L'Église russe et l'Islam
L'Église russe est fière à bon droit de ses bonnes relations avec l'Islam car la Russie constitue un cas exceptionnel de bonne entente pendent plus de 450 ans entre une forte minorité musulmane et une majorité chrétienne. Cela peut d'ailleurs constituer un exemple intéressant pour nos sociétés occidentales actuelles.

Tout commence avec l'annexion des khanats de Kazan et Astrakhan par Ivan le Terrible en 1552 et 1556, puis c'est toute la côte nord de la Caspienne, la côte de la mer Noire avec la Crimée, le Caucase et l'Asie Centrale qui sont conquis du XVII au XIXe siècles avec leurs populations musulmanes, si bien que les musulmans représenteront jusqu'à 30% des sujets de l'Empereur orthodoxe puis de l'URSS. La prise de Kazan entraînera bien la destruction des mosquées du kremlin, mais la Grande Catherine édictera les oukases de tolérance (1782 et 87)(1), autorisant la construction de mosquées en pierre et faisant éditer le Coran en arabe pour qu'il soit distribué gratuitement au Kirghizes. A partir de là il n'y aura plus de problème avec l'Islam en Russie, en dehors de l'exode des Tcherkesses à la fin de la conquête du Caucase, les Musulmans ayant moins de restrictions dans l'empire que les Juifs, en particulier au niveau militaire (pensons à la garde techerkesse de l'empereur, dont a fait partie le futur shah d'Iran, ou à la "division sauvage" de Kornilov), et ils résistent mieux que les chrétiens au pouvoir athée des Soviets. Ils seront d'ailleurs instrumentalisés par l'état soviétique pour servir sa politique au Proche Orient et dans le Tiers Monde et M. Vladimir Poutine continue: il a réussi le tour de force d’être le premier chef d’un État à majorité non musulmane invité à prendre la parole au sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), qui regroupe cinquante-sept États musulmans, le 10 octobre 2003. Un succès politique et diplomatique. En faisant valoir que la Fédération de Russie compte plus de 15 % de musulmans (2) et que huit de ses vingt et une républiques autonomes portent le nom de peuples musulmans (3), la Russie a obtenu le statut de membre observateur de cette organisation internationale. Et ce grâce à l’appui plutôt paradoxal de l’Arabie saoudite et de l’Iran (4).

Il faut dire que l'Islam russe est particulièrement modéré: sans remonter à Omar Khayam (qui a passé une grande partie de sa vie à Samarkand et dont les "rubaiyat", quatrains sont traduits et appréciés depuis longtemps en Russie), des spécialiste de l'Islam que j'ai rencontrés à Kazan m'ont expliqué que des théologiens du Tatarstan ont conseillé Ata Turk, dans les années 1920, et que leur école de théologie, au début du XXe siècle, avait développé la pensée que même les "infidèles" iraient au paradis car Allah, dans sa miséricorde infinie, supprimerait l'enfer… Thèse qui rappelle celle d'Isaak le Syrien chez les chrétiens!

Pour tout dire, Église Russe et Islam de Russie prennent souvent des positions communes contre les dérives du sécularisme actuel, en particulier au sein du Conseil interreligieux. De même le Conseil de muftis de Russie avait approuvé officiellement la déclaration de Sa Sainteté Alexis 2, de bienheureuse mémoire, devant le parlement de Strasbourg en octobre 2007.

Notes:

(1) Notons ce modernisme de la souveraine: 100 ans avant, le Roi Soleil avait révoqué l'Edit de Nantes (1685), en application du principe "Cujus Regio, Ejus Religio" (un prince, une religion) qui datait de Guerres de religion. Mais il est vari que la discrimination des Juifs est abolie en Europe Occidentale à cette époque là: Angleterre, Pays bas, puis France (1891, encore Louis XVI!).

(2) D'après le dernier recensement (2002), il y aurait 14,5 millions de musulmans en Russie, soit 10% de la population, mais le conseil des muftis conteste ce chiffre et considère qu,il y en a au moins 20 millions, soit 15% (cf. http://demoscope.ru/weekly/2003/0135/perep02.php). De plus, selon des analystes russes et occidentaux, la forte natalité des communautés musulmanes et l’immigration des républiques indépendantes d’Asie centrale devraient conduire à une nette augmentation dès 2010. Lire Dmitry Shlapentokh, « Islam and orthodox Russia : From eurasianism to islamism », Communist and Post-Communist Studies, Londres, n° 41, 2008, p. 27-46.

(3) Tchétchénie, Ingouchie, Daghestan, Adyghés, Kabardino-Balkarie, Karatchaevo-Tcherkessie, Bachkortostan et Tatarstan. Les plus importantes et les plus peuplées sont le Tatarstan et le Bachkortostan. Plus de la moitié des Tatars vivent à l’extérieur du Tatarstan ; à elle seule, la région de Moscou compterait un peu plus de musulmans que le Bachkortostan.

(4) "Le Monde diplomatique" cf. http://www.monde-diplomatique.fr/2008/12/LEVESQUE/16592

Rédigé par Vladimir Golovanow le 2 Mai 2009 à 17:51 | 4 commentaires | Permalien



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