L'archimandrite Élie (Ragot): l’Espérance (partie I)
L'archimandrite Élie (Ragot), aumônier du monastère de la Transfiguration, Terasson, France.
Eglise des Trois saints Docteurs, Paris

Conférence sur l’espérance

Mes chers, mes frères en Christ

Lorsque notre amie de longue date, Émilie, m’a proposé de vous adresser quelques mots, j’ai bondi de joie à la perspective de vous rencontrer, ce que j’aurai voulu faire depuis longtemps, mais nous habitons loin… et je viens peu à Paris. Je souhaite pourtant que les kilo-mètres ne vous empêchent pas de faire le trajet jusque dans notre monastère si vous le souhai-tiez ! Bien qu’il soit francophone par nécessité, et canoniquement relié au mont Athos, il me semble que vous n’y seriez pas dépaysés ; en tout cas vous y seriez bien reçus et nous considérerions votre visite comme un honneur et une bénédiction.

Vous me sollicitez donc pour que je vous entretienne du thème de l’Espérance. Les mois passés, vous avez déjà parlé, si j’ai bien compris, de deux autres vertus, la Foi et la Charité. Je ne sais ce que vous en avez dit ou retenu, ni comment ces sujets ont été traités, mais je voudrais vous prévenir que je n’ai pas l’intention de vous faire aujourd’hui une conférence savante, ni vous faire des révélations particulières ou originales sur ce sujet.

L'archimandrite Élie (Ragot): l’Espérance (partie I)
J’espère seulement, en me motivant moi-même à exercer cette vertu à cette occasion, contribuer à susciter en vous un peu d’enthousiasme pour vous enfoncer toujours plus profondément dans ce mystère de l’Espérance. Comme je vais vous le montrer, ce n’est pas toujours facile, mais, avec la grâce de Dieu, tout est toujours possible, et Il ne manque jamais d’accorder Son aide à ceux qui le recherchent de tout leur cœur, en fonction de leurs forces respectives.

Foi, Espérance, Charité : Si j’évoque les deux autres conférences que vous avez entendues sur la Foi et la Charité, c’est parce que notre sujet leur est intimement lié, et qu’on ne peut aucunement les séparer. Si on les distingue en tant que vertus, c’est parce qu’elles procèdent de mouvements intérieurs différents, mais elles sont, en fait, trois volets - ou trois aspects - complémentaires d’un même mystère : celui de notre communion personnelle avec Dieu, en Christ. La Foi nous fait découvrir Dieu ; l’Espérance nous Le fait désirer et nous fait tendre vers Lui de toutes nos forces – et même au-delà - puis nous permet d’espérer L’atteindre. Enfin, la Charité, (l’Amour) en est la conséquence qui nous fait participer en partie à l’être de Dieu par Sa grâce et nous incite à Le communiquer autour de soi. Notons que lorsque l’on parle de l’acquisition ou de l’entrée, ou de l’espérance du « Royaume des Cieux » ou tout simplement du « Ciel », il ne s’agit évidemment pas d’un lieu, mais d’une communion en Dieu, d’une participation à Sa vie, qu’Il nous a promise Lui-même, en Lui, Jésus, le Christ.

L'archimandrite Élie (Ragot): l’Espérance (partie I)
Espérance unifie et hausse homme.

L’Espérance est un mouvement intérieur qui jaillit du plus profond de notre être, et qui, procédant de notre libre vouloir, nous fait mettre toute notre confiance et toute notre énergie dans l’attente des Promesses divines de l’acquisition du Royaume des Cieux. Au contraire de prendre appui sur soi-même et sur ses propres forces, cette vertu nous fait prendre appui sur les Promesses du Christ, qui accomplit et parfait celles de l’Ancien Testament et nous fait nous confier au secours de l’Esprit-Saint qui agit en nous très concrètement. C’est pour cela qu’à la suite de saint Paul on dit qu’elle est « une ancre » - comme une ancre de navire - car elle nous attache au roc le plus profond, et les vagues de la mer agitée ne peuvent nous en détacher et nous empêchent de dériver…

L’Espérance nous hausse jusqu’à Dieu, elle nous fait dépasser notre condition humaine ordinaire et déchue, en unifiant, parfois douloureusement, toujours à travers la Croix, notre monde déchu avec le monde céleste – c'est-à-dire Dieu Lui-même - dont le péché nous avait éloignés. L’Espérance est une réponse libre et volontaire à la Foi que Dieu nous a donnée, elle est une élévation, une résolution ferme et délibérée de tendre vers une Vie Eternelle, sans dé-tourner pour autant le Chrétien de ses activités ou obligations terrestres. Elle les lui faisant dépasser, au contraire, il ne les considère pas comme un bénéfice personnel, mais il poursuit, sans retour égoïste sur soi-même, un idéal de communion avec Dieu et avec les autres. « Cher-chez d’abord le Royaume (sous-entendu dans l’évangile selon Matthieu : « le royaume du Père ») et Sa justice (c'est-à-dire la justice du Père) et tout cela (c'est-à-dire tout ce dont vous avez besoin, et qui dans l’évangile a été évoqué au verset précédent) tout cela vous sera ajouté » (Mt 6, 33) /1/ . Il n’y a pas pour l’homme de bien supérieur à Dieu, Dieu doit à ses yeux passer avant tout : Jésus nous l’affirme : « Qui aime père ou mère au-dessus de moi n’est pas digne de moi ! Qui aime fils ou fille au-dessus de moi n’est pas digne de moi ! (Mt 10, 37). Il y a une hiérarchie dans l’attachement de l’homme dans laquelle Dieu doit avoir la première place !

Objet de l’Espérance : Il convient, en commençant, de définir un peu ce qu’est l’objet de l’Espérance spécifiquement chrétienne.

Ce qu’elle n’est pas : Car, qu’on ne s’y méprenne pas : La vie de l’Église, les Promesses du Christ, les sacrements, la Prière, ne sont pas de la magie ni de la superstition. Bien sûr il ne viendrait à l’esprit d’aucun de vous de prendre l’Église pour de la magie ou du fétichisme, pourtant dans la pratique, il nous arrive souvent de prendre Dieu comme un outil pratique, ce qui n’est plus Lui donner la première place qui Lui revient. Jésus, dans Son évangile, ne nous a jamais dit qu’Il serait venu nous rendre plus heureux sur la terre, qu’Il allait adoucir notre sort, nous guérir de tous nos maux. L’Église, la Prière, les sacrements ne sont pas des moyens de « vivre mieux », d’échapper aux difficultés. Pourtant même dans l’Église on trouve cette tentation. Non, Dieu n’est pas un outil dont on se sert pour bénéficier d’une vie plus facile. Ce n’est donc pas cela qu’il faille rechercher, ce n’est pas dans une amélioration de notre condition humaine terrestre que nous devons mettre notre Espérance. Nous devons même remarquer que Jésus nous a précisément prédit le contraire : « Ne pensez pas que je vienne jeter la paix sur la terre. Je ne viens pas jeter la paix, mais l’épée ! Car je viens disjoindre homme contre son père, fille contre sa mère, épouse contre sa belle-mère… (Mtt 10, 34-35). « Qui cherchera à épargner sa vie la perdra. Et qui la perdra, la fera vivre » (Lc 17,33) « qui ne prend pas sa croix et ne suit pas derrière moi n’est pas digne de moi ! » (Mt 10,38). Vouloir confiner notre Espérance au niveau de l’amélioration de nos conditions de vie conduirait à de graves déconvenues, à de tragiques illusions et bien des déceptions.

La Prière, même si elle n’exclut pas le souci des autres, ce qui est le propre de la charité, n’a pas pour but essentiel d’obtenir de Dieu des bienfaits utiles à notre vie terrestre. On ne prie pas pour obtenir de bons résultats à un examen, la bonne santé de sa belle-mère, ou un tirage au sort favorable lors d’une cagnotte dont le produit nous permettrait de réaliser un projet aussi noble soit-il… (Notez qu’il est légitime de confier cela a Dieu, mais de le « Lui confier », c'est-à-dire de s’en remette à Lui pour l’obtention ou non, avec une totale confiance et une franche Action de grâce quel que soit l’issue. Une prière authentiquement chrétienne consiste à confier nos besoins à Dieu, mais en nous occupant, nous, de Le rechercher Lui, et non Ses bienfaits – en tout cas tels que nous les imaginons ! Oui, nous rencontrons tous cette tentation dans notre vie ecclésiale, mais c’est en y succombant que beaucoup de personnes perdent la foi. … « Si Dieu était bon… » ou « si Dieu existait, Il serait bon, il ne pourrait donc pas permettre ceci ou cela » que l’on considère comme une injustice ; « comment Dieu peut-Il permettre que… ? » Ces raisonnements conduisent à la rébellion, au découragement, au reniement et à l’abandon de la foi…

Et les miracles de l’évangile, alors ?

Bien sûr, dans les évangiles, on lit presque chaque dimanche des récits de miracles opérés par Jésus : des guérisons, des multiplications de nourri-ture, des délivrances démoniaques, des résurrections. On est tenté de croire que Jésus serait venu exercer un pourvoir de guérison, pour améliorer le sort des juifs qui l’entouraient. Mais une première constatation s’impose : même s’Il a fait plus de miracles que n’en sont rapportés de l’évangile, il est certain qu’Il n’a pas guéri, délivré, ressuscité tout le monde ! Les Apôtres qui ont continué son Œuvre non plus ! Et s’il est indéniable que beaucoup de miracles arrivent encore aujourd’hui, et que beaucoup de personnes en sont témoins ou bénéficiaires, le moins qu’on puisse dire c’est que tout le monde n’est pas encore guéri, que la paix n’est pas encore répandue partout sur la terre, que la Justice n’est pas universelle, et que tous les hommes ne sont pas encore totalement heureux ! Alors ? Il n’y aurait donc pas d’Espérance ? Jésus nous aurait-il trompés ?

Exemple des Apôtres

Il faut dire que les Apôtres ont expérimenté aussi cette même tentation : ils attendaient un Messie qui vienne rétablir une royauté prospère et paisible en Israël. Jésus a eu beaucoup de mal à leur faire admettre que Son Royaume était un « Autre Royaume », non terrestre, non politique, non social. Par exemple, alors qu’Il voulait aller à Jérusalem où Il serait arrêté et qu’Il annonçait Sa passion à Ses disciples, Pierre voulait l’en empêcher et s’est attiré cette exclamation sévère du Maître : « Va-t-en derrière moi, satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes idées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » (Mt 16,23). Et devant Pilate Il affirmera : « mon royaume n’est pas de ce monde (Jn 18,36).

Cas de Judas

Dans un audacieux, mais splendide essai sur Judas que les textes liturgiques nous montrent seulement comme un traître par cupidité personnelle, le père Serge Boulgakof émet l’hypothèse très éclairante que le motif de la trahison de Judas, serait peut être un excès de zèle le Maître qu’il aimait. Il aurait voulu que Celui-ci accomplisse la mission que l’apôtre croyait qui lui revenait, à savoir le salut du peuple d’Israël dont Jésus aurait dû être le souverain, mais sous une forme humaine. Peut-être croyait-il que l’occasion en était donnée lorsque Jésus est entré triomphalement à Jérusalem, acclamé comme Roi par les descendants de Jacob. Mais Jésus n’a pas accepté ce rôle : le lendemain Il était abandonné, trahi, condamné et exécuté. Peut-être Judas aurait-il donné sa vie pour cela. La thèse est intéressante, mais mon propos n’est pas de l’étudier, de la défendre ou de la condamner ; je veux simplement montrer que la tentation d’un messianisme humain rentre dans la logique de nos visions étroites du bonheur et déroulement de la vie humaine telle que nous l’imaginons – et la voudrions – mais ce n’est pas conforme au plan et aux « idées de Dieu » qui vise un autre bonheur, non éphémère, mais éternel pour les hommes, Ses bien-aimés.

Les miracles comme « signes »

Mais alors, que signifient les miracles que Jésus opérait ? Comme je l’ai fait remarquer, Son but n’était pas de guérir tout le monde, de lutter contre la faim et la maladie, sinon avouez que Son Évangile aurait été un échec retentissant, ce que beaucoup croient encore qui attendent un messianisme social et humain. Les miracles avaient valeur de signe. Certes, Il se révélait vrai-ment Le Créateur, en dépassant les lois physiques de la nature ; les miracles étaient bien de choses étonnantes, merveilleuses, extraordinaires, prodigieuses, mais ils étaient subordonnés à une signification, à un sens, à une autre réalité qu’ils sont sensés manifester. L’étonnement que les témoins ressentaient à la vue de ces merveilles devait les amener à rentrer en eux-mêmes et, dépassant le phénomène même, découvrir ce qu’ils annonçaient. C’est ce qu’avait déjà fait Moïse sur le Sinaï : il voit une chose étonnante qui attire son attention, et il va voir ce que c’est. Devant le prodige d’un buisson épineux qui brûle sans se consumer, il découvre la réalité de deux natures (le bois et le feu) qui sont unies sans que l’une ne détruise pas l’autre. Alors, il reçoit de l’ange la révélation de la rencontre de Dieu et des hommes qui sera pleinement révé-lée au moment de l’incarnation du Verbe de Dieu, par la naissance de Jésus dans la grotte de Bethléem.

Seul l’Esprit-Saint peut illuminer l’esprit de l’homme pour qu’il comprenne la réalité à travers le signe ; c’est pour cela que bien souvent les Apôtres eux-mêmes ne comprenaient pas le sens des miracles que Jésus opérait devant eux : ce ne sera que plus tard, lorsqu’ils auront reçu l’Esprit de Pentecôte, qu’ils auront l’intelligence, la compréhension intime de ce que vou-lait montrer Jésus.

Je vous donne brièvement deux exemples : Lorsque Jésus nourrit une foule en multi-pliant des pains à profusion, certes Il donne bien à manger à des personnes qui ont faim, mais surtout à travers cela, Il montre que les gens sont affamés d’une autre nourriture, spirituelle celle-là, et qu’Il comblera cette faim par un Pain d’une nature différente qu’Il distribuera avec profusion, comme la manne qu’il faisait tomber dans le camp des Hébreux fugitifs et affamés conduits par Moïse dans le désert inhospitalier du Sinaï : le Pain eucharistique, celui qu’Il con-sacrera le soir de la sainte Cène à la veille de Sa passion, et auquel il nous est donné de com-munier chaque jour si nous le voulons : Son Propre Corps, sous la forme de pain de la commu-nion à la Liturgie.

Dans la guérison du paralytique que Ses amis font descendre par le toit de la demeure parce que l’entrée de la maison est obstruée par la foule qui presse Jésus, nous voyons bien que le miracle qu’Il accomplit de guérir un corps paralysé, n’est que le prétexte pour montrer que c’est à l’âme paralysée par le péché qu’Il vient redonner vie ! On Lui amène donc un paraly-tique et Il lui dit : « Enfant, tes péchés sont remis ». Ce n’est pas ça que les porteurs du malade venaient demander à Jésus, mais bien Son intervention miraculeuse pour le guérir. Mais devant le scandale que l’audace de Jésus de pardonner les péchés comme s’Il était Dieu – ce qu’Il est vraiment et qu’Il veut prouver - alors Il guérit effectivement aussi physiquement le pauvre pa-ralytique : « Quel est le plus facile, dit-il, dire au paralytique ‘tes péchés sont remis’ ou dire ‘dresse-toi, prends ton grabat et marche’ ? Eh bien pour que vous sachiez que le fils de l’homme a pouvoir de remettre les péchés sur la terre… il dit au paralytique : ‘à toi je dis : dresse-toi ! Prends ton grabat et va dans ton logis. » (Mc 2, 3-12). SUITE...

L'archimandrite Élie (Ragot): l’Espérance (partie I)
Note: /1/ Argument. Mtt 6, 31-33 : « Ne vous inquiétez pas en disant : « que manger ? » ou « que boire ? » ou « de quoi nous vêtir ? » Car tout cela, les païens le cherchent. Mais il sait, votre Père du ciel que vous avez besoin de cela. Cherchez d’abord le Royaume et sa justice et tout cela vous sera ajouté. »
« sa » (avtou) masc. justice ne s’accorde pas avec royaume (Basileia) qui est féminin, mais avec Père du v. préced. Qui est masculin) ? Pas justice du Royaume, mais justice du Père….


Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 9 Février 2016 à 10:51 | 0 commentaire | Permalien



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