“La Rose blanche” et “Le Buisson ardent”
Voici un nouveau texte consacré à la résistance des chrétiens contre le nazisme, puis en Roumanie contre le communisme:

Malheureusement, dans les pays à majorité orthodoxe, on ne connaît pas l’histoire du groupe de Munich, appelé par ses membres, "La rose blanche".

Mais l’histoire de ce groupe peut-être très intéressante pour le public orthodoxe, car elle présente quelques caractéristiques qui la rapprochent de l’expérience politique et spirituelle d’un groupe analogue, "Le buisson ardent" de Bucarest.

Récemment, un film est sorti dans les cinémas parisiens – "Sophie Scholl", un film allemand (“Sophie Scholl. Die letzten Tage”; réalisateur: Marc Rothemund; sortie en Allemagne: 24.02.2005). Le film retrace les dernières heures des trois des membres qui ont fondé "La Rose blanche". C’est un film très sobre, mais qui est loin d’être un simple documentaire sur ce groupe de résistance. Plusieurs livres ont été publiés sur "La Rose blanche". Les deux jeunes hommes et la jeune fille (mais ils seront six en total à être décapités) qui ont été condamnés à mort par le régime hitlérien finissant, sont considérés aujourd’hui par les historiens comme des icônes de la résistance allemande face à un régime plus que destructeur. Mais malgré cette reconnaissance régionale dans leur pays d’origine, “La Rose blanche” sortent seulement maintenant, en 2006, d’un anonymat curieux. C’est vrai que déjà en 1982, leur histoire était portée à l’écran par le cinéaste Michael Verhoevens, mais c’est pour la premier fois qu’on leur rend hommage par un document artistique à la hauteur de leur légende, qui soit reconnu en tant que tel (car “Sophie Scholl” a été nominalisé cette année pour l’Oscar du meilleur film étranger).

“La Rose blanche” et “Le Buisson ardent”
Christoph Probst (24 ans, lors de son exécution), Hans Scholl, 25 ans et Sophie Scholl, 22 ans, ont été pris dans un engrenage infernal. On les avait condamnés à mort pour donner un exemple à tous les défaitistes.

Hans Scholl – en quelque sorte, le chef de la bande – avait commencé dans la Jeunesse hitlérienne. Vite lassé par les abus évidents de ses idoles politiques et par l’ “idéal” véhiculé dans ces milieux-là, il rentre dans une des “Jugendschaft” - groupe de jeunes cultivés, et survivance en temps de dictature de la “Jeunesse Confédérée” allemande, interdite par la Gestapo.

Ces groupes, assez communs pour l’Europe du nord et qui ont prit leur essor à l’époque romantique, étaient de sociétés estudiantines qui apprenaient surtout la liberté intérieure. Tout en étant pleinement conscients qu’après le paradis de la vie étudiante, arrive le “purgatoire” de la vie professionnelle et de la vie de famille (avec ses côtés anostes), la “Jugendschaft” enseignait la fortification de l’âme par la philosophie et la contemplation poétique; la fortification du corps, par l’escalade des montagnes et par des sports virils, “chevaleresques”, comme l’escrime.

Ce que le filme (d’ailleurs, admirable et très exacte dans la reconstitution des faits) montre avec beaucoup de timidité, est la foi ardente de Hans et de sa sœur. Élevés dans le catholicisme bavarois de leurs parents, ils avaient eu la liberté de découvrir par eux mêmes, par leurs lectures, les raisons plus profondes de leurs cœurs (dans la lecture de Saint Augustin, surtout, pour Sophie); Hans avait eu l’occasion de fortifier sa culture de l’âme par la lecture et par son expérience de jeune étudiant en médecine envoyé sur le Front d’ouest, en tant qu’infirmier et sur le Front d’est, plus tard, en Russie.
Ils ne sont pas de bigots ou des “traditionalistes” – ils sont tout simplement de jeunes gens allemands, avec du goût pour la vraie culture et pour la liberté. Mais ils vivent tous sous un très mauvais régime.

A Munich où Hans devient étudiant en médicine, il rencontre encore deux jeunes gens de son âge (Willi Graf et Alexander Schmorell, à part Christoph Probst, cité plus haut) avec lesquels il partage les mêmes idées. Ils se rencontrent clandestinement, en peu dans l’esprit innocent mais frondeur de la “Jugendtschaft”. Ils lisent de poèmes, ils parlent politique à la lumière de la philosophie de Kant et de Fichte, ils sont tous inspirés par un souffle justicier et responsable. Ce qui les différencie d’autres jeunes gens vivant dans une époque de paix, c’est la guerre qu’ils ont tous vécue et qui les a rendus plus mûrs et plus graves.

C’est ce qui explique le courage insensé de commencer à produire des tracts de proteste et de les déployer un peu dans toute l’Allemagne. Nous sommes à la fin de 1942 et au début de 1943. La guerre avec l’Union Soviétique est pratiquement perdue.

Le matin de 18 février 1943, Hans et Sophie (arrivée elle aussi à l’université et vite cooptée par la société virile de son frère) partent vers le siège de la Ludwig-Maximilians-Universität avec une valise pleine de tracts contre Hitler et le régime nazie. Ils les distribuent dans tous les coins, pour que les étudiants, sortis de leurs cours, puissent les lire. “Dans un geste de nervosité”, disent certains historiens (ou de simple fronde juvénile), Sophie en jette une pile dans le grand hall de l’université. Les deux seront vus par le concierge, saisis et la Gestapo avertie. Avec Hans et Sophie, Christoph Probst sera interrogé aussi, pendant la période 18-22 février 1943, avant d’être tous les trois exécutés à Munich.

* * *

On peut discuter leurs gestes (et le plus courageux reste d’avoir bravé la funeste Cour de Justice Populaire de Munich et d’avoir crié dans l’assemblée ce que les autres pensaient tout bas), et les historiens le font presque toujours de l’angle de vue de ce qu’ils appellent, selon la mode française, “la résistance politique”.

Mais la "Rose blanche" est plus qu’un mouvement de “résistance” – c’est un mouvement de conscience, de choix moral, de lutte contre la lâcheté et la passivité; ce choix moral découle non d’une idéologie, mais de l’amour jeune pour la vie, pour la beauté de la culture, pour la noble foi.
Le filme est limité dans ses moyens d’expression. Il n’a pas pu rendre hommage à cette lutte contre la lâcheté qui gagnait terrain dans les cœurs de la “Rose blanche” – on nous présente seulement le cauchemar vécut par trois jeunes après avoir fait quelque chose d’illégal en temps de dictature et de guerre. Les scènes de l’interrogatoire de Sophie sont particulièrement poignants: on essaie de déstabiliser cette jeune fille de vingt-deux ans, on la traite, tour après tour, de traîtresse, d’idéaliste, d’irresponsable, pour finalement lui donner la peine la plus lourde, peine qu’elle subit avec dignité et sérénité...

Une autre scène est particulièrement bien rendue par la caméra (c’est peut-être la plus mystérieuse d’entre les scènes du filme): juste après la sentence finale, et quelques minutes avant l’exécution hâtive, les trois sont laissés, en guise de dernière faveur, de fumer ensemble une cigarette unique; ils sont en cercle, ils fument en souriant les uns aux autres et en se regardant avec beaucoup d’intensité – ils savourent les derniers instants du dernier bonheur terrestre qui leurs est accordé; quelqu’un pourrait même dire qu’ils forment une “trinité” d’amour fraternel quant on les voit partageant avec tant de courage et d’insouciance ce menu plaisir. Ce dernier tableau les rend très vulnérables, donc, très humains – mais, par cela même (c’est-à-dire, par leur insouciance inconsciente devant la mort et par leur profonde humanité) ils semblent invincibles et tout à fait prêts pour l’éternité.

Finalement le grand mystère de la “Rose blanche” se cache quelque part dans son altitude morale, dans sa formidable noblesse.

Le temps de la guerre n’est pas un temps de courage et de sacrifice pour tout le monde. Beaucoup sont ceux qui se cachent ou ceux qui profitent, ceux qui dénoncent leurs voisins ou ceux qui font des spéculations dans une économie de survivance. Il y a aussi la catégorie des “gens simples”, honnêtes, mais trop malades ou fatigués pour accomplir des actes d’héroïsme.

A côté de cette multitude “La Rose blanche” semble presque une création surréaliste! Assumer ses conviction avec foi et entêtement jusqu’à la mort semble trop “romantique” de nos jours. Pourtant, ils l’ont fait et les preuves sont là.

* * *

Dans un autre milieu et quelques années plus tard seront emprisonnés et torturés les membres d’un groupe culturel et religieux de Bucarest, appelé “Le buisson ardent” (en l’honneur de Notre Dame, préfigurée dans le buisson ardent du livre de l’Exode). Ce sont des gens formés en Occident, en France, en Allemagne – des universitaires, des poètes, des journalistes, de prêtres et quelques étudiants. Au début des années ’40, le cercle commence comme une société de conférences dominicales sur des thèmes religieux.

Mais à la fin de l’année 1943 arrive au sein de ce groupe, un starets russe, Jean l’Etranger, réfugié en Roumanie après la bataille de Rostov, sur le fleuve Don. Il avait pris les ordres dans le célèbre monastère d’Optina, qui avait inspiré des pages inoubliables à l’auteur des “Frères Karamazov”.
Les membres du “Buisson ardent” n’étaient pas des jeunes gens entre 22 et 25 ans, mais des personnes mûres, respectés dans leurs domaines d’activité. La jeunesse du “Buisson ardent” consiste pourtant dans le même soif de liberté intérieure. Ils ne l’apprendront qu’après ce que Jean l’Etranger leur enseignera la discipline de la prière hésychaste, la fameuse “prière de Jésus”, la prière incessante. Mais après l’entrée des troupes soviétique à Bucarest, la situation change, et le Jean l’Etranger doit rentrer de force dans son pays. On n’aura plus jamais des nouvelles de lui.
Certains des membres ont été emprisonnés avant la période 1953-1958, mais cette période représente le moment même où le nom du groupe devient l’emblème d’un fameux procès de type stalinien, “Le procès du Buisson ardent”. Ils seront tous emprisonnés pendant des longues années – certains d’entre eux ne sortiront jamais, sans qu’on puisse toutefois connaître l’endroit exact de la fosse commune où leurs corps ont été jetés.

Perdre la vie ou la liberté civile pour un bouquet d’idées, peut nous sembler aujourd’hui, en temps de paix, une chose assez étrange. Peut-être parce que nous ne connaissons pas la pression qu’exercent la guerre où le totalitarisme vécus au quotidien. Pourtant, ni “La Rose blanche”, ni “Le Buisson ardent” n’ont manifesté leur résistance par des actes terroristes afin de dire leur désespoir, leur soif de liberté, leur exaspération devant la pauvreté spirituelle de leur environnement.
Avec la “Rose blanche” on comprend mieux la phrase (apparemment sibylline) du Tractatus wittgensteinien – “L’éthique c’est l’esthétique”. L’attitude essentielle de la “Rose blanche” peut être caractérisée positivement par un faux oxymore: “le courage tendre”... Ce type de courage avait ajouté à leur cause parfaitement juste un surplus de pureté, qui rend à tout jamais leurs actions plutôt éthiques que politiques.

Aujourd’hui, nous le savons malheureusement trop bien, le courage ne peut être qu’agressif, musclé. Mais “La Rose blanche” et “Le Buisson ardent” nous apprennent une autre leçon, une leçon dure à assimiler, car non-violente et qui pèche, dira-t-on, par trop d’idéalisme.
Mihail Triscas

Cambridge (30 septembre) – Paris (6 octobre)





Rédigé par Nikita et Xenia Krivochéine le 18 Mai 2009 à 13:47 | 0 commentaire | Permalien


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