La révolution d’Octobre et son « héritage » ecclésial
Père Vladimir Zelinsky

Le centenaire de la révolution d’Octobre coïncide presque jour pour jour avec celui d’un autre événement qui n’est connu aujourd’hui que des spécialistes : le grand concile de Moscou de l’Église russe qui a restauré le système patriarcal. Les deux conséquences de la révolution de Février, dite démocratique, d’une portée incomparable, ont en un certain sens un statut semblable : l’oubli un peu forcé.

Certes, on ne peut pas oublier la révolution qui a renversé l’Empire russe en changeant le visage de la planète. Pourtant, pour la Russie officielle d’aujourd’hui, très patriotique, orgueilleuse de sa force, comme pour celle qui s’oppose à elle farouchement – les nostalgiques de l’URSS mis à part –, 1917 a été une catastrophe. Mais pas pour les mêmes raisons. Pour les uns, la révolution a conduit à la destruction d’un État puissant, devenu un mythe. Pour les autres, elle a donné naissance à un monstre sanglant. Sanglant surtout pour tous les croyants, l’orthodoxie en premier lieu, vue comme complice de l’ancien régime. Il faut toujours rappeler l’ampleur du martyre qu’elle a enduré : des centaines de milliers de vies humaines, des dizaines de milliers d’églises détruites ou profanées.

Aux victimes « physiques », il faut ajouter le prix moral que l’Église a dû payer pour sa survie, et l’oubli du concile de 1917. En effet, comment pouvait-on survivre au sein d’un État programmé dès le début en vue de la mort violente de toute religion ? En théorie, cette mort prévue aurait dû être naturelle, car selon la doctrine marxiste la religion devrait s’éteindre par elle-même, avec la disparition des conditions sociales qui la maintenaient en vie. Mais qui aura la patience d’attendre cette mort trop tardive si l’ennemie est déjà condamnée ? L’Église avait à faire un choix difficile et net : « s’inscrire » complètement dans cet État pour avoir un peu de sursis, ou descendre dans les catacombes.

Déchirée par un schisme interne (un fort mouvement de soi-disant « rénovateurs » soutenus par la police secrète, qui voulaient l’imposer comme l’unique forme de l’orthodoxie), l’Église traditionnelle, représentée par son chef, le métropolite Serge (déjà arrêté trois fois auparavant) a décidé de collaborer, d’accepter son esclavage à l’égard du régime pour rester en vie. Ainsi est née la fameuse déclaration de 1927, avec ses promesses de loyauté inconditionnelle de l’Église du Christ à l’égard de l’État déicide. Cette démarche se trouve aujourd’hui, quatre-vingt-dix ans plus tard, au centre de discussions ecclésiales passionnées.

La révolution d’Octobre et son « héritage » ecclésial

Le choix du métropolite Serge était-il juste ?

Oui, absolument, affirme le patriarche Kirill : la déclaration a sauvé l’Église de l’élimination complète. Non, disent les opposants, ceci n’a pas empêché un renforcement de la persécution de l’Église dans les années 1930. Si Staline a changé sa politique religieuse en 1943, cela s’est passé grâce à des facteurs uniquement politiques : Hitler a donné la permission d’ouvrir des églises dans les territoires occupés, les alliés ont manifesté leur préoccupation pour le sort des croyants en URSS. Non, ce n’est pas le mensonge, mais le sang des martyrs qui a sauvé l’Église. On en a presque fini avec la révolution d’Octobre, mais on reste et on restera encore longtemps confronté à son soi-disant « héritage » ecclésial qui demeure comme un signe de contradiction.

Quatre-vingt-dix ans sont passés
, tant de martyrs (mais pas tous) sont canonisés, y compris ceux qui étaient des opposants convaincus à la déclaration. Le message de celle-ci à l’époque était la dissolution politique et morale de l’Église dans l’État pour sauvegarder son espace sacramentel. La situation de nos jours est fort différente. L’État et l’Église vont main dans la main ; il y a des milliers d’églises à peine construites ou en construction ; les évêques sont les meilleurs amis des autorités locales, les prêtres donnent des bénédictions aux banques et aux missiles balistiques. Les valeurs de l’Église et de l’État s’entremêlent pour aller dans le même sens. Or, cette « identité commune », prédéterminée par l’esprit de la déclaration de 1927, au début très dure à supporter, aujourd’hui très douce à vivre, ne peut être infinie.

Un jour, l’Église russe devra prendre un virage de principe : de la déclaration de 1927 à ce concile oublié de 1917-1918 avec son choix de l’indépendance, de l’élection des évêques et des droits très élargis des conseils paroissiaux, avec son ouverture au dialogue et la dignité retrouvée de l’Église du Christ.

Suite "La Croix"
LIRE aussi : Père Vladimir Zelinsky "La religion du mensonge"

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 9 Octobre 2017 à 10:46 | 3 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Vladimir G: COMMEMORER LA LUTTE CONTRE LE BOLCHEVISME le 09/10/2017 12:39
IL YA 100 ANS DÉBUTAIT LA LUTTE ARMÉE CONTRE LE BOLCHEVISME

Je ne veux aucunement diminuer l'importance du Concile, effectivement insuffisamment reconnue en Occident, mais je veux aussi rappeler que pour nous, descendant des "Blancs" cette année marque un glorieux jubilé qu'il ne faut pas oublier.

Le 15 (2) Novembre 1917, 8 jour après le coup d'état bolchévique, le général MV Alexeyev publie à Novotcherkassk son célèbre "appel aux officiers à sauver la patrie" et fonde "l'organisation Alekseevskaya" («Алексеевская организация»). Il est rejoint en décembre par le général LG. Kornilov et certains de ses partisans, en particulier les généraux AI. Dénikine, SL. Markov et IP. Romanovski, qui avaient été détenus après l'échec de la "tentative de coup d'état" du 28 août 1917 et s'étaient enfuis après le coup de force bolchévique.

Le 9 janvier 1918 (27 décembre 1917), "l'organisation Alekseevskaya" fut transformée en "Armée des volontaires" (Добровольческая армия) qui sera le noyau et le fer de lance de l'Armée Blanche durant toute la guerre civile. Alekséïev fut désigné "commandant suprême" et Kornilov commandant en chef d'une "armée" qui comptait approximativement 4 000 hommes en janvier 1918 mais parvint à tenir tête à un ennemi très supérieur en nombre…

Ce fut le début de l'épopée blanche qui dura cinq ans sur le sol russe, jusqu'à l'évacuation de la Crimée le 18 novembre 1920 et la prise de Vladivostok en 1922, puis continua à l'étranger. Malheureusement les deux chefs prestigieux, les généraux Kornilov et Alexeyev disparurent dès la première année, le premier tué par un obus le 13 avril 1918 devant Ekaterinodar (maintenant "Krasnodar") où le second mourut d'une congestion pulmonaire le 25 septembre 1918.

Ils furent remplacés par les généraux Denikine puis Wrangel que suivirent en émigration les généraux Koutiepov et Miller à qui l'historien N, Ross consacre son dernier livre (http://editions-syrtes.com/de-koutiepov-a-miller-le-combat-des-russes-blancs-nicolas-ross/)

2.Posté par Hai Lin Montevideo le 09/10/2017 22:43
Проповедь отца Владимира Зиленского - это проповедь великой мудрости и глубокого понимания. Я благодарен этому Сайту, что он опубликовал эту проповедь. Многие из нас в эмиграции с большим ужасом смотрят на заявление митрополита Сергия. Могу только молиться Богу, что, когда церковь становится все дальше и дальше удаляться от советского периода, церковь каким-то образом восстановит более полную моральную полноту. Как сказал Христос, у человека не может быть двух хозяев.

3.Posté par Vladimir G: la "déclaration de 1927" dans sa perspective historique le 11/10/2017 15:37
Cet article du p. Vladimir porte un double message:

- Aux Français catholiques, qui sont les principaux lecteurs de "La Croix", il rappelle l’existence du concile de 17-18; la plupart n'en ont pratiquement jamais entendu parler, et les efforts de "La Croix" pour le faire connaitre sont particulièrement méritoires: ce n'est pas le premier article sur le sujet.

- Pour les Orthodoxes russes, il remet la "fameuse déclaration de 1927" dans sa perspective historique. Elle était évidement nécessaire, comme le rappelle le patriarche, pour que l'Église ne soit pas physiquement éliminée en Russie: à la fin des années 30 il n'y avait plus que 4 évêques en liberté, mais il y avait toujours des paroisses et des communautés en activité qui permirent le maintien puis le renouveau national de l'Église.

L'Albanie illustre ce qui aurait pu arriver: elle a été proclamée «premier État athée au monde» en 1976 et ce fut le seul pays totalement athée de l'histoire: il n'y avait plus aucune organisation religieuse et, lorsque la liberté religieuse lui fut rendue 15 ans après (1991), il fallut faire appel à des évêques étrangers (grecques) pour y réintroduire l'Orthodoxie... La Russie a pu éviter cela grâce à la déclaration du métropolite Serge et ceux qui l'ont attaquée, tranquillement installés dans les pays occidentaux où ils ne risquaient rien, ne s'en rendaient évidement pas compte.

L'analyse finale du père Vladimir est, dans ce contexte, particulièrement intéressante: éloignée des laudateurs inconditionnels de la "symphonie" Église-état, comme des détracteurs systématiques qui dénoncent la soumission de l'Église, cette analyse donne la signification historique de la situation actuelle et annonce un retour à la véritable ecclésiologie orthodoxe en prévoyant le retour aux fondamentaux du concile de 17-18.

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