Plusieurs notes ont déjà été consacrées aux questions de la primauté chez les Orthodoxes et je voudrais en signaler une analyse intéressante par le père dominicain Hyacinthe Destivelle dans son éditorial du dernier numéro de la revue Istina (1). La version électronique de l'éditorial est publiée sur le site Orthodoxie.com. En effet, c'est le sujet actuel du dialogue théologique international catholique-orthodoxe et c'est sous cet angle que le P. Destivelle l'aborde à l’approche de la prochaine session de la commission mixte de dialogue théologique qui aura lieu à Chypre en octobre prochain.

Le P. Destivelle est un grand spécialiste du sujet et il éclaire bien le problème que posent les débats interorthodoxes sur la conception et l’exercice de la primauté. Il souligne qu'ils sont "particulièrement vifs de nos jours" et analyse la différence des interprétations du rôle du patriarche de Constantinople entre celui-ci et le patriarcat de Moscou "qui rassemble la moitié des orthodoxes." Il souligne aussi l'absence de procédure permettant d'arbitrer un tel différent, en dehors de la conciliarité qui se manifeste à travers la synaxe des primats mais "n'a aucun moyen contraignant".

Pour autant le P. Destivelle prend pour acquis l'accord des orthodoxes sur le document mis au point lors de la précédente session de la commission mixte, qui s'est déroulée à Ravenne et portait sur la primauté au premier millénaire. Il écrit en effet "les deux parties /orthodoxes et catholiques/ ont déclaré qu’elles étaient d’accord pour dire qu’à l’époque de l’Église indivise «Rome, en tant qu’Église qui "préside dans la charité" […] occupait la première place dans la taxis et que l’évêque de Rome était par conséquent le protos parmi les patriarches» (§ 41)"; et là il me semble qu'il s'agit d'un grand malentendu: si l'Église de Rome a bien accepté ce document officiellement, je n'ai pas connaissance qu'aucune Église orthodoxe l'ait fait. Bien plus, l'Église russe, qui ne participait pas aux discussions finales, l'a officiellement refusé et de nombreuses voies se sont élevées dans les autres Églises pour en faire autant: il y a eu des lettres officielles de l'ensemble des monastères du mont Athos (patriarcat de Constantinople), du monastère Sainte Catherine (Église du Sinaï qui n'a pas de représentants à ces débats), de plusieurs monastères roumains et bulgares… Assez pour penser que cette question-là n'est pas réglée non plus!

Le P. Destivelle propose courageusement de poursuivre le dialogue et d'aller plus loin sans attendre que les orthodoxes clarifient leur débat interne sur la primauté, et même de l'étendre au sujet brûlant (dont nous avons aussi souvent débattu ici!) du "statut des structures ecclésiales établies sur les lieux des sièges historiques de nos Églises séparées, mais se reconnaissant mutuellement comme sœurs dans la succession apostolique" et il termine par un vibrant appel que nous ne pouvons pas ne pas partager: "En réalité, le seul risque véritable serait que les théologiens intéressés et compétents en ce domaine, et ils ne sont pas si nombreux, se découragent tout à fait, d’autant que d’autres défis apparemment plus urgents se font pressants. La recherche de l’unité se limiterait alors à des visites protocolaires de primats, à des déclarations d’intention, à des rencontres de quelques convaincus. Aussi, tout en prolongeant le « dialogue de la vérité », est-il plus que jamais nécessaire de poursuivre et d’approfondir le « dialogue de la charité » qui, seul, peut nous permettre de nous reconnaître comme frères en Christ, membres de l’Église une, malgré nos pauvres divisions. "

Note:

(1) Le père dominicain Hyacinthe Destivelle est directeur du centre d'études et de la revue Istina et membre du comité mixte de dialogue théologique catholique-orthodoxe en France.

Rédigé par Vladimir Golovanow le 25 Mai 2009 à 15:21 | 4 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par marie genko le 26/05/2009 18:25
Un immense merci à Vladimir Golavanow d'avoir bien voulu nous transmettre ce texte et, par la même occasion, l'accès à l'éditorial du Père Hyacinthe Destivelle.
Cet éditorial renferme une foule d'informations assez extraordinaires, comme celle que je cite ici:

5 "(le théologien catholique) ne peut absolument pas considérer la manière dont se présente la primauté aux XIXè et XXè siècles comme étant la seule possible et qui s'imposerait à tous les chrétiens (....) Rome ne doit pas exiger de l'Orient, au sujet de la primauté, plus que ce qui a été formulé et vécu durant le premier millénaire." Cardinal J. Ratzinger (l'actuel Pape Benoît XVI)

Nous devons en effet nous rappeler, que le dogme de l'infaillibilité pontificale, que nous orthodoxes rejetons, n'a été promulgué qu'à la fin du XIXè siècle.
Il me semble que c'est probablement la première fois, depuis le triste schisme qui a déchiré le corps de l'Église du Christ, que nous sommes en face d'un pontife romain aussi ouvert et désireux de poursuivre une œuvre œcuménique.
A mon sens, l'Histoire attend les Orthodoxes. Saurons-nous prier avec suffisamment de ferveur pour que l'Esprit Saint nous vienne en aide? Car pour dialoguer avec les grands théologiens catholiques, et reconstruire l'unité de l'Église, il faut impérativement que la plus grande cohésion règne parmi nous.
Il nous faut acquérir suffisamment d'humilité et d'amour entre tous les patriarcats orthodoxes pour parler d'une seule voix.
Comment pourrions-nous être œcuméniques, si les uns pensent que le Patriarche de Constantinople doit régir toute la diaspora et les autres souhaitent au contraire rester attachés à leurs Églises mères.
Je sais bien que la voix de chaque fidèle n'est qu'une goutte d'eau dans la mer, mais un premier pas vers l'organisation ecclésiale de la diaspora, ne serait-il pas justement l'unité des chrétiens héritiers de l'émigration russe en une grande métropole russe.
De même qu'une métropole grecque existe déjà, de même chaque Église mère pourrait selon cet exemple constituer des métropoles en prolongement de sa propre Eglise dans des territoires étrangers.
Ainsi nous serions dans l'Église qui correspond à notre identité cultuelle, sans pour autant nous ériger en Église locale sur le territoire de l'évêque de Rome et nuire en cela à la possibilité d'un dialogue constructif avec nos frères catholiques séparés.

Mais pour s'aimer, se comprendre et se parler il faut avoir en face de soi des Orthodoxes

Je serai heureuse de lire les commentaires que ce texte ne manquera pas de susciter.
Je vais aussi m'efforcer aussi de réfléchir à son contenu et rédiger les réflexions positives, ou moins positives que sa richesse va me suggérer.

2.Posté par vladimir le 27/05/2009 19:57
Je trouve que cette excellente synthèse soulève plusieurs questions:

1/ Celle que j'ai soulignée de l'acceptation du coté orthodoxe du 'document de Ravenne', qui rencontre tel quel une forte opposition. Dans une interview que je ne retrouve plus, Mgr Hilarion, qui était le chef de la délégation russe avant son éviction des pourparlers, expliquait qu'un compromis avait été trouvé entre les orthodoxes sur un texte acceptable pour tous, mais ce compromis avait ensuite été 'oublié', une fois la délégation russe partie, pour parvenir à un accord avec les représentants catholiques sur un texte inacceptable pour les russes et nombre d'orthodoxes. Ces tristes péripéties montrent bien l'état déplorable des relations entre orthodoxes et ne laissent rien augurer de bon pour la suite, malgré les excellentes dispositions côté catholique que souligne Marie.

2/ Les différences d'appréciation du rôle de Constantinople tant sur la primauté que sur la diaspora. A ce propos, P. Igor Yakimchuk, secrétaire executif du département des relations extérieures, vient de confirmer
(cf. http://www.interfax-religion.com/?act=news&div=6068) que, comme l'avait annoncé le patriarche Bartolomé 1 lors de sa visite en France, la 4ème consultation préconciliaire va se tenir à Chambésy les 6-13 juin prochain et portera sur l'organisation de la diaspora.

Il y avait eu 3 consultations préconciliaires à Chambésy (1976, 1982, 1986) et 5 commissions préparatoires (Geneve, 1971, Chambésy 1986, 1990, 1993 et 1999) puis les réunions ont été interrompues pendent 10 ans par suite du différent entre les Patriarcats de Constantinople et de Moscou à propos de l'Estonie. La réunion des primat à Istanbul en octobre 2008 a rendu possible la reprise de ces réunions. La réunion suivante est prévue pour décembre 2009.

Ainsi le dialogue reprend directement entre Orthodoxes, et non par Catholique interposés, comme le souhaite Marie, et cela est de bon augure malgré toutes les difficultés que nous connaissons. Je pense qu'il faudrait un nouvel appel comme celui de Mgr Cyrille avant le dernier Concile local de l'Église orthodoxe russe: il avait demandé à tous les fidèles de prier pour la réussite de ce Concile. Nous devrions bien tous en faire autant!

3.Posté par marie genko le 28/05/2009 11:00
Cher Vladimir,
J'ai du mal m'exprimer, car je ne souhaite pas que les catholiques s'interposent dans les dialogues entre les orthodoxes. Je souhaite plutôt que les territoires canoniques, tels qu'ils étaient respectés durant le premier millénaire, ne soient pas ignorés dans les discussions entre les orthodoxes, afin de ne pas porter préjudice au bon déroulement de rencontres futures œcuméniques entre catholiques et orthodoxes.
Puisque l'Église russe était absente au moment de la rédaction du document de Ravenne, il me semble aussi normal que ce document soit renégocié et obtienne l'accord de tous les orthodoxes, autant des Russes que des moines du Mont Athos qui s'y sont opposés.

4.Posté par vladimir le 28/05/2009 15:13
Chère Marie,
C'est moi qui me suit mal exprimé: j'entendais bien que vous souhaitiez un dialogue directe entre orthodoxes et non par catholiques interposés…

Pour le reste rien ne me semble simple: la délégation russe est partie à cause de ce que j'interprète comme une provocation (la présence d'une délégation de l'Église estonienne non reconnue), le Mont Athos est directement sous l'autorité de Constantinople, qui donc le représente… etc. Cette situation n'est pas sans rappeler, toutes proportions gardées, le précédent historique du concile de Florence, où toutes les délégations étaient d'accord, sauf Saint Marc d'Ephèse… qui a ensuite été suivi par toutes les Églises!

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