Père Philippe Parfeunov, Moscou
Traduction Marie GENKO

A la question :
« Pourquoi l’accusation d’hérésie vous a-t-elle angoissé plus que tout autre accusation ? »
Le Révérend Père Agaphon avait répondu :
« Parce que l’Hérésie signifie, s’isoler loin de Dieu. L’hérétique s’excommunie du Dieu vrai et vivant et s’unit au démon et à ses anges. Celui qui s’est séparé du Christ (en confessant un enseignement erroné concernant le Christ) ne possède plus le Dieu qu’il pourrait supplier pour ses péchés et il est perdu sous tous rapports.

Pourquoi l’abbé Agaphon répondait-il de cette façon, et en était-il réellement ainsi ? Car n’importe quel péché qu’il soit de chair ou d’esprit, qu’il soit à l’encontre du Seigneur ou de son prochain, éloigne l’homme de Dieu et de Sa grâce.
Si nous nous référons aux textes du Nouveau Testament, comme source principale de notre tradition, nous pouvons y trouver des témoignages d’importance diverse concernant les hérésies et les problèmes concrets rencontrés par les premières communautés chrétiennes.

Le mot « hérésie » lui-même voulant dire « choix » se rapporte au mot grec signifiant :« Je prends, je choisis, je convaincs »

A propos des divergences d’opinions exprimées dans l’Eglise corinthienne, au sujet des repas communautaires associés au souvenir de la Cène de Notre Seigneur Jésus Christ, l’apôtre Paul écrivait : « …j’entends dire, que lorsque vous vous réunissez en assemblée, il se produit parmi vous des divisions, et je le crois en partie. Il faut en effet qu’il y ait des sectes parmi vous pour que ceux qui ont fait leurs preuves se manifestent parmi vous.» (1 Cor.11, 18-19)
Ces mots se révélèrent par la suite prophétiques : Les divisions entre les chrétiens au sujet de questions diverses importantes ou non, ont accompagné toute l’histoire de l’Eglise jusqu’aujourd’hui et nous ne les voyons absolument pas faiblir. Cela concernait souvent des questions pratiques de la vie quotidienne, et revêtait encore plus d’importance lorsqu’il s’agissait des sacrements de Dieu. En fait nous découvrons la vérité dans le Christ, elle est une, entière, éternelle et inaltérable :« Le Christ est le même hier, aujourd’hui et à tout jamais. » (Hébreux 13,8)

Mais personne ne peut exprimer entièrement cette vérité à l’aide de paroles, elle ne peut être expliquée ni comprise de façon rationnelle à cause de l’impuissance et de la limitation de l’homme. On ne peut s’unir à cette vérité que par son vécu en tant que membre du Corps du Christ, car selon les paroles de l’apôtre Paul :« Car partielle est notre science et partielle est notre prophétie » (1 Cor. 13, 9)
Et « nous voyons comme au travers d’une vitre trouble (mot à mot, comme dans un miroir terni) en devinant » (1 Cor 13,12)
Et l’Eglise d’une part, par la bouche de l’apôtre Paul admet la possibilité, et même le côté inévitable des divergences de pensées (hérésies), et d’autre part elle a lutté contre elles tout au long de son histoire, car ce même apôtre lance cet appel :« Quant à l’hérétique, après un premier et un second avertissement, rejette-le sachant qu’un tel homme est un dévoyé et un pécheur qui se condamne lui-même » (Tite 3- 10,11)

Comment concilier cela ?

Les divergences de toutes sortes ne sont pas toujours à propos et licites et tous les moyens ne sont pas bons pour les mettre à exécution. C’est une chose d’être conscient de ses propres limites et imperfections dans sa conception du monde et de la relativité de cette conception et de ne pas l’imposer aux membres de l’Eglise qui nous entourent, mais c’est une toute autre démarche d’insister sur l’absolue exactitude et l’infaillibilité de ses propres jugements, allant à l’encontre de l’Ecriture et de la Tradition, ce qui a été la caractéristique de la majorité des grandes hérésies.

Ce fut l’Orient, qui aux premiers siècles du christianisme et au début du Moyen Age, fut le grand générateur d’hérésies, d’un caractère principalement dogmatique.
A Byzance, à l’époque des conciles œcuméniques, les hérétiques ne se gênaient pas pour entretenir de nombreuses intrigues politiques dans le but d’infléchir en leur faveur les autorités impériales et obtenir ainsi gain de cause ; la délation et les accusations, qui n’avaient rien de commun avec la théologie, étaient utilisées et une justice sommaire était rendue avec un certain succès à l’encontre des personnalités indésirables du pouvoir impérial, sans exclure l’emploi de la force. Et cela allait à l’encontre des intérêts des orthodoxes lorsque des moyens similaires étaient employés contre les hérétiques. Cependant le principe de l’utilisation des dogmes et des canons, non en tant que vérité de la foi, soumise à une compréhension progressive dans la prière et à la lumière de la révélation, mais comme des instruments pour régler ses comptes avec ceux qui soutiennent des positions contraires dans les conflits politiques et courtisans de la Byzance impériale, et même dans la Russie prérévolutionnaire (dans le cas de l’écrasement des opposants de la réforme ecclésiale du patriarche Nikon, ou dans le cas du mouvement des moines opposants du mont Athos)
Ceci reste encore l’héritage accablant et non surmonté de cette époque difficile.
Les hérésies dogmatiques elles-mêmes ont apporté une contribution certaine dans le développement de la pensée théologique, étant donné qu’elles posaient un problème théologique et exigeaient sa résolution.
Nous pouvons considérer ce qui a été dit précédemment calmement, étant donné que chacun d’entre nous est potentiellement un hérétique, puisque nous ne pouvons pas contenir en nous-mêmes toute la plénitude de la sagesse des Ecritures et de la Tradition.

Ceci a tout autant trait aux théologiens fondamentalistes qu’aux théologiens libéraux.

Ajoutons à cela, qu’il y a hérésie et hérésies et qu’elles présentent aussi différents degrés de danger. L’hérésie est dangereuse lorsqu’elle s’oppose de façon organisée à l’enseignement conciliaire de l’Eglise et s’impose, soit avec l’aide de l’Etat, soit par d’autres moyens, et dans ce cas, elle suscite immanquablement des conflits. Dans une telle conjoncture, il faut se réunir et prendre les dispositions nécessaires. Lorsque l’hérésie est l’opinion d’une personne isolée, pacifique, sincère dans sa recherche de vérité, et ne s’imposant à personne, nous pouvons la comparer aux discussions théologales qui se rencontraient également chez les anciens Pères de l’Eglise et parmi les théologiens en vue du XXème siècle.
Il y a toujours eu bien d’avantage d’hérétiques à l’intérieur de l’Eglise même, qu’on ne le pense en général.
A partir de la fin du Moyen Age, c’est l’Occident qui devient le berceau principal des hérésies, hérésies d’une teinte surtout socialo politiques (Cathares, Patarins, Albigeois, Frères apostoliques, Taborites, Hussites, Anabaptistes) ils ont les mêmes motivations despotiques et la même prétention quand au caractère exceptionnel et infaillible de leurs chefs. Le meurtre de membres du clergé, le vandalisme des églises, l’incendie des croix et des icônes, le terrorisme enfin, accompagne toutes leurs actions.
Ceci est décrit en détail dans le livre de Igor Chafarevitch :« Le phénomène socialiste »
Peu à peu le nombre des hérésies dogmatiques passe à l’arrière plan, et apparaissent alors des hérésies socialo politiques, soit sous une forme de doctrines agnostiques, soit dans des doctrines franchement athées, tout en conservant leurs racines religieuses hérétiques.




Rédigé par Marie Genko le 25 Février 2011 à 12:14 | 14 commentaires | Permalien



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