V. Golovanow

Le président de l'OLTR(1), Séraphin Rehbinder, a publié le 1 mai un communiqué qui revient sur la situation inquiétante du fameux Institut de Théologie orthodoxe Saint Serge de Paris . Comme en réponse, mais sans citer l'OLTR, l’Archevêché des Églises Orthodoxes Russes en Europe Occidentale publiait le lendemain un communiqué conjoint avec l'ITO mais ce document n'apporte en fait aucune réponse aux inquiétudes manifestées.

RÉPONSE À L'ÉDITORIAL DE L'OLTR

Le texte de Séraphin Rehbinder a le grand mérite de rappeler, à ceux qui ne la connaîtrait pas, l'histoire de la fondation et le grand éclat de ce haut lieu de la théologie orthodoxe pendant un demi-siècle: alors qu'elle était totalement sous le boisseau en URSS et bien faible dans les Balkans pour des raisons historiques, la théologie orthodoxe s'est effectivement épanouie sur cette "colline inspirée" et a permis de faire connaitre l'Orthodoxie en Occident. Et merci Séraphin de bien rappeler que ce fut exclusivement l’œuvre des "émigrés", les premiers "convertis" (au sens du p. Serge Model (2)) arrivant après les ouvriers de la dernière heure pour prolonger une pensée qui avait déjà été largement reprise par ailleurs sans rien apporter de bien original.

Malheureusement, très cher Séraphin, tu ne tiens pas compte des réalités de la situation "hic et nunc": il est bien évident que c'est le patriarcat de Moscou qui a seul les moyens humains et financiers de faire vivre (et non vivoter!) une telle institution comme tu l'écris - il le prouve avec la fondation du séminaire à Épinay, la brillante restauration de la cathédrale de Nice (à comparer avec le piteux état de l'église de Biarritz, où j'étais à Pâques, ou de celle de Cannes...) et, bien entendu, la construction de la somptueuse nouvelle cathédrale à Paris... Mais l'ITO, comme "Daru", ont choisi de refuser toute discussion avec ce partenaire potentiel en refusant, comme tu le sais bien, la main tendue par le patriarche Alexis II il y a prés de 15 ans. Maintenant le train est passé et le patriarcat a assuré sa présence en France en dehors de "Daru" et de très belle façon!

Les raisons de ce refus sont à rechercher bien évidement d'abord dans la position de Constantinople, dont la tutelle sur Daru s'est clairement appesantie comme l'ont montrées les désignations des deux derniers archevêques. Le métropolite Euloge avait pourtant bien vu la nécessité de s'en affranchir en 1946, rappelons le (était-ce trop tôt?), et le Phanar n'avait pas hésité à rejeter Daru en 1965, quand cela l'arrangeait...

Mais il y a aussi cet orgueil immense dont fait preuve l'équipe dirigeante de "Daru" et de l'ITO et qui lui fait croire qu'elle n'a besoin de personne comme le montre ce dernier communiqué. Chers membres de l'OLTR, il faut vous rendre à cette évidence: ils ne vont pas explorer de voies d'un rapprochement avec le patriarcat de Moscou! Ils rêvent toujours des années 1970-80 où "Daru" se voyait prendre la tête d'une Orthodoxie d'Europe occidentale unifiée, comme le promeut toujours la "Fraternité orthodoxe" (http://www.fraternite-orthodoxe.eu/) dont sont issus la plupart de ces dirigeants.

LA REALITE DE L'ORTHODOXIE EN FRANCE


Seulement voilà, la majorité des Orthodoxes n'en veut pas, comme l'ont bien compris et proclamé les Pères du Concile de Crête: "Il a été aussi constaté que durant la présente phase il n’est pas possible, pour des raisons historiques et pastorales, de passer immédiatement à l’ordre canonique strict de l’Église sur cette question, c’est-à-dire qu’il y ait un seul évêque dans un même lieu... "Daru" ne représente plus que 2/5 des Orthodoxes en France approximativement (100 paroisses sur 250), alors que cet Archevêché dominait largement après guerre, avec prés de 80% des paroisses et l'ITO – seul établissement académique orthodoxe en Europe occidentale. Et ne peut compter que sur ces forces là pour continuer à vivoter en prolongeant la baisse inexorablement engagée depuis plus de 50 ans; pendant ce temps les autres juridictions se développent, et le diocèse de Chersonèse de l'Église russe(3) tout particulièrement avec ses croyants majoritairement attachés à leurs racines, son clergé majoritairement importé et ses réalisations prestigieuses. Le déclin mal caché d'un côté, l’expansion visible de l'autre !

Il est certain que la culture occidentale, profondément imprégnée de pensée scolastique et de rationalisme humaniste, est à l'opposé de la spiritualité orthodoxe. Cela n'empêche évidement pas TOUTE conversion, mais elles restent exceptionnelles et négligeables d'un point de vue statistique: de l'ordre de quelques % ("l'épaisseur du trait" pour les statisticiens...). Comme le montrent les recensements dans les pays voisins où la question de la religion n'est pas taboue (Italie, Suisse, Allemagne...), l'irruption soudaine des Orthodoxes, toujours minoritaires mais au moins visibles, reste essentiellement le fait des nouvelles émigrations qui sont venues remplir nos anciennes paroisses péniblement maintenues par les descendants des premiers émigrés.

Parmi les pratiquants réguliers des paroisses de tradition russe que je connais, les descendants des premiers émigrés et les "convertis" font à peu prés jeu égal. Ensemble, ils gardent l’administration et la majorité du clergé (sauf pour le patriarcat de Moscou, où le clergé provient majoritairement de Russie), mais ils sont clairement en minorité face aux nouveaux arrivés. Et la prépondérance des nouveaux arrivés est encore plus marquée parmi les pratiquants "épisodiques" (baptêmes, mariages, enterrements + Pâques pour les plus religieux), qui représentent 70-80% du troupeau et permettent donc une certaine visibilité statistique du fait orthodoxe...

NB: ces éléments factuels sont basées sur la situation des Orthodoxes de traditions russe en France, que je connais, recoupée avec les statistiques des pays voisins. Je serais très intéressé à avoir des informations similaires, mêmes subjectives, sur les autres traditions orthodoxes en Occident. Les rares témoignages que j'ai recueillis semblent montrer une situation semblable, avec peut-être moins de nouveaux arrivants pour la tradition grecque et plus pour les autres (roumaine, serbe...) qui étaient moins présentes dans les premières vagues. Les lecteurs peuvent ils confirmer cette impression?

CONCLUSION: "la sauvegarde de la religion réside dans le corps entier de l'Eglise"

Militer pour une "composante des traditions spirituelles et cultuelles russes", comme le fait l'OLTR me semble aussi utopique que vouloir une juridiction orthodoxe unique, comme la "Fraternité". En revanche, chercher une nouvelle réponse canonique à la volonté affichée par le "Peuple de Dieu" de garder ses différentes traditions spirituelles et culturelles et ses rattachements aux différentes Églises locales, qui sont les gardiennes de ces racines, me semble une voie à explorer "car chez nous la sauvegarde de la religion réside dans le corps entier de l'Eglise, c'est-à-dire dans le Peuple lui-même" comme le proclame "l'Encyclique .des Patriarches Orientaux" (Constantinople, 6 mai 1818, §17, cf. http://www.abitibi-orthodoxe.ca/page7.html.)

Cela demandera la remise en cause des prétentions de Constantinople à se soumettre toute la diaspora et, probablement, une nouvelle lecture du canon "un évêque dans chaque ville". Et la structure de l'OCA (4), avec ses diocèses parallèles albanais, bulgare et roumain, peut proposer une sorte de modèle qui montre concrètement sa viabilité et son acceptabilité par le Peuple de Dieu plus clairement que les différentes "autonomies" (Ukrainiennes, carpato-ruthène …) qui coexistent sous l'omophore de Constantinople…

Notes:
(1) Créé à Paris le 31 mars 2004, le mouvement pour une Orthodoxie Locale de Tradition Russe (OLTR) "a pour objet de contribuer à la promotion de l’Eglise locale en Europe occidentale dans le maintien d’une composante de traditions spirituelles et cultuelles russes" (http://www.oltr.fr/)
(2) Cf. http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Orthodoxie-occidentale-la-lecon-belge_a1208.html
(3) Cf. http://www.egliserusse.eu/; le diocèse de Chersonèse recouvre les paroisses de l'Église russe en France, Suisse, Espagne et Portugal. Le nombre de ses communautés a plus que quintuplé atteignant maintenant 69, dont 24 en France alors qu'il stagnait, voire régressait pour "Daru"…
(4) Orthodox Church in America, https://oca.org/


Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 9 Mai 2017 à 10:11 | 4 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Gueorguy le 09/05/2017 15:52
Bonjour,

Pour être honnête, je ne pense pas que le communiqué de l'Archevêché et de l'ITO soit une réponse au communiqué de l'OLTR. C'est juste une question "timing" qui m'incite à le penser. Pour publier leur communiqué, les responsables de ces deux institutions ont dû réunir et mobiliser un certain nombre de responsables, élaborer leur texte etc... Et je doute fort qu'il s'agisse d'une réunion à tenir d'urgence après la diffusion du message de l'OLTR.

Disons que la publication des deux textes, à deux jours d'intervalle, montre une coïncidence dans la préoccupation mais que le texte de Séraphin Rehbinder (OLTR) se différencie, dans sa forme, en cela qu'il propose, lui, des solutions à entrevoir.

2.Posté par Vladimir.G: regarder la réalité... le 09/05/2017 22:03
XB!

Bien cher Gueorguy,

Je suis bien d'accord avec vous: la publication simultanée des deux texte est une coïncidence et le communiqué commun est vide. En revanche les solution proposées par Séraphin apparaissent totalement irréalistes dans la situation actuelle...

3.Posté par Vladimir G: les juridictions les plus attachées à leurs racines culturelles montrent la plus grande progression le 12/05/2017 07:27
Un commentaire publié sur un autre fil (http://www.egliserusse.eu/…/Revenir-sur-terre-et-voir-la-re…, commentaire 4) m'a fait revoir le décompte des paroisses orthodoxes en France et à remettre ces chiffres dans une perspective historique:

- C'est bien la métropole roumaine qui est largement en tête avec 80 communautés. Et il est remarquable qu'il n'y en avait qu'une avant la guerre, celle de paris, qui date de la fin du XIXe. Et autre fait remarquable, le schisme qui avait frappé la métropole après la guerre a été résorbé en 2009 et cette réunification fait certainement partie du dynamisme de cette Église dont l'aspect patriotique est particulièrement marqué! C'est clairement à cette juridiction que nous devons l'essentiel de la croissance du nombre d'Orthodoxes en France.

- Le déclin de "Daru" est beaucoup plus net que je ne le pensais: d'une centaine de paroisse en 1946 elle se retrouve à moins de 60 communautés ...

- La métropole grec a plus que doublé depuis la guerre, passant d'une quinzaine de paroisses à plus de 30 communautés aujourd'hui, surtout avec les méthochion athnonites dont le rayonnements spirituel est incontestable bien au delà de la communauté grecque...

- Le nombre de communautés du diocèse de Chersonèse a quintuplé depuis la guerre, atteignant maintenant 69 (dont 24 en France) alors que l'Église russe à l'étranger a perdu des plumes du fait des schismes entre 2000 et 2007, passant sous la barre des 10 communautés (contre une quinzaine avant-guerre...)

- Si le diocèse serbe a perdu des paroisses récemment, sa progression reste spectaculaire: je n'ai pas trouvé mention d'aucune paroisse serbe avant guerre (si quelqu'un trouve l'information contraire j'en serais heureux!) Il a en particulier ramassé plusieurs paroisses ECOF après l'éclatement de cette structure en 2001.

- Les "juridictions anecdotiques," montrent aussi la progression et la diversité de l'Orthodoxie en France: partant de zéro, elles rassemblent plusieurs dizaines de paroisses qui démontrent l'attachement des Orthodoxes de France à leurs Églises d'origine. Ainsi le cas de l'unique paroisse du patriarcat de Géorgie est typique: elle a été fondée en opposition avec une paroisse géorgienne qui existe de longue date mais se trouve dans la juridiction grecque (Constantinople) ...

Ainsi ce sont bien les émigrés qui tirent toujours l'Orthodoxie en France et ce sont les juridictions les plus attachées à leurs racines culturelles qui montrent la plus grande progression.

4.Posté par Vladimir G :la 64e Semaine d’études liturgiques Saint-Serge (26-29 juin 2017) le 28/07/2017 11:04
Compte rendu de la 64e Semaine d’études liturgiques Saint-Serge (26-29 juin 2017)

La soixante-quatrième Semaine d’Études liturgiques s’est tenue dans les locaux de l’Institut de Théologie orthodoxe Saint-Serge de Paris, du 26 au 29 juin 2017 (voir l'album de photographies). Rassemblant environ 60 personnes, ce colloque scientifique et œcuménique a totalisé 30 exposés, répartis en 12 sections thématiques, préparés et prononcés par des orateurs originaires de plus de 10 pays différents (Europe, mais aussi Afrique, Proche-Orient et Asie).

La religiosité, par rapport à un culte chrétien réputé officiel, consiste en des pratiques ritualisées de différentes provenances, y compris non chrétiennes, mais que les diverses familles liturgiques ont peu à peu accueillies, s’efforçant avec plus ou moins de succès de les transformer en instruments propres à exprimer le Mystère du salut.

...
La brève évaluation finale du colloque a permis de relever au moins une caractéristique dominante : le thème de la religiosité, comprise comme réalité périphérique par rapport à la célébration liturgique elle-même, a été correctement traité par la plupart des exposés, résultats d’analyses de sources le plus souvent bien contextualisées.


On a pu constater que des actions rituelles sont accomplies de manière organique, en certains cas sans attendre une codification ou une justification liturgique : leur repérage et une évaluation de leur relation avec la prière de l’Église nécessitent une étude susceptible d’éclairer les faits liturgiques eux-mêmes. Ceci a été observé en plusieurs exemples convaincants. De nombreux exposés ont montré que des pratiques de religiosité populaire ont été accueillies, moyennant transformation et approfondissement, par la liturgie ; d’autres au contraire ont été rejetées. Une classification reste nécessaire, pour libérer la liturgie des nombreuses surcharges accumulées durant les siècles, ce qui requiert une vigilance particulière. De l’avis relevé dans un grand nombre d’échanges à la suite des exposés, leur majorité ouvre de nouveaux champs de réflexion diversifiée.

Les communications de ce colloque, dont l’envoi final est attendu pour fin septembre, sont prometteuses d’un volume de bonne qualité scientifique.

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