La raison en Eglise, une Présence : à propos de la Commission interconciliaire
Par l’archiprêtre Paul Velikanov
Rédacteur en chef du site Bogoslov.ru, vice-recteur de l’Académie de théologie de Moscou

Il y a bien longtemps, je venais seulement de m’inscrire au séminaire, j’ai reçu d’Amérique une lettre que m’avait envoyée un ami pasteur. Mon correspondant se réjouissait de ma décision de m’engager dans la voie de la prêtrise. Il n’avait cependant pu se retenir de quelques piques : « Sache que l’orthodoxie se fonde souvent sur des approches qui s’inspirent exclusivement des dogme, qui sont aléatoires, spontanées et non étayées ».
Ma réaction a été de sourire : à quoi d’autre s’attendre de ces protestants…

Hier soir, lorsque je m’en allais de la dernière séance plénière de la Commission interconciliaire cette lettre me revint à l’esprit.

En effet, nous resterons aux yeux d’un Occidental situés en dehors du champ de la raison, que cela soit bien ou mal. Nous pouvons, bien sûr, nous targuer de la profondeur et de la force de notre foi (ne précisons pas en quoi), d’une vision du monde intéressante et imagée, d’un verbe recherché, de notre non conventionnalisme, modèle le plus répandu chez nous de notre conscience religieuse…Et de bien d’autres choses qui suscitent généralement l’admiration chez l’étranger sans parti pris russophobe.

Mais nous pêchons par absence de raisonnement : ma génération de clercs a été formée dans les séminaires et les académies de théologie sous le signe du combat contre le rationalisme, c’est-à-dire dans l’habitude de dormir de longues heures et de bien se nourrir, méthode la plus simple mais aussi la plus efficace de juguler la pensée sécularisée qui s’infiltrait en nous grâce aux livres non lus et aux cours séchés. Pensée sécularisée qui tendait à désoxygéner l’âme des étudiants en quête d’éternité. « Plus on dort, moins on pèche », à l’époque cette maxime humoristique exprimait très bien le modèle plus que confortable de comportement dans l’enceinte de l’église. Il ne s’agissait sans doute pas du sommeil corporel. Moins on en sait, mieux on vit. Un professeur très connu de l’Ordo réagissait à la main tendue d’un séminariste naïf désireux de poser une question en s’exclamant : « Cela vous intéresse ? Mais il ne faut pas, abstenez vous, mon cher ». Sa frayeur n’était pas feinte, c’était une réaction comme instinctive à toute tentative d’analyser les fondements de la vie en Eglise : il suffirait à un imbécile d’y toucher pour que tout s’écroule.
Il est préférable de ne pas bouger, comme ça les choses seront plus durables !

Cette politique « défensive » était éphémère par définition.
Vers la fin des années 90 nous assistons à une véritable démolition intellectuelle des fondements devenus coutumiers de l’Eglise ; fondements paraissant intangibles et tirant leurs racines de l’époque d’Adam. Et voilà que d’un coup, d’un seul nous voyons surgir parmi nous des traditionalistes et des réformateurs, des libéraux et des néo-rénovationnistes, des tenants du renouveau liturgique et des gardiens de la tradition – tous se mettent à écrire et à polémiquer. Tous ou presque avaient déjà appris à se servir d’internet. Les autorités s’en tenaient alors à une attitude de prudence et de sagesse : tant que ces débats ne font pas tanguer la nef de l’Eglise et ne troublent pas sa quiétude, laissons les écrire et se disputer entre eux. Mais si l’existence même du navire se trouvait en danger il fallait sans attendre faire taire les fauteurs de troubles.

La session qui vient de s’achever de la Commission interconciliaire marque le début d’un nouveau chapitre dans l’histoire de notre Eglise, peut-être même de celle des autres Eglises. C’est pour la première fois que l’Eglise au lieu de s’employer à répondre à des questions posées du dehors s’est mise à réfléchir aux questions qu’elle se posait elle-même avec lucidité. Cela sans faire appel à des réponses à l’emporte-pièce, passe-partout et langue de bois. La Commission n’a semble-t-il pas adopté de textes d’envergure ou portant sur des principes fondamentaux.

Cependant, chacun des documents validés a trait à la vie réelle de l’Eglise et non au combat que se livrent virtuellement le Christ et l’Antéchrist. Chacun de ces documents porte la griffe du patriarche qui a mobilisé l’attention et la faculté d’analyse de tous ne laissant pas passer inaperçus le flou et les ambiguïtés de chaque terme, de chaque alinéa. Le patriarche a fait remarquer à la fin de la dernière séance qu’aucun des membres de la Commission ne s’était assoupi pendant les débats tellement ils étaient prenants. La composition de la Commission était vraiment très diverse. On pouvait s’attendre à ces confrontations violentes et à des polémiques. Mais personne n’a essayé de troubler l’esprit constructif et réfléchi des débats. Les questions restées sans réponses furent renvoyées à la session suivante.

Certaines des décisions adoptées risquent de paraître trop terre à terre ou manquant d’envergure. L’essentiel est que vient d’apparaître, ceci pour la première fois dans l’histoire moderne de l’Eglise russe, une structure conciliaire efficace susceptible de formuler raisonnablement les questions et d’élaborer des réponses raisonnables.

L’Eglise a trouvé un nouveau souffle.
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Bogoslov.ru
Traduction "P.O."


Rédigé par l'équipe de rédaction le 2 Février 2011 à 11:46 | 1 commentaire | Permalien



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