Dans une interview à Rublev.com, Maria SPRINGFORD, marguillier de la paroisse de la Sainte-Trinité du Diocèse de Souroge raconte comment cette paroisse fondée il y a dix-huit ans subsiste sans lieu de culte propre.

Maria, pour les orthodoxes de Russie c’est incompréhensible : comment peut exister une paroisse sans église paroissiale ?

— Il faut d’abord bien comprendre la différence qu’il y a entre la vie actuelle d’une paroisse en Russie et en Angleterre. Lorsque la paroisse est née, il y a dix-huit ans, nous ne nous inquiétions pas de ne pas avoir notre église. Nous avions la possibilité de prier en commun, nous avions le soutien de Mgr Antoine et de nos prêtres, et cela nous suffisait.

Comment s’est créée cette paroisse ?

— Longtemps les Russes vivant à Bristol et dans les villes environnantes allaient prier à l’église orthodoxe de la Nativité de la Mère de Dieu fondé après la guerre par des émigrants polonais orthodoxe dans le centre de Bristol. De fait l’église se trouvait sous double juridiction : elle était sous juridiction du patriarcat de Constantinople, mais les prêtres qui y officiaient relevaient de l’évêché de Souroge (patriarcat de Moscou). À un moment donné il y a eu des problèmes dans cette église et Mgr Antoine a rappelé ses clercs. Alors une partie des paroissiens, Russes et Anglais, ceux qui voulaient rester fidèles au diocèse de Souroge ont abandonné cette église et souhaité créer leur propre paroisse.
La première paroisse dédiée à la Sainte Trinité au Royaume Uni

La dédicace de cette paroisse à la Sainte Trinité est le fait de Mgr Antoine ou bien de la décision des paroissiens ?

— Des paroissiens. Lorsque nous avons quitté la juridiction de Constantinople, nous étions entre dix et quinze. L’église que nous avions quittée vivait une période difficile. Sa double obédience créait un climat malsain, il n’y avait pas d’unité, d’amour entre les paroissiens. Nous, nous étions principalement des Anglais, avec quelques Russes, nous voulions construire notre nouvelle vie comme celle des communautés chrétienne primitives sur les principes d’amour, pour que l’idéal de la Sainte Trinité soit notre fondement, nous étions très attachés au diocèse de Souroge et à Mgr Antoine. Nous avions besoin d’une certaine unité, d’où l’idée de cette dédicace.

Vous n’avez pas rejoint une paroisse existante, vous en avez fondé une nouvelle ?


— Nous sommes partis dans l’inconnu. De longues années, nous nous réunissions pour prier dans une maison de prières œcuménique, dans une pièce où il y avait simplement quelques icônes.

Et quelle a été l’attitude de Mgr Antoine devant votre volonté de créer une paroisse ?

— Pour les quarante ans de son sacre épiscopal [en 1997] Mgr Antoine nous a offert un épithaphios et un évangéliaire. Il nous a soutenus. Il existe une photographie prise lors de l’Assemblé diocésaine de 1997 où Mgr Antoine est assis à côté de nous et raconte comment il a commencé de rien alors qu’il était encore en France : l’autel sur lequel il officiait était une simple planche. Il nous donnait du courage pour que nous poursuivions.
Alors deux fois par mois, pour le samedi et le dimanche, venait à Bristol un prêtre merveilleux : le père Stephen Headley. Il est de Vézelay en France où il a sa paroisse. Alors il étudiait à Oxford où il préparait sa thèse, il est anthropologue et Mgr Antoine, en plus des offices à Oxford, lui avait confié la direction spirituelle de notre paroisse.
On peut même dire que c’est grâce à lui que notre paroisse s’est constituée, il a organisé notre vie de prières, nous a expliqué les offices, nous a permis de nous retrouver entre le slavon et l’anglais. Les dimanches où il officiait à Oxford nous nous réunissions pour prier autour de notre diacre Nicolas Small. Nous étions une dizaine, mais nous sentions très fortement le soutien du diocèse à notre petite communauté, qui ensuite a grossi.

Notre premier prêtre a dû nous quitter et nous avons eu un deuxième recteur, merveilleux lui aussi, le père Grigory Volfelden qui, également, venait d’Oxford. Il est resté près de deux ans, puis est parti en Amérique enseigner dans un collège de théologie (il est décédé il y a peu). Pour l’aider on lui a adjoint un diacre, le père John Palmer, un Anglais venu à l’orthodoxie grâce à Mgr Antoine qui a été notre recteur jusqu’en 2011. À cette date, il a fait un AVC et s’est retiré chez lui à Torton.

Notre recteur actuel, l’archiprêtre Mikhaïl Golovev, né dans une famille russe émigrée en France, a longtemps travaillé comme ingénieur de l’industrie pétrolière en Pologne et en Russie. Il se souvient avoir dans les années 90 célébré la liturgie pascale sous la présidence du patriarche Alexis car il pouvait dire les ecténies en anglais, en russe et en slavon. Il est venu à Bristol comme diacre et, je crois en 2000, il a été ordonné prêtre par Mgr Antoine. Mais comme il pouvait célébrer en slavon russe il a été appelé à Londres car arrivaient de nombreux immigrés en provenance de Russie et pays de la CÉI. Ensuite il a fondé la paroisse de Dublin où il s’est fixé.

Nous nous sommes retrouvés une fois encore sans recteur russophone, ce qui était un problème pour les quelques immigrés russes ne possédant pas l’anglais. Il y a quatre ans seulement que, de retour d’Irlande, le père Mikhaïl a été nommé doyen des paroisses d’Angleterre occidentale et chargé des paroisses de Bristol, Portsmouth et Birmingham.

Mais où vous réunissiez-vous après avoir quitté l’église sous juridiction de Constantinople ?


— Dans une maison de prières œcuménique, Elsie Briggs’ House of Prayer, achetée pour une église anglicane par Elsie Briggs, une très croyante catholique. Nous y sommes restés longtemps.

Une année, quelques jours avant Noël, nous avons reçu le célèbre maître de chapelle de la cathédrale londonienne, le père Mikhaïl Fortunato, il nous a appris les chants avec des partitions pour ceux qui ne lisent pas la musique. C’est le premier prêtre que j’ai rencontré à mon arrivée en Angleterre, lui et son épouse ont joué un grand rôle dans ma vie. De Londres venait parfois le père Maxime Nikolsky, spécialement pour que les russophones puissent se confesser dans leur langue maternelle. Ce fut aussi un personnage important dans la vie de la paroisse.
La première paroisse dédiée à la Sainte Trinité au Royaume Uni

Et comment vous sentiez-vous dans cette maison de prières ?

— Beaucoup considéraient que ce n’était pas une vraie église. Nous y sommes restés plusieurs années, puis nous nous y sommes trouvés à l’étroit et avons encore déménagé.

Pour où cette fois ?

— Nous avons trouvé asile dans la chapelle d’un cimetière où nous sommes restés cinq ans. Nous y étions bien. Elle appartenait à la ville et nous avons pu la louer pour le dimanche, seulement pour le dimanche parce que pendant le week-end le cimetière est fermé et il fallait à chaque fois s’entendre pour faire ouvrir, c’était peu pratique. Mais surtout c’était petit et bientôt nous avons été à l’étroit.

Mais c’était seulement pour les dimanches et comment faisiez-vous pour les autres offices, pour Pâques, par exemple ?
— Il y était très difficile d’organiser les offices de la Semaine sainte parce que le cimetière fermait le soir.

Il n’était pas question de célébrer les offices nocturnes ?
— Si, nous avons toujours célébré l’office de Pâques, on devait demander des autorisations spéciales.

Et quand vous avez décidé de déménager, où êtes-vous allés ?

— Dans une église catholique, où nous sommes toujours.

Et quels offices pouvez-vous y célébrer ?
— En fait, cette église est presque toujours libre, les offices catholiques n’y sont célébrés qu’une fois la semaine. Mais le problème est qu’ils louent les lieux aux scouts.

Et vous avez les mêmes droits que les scouts ?
Non (elle rit). Ce sont eux qui ont la priorité. C’est pourquoi la première année nous n’avons pas pu célébrer tous les offices de la Semaine sainte. Je me souviens surtout que ce fut le cas du Jeudi saint. L’année dernière, grâce à Dieu, nous avons pu célébrer tous les offices de la Semaine sainte car elle coïncidait avec des vacances scolaires. Tout est compliqué : comme ils jouent au ballon dans cette salle, leur autel est protégé par un filet qu’on peut ouvrir comme un rideau. Quand nous avons réalisé notre iconostase, ça les a gênés et ils nous ont suggéré de trouver un lieu plus adéquat.

Vous avez une iconostase transportable ?
— Oui, c’est très pratique pour notre paroisse nomade. Elle est constituée de trois rouleaux, le problème est qu’elle est très lourde, pour la monter il faut au moins trois hommes. Et il faut l’installer avant chaque office, et puis il y a les chandeliers, les icônes, les lutrins et tout ce qui est nécessaire, et il faut remporter le tout après l’office.

Et on vous a demandé de trouver un autre lieu ?
— Oui. Nous aussi nous comprenions qu’il faut chercher quelque chose de plus adéquat. L’église où nous célébrons est située en banlieue, il est difficile de s’y rendre en transports en commun.

Qu’est-ce que ça veut dire en banlieue, combien de temps faut-il pour s’y rendre ?

— Les trains et les transports en commun, le dimanche, commencent tard et il est pratiquement impossible de s’y rendre pour le début de la liturgie à 10 h 30. Certains doivent prendre un taxi, pour d’autres le trajet en voiture est d’une heure et demie. Et n’oubliez pas qu’en Angleterre il faut payer pour emprunter certaines routes ou ponts…
Ce n’est pas très pratique. Notre prêtre est un vrai héros, il doit desservir non pas une mais trois paroisses. Par exemple, cette année à Pâques, il a célébré le mercredi et le jeudi Saints chez nous, le vendredi et le samedi à Portsmouth où il a terminé la liturgie pascale à onze heures, il a dormi sur place et s’est levé à cinq heures du matin pour arriver chez nous à dix heures et célébrer la liturgie pascale. L’an dernier, ça a été le contraire, il a célébré toute la Semaine sainte chez nous et le samedi après la liturgie pascale qui s’est achevée après onze heures il est rentré chez lui à Birmingham où il a célébré le dimanche matin la liturgie pascale.

Les églises de Portsmouth et Birmingham n’ont pas de clergé ?

— Non, il n’y a que le père Mikhaïl. À Birmingham, lorsqu’il officie le samedi, la paroisse loue un local dans un monastère catholique qui traite avec respect et amour les orthodoxes. Pour la célébration de l’Exaltation de la sainte Croix, ils ont même présenté pour la vénération une de leurs reliques : une parcelle de la Vivifiante Croix. Ils permettent même de laisser dans ce local et l’iconostase et les icônes.

En Angleterre il y a moins de prêtres que de paroisses ?

— C’est un de nos grands problèmes. Notre dernière assemblée épiscopale était consacrée à la mission de l’Église. La suivante devra certainement reconnaître notre déficit en prêtres et en diacres, il est colossal. Les prêtres et les diacres dans leur très grande majorité doivent travailler, à côté de leur ministère, parce que les paroisses ne peuvent subvenir à leurs besoins. Nous, nous n’avons plus de diacre depuis que le père Nicolas est malade. Deux de nos paroissiens ont entrepris des études théologiques à distance, l’un à l’université orthodoxe de Cambridge, l’autre à l’Institut Saint-Serge de Paris, avec l’aide de Dieu, peut-être, la relève du père Mikhaïl sera assurée !

Et combien comptez-vous de paroissiens ?

— Si l’on considère ceux qui assistent à tous les offices et donnent de leur temps, nous somme une quinzaine. Si l’on compte les abonnés à notre bulletin paroissial, nous sommes cent cinquante. Autre grand problème : beaucoup viennent simplement pour baptiser leur enfant puis disparaissent, ou ne viennent qu’une fois l’an.
La première paroisse dédiée à la Sainte Trinité au Royaume Uni

En Angleterre qu’appelle-t-on grosse paroisse ?
— Les grosses paroisses en Angleterre sont Londres, Oxford, Cambridge et Manchester, elles comptent des centaines de paroissiens. Ensuite, il y a nous : Bristol, Nottingham, Leeds, Birmingham, bien plus petites paroisses.

Et quand avez-vous commencé à chercher un « nouveau logis » ?
— Il y a deux ans, à peu près, lorsque le père Mikaïl Gogolev est revenu à Bristol. Il a beaucoup cherché dans le centre de la ville. C’est surtout la réalisation de notre nouvelle iconostase par des iconographes moscovites qui nous a poussés à chercher un lieu à nous, d’où nous n’aurions pas à déménager et ré-emménager sans cesse. Le père Mikhaïl a enfin trouvé un lieu qui nous conviendrait, que nous pourrions réaménager en église orthodoxe.

Quel est ce lieu ?
— Une église méthodiste du XIXe siècle inoccupée depuis plusieurs années dont les fenêtres ont été murées. Elle a été mise en vente et les enchères auront lieu fin janvier ou début février.

Une église à vendre ?
— Oui, il y en a beaucoup en Angleterre, surtout en province. Des églises vides qui se louent ou parfois se vendent.

Y a-t-il des clauses particulières ?

— Non, ce n’est pas un monument classé. La seule clause particulière a été formulée par les vendeurs eux-mêmes : elle ne peut être vendue à des promoteurs, mais uniquement à une église ou un établissement d’éducation, aussi nous avons un concurrent : le Community Centre qui se trouve juste à côté.

Et cette église est bien située.

— Oui, en plein centre-ville. Ça ne nous est encore jamais arrivé : nous avons toujours dû aller en banlieue.

Quelles sont les conditions de vente ?
— La mise à prix est de trois cent mille livres sterling, ce qui pour nous est inabordable, mais il y a possibilité d’ouvrir un crédit hypothéqué, et le premier apport serait de quelque quatre-vingt-dix mille livres. C’est cette somme qu’aujourd’hui nous nous efforçons de rassembler. Aujourd’hui nous en sommes à quatorze mille.

Il y aurait beaucoup d’aménagements à réaliser ?
— Non, pas beaucoup.

Mais comment comptez-vous rembourser le crédit ?
— Le bâtiment est très grand et nous prévoyons d’en louer une partie : une grande salle avec une scène. Dans la partie occidentale il y a un orgue. Notre recteur a d’abord pensé qu’on pourrait le vendre aux USA pour une belle somme, mais la fille d’un paroissien nous a dit que les étudiants organistes recherchent désespérément des lieux où jouer sur de vrais instruments et permettre d’y jouer quand nous n’avons pas d’offices pourrait nous rapporter.
La première paroisse dédiée à la Sainte Trinité au Royaume Uni

Vous nous avez dit que de nombreux paroissiens viennent de différents pays, vous vous sentez vraiment une paroisse russe ? Ou est-ce que ça n’a pas d’importance ?

— Aucune importance, l’important est que nous relevons du Patriarcat de Moscou et que, comme le voulait Mgr Antoine, nous restons fidèles à l’Église-Mère, nous sommes une partie de l’Église-Mère, nous sommes en communion avec l’Église orthodoxe russe.
Autre chose pour laquelle il est important que nous ouvrions notre église au centre-ville : nous pourrions alors être un foyer de culture russe, présenter notre culture aux anglais. Lutter contre les préjugés qui existent toujours, surtout ces derniers temps où s’est développée une forte campagne antirusse, il faut la contrecarrer : il est important que nous nous comprenions les uns les autres.

Et vous avez personnellement été victime de cette campagne ?
— Personnellement non, mais on a de la peine quand on lit la presse.

Mais ça a posé des problèmes dans votre paroisse ?

— Chez nous, non, mais je sais qu’à Londres il y a eu de graves problèmes entre Ukrainiens et Russes. Pourtant chez nous, il y a plus d’un Ukrainien, mais nous interdisons toute discussion politique. Nous prions à chaque office pour la paix en Ukraine.

Interview recueillie par Mikhaïl MOÏSSEEV. pour Rublev.com Traduction Parlons d'orthodoxie
La première paroisse dédiée à la Sainte Trinité au Royaume Uni


Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 23 Janvier 2016 à 14:24 | 27 commentaires | Permalien



Recherche



Derniers commentaires


RSS ATOM RSS comment PODCAST Mobile