ici. Je tiens à préciser que ce libéralisme éthique n'est pas partagé par tous les protestants, notamment russes, mais qui est surtout le fait des Eglises d'Europe du nord.

Que dites-vous des Eglises évangéliques et pentecôtistes ?

Elles se développent en Russie et rencontrent un certain succès. Une partie de leur réussite s'explique par le manque de tonus missionnaire des Eglises traditionnelles. Dans l'Eglise orthodoxe, nous ne faisons pas assez en termes de mission à l 'égard de ceux qui sont à l'extérieur de l'Eglise. Il y a trop peu de ponts entre notre Eglise et le monde contemporain.

Comment voyez-vous l'avenir de votre Eglise en Russie ?


Les 20 dernières années, nous avons été mobilisés par la remise en place du système ecclésial, à travers la reconstruction des églises et des monastères. Il y a désormais 20.000 églises et 800 monastères, ce fut un exploit énorme. Mais le moment viendra très vite où nous aurons assez de lieux spirituels. Nous nous préparons à une nouvelle étape où il y aura peut être un reflux, des départs. Nous devons tout faire pour que cela n'arrive pas. L'un de nos défis est donc de créer une nouvelle génération de cadres pour faire face à ces défis.

A lire aussi par Jean Mercier: Les orthodoxes russes créent leur séminaire en France


Rédigé par l'équipe de rédaction le 17 Novembre 2009 à 19:35 | 2 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Juan García-Muñoz le 20/11/2009 14:22
L'Archevêque Ilarion dit dans l'interview ci-dessus: «C'est l'idée d'une alliance stratégique entre catholiques et orthodoxes face à l'idéologie séculariste. Nous soutiendrons toujours l'Eglise catholique lorsqu'elle défendra les traditions évangéliques contre l'esprit du temps».

Chaque jour je suis plus convaincu que la diplomatie du Président du Département des Relations Extérieures du Patriarcat de Moscou est une excellent service à l'Eglise. Mais j'aimerais bien savoir comment Mgr Ilarion peut trouver une synthèse entre ces déclarations avec ces autres complémentaires qu'il a fait à un média orthodoxe de langue grecque. Il a dit, selon la revue digitale
"Amen":«Nous (c'est à dire, les chrétiens orthodoxes) ne pouvons pas nous concilier avec les catholiques romains. Le dialogue se fait pour les aider à comprendre les erreurs de leurs thèses» [«Εμείς (οι Ορθόδοξοι) δεν θα συμβιβαστούμε με τους Ρωμαιοκαθολικούς. Ο διάλογος γίνεται για να τους βοηθήσουμε να αντιληφθούν το λανθασμένο των θέσεων τους»] (http://www.amen.gr/index.php?mod=news&op=article&aid=842).

2.Posté par Marie Genko le 20/11/2009 19:12
Toutes les personnes de bonne volonté méritent l'estime et le respect des orthodoxes, surtout lorsqu'elles défendent les valeurs évangéliques.
Ce qui ne veut pas dire que les orthodoxes adhèrent aux dogmes promulgués par les catholiques et les protestants depuis l'an 1054!
Pour reconstruire l'unité du corps de l'Église du Christ, il est nécessaire de dialoguer de se comprendre et de repartir ensemble sur les bases qui nous sont communies.

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