Le Grand Pardon?
J’éprouve un profond respect pour le patriarche Cyrille I, sa personnalité, le bien immense qu’il a fait à l’Eglise au cours de ses longues années à la tête du Service des relations extérieures du patriarcat de Moscou, son érudition, ses talents de prédicateur, sa vision globale dans le meilleure sens du mot de l’avenir de l’orthodoxie et du christianisme dans le siècle, dans ce siècle. Les premiers mois de son règne sur le trône patriarcal ne peuvent que me conforter dans cette conviction.

Le père du patriarche a été victime de la répression communiste. Lui-même, disciple proche du défunt métropolite Nicodème, a débuté dans sa carrière de « diplomate ecclésial » à l’époque de l’asphyxie brejnévienne et a su la franchir sans accepter de compromis inacceptables.

Il m’est d’autant plus affligeant de lire (Interfax-Religion) que le patriarche vient d’exprimer des condoléances louangeuses à l’occasion du décès, il a trois jours, du maréchal Varennikov.
Pour ceux auxquels ce nom ne dit pas grand-chose : le défunt, que son âme repose en paix, n’a jamais manifesté le moindre signe de religiosité, encore moins de foi orthodoxe. Stalinien invétéré, Varennikov, avait le mérite de la constance : encore en 2008 lors du jeu télévisé « Un nom pour la Russie » qui a passionné l’audience le maréchal avait pris sur soi d’être l’avocat de Joseph Staline. Varennikov allait dans sa plaidoirie jusqu’à justifier la terreur de 1937, la collectivisation sanguinaire, etc. Petit détail du parcours de Varennikov : le 19 août 1991, étant en service actif, il se joint aux putschistes communiste et fait rouler les tanks dans les rues de la capitale russe. Arrêté et incarcéré, il est, curieusement, libéré quelques mois plus tard. Depuis le maréchal conduisait de tout cœur une propagande staliniste effrénée.

Le patriarche était dans ce jeu télévisé l’éloquent défenseur de Saint Alexandre de la Neva. C’est son « client » qui « a gagné » contre tous les autres candidats.

Reste à conclure : la décision du patriarche Cyrille I d’exprimer ses condoléances, fût-ce pour des raisons de « realpolitik », ne peut que froisser de nombreux croyants en Russie et dans le monde.

Nikita Krivochéine

Rédigé par Nikita Krivochéine le 9 Mai 2009 à 14:40 | 15 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Anna Rotnov le 09/05/2009 15:49
Cher Nikita Igorevitch ,
Je comprend votre étonnement et incompréhension , la colère peut - être .
Or , cherchant à comprendre ce qu' a pu pousser notre patriarche Kirill à exprimer des " condoléances louangeuses " à l' occasion du décès du maréchal Varennikov ( sans lui chercher d ' excuses ) ; le patriarche Kirill ne cherchait - il pas à ramener les communistes actuel vers la religion : qui est le pardon absolu ? Montrer cet exemple ? Sinon , quelle autre explication trouver , car il y en a bien une ?
Si un seul athée s' est posé les questions , ira peut - être à l' église ce soir ou demain matin ces condoléances auraient valu le coup .
Il y a toujours une explication à un geste incompréhensible : comment demander aux patriarches pourquoi ils font ou disent telle ou telle chose et obtenir une réponse ? Les présidents des grandes puissances ont des sites ou les gens peuvent poser des questions et obtiennent des réponses : les
patriarcats ont - ils ces services ?

2.Posté par Marie Genko le 09/05/2009 17:18
Je n'ai pas vu les condoléances en question. Dans la mesure ou un maréchal, haut dignitaire d'un État est en général enterré par sa famille, laquelle de toute vraisemblance s'est manifestée, il me semble normal de présenter des condoléances à cette famille. Ce qui ne veut absolument pas dire que l'action du défunt soit approuvée en elle-même.

3.Posté par vladimir le 10/05/2009 09:42
http://www.interfax-religion.ru/?act=news&div=30129
Voici le communiqué d'Interfax en russe (il ne semble pas traduit).
Je suis d'accord avec les commentaires de Marie et Anne: nous n'avons pas à juger une personne qui se trouve devant le Grand Tribunal. Le patriarche n'a fait que rappeler les mérites militaires de l'intéressée, et couvert le reste du pardon et de l'amour chrétien: très bel exemple d'obéissance à la première règle morale de l'Évangile - 'aimez vos ennemis!'
Je pense que la date du communiqué n'est pas neutre - 8 mai, veille de la fête de la victoire; le 9 la patriarche dépose en grandes pompes une gerbe aux monument aux morts (cf. http://www.interfax-religion.com/). Cela fait partie du premier souci exprimé par le patriarche après sa nomination: maintenir l'unité tant dans l'Église et dans la société russes. La dernière guerre est toujours très présente en Russie, et les vétérans sont particulièrement honorés par une large de la société; il est donc tout à fait normal que le patriarche montre sa solidarité envers eux.

4.Posté par Marie Genko le 10/05/2009 19:10
J'ai regardé à deux reprises ce désolant jeux télévisé: "Un nom pour la Russie", la première fois pour écouter le Métropolite Cyrille, défendre l'image de Saint Alexandre Nevsky.
J'espérais que ce jeu permettrait aux Russes de renouer avec leur Histoire, dans le sens positif de ce terme, et j'ai été terriblement déçue d'écouter des personnes comme le maréchal Varennikov, qui s'exprimait comme une personne incapable d'admettre les turpitudes du stalinisme.
Dans la mesure où le public russe semble se sentir obligé d'applaudir toute personne qui veut bien s'exprimer, l'impact et l'utilité de ce jeu m'ont paru totalement inutiles et même négatifs

5.Posté par Nikita Krivochéine le 11/05/2009 09:42
Les considérations amenées dans les commentaires précédents relèvent toutes ou presque de la "realpolitik", catégorie imposée à l'Eglise par le péché originel.
Il nous est enseigné de prier pour nos ennemis.
Etat d'âme sans doute parmi les plus ardus à atteindre pour un chrétien. Je n'ai jamais été à même, loin de là, de prier pour ceux à qui vous pensez. Par contre lorsque j'ai vu le patriarche Alexis I accompagné du métropolite Nicolas de Kroutitzy venus se recueillir (?) le 5 mars 1953 devant le sarcophage de Staline à la Maison des syndicats j'ai éprouvé à leur égard une grande compassion.Mais nous étions aux temps de l'asservissement de l'Église martyre par le régime déicide.
Nous n'y sommes plus, Dieu soit loué!

Admirons ceux qui par leur effort spirituel sont parvenus à pouvoir prier pour leurs ennemis.
Ceci est une chose.
Les encenser publiquement en est une autre.

6.Posté par Marie Genko le 11/05/2009 15:15
Cher Nikita,
C'est en effet quelque chose qui nous heurte!
Pourtant chez nous en Occident ne voyons-nous pas aussi la même approche?
N'est-il pas défendu de révéler les exactions de la révolution française?
Je pense au génocide des Vendéens, aux crimes de la terreur et il paraît même que le boucher de Nantes responsable de morts de centaines d'enfants est jusqu'aujourd'hui auréolé de gloire!
Espérons que la Vérité l'emportera bientôt dans tous nos pays sur le politiquement correct; si lourd de mensonges!

7.Posté par Nikita Krivochéine le 11/05/2009 16:47
Chère Marie,
En effet, ce n'est que récemment que les crimes de la Terreur jacobine "bénéficient" d'un éclairage "réaliste", grâce en particulier aux travaux de François Furet. Ce n'est qu'il y a quelques années qu'est devenu concevable le pèlerinage de Soljenitsyne en Vendée.
Cependant il ne s'agissait pas de manuels d'histoire mais d'Eglise.
A ma connaissance il n'y a pas eu en France d'offices funèbres ou d'oraisons élogieuses dits pour le repos des âmes de Robespierre et Marat...

8.Posté par Gabriel Samarine le 12/05/2009 15:16
Ancien général soviétique
Valentin Varennikov

LE MONDE,13 MAI,2009


C'était un des plus célèbres thuriféraires de l'Union soviétique. Le général russe Valentin Varennikov est mort le 6 mai, à Moscou. Agé de 85 ans, il avait été admis à l'hôpital militaire Bourdenko en janvier, à la suite d'une opération neurochirurgicale. Le 8 mai, les députés de la Douma ont observé une minute de silence en sa mémoire. Salué comme un " vrai patriote " par le président Dmitri Medvedev, ce vétéran de la seconde guerre mondiale a aussi représenté la ligne la plus radicale au sein de l'armée, pour laquelle le régime stalinien a constitué un apogée historique. Aux yeux de ces serviteurs du régime, en temps de guerre comme en temps de paix, il existe toujours des ennemis à combattre, qu'ils soient à l'intérieur du pays ou à l'étranger. C'est à ce titre que Varennikov a fait partie du quarteron de hauts gradés qui ont tenté de renverser Mikhaïl Gorbatchev en août 1991 pour prévenir la dislocation de l'URSS.

Valentin Varennikov est né le 15 décembre 1923 à Krasnodar (sud de la Russie). Dès sa sortie de l'école des officiers, en 1942, il part au front et participe à la bataille de Stalingrad, qui occupe une place à part dans la mémoire collective de la " grande guerre patriotique ". Blessé à trois reprises, il est aussi des combats sur les fronts biélorusse et ukrainien, puis de la prise de Berlin. Le 24 juin 1945, il participe aux célébrations fastueuses de la victoire sur la place Rouge. A la demande du maréchal Joukov, il est chargé de l'acheminement des bannières nazies saisies à Berlin.

Après la guerre, Varennikov connaît une carrière de premier ordre au sein de l'Armée rouge. Il supervise des opérations et des entraînements en Angola, en Syrie et en Ethiopie. En 1978, il devient général et rejoint un an plus tard l'état-major général.

Entre 1985 et 1989, il commande les forces soviétiques dans la désastreuse campagne d'Afghanistan. Ce traumatisme militaire est la première étape symbolique vers la fin de l'Union soviétique. La deuxième, la catastrophe de la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1986, est aussi vue de près par le général Varennikov : il est chargé de superviser l'évacuation de la population et les opérations de nettoyage par les soldats. Entre 1989 et 1991, il occupe le poste de vice-ministre de la défense. La chute du mur de Berlin, la fin du Pacte de Varsovie, les aspirations des républiques soviétiques à la souveraineté sont autant d'attaques, à ses yeux, contre la grandeur de l'URSS.

C'est en raison de cette croyance absolue dans les vertus du système en place que le général Varennikov va participer au putsch du 19 août 1991 contre Mikhaïl Gorbatchev, déjoué par Boris Eltsine, futur président de la nouvelle Russie. Comme le résuma un jour le général, " la raison de la décomposition de l'URSS a résidé uniquement dans la trahison de Gorbatchev et Eltsine. " Son seul regret demeura, jusqu'à son dernier souffle, ne pas avoir réussi le putsch en août et instauré l'état d'urgence.

Arrêté le 23 août 1991, accusé de trahison et incarcéré, il aurait pu bénéficier d'une amnistie votée en mars 1994 par la Douma en faveur des 12 putschistes. Mais il fut le seul à la refuser et à réclamer un procès. Le 11 août 1994, la Cour suprême l'acquitta, après une instruction qui le consacra en martyr du patriotisme soviétique.

C'est ainsi qu'il fut élu au Parlement, l'année suivante, avant d'obtenir un second mandat en 2003, sur la liste du bloc nationaliste Rodina (la Patrie). En tant que président du comité des affaires de vétérans à la Douma, il n'eut de cesse de veiller aux intérêts des militaires. Il ne renia jamais son admiration pour Staline, considérant les crimes de son régime comme de simples dommages collatéraux dans une phase d'expansion historique.

L'accession de Vladimir Poutine au pouvoir et la reprise en main du pouvoir fédéral par les organes de sécurité ont été chaleureusement saluées par le général Varennikov. A ses yeux, l'actuel premier ministre russe avait " sauvé la Russie en 1999. " Sous sa présidence, le haut gradé fut nommé inspecteur général du ministère de la défense.

Piotr Smolar

9.Posté par Vladmir Golovanow le 18/05/2009 22:03
J'irai plus loin qu'Anna: nous ne pourrons jamais comprendre les Russes si nous leur appliquons nos critères de jugement sans prendre en compte leurs propres valeurs. Je reviens de 4h en Russie au lendemain du jour de la Victoire: les journaux sont encore remplis de commémorations et de souvenirs. La dernière guerre est, pour tous les Russes, la Grande Guerre Patriotique, épopée du XXe siècle où ils ont vaincu le Mal. Tous les participants sont héroïsés par le simple fait d'y avoir participé. J'ai parcouru les nécrologies de Varennikov: ont n'y parle quasiment que de la guerre et si on cite sa participation au putsch (1) c'est pour rappeler son refus de l'amnistie et son double acquittement en première instance et en appel. Aucune ne fait mention de ses prises de position stalinistes (2). Il est donc normal que le Patriarche se fasse l'écho de ses fidèles et lui aussi ne parle que du héros de la guerre.

Cela a d'ailleurs aussi un aspes théologique: contrairement aux catholiques, chez les orthodoxes 'le gardien de la religion est le corps même de l'Église, c'est-à-dire le peuple (laos) même' (3). Ainsi, 'le peuple entier possède la vérité, mais c'est la fonction de l'évêque de la prêcher' (4) et le patriarche remplit ainsi totalement sa fonction.

Maintenant si on veut faire un parallèle avec la France, on peut rappeler le général Bonaparte: après avoir mitraillé les royalistes sur les marches de l'église Saint-Roch et fait exécuter le duc d'Enghien, il a bénéficié de force Te Deum et couronnement par Pape et évêques…

Notes

1. Il était, semble-t-il, en poste à Kiev et n'a donc pas vraiment 'fait rouler les tanks dans les rues de la capitale'
2. C'est à remarquer: comme il est de tradition de ne garder que les traits positifs des défunts, ce trait là n'est donc pas considéré comme positif en Russie!
3. Lettre des patriarche orthodoxes, 1848, cité par Mgr Ware in 'L'Orthodoxie, l'Église des sept conciles'. p. 324
4. Mgr Ware, ibid

10.Posté par marie genko le 19/05/2009 08:18
Cher Vladimir,
Voilà une limpide explication de l'attitude du Patriarche Cyrille.
Il est vrai qu'il est parfois difficile aux occidentaux, surtout à ceux qui ont été instruits en France dans la tradition des Lumières et de Descartes, de comprendre les démarches des peuples des pays de l'Est.
Merci de nous rappeler que nous devons parfois avoir l'humilité d'accepter ce qui nous paraît choquant au premier abord.

11.Posté par Vladmir Golovanow le 27/05/2009 11:40
Bénédiction des fusées…

Interfax: hier à Baïkonur, le P. Serge Bychkov, recteur de l'église locale, a béni la fusée de transport 'Soyouz FG' qui doit emporter aujourd'hui 27 mai le prochain équipage partant pour 6 mois à l'ISS. Cet équipage estinternational: un Russe, un Canadien et un Européen, le Belge Franck de Winne, pour l'agence Spatiale Européeenne.

La bénédiction des fusées est devenue une tradition à Baïkonur et ailleurs. Ainsi en avril 2008, les fusées militaires qui devaient participer à la parade du 1 mai, dont des 'Iskander', fusées tactiques pouvant porter des têtes nuclaires, ont été bénies à la base d'Alabino, près de Moscou (cf. http://www.sfi.ru/forum.asp?id=5463&act=view). Le commandement des forces balistiques coopère depuis plus de 10 ans avec les communautés religieuses et 16 églises fonctionnnent au sein de ses unités. La bénédiction des fusées baistiques avant leur lacement est ainsi devenu une tradition… mais un commentaire à cet article remarque qu'il est heureux que les célèbres SS20 ne soient plus opérationnelles: leur nom officiel était Satan, ce qui aurait pu compliquer la bénédiction!

Dans la même veine, un chasseur bombardier SU-34, a été béni à Lipetsk en juin 2008. Il a été baptisé 'Saint George le Victorieux' et porte une icône du saint sur son fuselage…

12.Posté par marie genko le 27/05/2009 14:02
Merci, cher Vladimir, d'insister sur le fait que la bénédiction des armes et des lieux à toujours, de tout temps, revêtu une importance particulière en Russie.
Il n'y a pas si longtemps j'avais été très choquée par un article d'un théologien orthodoxe, Monsieur Stavrou, publié, si ma mémoire ne me trompe pas dans "La Croix" particulièrement critique à ce sujet.
Il faut vraiment être issu, comme nous sommes nombreux à l'être, de familles militaires pour saisir toute la profondeur chrétienne de ce symbole.

13.Posté par Gueorguy le 27/05/2009 22:50
De la bénédiction des fusées...

Chère Marie, Cher Vladimir,

Je m'autorise à mentionner que j'avais proposé (voir lien ci-dessous) une réflexion sur la "bénédiction des fusées" en réponse à cet article de Michel STAVROU.

Je reconnais qu'il s'agit d'un sujet délicat et qu'il n'est pas très "religieusement correct" d'aborder cette question.

Mais à tous ceux qui ont de vrais scrupules à l'aborder, j'ai envie de poser une seule question: Qui doivent, préférablement, être mieux équipés pour empêcher l'autre d'agir : les bandits ou bien les policiers?
Si votre réponse est : ni l'un, ni l'autre.. je vous le confirme! Certes.. Cela s'appelle le Paradis.

14.Posté par Marie Genko le 28/05/2009 10:06
Cher Gueorguy,
Je viens de relire votre message 3752 et il mérite vraiment d'être publié dans son intégralité ici au sujet de ce thème 'Du grand Pardon'
Je vous en prie, transférez-le ici pour que ceux qui n'ont pas eu l'occasion de le lire puissent en prendre connaissance, car nous sommes tous si occupés qu'ouvrir les liens est loin d'être notre premier réflexe! Or vous expliquez avec beaucoup de profondeur et de justesse les raisons profondes de la bénédiction traditionnelle des armes et des armées en Russie.
Par avance Merci!

15.Posté par vladimir le 29/05/2009 09:55
Pour revenir à Varennikov, voici l'expression typique de la sensibilité russe sur ce sujet (la 1ère phrase est caractéristique et profondément vraie!) Si quelqu'un écrivais cela en France, il serait traité de ringard, voire de fasciste... (cf. sifflets de l'hymne national) mais en Russie "patriote" n'est ni une injure ni un signe de débilité mentale - c'est une qualité indiscutable et indiscutée. Il faut absolument avoir en tête cette différence de valeurs si on veut comprendre les Russes!

cf. http://riendeneufamoscou.blog.lemonde.fr/c
Le Jour de la Victoire, le 9 mai en Russie, est de loin la fête la plus chère à toutes les générations des Russes. Elle marque pour nous la victoire dans ce qu’on appelle La Grande Guerre patriotique, la guerre la plus lourde et la plus meurtrière que la Russie ait jamais connue, et qui a opposé l’Allemagne nazie et l’URSS pendant la Seconde guerre mondiale suite à l’invasion du territoire de l’URSS par Hitler en juin 1941.

L’exploit du peuple soviétique, sur le front comme à l’arrière, qui, au prix de plus de 26 millions de morts dont près de 9 millions de soldats, et grâce à un élan patriotique sans précédent, a (nous en sommes convaincus) joué le rôle principal dans la défaite du fascisme, constitue peut-être le dénominateur commun le plus fort et l’élément le plus important de notre fierté nationale. L’héroïsme massif inouï dont les soviétiques ont fait preuve pendant ces 4 années de guerre nous bouleverse toujours autant, nous touche profondément et nous fait pleurer (oui!) tous les 9 mai en regardant, dès le matin, des images documentaires et des vieux films soviétiques consacrés à ces événements déjà lointains. “Le Jour de la Victoire, comme il était loin de nous… Ce jour, nous avons tout fait pour nous en rapprocher…”, la célèbre chanson “Den’ pobédy” (Le Jour de la Victoire), sur toutes les radios le 9 mai, avec sa consonance qui peut paraître démodée et naïve, voire risible à des non-Russes tellement elle est « soviétique », on la prend au sérieux, nous, et elle nous donne le frisson.

“Si les Russes veulent la guerre Demandez-le au silence… Demandez-le aux soldats qui gisent sous les bouleaux…”, celle-ci aussi, comme bien d’autres encore…

La bataille de Moscou en 1941, la première défaite d’Hitler en Europe, la bataille de Stalingrad en 1943, la plus sanglante de toutes et la plus dévastatrice - “le tournant décisif” de la Seconde Guerre mondial en Europe avec le début du retrait interrompu de Werhmarcht jusqu’à la reddition allemande, puis celle de Koursk en 1943, tout autant décisive… En terme d’ampleur des hostilités et de forces allemandes employées (près des 3/4 en 1941-42, puis près des 2/3 de la totalité des troupes), c’est le Front de l’Est qui a pris le coup le plus dur, lit-on dans nos manuels d’histoire. Et même si on en prend d’avant la pérestroika, ce chapitre, intitulé “Le rôle historique de l’URSS dans la victoire sur le fascisme” ne nous semble pas du tout exagéré, en dépit d’un certain excès de l’idéologie… Les pertes infligées à Werhmarcht par l’Armée Rouge représentent quant à elles les 2/3 de toutes les pertes des Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale…

En cette fin d’avril 2005, à la veille du 60ème anniversaire de la Victoire, évènement que la Russie allait célebrer avec un défilé militaire particulièrement impressionnant en présence d’une soixantaine de dirigeants du monde entier dont Georges Bush et Jacques Chirac, je me trouvais à Volgograd (ancienne Stalingrad) à l’occasion d’un petit voyage de presse. Dans cette ville sur la Volga, littéralement rasée de la terre à l’issue de 200 jours de bataille effroyable, tout respire le souvenir de la guerre. La colline Mamaiev, dominée par la sculpture majestueuse de la Mère patrie, haute de 80 mètres - lieu près duquel la bataille de Stalingrad a prit fin le 2 février 1943; la maison Pavlov, un important point défensif tactique, où, entièrement encerclés, quatre combattants russes ont repoussé les attaques de l’ennemi pendant 58 jours jusqu’ à l’arrivée de renforts; le Magasin universel central, dans les sous-sols duquel le 31 janvier 1943, deux jours avant la fin de la bataille de Stalingrad, le général feldmarechal Friedrich von Paulus, commandant en chef du groupe d’armées allemandes Sud, a été fait prisonnier avec 23 autres généraux ennemis…

“Quelque chose relie les rives de la Volga et les plages de Normandie, la Bataille de Russie et la Campagne de France. Quelque chose qui nous a allégés d’un grand poids et pèse sur nos épaules. Nous sommes les petits-enfants des sables d’Omaha Beach et des rues de Stalingrad”, écrira, à l’issue de ce voyage, un confrère d’Ouest France…

Vidéo: “Tyomnaya notch” (La nuit noire), la chanson du film “Deux combattants” (1943):

La nuit noire Les balles sifflent sur la steppe
Le vent souffle bruyamment dans les fils Les étoiles brillent d’une lueur pâle
Dans la nuit noire je sais que toi, ma chérie, tu ne dors pas
Et que près du petit lit d’enfant tu essuies discrètement une larme
Comme j’aime la profondeur de tes yeux caressants
Comme je voudrais poser maintenant mes lèvres sur eux
La nuit noire nous sépare, ma chérie
Et la steppe noire inquiétante s’est glissée entre nous

Je crois en toi ma belle amie
Et c’est cette foi en toi qui me protège des balles en cette nuit noire
Pour ma plus grande joie je suis calme dans ce combat mortel
Je sais que tu accepteras avec amour mon destin, quel qu’il soit
La mort ne me fait pas peur Je l’ai côtoyée maintes fois dans la steppe
Et voilà qu’elle tournoie à présent au-dessus de moi
Tu m’attends et près du petit lit d’enfant tu ne dors pas
C’est pour cela que je sais qu’il ne m’arrivera rien

(Traduction du russe Alain Slimane, RIA Novosti)

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