LE GRAND EXODE RUSSE
Alexis Rastorguev

"....La Russie est un pays gigantesque, depuis longtemps c’est l’objet de sa fierté très spéciale. Son étendue a toujours été comme une métaphore de son importance, de sa force et de sa mission historique exceptionnelle ; tout cela passe aisément d’un pouvoir à l’autre malgré les formidables divergences des principes essentiels de leurs organisations étatiques, idéologiques ou religieuses : régime monarchique ou républicain, république ou tyrannie, nous sommes spéciaux, nous sommes incomparables, nous sommes exceptionnels et nous occupons implicitement la meilleure place dans l’Histoire."

"Leurs enfants continueront à se rassembler autour des églises pour les grandes fêtes mais le rêve d’éduquer la génération pour la Russie demeurera chimérique. Combien de Russes ont travaillé aux usines Renault ? Combien y avait-il d’églises russes à Boulogne-Billancourt ? Et de nos jours, ne reste-t-il que quelques noms de famille sur de vieilles plaques ? Maintenant ne reste-t-il qu’un souvenir ému de la première vague « blanche » d’émigration ?
Et c’est tout ? Eh bien, c’est déjà ça. Il n’y eut plus jamais d’autre Russie de 600 millions de personnes comme celle de Stolypine, plus de Russie de Wrangel ; il n’y eut plus jamais de Russie, composée d’un énorme territoire multi-ethnique et riche, sur laquelle règne un grand monarque. Et tant pis, cela ne pouvait pas être. Tout cela n’était que rêves russes du bon vieux temps de l’âge d’or des tsars. Mais ce qui fut sensiblement plus concret que tous ces rêves, c’est que les vies de tous ces gens-là ne se sont pas réalisées non plus. Il ne s’est trouvé aucun lieu pour cela.
Les politiciens ne sont pas devenus des hommes politiques, les soldats ne sont pas devenus généraux, les érudits ne sont pas devenus professeurs....
Quoique... quoique... tout cela n’est peut-être pas vrai. Ces gens qui figurent sur les photos d’un lointain passé ont encore une vie entière devant eux. Il y aura les grands écrits du monde slave et de la théologie de l’émigration russe, il y aura les œuvres de Gaïto Gazdanoff et de Serge Mamontoff, de Georges Florovsky et d’Alexandre Schmemann ; devant eux il y a encore tant de décennies au cours desquelles bouillonnera l’inlassable Roman Goul ; bientôt Antony Bloom deviendra « Vitiaz »...
Saints et militaires, pécheurs et ermites, tous errants du Grand Exode Russe ont pour toujours quitté leur pays. Bien d’autres partiront encore, il y aura encore la seconde guerre et encore des personnes déplacées, il y aura encore une troisième vague puis une quatrième ; errance incessante de notre peuple sans terre.
Et, malgré tout, la terre des émigrés russes, invisible et morcelée de par le monde, est devenue une partie de la seule patrie immatérielle ; pour nous tous, c’est la terre de la langue, la terre de la parole et du raisonnement, de la pensée et de la prière, dont chacun possède une parcelle'

LE GRAND EXODE RUSSE
Avant-propos

Andrei Korliakov

"Qui aurait pu penser que les photographies de famille deviendraient pour de longues années des émigrées avec ceux qu’elles représentaient ?
Tous ceux qui quittaient la Russie, sans exception, ont essayé de conserver ce qu’ils avaient de plus cher et de plus intime : les photographies de leur famille et de leurs proches. Le commandant de l’Armée blanche, le baron Wrangel, s’était donné beaucoup de mal en quittant Sébastopol pour emporter avec lui des photographies et des documents d’archives. Mais, le 15 octobre 1921, en rade de Constantinople, l’Adria, un navire italien, heurta à pleine vitesse le yacht Lukull qui coula en deux minutes et s’enfonça à une profondeur de 16,5 sagènes. On ne put sauver qu’une moitié des papiers d’un grand intérêt, des icônes serties de pierres précieuses, des photographies éparses et d’autres objets personnels. Le reste disparut.
Une partie de l’armée se réfugia à Gallipoli, l’autre à Lemnos. L’escadre se dirigea vers Bizerte. Dès les premiers jours de vie en territoire étranger, on assiste à la création de laboratoires photographiques. À Gallipoli, c’est le lieutenant Paul Kritski qui dirigeait un laboratoire de ce type.
L’idée était simple : l’exil ne durerait pas longtemps, on serait bientôt de retour en Russie et, alors, dans le cercle des proches et des amis, on aurait des souvenirs à évoquer en revoyant ces photographies.
Aussi les tirages se font-ils sous la forme de cartes postales à envoyer par la poste, ou même de petits blocs de photographies intitulés L’Armée russe à Gallipoli.
Le baron Wrangel dispose d’un exemplaire de chaque cliché où sont fixés les moments de la vie quotidienne des troupes en exil : les baraquements des soldats, les exercices de tir, l’entraînement sportif, la pose de la première pierre et la consécration d’un monument dédié aux victimes et aux prisonniers de la guerre russo-turque et de la guerre civile, les longues files de soldats russes portant des briques pour l’édification du monument, les enfants des militaires pendant leurs jeux, la chapelle de campagne, les taudis dans lesquels certains des combattants devaient vivre, la lecture du journal mural et même une vue d’un mur décoré avec le motif du Kremlin de Moscou, afin que personne n’oublie la patrie à laquelle on avait été arraché....."

EN VENTE DES 29 SEPTEMBRE 2009
CHEZ L'AUTEUR (A SON BUREAU AU 16 RUE FREMICOURT, 75015, PARIS, TEL : 0610390435)


Rédigé par l'équipe de rédaction le 4 Octobre 2009 à 14:04 | 2 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Andre Korliakov le 05/01/2011 10:43
André Korliakov gardien de mémoire, pour Billankoursk aussi

e 16 octobre dernier, le Forum universitaire, en collaboration avec la ville, a organisé un après-midi de conférences sur le thème de l’émigration russe à Boulogne-Billancourt dans le cadre de l’exposition Billankoursk. L’un des conférenciers, André Korliakov, a apporté un éclairage précieux et émouvant sur ce sujet, en s’appuyant sur une documentation iconographique de première importance, qu’il publie par ailleurs depuis une dizaine d’années. L’intérêt qu’a suscité son intervention, a donné envie à Véra notre rédactrice d’origine russe, d’en savoir plus sur son travail.

L’e-bb André Korliakov, vous êtes né en Union Soviétique ; comment en êtes vous arrivé à vous intéresser à l’émigration des russes blancs et à vouer votre travail à la conservation de leur mémoire ? N’avez-vous pas été élevé dans la haine et le rejet de ces émigrés ?

A.K. J’aurais pu l’être en effet, mais j’ai eu la chance de naître en 1957, dans une famille qui n’a jamais été en politique, ni sous influence de la pensée officielle d’alors. Mon père avait un poste important d’ingénieur ; ma mère avait été danseuse jusqu’à son mariage puis elle est devenue ingénieur aussi, et mon grand père maternel était décorateur de théâtre à Simféropol (1).

Ma famille compte également des historiens, ce qui explique peut-être ma passion pour l’Histoire. J’ai donc reçu une éducation essentiellement artistique et culturelle.
Et puis je suis né à Iekaterinbourg (2), dans cette ville tristement célèbre dans le monde entier où ont été assassinés en juillet 1918, dans la maison Ipatiev, le tsar Nicolas II et sa famille. Je me souviens bien de cette maison, qui a été détruite en 1976, sur décision de Boris Eltsine (3).

L’e-bb Un lieu de naissance très symbolique…Avez-vous vécu longtemps à Iekaterinbourg ?
A.K. Non, j’étais jeune quand mes parents ont été nommés à Cuba et je les ai suivis ; nous y sommes restés quelques années et, j’ai là aussi, reçu une éducation loin de l’influence soviétique.
En rentrant de Cuba, passionné par la littérature sud-américaine, et en particulier par l’œuvre de Gabriel Garcia Marquez, je me suis inscrit à l’Institut des langues étrangères mais j’ai réalisé que je n’avais aucune chance d’obtenir un poste de professeur d’espagnol. Heureusement, c’était les années 85, l’époque de la perestroïka. Avec d’autres professeurs d’anglais et de français, j’ai créé le tout premier centre privé de langues étrangères, que j’ai appelé Polyglotte. Et nous avons établi nos premiers contacts avec l’étranger, un lycée français de Seine et Marne.

L’e-bb. Au fond, vous avez été l’un des premiers à expérimenter le système économique capitaliste…
A.K. Oui, et notre centre de langues a connu un grand succès. Dans la foulée, j’ai entamé un doctorat à l’Université de Nanterre, ce qui m’a mené à m’installer à Paris. C’est là, en 1993, qu’a eu lieu mon premier contact avec une personne issue de l’émigration russe.
J’ai en effet reçu de Russie, un magazine littéraire qui publiait les œuvres de Mikhaïl Ossorguine (4), mort en France en émigration, pour que je le remette à sa veuve, Tatiana Ossorguine-Bakounine (5), qui habitait à Sainte-Geneviève-des-Bois. Elle dirigeait à l’époque la bibliothèque Tourgueniev (6). Chez elle, sur les murs, il y avait de nombreuses photos de personnages dont elle m’a parlé. Elle m’a également dirigé sur des descendants d’écrivains russes ; j’ai ainsi rencontré la fille de Boris Zaitseff (7) qui m’a fait connaître d’autres familles d’artistes émigrés.
SUITE

2.Posté par Andre Korliakov le 05/01/2011 10:58
A L'OCCASION DU GRAND EXODE RUSSE
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