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Archimandrite Sabbas (Toutounov)
Il y a près d’un mois je suis tombé sur un article de Henri Tincq intitulé « Cyrille, le bras religieux du nationalisme de Poutine » qui m’a fort étonné par le contraste qu’il donne entre la certitude des conclusions et une superficielle connaissance des faits. Il y est dit, entre autre, « qu’en janvier 2009, l’élection du “jeune” patriarche Cyrille (alors 62 ans) <…> à la tête de la toute puissante Eglise orthodoxe de Russie (plus de cent millions de fidèles) avait été saluée dans le monde comme une promesse d’ouverture ». Et l’auteur de conclure : « Près de six ans plus tard, il y a de quoi déchanter ».
Henri Tincq avait naguère (en 2007 — NdR) pu interviewer le défunt patriarche Alexis II peu avant le voyage de Sa Sainteté en France. Il s’est visiblement contenté cette fois, et c’est regrettable, de rumeurs et de ce qu’il a trouvé dans les réseaux sociaux pour se permettre de poser un diagnostic sans appel… et sans fondements.
Il y a près d’un mois je suis tombé sur un article de Henri Tincq intitulé « Cyrille, le bras religieux du nationalisme de Poutine » qui m’a fort étonné par le contraste qu’il donne entre la certitude des conclusions et une superficielle connaissance des faits. Il y est dit, entre autre, « qu’en janvier 2009, l’élection du “jeune” patriarche Cyrille (alors 62 ans) <…> à la tête de la toute puissante Eglise orthodoxe de Russie (plus de cent millions de fidèles) avait été saluée dans le monde comme une promesse d’ouverture ». Et l’auteur de conclure : « Près de six ans plus tard, il y a de quoi déchanter ».
Henri Tincq avait naguère (en 2007 — NdR) pu interviewer le défunt patriarche Alexis II peu avant le voyage de Sa Sainteté en France. Il s’est visiblement contenté cette fois, et c’est regrettable, de rumeurs et de ce qu’il a trouvé dans les réseaux sociaux pour se permettre de poser un diagnostic sans appel… et sans fondements.
L’auteur affirme que « le patriarche entretient la mémoire de la résistance d’autrefois aux envahisseurs polonais et aux risques d’une “latinisation” ». Or, c’est bien Sa Sainteté Cyrille qui a personellement cosigné avec le métropolite Joseph Mihalik, président de la Conférence des évêques de Pologne l’un des documents les plus marquants du dialogue entre l’Eglise orthodoxe russe et l’Eglise catholique romaine de ces dernières années. Nous lisons dans ce texte : « Nos peuples frères sont unis non seulement par des liens de voisinage multiséculaires mais aussi par le riche patrimoine chrétien inhérent à l’Orient comme à l’Occident. Conscients de cette longue histoire commune et de la tradition qui s’enracine dans l’Evangile du Christ, tradition qui a formé pour beaucoup l’identité, l’esprit et la culture de nos peuples ainsi que de toute l’Europe nous nous engageons dans la voie d’un dialogue sincère. Ce dialogue, nous l’espérons, nous aidera à panser les plaies infligées par le passé ainsi qu’à dépasser les préjugés et l’incompréhension réciproques. Il nous renforcera dans notre volonté de paix et de rapprochement ».
Il est fort dommage que H. Tincq ne se soit pas donné la peine de parcourir ce document dont le patriarche Cyrille a maintes fois rappelé l’importance pour l’Eglise orthodoxe russe et qui se termine par une prière au Christ : « Qu’Il nous accorde Sa Grâce pour que chaque Polonais voie en chaque Russe un ami et un frère et qu’il en soit de même pour chaque Russe ».
Pour ce qui est de la « mémoire de la résistance aux envahisseurs polonais » évoquée par H. Tincq il s’agit des célébrations commémoratives du 400e anniversaire de la fin des « Temps troubles » en Russie. H. Tincq croit distinguer en ceci une exhortation à la haine du peuple polonais et des catholiques. A ce compte les célébrations du 11 novembre en France, commémoration de l’armistice de 1918 devraient être taxées de manifestations de haine à l’égard de l’Allemagne. Or, il ne s’agit dans les deux cas que de maintenir la mémoire des évènements parmi plus importants dans l’histoire d’un pays comme de l’autre : pour la Russie la fin des Temps Troubles au début du XVIIe siècle est de toute évidence l’un de ces évènements.
Les affirmations à propos des positions du patriarche Cyrille en ce qui concerne la situation en Ukraine sont tout aussi superficielles. « Dans ce pays en guerre, le patriarche Cyrille défend son patrimoine historique et culturel, son appareil institutionnel, ses paroisses et ses finances », — écrit Н. Tincq. Comment ne pas savoir que l’Eglise orthodoxe d’Ukraine dispose d’une très grande autonomie — grande à tel point qu’elle gère même ses relations extérieures, par exemple celles avec l’Eglise catholique, plus précisément la branche gréco-catholique de cette Eglise en Ukraine? Pour ce qui est des questions budgétaires l’Eglise orthodoxe d’Ukraine est non seulement entièrement autonome dans la gestion de ses finances, mais qui plus est ne rétrocède absolument rien à « Moscou ».
Ayant commencé par des erreurs factuelles ses digressions à propos de l’Ukraine l’auteur de l’article conclut par des contradictions qui pèchent contre la logique. Н. Tincq affirme ainsi que la prétendue proximité du patriarche à l’égard du Kremlin l’éloignerait de son troupeau ukrainien. Or, deux lignes plus haut l’article rappelle que le patriarche était absent à la célébration au Kremlin de l’union de la Crimée avec la Russie alors qu’y assistaient les responsables de toutes les grandes religions et confessions du pays. C’est bien là que le patriarche aurait dû faire acte de présence s’il était « le bras religieux du nationalisme de Poutine ! » Force est à Monsieur Tincq de reconnaitre que le patriarche Cyrille dans tout ce qu’il a dit à propos du conflit ukrainien n’a fait qu’appeler à la paix et à la réconciliation. Telle est également l’attitude l’Eglise orthodoxe d’Ukraine, ce qui, malheureusement, n’est pas totalement vrai en ce qui concerne certains autres groupes religieux ukrainiens.
Seule la méconnaissance de la vie religieuse en Russie, à moins que l’on ne puise ses références dans les réseaux sociaux, peut laisser dire que l’Eglise en Russie « est abritée derrière ses privilèges ». En réalité, les décisions prises en faveur des communautés religieuses (et non seulement en faveur de l’Eglise orthodoxe russe) qu’il s’agisse de leur restituer des biens naguère confisqués par le pouvoir soviétique ou d’introduire dans l’enseignement secondaire des matières optionnelles comme les cultures religieuses ou l’éthique laïque (il ne s’agit pas des fondements de la religion) se heurtent à une forte résistance dans l’administration publique. Obtenir ne fût-ce qu’une juste application des lois adoptées coûte de grands efforts et il est parfois indispensable de recourir pour cela aux instances civiles les plus hautes. En ce qui concerne l’existence même de lois conférant certains avantages aux communautés religieuses (soulignons-le : à l’ensemble de ces communautés et non exclusivement à l’Eglise orthodoxe) il n’y a en cela rien de choquant : si en France, par exemple, la laïcité a été élevée pratiquement au rang d’une religion, en Russie la tradition est autre.
Monsieur Tincq reproche à l’Eglise orthodoxe russe de prendre la défense des valeurs morales traditionnelles et de dénoncer certaines attitudes et normes actuellement répandues en Occident et contraires à ces valeurs. Ceci est interprété comme étant une forme de soutien au « nationalisme poutinien ». Or, il ne s’agit que de rester fidèle à l’enseignement évangélique et de condamner les vices qui l’enfreignent. Le message conjoint du patriarche de Moscou et du Primat de Pologne rappelle d’une manière explicite : « Les principes moraux qui se fondent sur les Commandements sont mis en doute au prétexte de la laïcité ou du libre choix. Les interruptions de grossesse, l’euthanasie, les unions homosexuelles présentées comme une forme de mariage font l’objet d’une vaste promotion. La société de consommation prend le dessus, les valeurs traditionnelles sont rejetées et les symboles religieux sont bannis de l’espace public… Nous sommes convaincus que le Christ ressuscité représente l’espoir non seulement de nos Eglises et de nos peuples mais aussi celui de l’Europe et du monde entier ».
Une telle prise de position n’est absolument pas nouvelle pour le Patriarche Cyrille. Bien avant son élection au trône patriarcal il évoquait avec regrets la perte progressive par l’Europe de ses racines chrétiennes et la nécessité d’y revenir. Henri Tincq avait vu dans l’élection du métropolite « une promesse d’ouverture ». Si cette « ouverture » suppose la négation de ce souhait adressé à l’Europe alors — oui Monsieur Tincq « a de quoi déchanter ». Mais dans ce cas il ne pouvait en être autrement.
Traduction Nikita Krivochéine pour "Parlons d'orthodoxie"
Il est fort dommage que H. Tincq ne se soit pas donné la peine de parcourir ce document dont le patriarche Cyrille a maintes fois rappelé l’importance pour l’Eglise orthodoxe russe et qui se termine par une prière au Christ : « Qu’Il nous accorde Sa Grâce pour que chaque Polonais voie en chaque Russe un ami et un frère et qu’il en soit de même pour chaque Russe ».
Pour ce qui est de la « mémoire de la résistance aux envahisseurs polonais » évoquée par H. Tincq il s’agit des célébrations commémoratives du 400e anniversaire de la fin des « Temps troubles » en Russie. H. Tincq croit distinguer en ceci une exhortation à la haine du peuple polonais et des catholiques. A ce compte les célébrations du 11 novembre en France, commémoration de l’armistice de 1918 devraient être taxées de manifestations de haine à l’égard de l’Allemagne. Or, il ne s’agit dans les deux cas que de maintenir la mémoire des évènements parmi plus importants dans l’histoire d’un pays comme de l’autre : pour la Russie la fin des Temps Troubles au début du XVIIe siècle est de toute évidence l’un de ces évènements.
Les affirmations à propos des positions du patriarche Cyrille en ce qui concerne la situation en Ukraine sont tout aussi superficielles. « Dans ce pays en guerre, le patriarche Cyrille défend son patrimoine historique et culturel, son appareil institutionnel, ses paroisses et ses finances », — écrit Н. Tincq. Comment ne pas savoir que l’Eglise orthodoxe d’Ukraine dispose d’une très grande autonomie — grande à tel point qu’elle gère même ses relations extérieures, par exemple celles avec l’Eglise catholique, plus précisément la branche gréco-catholique de cette Eglise en Ukraine? Pour ce qui est des questions budgétaires l’Eglise orthodoxe d’Ukraine est non seulement entièrement autonome dans la gestion de ses finances, mais qui plus est ne rétrocède absolument rien à « Moscou ».
Ayant commencé par des erreurs factuelles ses digressions à propos de l’Ukraine l’auteur de l’article conclut par des contradictions qui pèchent contre la logique. Н. Tincq affirme ainsi que la prétendue proximité du patriarche à l’égard du Kremlin l’éloignerait de son troupeau ukrainien. Or, deux lignes plus haut l’article rappelle que le patriarche était absent à la célébration au Kremlin de l’union de la Crimée avec la Russie alors qu’y assistaient les responsables de toutes les grandes religions et confessions du pays. C’est bien là que le patriarche aurait dû faire acte de présence s’il était « le bras religieux du nationalisme de Poutine ! » Force est à Monsieur Tincq de reconnaitre que le patriarche Cyrille dans tout ce qu’il a dit à propos du conflit ukrainien n’a fait qu’appeler à la paix et à la réconciliation. Telle est également l’attitude l’Eglise orthodoxe d’Ukraine, ce qui, malheureusement, n’est pas totalement vrai en ce qui concerne certains autres groupes religieux ukrainiens.
Seule la méconnaissance de la vie religieuse en Russie, à moins que l’on ne puise ses références dans les réseaux sociaux, peut laisser dire que l’Eglise en Russie « est abritée derrière ses privilèges ». En réalité, les décisions prises en faveur des communautés religieuses (et non seulement en faveur de l’Eglise orthodoxe russe) qu’il s’agisse de leur restituer des biens naguère confisqués par le pouvoir soviétique ou d’introduire dans l’enseignement secondaire des matières optionnelles comme les cultures religieuses ou l’éthique laïque (il ne s’agit pas des fondements de la religion) se heurtent à une forte résistance dans l’administration publique. Obtenir ne fût-ce qu’une juste application des lois adoptées coûte de grands efforts et il est parfois indispensable de recourir pour cela aux instances civiles les plus hautes. En ce qui concerne l’existence même de lois conférant certains avantages aux communautés religieuses (soulignons-le : à l’ensemble de ces communautés et non exclusivement à l’Eglise orthodoxe) il n’y a en cela rien de choquant : si en France, par exemple, la laïcité a été élevée pratiquement au rang d’une religion, en Russie la tradition est autre.
Monsieur Tincq reproche à l’Eglise orthodoxe russe de prendre la défense des valeurs morales traditionnelles et de dénoncer certaines attitudes et normes actuellement répandues en Occident et contraires à ces valeurs. Ceci est interprété comme étant une forme de soutien au « nationalisme poutinien ». Or, il ne s’agit que de rester fidèle à l’enseignement évangélique et de condamner les vices qui l’enfreignent. Le message conjoint du patriarche de Moscou et du Primat de Pologne rappelle d’une manière explicite : « Les principes moraux qui se fondent sur les Commandements sont mis en doute au prétexte de la laïcité ou du libre choix. Les interruptions de grossesse, l’euthanasie, les unions homosexuelles présentées comme une forme de mariage font l’objet d’une vaste promotion. La société de consommation prend le dessus, les valeurs traditionnelles sont rejetées et les symboles religieux sont bannis de l’espace public… Nous sommes convaincus que le Christ ressuscité représente l’espoir non seulement de nos Eglises et de nos peuples mais aussi celui de l’Europe et du monde entier ».
Une telle prise de position n’est absolument pas nouvelle pour le Patriarche Cyrille. Bien avant son élection au trône patriarcal il évoquait avec regrets la perte progressive par l’Europe de ses racines chrétiennes et la nécessité d’y revenir. Henri Tincq avait vu dans l’élection du métropolite « une promesse d’ouverture ». Si cette « ouverture » suppose la négation de ce souhait adressé à l’Europe alors — oui Monsieur Tincq « a de quoi déchanter ». Mais dans ce cas il ne pouvait en être autrement.
Traduction Nikita Krivochéine pour "Parlons d'orthodoxie"
Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 26 Janvier 2015 à 17:00
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