Le combattant anti-drogue Roizmann et l’icône naïve
Traduction pour "PO" Laurence Guillon

Evgueni Roizman est à la tête du mouvement « Pour des villes propres »

Quand on évoque Evgueni Roizmann, on pense habituellement à ses notes précises, rudes et en même temps pénétrantes dans son livejournal. Genre : « Aujourd’hui, nous avons démantelé un bouge et arrêté trois camés », ou bien « Il s’est enfui. Il n’a pas saisi sa dernière chance. Il est mort d’une surdose. » C’est pourquoi voir le célèbre combattant anti-drogue entouré d’icônes et parlant de chacune d’elles avec un touchant amour est quelque peu étonnant.

Sur son exposition, Evgueni Roizmann n’en sait pas moins que les historiens et les spécialistes de l’art. Selon ses propres dires, les icônes anciennes sont pour lui un monde particulier dans lequel il peut s’enfuir, se retrancher de toute la boue à laquelle il a affaire dans sa vie ordinaire. Il les collectionne depuis déjà près de 30 ans et ne sait pas dire lui-même comment tout cela a commencé.

Le combattant anti-drogue Roizmann et l’icône naïve
Le 22 mars, Evgueni a inauguré une exposition inhabituelle : l’icône populaire, peinte par de simples artisans et paysans, qui pendant des générations orna les iconostases des isbas de l’Oural.

Ce musée de l’icône de Neviansk, à Ekaterinbourg était rempli de différents objets: représentations de saints inconnus, des sculptures non canoniques mais étonnamment belles représentant le Sauveur au cachot, un Sauveur Non Fait de Main d’Homme, dont le visage rappelle celui de Pierre I de façon stupéfiante.

— Et alors ? D’un autre côté, on voit combien le type s’est donné de mal, répond pour la défense de la relique Evgueni Roizmann. Et ici, regardez donc comme est fait l’apôtre Pierre. En quatre couleurs, et pas une touche de trop, pas une couche superflue !
— Une autre caractéristique de l’icône populaire, c’est qu’on y représentait des saints connus seulement localement. Ainsi, par exemple, Athanase Navolotski, Prokofi le Juste. Ces saints sont déjà reconnus par l’Eglise orthodoxe russe, mais connus surtout dans leurs régions, poursuit-il.

Evgueni raconte : la colonisation du nord russe se fit principalement grâce aux monastères. Les figures marquantes du monastère saint-Serge-de-Radonej se dispersèrent à travers l’Oural et la Sibérie, fondèrent ici leurs skites, enseignèrent des métiers aux habitants du lieu. C’étaient le plus souvent des disciples directs de Serge de Radonej, par exemple Cyrille de Belozersk qui avait fondé son propre monastère.

Chaque icône a son histoire. Au cours de sa visite guidée, le combattant anti-drogue tentait de la terminer, mais son regard tombait sur un autre objet, et il se rappelait de nouveaux faits, de nouveaux détails, de nouveaux épisodes.

— Voici le bon Larron. Il était particulièrement honoré en Russie, car il rappelait que chacun, s’il se repentait, pouvait entrer au Paradis. Les Russes aimaient montrer comment il entrait dans ce paradis, conversait avec les anges qui le recevaient avec joie, raconte Roizmann. Certaines icônes étaient peintes pour remercier Dieu de miracles qui avaient lieu dans leur vie. En fait partie, par exemple, l’image « le Triple Miracle ». Elle fut commandée par une marchande, dont le mari et le fils, à la suite de ses prières, étaient restés sains et saufs dans des circonstances très pénibles. De la même manière, figuraient à l’exposition beaucoup d’icônes de vieux-croyants.

Certains faits relatés par Evgueni surprirent même des chercheurs expérimentés.
Tout le monde ne connaît pas, par exemple, l’importance de l’influence ukrainienne sur les terres septentrionales. Après l’unification de ce pays à la Russie, l’afflux de prêtres « Petit-Russiens » fut si grand que pendant tout le XVIII° siècle, il n’y avait pas un seul Grand-Russien parmi les hiérarques, y compris les archiprêtres de l’éparchie de Tobolsk, dont alors faisait alors aussi partie l’Oural. L’influence ukrainienne se fit aussi sentir dans l’iconographie : on se mit à peindre à l’huile beaucoup d’icônes, et dans certaines d’entre elles apparurent des éléments picturaux catholiques.

L’histoire des découvertes de certaines icônes n’est pas moins intéressante.
A l’époque de Khroutchev, des églises remplies d’icônes jusqu’au plafond restaient vides dans de nombreux villages. Les gens, redoutant de garder chez eux des objets « idéologiquement dangereux », les portaient dans les sanctuaires abandonnés, où ils tombaient dans la désolation. Un ami d’Evgueni, Viatcheslav, encore étudiant à l’université Stroganov, partit en 1959, avec des connaissances, dans le village de Carélie Tipinitsi, où il découvrit une chapelle, pleine d’anciennes icônes. Les garçons remplirent trois sacs à dos et quelques malles des reliques trouvées, après quoi ils revinrent à Kiji en vedette.

Cependant, au centre du district, un milicien s’approcha et s’enquit du contenu des sacs à dos, et, voyant les icônes, obligea les garçons à les rapporter. Viatcheslav et ses amis durent revenir à Tipinitsi et remettre les icônes dans la chapelle, mais Viatcheslav, à ses risques et périls, scia un morceau de l’iconostase avec une représentation de l’apôtre Pierre et, sans craindre la milice, décida quand même de l’emporter. Un an plus tard, les garçons revinrent au village et découvrirent que la chapelle avait brûlé avec tout son contenu : des pièces artistiques uniques. Des icônes variées n’est resté que le morceau avec l’apôtre Pierre, que Viatcheslav offrit par la suite au musée de l’icône de Neviansk.

Evgueni le reconnaît, il rêve de fonder un « Musée d’art naïf ».
Pour l’instant, l’exposition n’a pas de local qui lui soit propre. En mai, elle sera transférée à Moscou à l’Académie russe des Arts, et d’ici l’été, reviendra à Ekaterinbourg. Roizmann souligne : les objets qu’il a rassemblés sont rarement utilisés pour les offices religieux et certains d’entre eux ne peuvent pas du tout être considérés comme canoniques. Par exemple des paysans, essayant d’élucider le mystère du Dieu trinitaire, L’ont représenté, l’Unique en trois personnes, comme ils se le représentaient eux-mêmes. Certains, en dépit des canons, ont représenté Dieu le Père.

Il fut une époque où l’Eglise n’admettait pas bien la représentation sculptée en bois du Sauveur, faite près de Iaroslavl, le Christ au cachot. Pourtant, les gens avaient besoin de cette image. Les paysans, touchants dans leur naïve religiosité, cousaient même des chaussures à l’effigie et les changeaient à chaque fête de Pâques, expliquant que le Sauveur use ses lapti (chaussures en écorce de bouleau) à courir d’une maison à l’autre pour en regarder les habitants. C’est pourtant justement ces icônes, plus que n’importe quoi d’autre, qui peuvent raconter aujourd’hui non seulement les us et l’histoire de la campagne de l’Oural, mais transmettre la foi simple, parfois à moitié païenne mais en même temps étonnamment pure et sincère, de nos aïeux.

"PRAVOSLAVIE i MIR" + PHOTOS
Наркоборец Ройзман и «наивная» икона (+ фото)


Rédigé par Laurence Guillon le 17 Février 2014 à 06:00 | 1 commentaire | Permalien


Commentaires

1.Posté par EN RUSSIE, « UNE MÉTHODE FORTE » POUR GUÉRIR LES DROGUÉS le 17/02/2014 06:33
L'histoire de la lutte contre la drogue, dans cette grande ville russe de l'Oural, est étroitement liée au destin de son maire actuel, Evgueni Roïzman. La méthode brutale du sevrage sans substitution, employée pendant quinze ans, a fait sa réputation.

Au début fut l'enfer urbain. Dans les années 1990, Iekaterinbourg, quatrième ville de Russie par sa population (1,4 million d'habitants) se trouve au bord de l'overdose. Les morts se comptent par centaines. Les trafiquants, souvent des ressortissants des anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale, tiennent commerce en pleine rue, à la lumière du jour. Les miliciens, eux, font preuve d'une passivité remarquable. Beaucoup touchent quelques billets pour fermer les yeux sur les trafics, les autres haussent juste les épaules devant l'ampleur du mal.

Sergueï Chtipatchev se souvient bien de cette période. Le directeur de la fondation « La ville sans drogues » est un gaillard solide de 40 ans, aux traits un peu grossiers et aux lèvres épaisses. Il supplicie le clavier de son ordinateur pour consulter les archives abondantes du fonds, classées par thème et par année. Les photos et les vidéos se succèdent. Elles montrent le trafic en toute impunité, dans des quartiers résidentiels appelés alors les « villages tziganes » de Ekaterinbourg. Sergueï Chtipatchev compta parmi les premiers citoyens révoltés, qui décidèrent de se mobiliser collectivement pour faire reculer les trafiquants. A ses côtés figura Evgueni Roïzman, le futur patron de la fondation, son visage médiatique. Celui-là même qui a été élu, en septembre 2013, maire de la ville, en obtenant une victoire retentissante sur le candidat de Russie unie, le parti du pouvoir.
L'ascension de Evgueni Roïzman, 51 ans, est une aventure russe colorée. Après avoir fui le domicile familial à l'âge de 14 ans et travaillé « dans toute l'URSS », il été incarcéré pour vol à l'arme blanche et escroquerie. Diplômé de la faculté d'histoire de l'Université de l'Oural, Evgueni Roïzman s'est lancé dans le commerce de bijoux et de montres, dans les années 1990. En 1999, il apparaît en plateau sur la première chaîne de télévision fédérale, dans une émission sur Iekaterinbourg. Il vient évoquer la mobilisation citoyenne née quelques mois plus tôt. Il n'est pas très à l'aise à l'antenne, un peu intimidé peut être. Le charisme lui est venu avec le temps. SUITE

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