LE « MONOPHYSISME ECCLÉSIAL », LE « PROVINCIALISME ECCLÉSIAL » ET ECCLÉSIOLOGIE EUCHARISTIQUE
Réflexions sur quelques éclaircissements ecclésiologiques fournis par le Père Afanassieff dans sa correspondance avec le Père Dumont

Christofor PANAITESCU

RESUME :

L’article étudie le contenu et l’actualité de trois lettres, reproduites en annexe, que N. Afanassieff et C. Dumont échangèrent à la suite du discours académique prononcé le 27 mars 1949 par le théologien orthodoxe à l’Institut Saint-Serge. Une brève présentation de cette correspondance est suivie d’une analyse de la réaction de ce dernier à l’accusation portée par son interlocuteur catholique d’avoir penché vers une ecclésiologie monophysite et vers une spiritualisation de la vie ecclésiale.

Puis, tout en montrant les limites de sa conception du pouvoir dans l’Église, qui le conduit à tort à opposer le droit et la grâce, il reconnaît qu’Afanassieff a bien vu l’importance d’une ecclésiologie eucharistique pour surmonter le danger persistant du monophysisme ecclésial et répondre aux défis posés par le développement de la diaspora orthodoxe.

LE « MONOPHYSISME ECCLÉSIAL », LE « PROVINCIALISME ECCLÉSIAL » ET ECCLÉSIOLOGIE EUCHARISTIQUE
INTRODUCTION

Dans les archives de la bibliothèque du Centre d’études œcuméniques "Istina" se trouve un dossier contenant une partie de la correspondance du Père Nicolas Afanassieff avec le Père Christophe-Jean Dumont.

Parmi les lettres que les deux théologiens ont échangées, trois ont particulièrement attiré notre attention du fait qu’elles traitent de problèmes ecclésiologiques dans le cadre d’une correspondance amicale, détendue et sincère.

Notre étude voudrait évoquer l’importance des données théologiques traitées dans ces trois lettres échangées entre la fin du mois de mars et le début du mois d’avril 1949, car elles éclairent des enjeux et des défis théologiques toujours présents dans l’ecclésiologie orthodoxe. Après les avoir situées, nous en proposerons une analyse critique et nous mettrons en valeur ce qu’elles comportent d’actuel.

CONTEXTE, “PRETEXTE” ET CONTENU DE LA CORRESPONDANCE

Commençons par situer les deux correspondants. Le Père Nicolas Afanassieff (1893-1966) est un théologien orthodoxe, d’origine russe, qui a vécu à Paris une bonne partie de sa vie. Il a enseigné le droit canon, l’histoire de l’Église et le grec biblique à l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge. Il était engagé dans l’activité œcuménique de son temps. Il a développé et approfondi l’ecclésiologie eucharistique, une ecclésiologie issue du mouvement slavophile et du renouveau patristique du XXe siècle. À l’époque de la correspondance que nous présentons, rentré de Tunisie depuis deux ans à peine, Afanassieff avait repris son enseignement à l’Institut Saint-Serge.

Le Père Christophe-Jean Dumont (1898-1991), dominicain français qui a participé à la fondation du centre d’études "Istina, dont il dirige alors la revue Russie et Chrétienté et le bulletin "Vers l’unité chrétienne", a été pour sa part un pionnier catholique de l’œcuménisme. Cette correspondance a lieu au début de l’activité académique du Père Afanassieff à Saint-Serge. Plusieurs des positions théologiques qu’on trouve dans cette correspondance, reviennent régulièrement dans ses articles, comme nous allons voir ; les bases de son ecclésiologie eucharistique y sont déjà posées. SUITE.... Academia.edu



LE « MONOPHYSISME ECCLÉSIAL », LE « PROVINCIALISME ECCLÉSIAL » ET ECCLÉSIOLOGIE EUCHARISTIQUE
NOTES
1. La période que recouvre cette partie va de mars 1949 à mai 1958. Le dossier contient vingt lettres originales d’Afanassieff, écrites à la main ou à la machine, 6 lettres – 5 copies et 1 original de Dumont, aussi écrites à la main ou à la machine, quelques notes prises par Dumont et une carte de visite d’Afanassieff.
2. Elles ont, en effet, un rapport avec le doctorat de théologie que je prépare, consacré à la crise de l’Église Orthodoxe selon le paradigme d’interprétation qu’en propose le Père Alexandre Schmemann. Cet article fait partie du projet de recherche "L’herméneutique de l’expérience et sa fonction dans la christologie et dans l’ecclésiologie", GACR, n° 1088213, projet dont je suis membre.
3. Cette présentation sera très succincte, vu la publication en annexe des textes originaux des deux premières lettres et de la traduction en français de la troisième.
4. Cette ecclésiologie est considérée aujourd’hui comme authentiquement orthodoxe. Elle caractérise les débuts du christianisme. Dire qu’elle est issue du mouvement slavophile et du renouveau patristique se rapporte à sa forme actuelle d’expression théologique, et non pas à son contenu.
5. Pour plus d’informations sur sa vie et sa bibliographie, voir ce qu’écrit son épouse Marianne dans « La genèse de l’Église du Saint Esprit », dans "Tserkov Dukha Sviatago", Paris, YMCA-Press, 1971 (en russe), et dans "L’Église du Saint Esprit", Paris, Éd. du Cerf, 1975, p. 13-23 ; voir aussi M. AFANASSIEFF, « Nicolas Afanassieff (1893-1966) : essai de biographie », Contacts 66 (1969) 2, p. 99-111. Voir aussi : B. BOBRINSKOY, Saint-Serge à Paris : Histoire de l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge de Paris (en russe), Saint-Pétersbourg, Rostok, 2010, p. 133-141. 6. Voir É. FOUILLOUX, « Une longue marche vers l’œcuménisme : Istina (1923-1967) », "Istina" LV (2010) 3, p. 271-287 ; H. DESTIVELLE, « Souvenirs d’un pionnier. Les Mémoires inédits du Père Christophe-Jean Dumont », "Istina", LIV (2009) 3, p. 279-297. C. BOVA, Christophe Jean Dumont : une vita per l’écumenismo, Bari, Ecumenica Editrice, 1998. 7. Sa femme, Marianne, remarque : « Comme nous avons pleuré – père Nicolas au fond de son cœur et moi de chaude larmes féminines, en quittant Tunis ! Mais il fallait bien que père Nicolas reprenne ses cours à l’Institut et puisse travailler vraiment à “l’Église du Saint Esprit” qui devient (1re partie) sa thèse de doctorat. C’est alors que commence la période la plus féconde (1947-1957) de l’œuvre théologique du père Nicolas. », voir « Nicolas Afanassieff », art. cit., p. 108. Voir aussi la bibliographie présentée par O. R OUSSEAU, « In Memoriam : Le R. P. Nicolas Afanassieff », " Irénikon" XL (1967), p. 291-300. 8. Nous faisons cette appréciation toujours par rapport au témoignage de son épouse, à sa bibliographie et au fait qu’il soutient sa thèse de doctorat (publiée comme première partie de son livre L’Église du Saint-Esprit) un an après la période étudiée ici "ISTINA" LVIII (2013), p. 361-390

Le père Cristofor Cristian Panaitescu est hiéromoine de la Metropole orthodoxe roumaine d'Europe à Toulouse. Il a obtenu le master en théologie orthodoxe de l'ITO ST Serge (Paris) en 2010. Son mémoire avait pour titre « Réflexions sur le témoignage pastoral du père Alexandre Schmemann ».

Texte proposée par V.G.

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 22 Mars 2019 à 11:56 | 10 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par justine le 22/03/2019 16:02
Concernant l'"ecclésiologie eucharistique", le théologien orthodoxe et métropolite de Naupacte Hiérotheos en a fait une critique fondamentale et la classe parmi les innovations des "postpatériques", c'est à dire des théologiens académiques modernes qui prétendent dépasser et surpasser la théologie des Saints Pères de l'Eglise et écarter la dimension ascétique-hésychaste de la vie spirituelle orthodoxe. Il la caractérise comme une tentative de "mettre la charrue devant le cheval", puisque ce n'est point l'Eucharistie qui constitue l'Eglise, mais tout au contraire c'est l'Eglise qui constitue l'Eucharistie. Pour cela, on ne peut parler d' "ecclésiologie eucharistique", mais seulement d' "Eucharistie ecclésiale". On ne peut séparer l'Eucharistie de l'Eglise et de l'ensemble de la vie ecclésiale, dit le métropolite Hiérotheos. Il existe une étroite relation entre Eglise, Orthodoxie et Eucharistie. Il ne saurait y avoir d'Eglise sans Orthodoxe et Eucharistie, comme il ne saurait y avoir d'Orthodoxie sans Eglise et Eucharistie ou Eucharistie en-dehors de l'Eglise et de l'Orthodoxie. D'autre part, les Saints Pères et les Conciles locaux et Ecuméniques ont fixé les conditions pour la participation à l'Eucharistie et la Divine Communion, à savoir la purification par l'ascèse et une vie de prière. L'Eucharistie ne peut remplacer cette purification, de même évidemment que cette dernière ne peut remplacer l'Eucharistie.

L'interprétation eschatologique de l'Eucharistie par les postpatériques rejetant la tradition hésychaste-neptique, dit-il encore, est étrangère à la doctrine de l'Eglise, laquelle est basée sur les Saints Pères. L'expérience eschatologique du Royaume de Dieu dans la Divine Eucharistie est inséparablement liée à la participation du chrétien à l'énergie purifiante, illuminante et divinisante de Dieu. Les postpatériques se réfèrent à St Maxime le Confesseur pour justifier leur enseignement erroné à cet égard, mais ils passent sous silence que c'est précisément St Maxime qui souligne ce lien indispensable. (Voir notamment l'exposé du métropolite Hiérotheos dans le cadre de la Conférence "Théologie des Saints Pères et hérésie postpatérique" qui eut lieu au Pirée en février 2012, vidéos de toute la conférence sur: : http://metapaterikiairesi.wordpress.com/. Les textes en traduction anglaise sont accessibles sur https://www.scribd.com/document/141359177/English-1 )


2.Posté par Vladimir G: Merci pour cet article dont la profondeur nous sort un peu de l'actualité courante. le 22/03/2019 17:05
Merci pour cet article dont la profondeur nous sort un peu de l'actualité courante. Cette étude est passionnante malgré son côté un peu aride et académique !

3.Posté par Nicodème le 24/03/2019 09:53
Par curiosité , je lis de temps en temps quelques articles . J'avoue ici ne pas être déçu . On atteint des sommets dans l'ermétisme , et Justine arrive même à en rajouter une couche . Je pose la même question qu'aurait posée Tchetnik , me semble-t-il : combien de personnes comptez-vous attirer au christianisme (orthodoxe) avec ce genre d'exercice ? Et combien en aurez-vous fait fuir ?

4.Posté par justine le 24/03/2019 20:23
A Nicodème, post 3: Lire ou ne pas lire les posts sur ce blog est entièrement dans le libre choix de quiconque. Quand il s'y trouve des choses qui déplaisent a certains, ils tapent du pied comme des petits enfants et menacent de partir en claquant la porte, désirant par cette manoeuvre de chantage enfantin amener les autres à dire des choses qui leur plaisent. Il faudrait qu'ils comprennent que le but de nos discussions n'est pas d'attirer les gens à l'Eglise, mais d'éclaircir ou relever certains points de l'enseignement de l'Eglise et de son histoire. Un Seul attire les gens à l'Eglise, Lui qui en est le fondement et la Tête, et ceux qui y sont attirés par Lui y restent aussi, ayant compris que ce n'est pas le sort de l'Eglise qui dépend d'eux, mais bien plutôt leur propre sort qui dépend d'elle. Car l'Eglise est aussi l'hôpital où nos égocentrismes et enfantillages peuvent trouver guérison, afin que nous puissions atteindre la maturité de combats plus sérieux.

5.Posté par Nicodème le 25/03/2019 09:37
@Justine: c'est tout ?

En politique dans le monde "démocratique" , la technique de la "reductio ad hitlerum" est imparable lorsqu'il s'agit de disqualifier un adversaire . Ici , dans le monde des spécialistes de l'"orthodoxie" , la "reductio ad infantem" (désolé pour mon latin de cuisine) , en est le pendant . En 1453 , les turcs ont réduit tout le monde en esclavage , du moins ceux qui n'ont pas été massacrés , empalés , écorchés , brulés , etc... Depuis , les orthodoxes n'ont malheureusement rien compris ni rien appris . Quant à l'enseignement de l' "Eglise" (laquelle?) , mieux vaut encore celui des Evangiles , encore qu'il soit humainement impossible de le suivre dans son intégralité .

6.Posté par justine le 25/03/2019 11:45
Heureusement qu'il y a Nicodème qui a tout compris et tout appris. Une seule chose, semble-t-il, il n'a ni appris ni compris - quelle est l'Eglise. Ceci lui est d'autant plus dommageable que c'est elle précisément qui nous a donné les Evangiles dont il apprécie pourtant l'enseignement, et que c'est elle aussi qui rend possible, par la Grace Divine qui opère en elle, de le suivre dans son integralité, comme le prouvent ses Saints.

7.Posté par Nicodème le 25/03/2019 18:53
@Justine : je voulais dire ceci : à quoi peuvent bien servir ces incessantes disputatio byzantines , on peut le dire , lorsque , comme en 1453 , l'ennemi (musulman) est aux portes de la Cité , pis , est déjà dans la Cité , avec la protection de ceux-là mêmes qui auraient dû instruire et protéger leur "troupeau" (je vise là en particulier les hiérarques romains) . Si les Eglises , d'orient , dite orthodoxe , et d'occident , dite catholique , avaient compris la très douloureuse leçon de 1453 , l'Europe toute entière n'en serait pas là où elle en est .

C'est cela que je voulais dire lorsque j'ai écrit que les orthodoxes n'ont rien compris ni rien appris ,(les ktos non plus je vous rassure) , et l'épouvantable crise ouverte par les prétentions du Phanar en est aujourd'hui une triste illustration . Cela étant , je n' ai pas , loin de là , l'érudition de dame Justine , qui ironise là dessus avec un plaisir non dissimulé , mais je préfère mon ignorance théologique et , au moins , savoir que nous allons tous dans le mur . Condition nécessaire si on veut espérer arriver à l'éviter , ce mur ...

8.Posté par Nicodème le 26/03/2019 09:51
@Justine : je complète ma réponse , car votre observation me paraît en grande partie juste , du moins pour quelqu'un qui se considère encore adepte du christianisme , ce qui n'est plus mon cas . Je suis redevenu agnostique , mais agnostique christique , càd quelqu'un qui sait qu'il ne sait pas , mais qui éprouve une attirance pour ce personnage : Yeshouah de Nazareth . Je suis donc un un horrible hérétique , mais j'ai beau tenter de me soigner , cela reste incurable ...:-)). Vous écrivez : "c'est elle précisément (l'Eglise) qui nous a donné les Evangiles dont il (mézigues) apprécie pourtant l'enseignement, et que c'est elle aussi qui rend possible, par la Grâce Divine qui opère en elle, de le suivre dans son intégralité, comme le prouvent ses Saints."... Pour moi , ce sont les évangélistes qui nous ont donné les Evangiles . L'eglise primitive allait se construire là dessus .Immédiatement biaisée par le jusqu'auboutisme du juif pharisien Shaül de Tarse ... Maintenant , vous avez raison sur la question de cette fameuse "grâce" , qui permettrait de vivre l'enseignement évangélique jusqu'au bout ("folie pour les hommes" , encore du St Paul ...) , mais ma longue fréquentation du monde ortho (et avant , kto ) , a fini par me persuader que cette fameuse grâce , ou ces "énergies divines" étaient une fiction , relevant plus de la méthode Coué qu'autre chose .. Quant aux "saints" : il y a vraiment à boire et à manger ... L'exemple de la folie de beaucoup me convainc que ce n'est pas cela que Dieu nous demande . "Prendre soin de la veuve et de l'orphelin , et marcher dans les voies de ton Dieu" (càd appliquer le Décalogue . Point barre . Le Décalogue en question étant entièrement inclus dans la fameuse maxime de Confucius . Comme disait le Christ , "le reste vous sera donné par surcroît" . Lui-même s'est dressé contre la "religion" , en son temps , et quand on pense que le père Schmemann disait que "la pire chose qui puisse arriver à l'orthodoxie , c'est de devenir une religion" ... Nous y sommes . Depuis longtemps . Peut-être même depuis le Concile de Nicée .

9.Posté par justine le 26/03/2019 16:17
A Nicodeme: Les Evangelistes, n'etait-ce pas des disciples du Christ, dont deux (Matthieu et Jean) meme des Douze? Et le Christ avec Ses disciples, n'etait-ce pas l'Eglise? "L'Eglise primitive allait se construire la-dessus", vous dites. Pardonnez-moi, mais votre perspective est a l'envers, ce qui fait que votre conception de l'Eglise flotte dans le vague. Ce qui peut vous aider, c'est de lire attentivement, et sans avoir en tete toutes ces interpretations-confusions modernes qui ont cours, les Evangiles et les Actes des Apotres. Simplement lire le texte avec attention, tel qu'il est ecrit, sans intermediaire. Et ne comptez jamais pouvoir vous guerir vous-memes. Mais ce que vous pouvez faire avec avantage, c'est de vous defaire de tout ce poids mort des choses apprises et rencontrer le Seigneur en direct, tel que les Apotres nous Le montrent, tout vivant, rien que votre ame et Lui avec eux, ecouter ce qu'ils vous disent et non pas le discours de votre intellect rendu confus par les uns et les autres et vos propres conclusions court-circuit.

10.Posté par Nicodème le 26/03/2019 17:24
@Justine : merci de votre sollicitude . Elle me touche . Si , si ! C'est toujours plus efficace que les fagots ...:-)) . Mais je crains qu'il ne soit trop tard .Une chose qui me ferait revenir à coup sûr , ce serait l'authenticité du Linceul de Turin . Malheureusement , de même qu'on ne pourra jamais prouver que ce serait un faux , n'en déplaise à toute la meute de franc-mac qui attendent cette conclusion avec fébrilité , de même on ne pourra jamais en démontrer l'authenticité à 100% .

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