L'ARCHEVÊCHÉ ET LES PERSPECTIVES DE L'ORTHODOXIE RUSSE
Vladimir Golovanow

"L'expérience des deux branches de l'orthodoxie russe – dans le GOULAG, et dans l'émigration – démontre que seul le mouvement à partir de la base peut reprendre l'Église aux forces de ce monde, la libérer pour le service au Dieu et des hommes"(*)

Père Georges Kotchetkov Rappelant que le patriarcat de Constantinople a décidé le 27 novembre 2018 "l’intégration et le rattachement des paroisses /de L’Archevêché/ aux différentes saintes métropoles du Patriarcat œcuménique dans les pays où elles se trouvent" et la décision de l'Assemblée Générale Extraordinaire de L’Archevêché (AGE) du 23 février 2019 " de ne pas dissoudre l’Archevêché, mais de le conserver comme entité ecclésiale unie selon sa forme primitive", le journal en ligne "Planète russe" a publié un beau plaidoyer pour le retour de l'Archevêché à l'Église russe (*).

Mais il y a aussi d'autres positions au sein de L’Archevêché que nous analyserons en deuxième partie.

POUR LA RÉUNION AVEC L'ÉGLISE RUSSE

L' article de "Planète russe" fait appel à des personnalités de référence: Mgr Kalistos Ware ("l'un des hiérarques les plus émérites du patriarcat de Constantinople" pour l'auteur de l'article), le père Georges Kotchetkov, recteur de l'Institut St Philarète (Moscou), qui avait soutenu sa thèse à l'ITO St Serge (Paris) et Nikita Krivochéïne, petit-fils d'un ministre de Nicolas II, ancien prisonnier du Goulag, membre actuel du Conseil épiscopal de la métropole de Chersonèse et d'Europe occidentale de l'Église russe. N'appartenant pas à l'Archevêché mais le connaissant bien, ils ne participent pas au débat interne et donnent un avis extérieur amical.

Mgr Kalistos replace la question dans le cadre du conflit à propos de l'Ukraine: «Bien que le patriarcat de Constantinople se voit aujourd'hui comme Église- mère de l'Ukraine, il faut reconnaître que durant plus de 330 ans l'église Ukrainienne faisait partie de l'Église Russe. C'est là un fait historique et, comme disait déjà Aristote, même Dieu ne peut pas changer le passé.» Puis il insiste sur l'importance du Concile local de Moscou de 1917-18 "dont la première vague d'émigration avait emporté le meilleur" et qui est le mieux suivi au sein de L'Archevêché. Le père Georges renchérit "les décisions du Concile local ne sont pas mises en œuvre /en Russie/ et cela crée une énorme rupture de la tradition; il n'y a plus de suite à ce qui a été mûri au plus profond de l'église Russe jusqu'au début du XX siècle".

"En reprenant la terminologie des émigrés russes du XX siècle, la réunions des Églises «Blanche» et «Rouge» serait utile pour qu'elles cessent d'être «Blanche» et «Rouge» et deviennent simplement l'Église du Christ, fondée sur tout ce qu'il y avait de meilleur dans les deux Églises" continue le père Georges. Il fait la liste des théologiens reconnus de l'émigration et place en face l'impact des nouveaux martyrs de l'Église russe, encore mal évalué /dans l'Orthodoxie/ mais qui a une signification mondiale. Il pense qu'une telle réunion amènerait une renaissance de l'Église en Russie qui regénérerait le pays et le peuple et souligne qu'il y a là "une sorte de dette morale des héritiers des émigrés russes devant leurs pères, devant Dieu et devant l'Église…"

Nikita Krivochéïne insiste sur l'héritage matériel (églises, icônes, archives) et surtout spirituel que porte actuellement à L'Archevêché : "Pour l'Eglise Russe, c'est cet héritage invisible qui est le plus important, cette expérience de la vie, élaborée dans l'exil, mais aussi dans une nouvelle indépendance de l'État qu'elle n'a jamais connue auparavant …"

Et c'est le père Georges qui conclue l'article par la phrase que nous avons mise en exergue

(*) Source:

Ces positions sont aussi défendues au sein de L’Archevêché: d'après un article de RFI en russe (**), elles ont été soutenues par l'archevêque Jean lors de l'AGE, des contacts ont été pris au plus haut niveau et le maintien de L’Archevêché avec son organisation et ses statuts est garanti par écrit. Cette proposition semble d'ailleurs LA SEULE QUI SOIT OFFICIELLEMENT AVANCÉE À CE JOUR.

(**) Source

AUTRES OPTIONS

Si les fidèles sont très majoritairement d'accord pour préserver l'unité de l'Archevêché (93% des voix à l'AGE, i.e. 191 délégués sur 206…), nous voyons bien que cette unité est déjà compromise: après les deux paroisses italiennes rejoignant l'EORE, la paroisse de Stockholm, fondée par l'Eglise russe il y a 400 ans, a rejoint le patriarcat de Roumanie et 15 délégués (7%) ont donc choisi la dissolution de l’Archevêché... Nous allons essayer de résumer les différentes options possibles.

MAINTIEN AVEC CONSTANTINOPLE: à au-delà de ces 7% pour la dissolution de l'Archevêché et l'obéissance à la décision de Constantinople, il faut souligner que c'est actuellement la voie officiellement suivie puisque, d'après le communiqué du 23 février, "Le Conseil de l’Archevêché a pris acte de cette décision de l’AGE et va communiquer rapidement la décision à Sa Toute-Sainteté le Patriarche œcuménique de Constantinople ainsi qu’à son Saint Synode et enverra une délégation au Phanar pour remettre la lettre en mains propres." Il est possible qu'une nouvelle information sera diffusée à l'issue de cette visite au Phanar, mais cela ne pourra être décisif puisque la décision finale reviendra à l'AGE annoncée en juin.

Cette option est de toute façon par ceux qui sont persuadés que c'est le patriarcat de Constantinople qui est le mieux à même de garantir l'indépendance de l'Archevêché contre les volontés d'ingérences prêtées à l'Église russe, comme l'explique dans l'article de RFI

Daniel Struve, maître de conférences à l'Université Paris Diderot et membre de la communauté orthodoxe de Paris. Il rappelle aussi que l'Archevêché "avait toujours été un fervent partisan de la formation d'une Église locale (indépendante) en France qui intégrerait différentes nationalités", argument qui regroupe un bon nombre de partisans dans l'Archevêché, et surtout dans sa direction, qui se rangent à la doctrine selon laquelle c'est Constantinople qui doit avoir autorité sur toute la diaspora.

L'article de RFI cite aussi le marguillier de la paroisse de Nice, Alexandre Obolensky, fondamentalement opposé à l'option Moscou du fait des procès en cours avec l'état russe; certains y ajoutent les accusations datant de la guerre froide (liens avec le KGB et avec le gouvernement russe maintenant personnifié par le président Poutine...) Tout cela est foncièrement politique et rappelle les prises de position du "synode hors frontières" qui avaient conduit à la rupture avec l'Archevêché en 1926-27… Sauf que maintenant les positions sont inversées: l'Église russe à l'étranger a rejoint Moscou en 2007 et c'est L’Archevêché qui le refuse depuis 2003…

UN CHOIX MOINS CLIVANT EST-IL POSSIBLE?: dans le contexte de la crise ukrainienne, souligné par Mgr Kalistos, le choix de Moscou ou Constantinople sera probablement rejeté par les opposants déterminés d'un bord ou de l'autre; un certain nombre de paroisses quitteront alors l’Archevêché. Est-ce un choix plus neutre qui va prévaloir pour sauvegarder au maximum l'intégrité de l’Archevêché? Dans l'article de "Planète russe", le père Georges rappelle qu'il y a théoriquement 15 juridictions pouvant l'accueillir, en comptant ces deux-là et sans oublier l'OCA (Église Orthodoxe en Amériques), qui est certainement la juridiction la plus proche de l'Archevêché car issue comme lui de l'Église russe et appliquant les décisions du Concile locale de 1917-18. (Cette hypothèse avait d'ailleurs été évoquée lors de la crise des élections de 2013, bien que l'OCA se positionne plutôt comme exclusivement américaine...).

L'option roumaine, prise par la paroisse de Stockholm, a été évoquée dès l'Assemblée pastorale du 15 décembre 2018 et le père diacre Alexander Zanemonets, qui y avait participé, écrit que "la proposition de l'Eglise orthodoxe Roumaine de la rejoindre est inattendue mais intéressante. C'est aujourd'hui l'une des Eglises orthodoxes les plus dynamiques. Avec le plus grand nombre de moines et une attitude authentiquement pastorale de la hiérarchie et du clergé envers le peuple. Il y a en Europe Occidentale des centaines de paroisses roumaines, célébrant pour la plupart en langues locales et non uniquement en roumain. Nombre d'évêques et de prêtres roumains ont étudié à l'ITO St Serge de Paris, car le français ne présente pas trop de difficulté pour les Roumains." Toutefois il ne croit pas au choix de cette solution qui serait, d'après lui, "trop exotique". Le patriarcat de Serbie a aussi été évoqué sans que nous en ayons trouvé aucun détail…

UN CHOIX FONDÉ SUR LES PRINCIPES DÉCIDÉS PAR LE CONCILE LOCAL DE 1917- 1918.

L'AGE du 23 février n'a pas réellement clarifié la situation: la seule décision qui en ressort c'est de refuser la dissolution décidée par Constantinople, mais le divorce n'est pas (encore?) consommé au vu du dernier communiqué: ..."Pour l’instant, la vie de l’Archevêché se poursuit comme à la veille de l’AGE. Notamment, dans les célébrations, l’Archevêque commémore le Patriarche œcuménique et le clergé paroissial commémore l’Archevêque selon la règle canonique."

Toutefois, le choix "de ne pas dissoudre l’Archevêché, mais de le conserver comme entité ecclésiale unie selon sa forme primitive" (ibid.) est en contradiction flagrante avec la décision du Patriarcat de Constantinople de "réorganiser le statut de l’exarchat". Pour faire valoir ce choix de l'AGE, la direction de l'Archevêché s'appuie sur ses statuts, inspirés des décisions du Concile local de l'Église russe de 1617-18, au risque de devoir quitter le patriarcat de Constantinople qui ne reconnait pas les décisions de ce concile, pas plus que le patriarcat de Moscou d'ailleurs, ni aucune autre Église locale en dehors de l'OCA.

MAIS N'Y A AUCUNE IMPOSSIBILITÉ CANONIQUE À CE QUE L’ARCHEVÊCHÉ CHANGE DE JURIDICTION: l'histoire a connu des diocèses changeant de patriarcat, comme ceux de Ravennes et d’Illyrie, disputés entre Rome et Constantinople du IIIe au Ve siècles, comme la métropole de Kiev qui a rejoint Constantinople en 1458 pour revenir à Moscou en 1686 et, plus près de nous, la métropole orthodoxe russe de Grande Bretagne est passée de Moscou à Constantinople (en perdant une bonne partie de ses paroisses...)

Toutefois, ce qui est absolument nouveau dans l'Orthodoxie, c’est que c’est l'AGE, composée de tout le clergé et de représentants laïcs des paroisses, qui va décider de son destin et non quelque autorité extérieure, qu'elle soit religieuse ou laïque: "Une nouvelle AGE sera convoquée ultérieurement, probablement en juin," selon le communiqué. (Cette situation avait été prévue dès la convocation de l'AGE du 23 février, dont l'objet était limité à "statuer sur la dissolution" et qui prévoyait expressément: "Néanmoins, il faut noter qu’aucune autre décision que celle posée à l’ordre du jour ne pourra intervenir lors de cette AGE du 23 février. Si l’AGE refuse la dissolution et se prononce pour le maintien de son existence, la vie ecclésiale de l’Archevêché se poursuivra selon des scénarios alternatifs qui seraient à envisager et à débattre dans une AGE ultérieure, chargée de réviser les statuts actuels…")

L'avenir de l'Archevêché semble donc toujours aussi ouvert et incertain et je pense que tous les Orthodoxes français, en particulier ceux de tradition russe, doivent prier pour que l'Esprit Saint ne l'abandonne pas et montre aux délégués de la prochaine AGE la meilleure voie pour suivre notre Seigneur.

Amen

Illustration: la cathédrale de la rue L’Archevêché (Paris), graveur anonyme, 1861, Musée Carnavalet, Histoire de Paris

Архиепископия и перспективы русского православия

Lire aussi L’Assemblée générale des paroisses orthodoxes d’Europe occidentale s’est tenue le 23 février à Paris. Communiqué de l’Archevêché
L'ARCHEVÊCHÉ ET LES PERSPECTIVES DE L'ORTHODOXIE RUSSE

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 30 Mars 2019 à 10:03 | 17 commentaires | Permalien



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