Le 1er mars 2012, jeudi de la première semaine du grand Carême, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du patriarcat de Moscou, a célébré l’office des grandes complies en l’église dédiée à l’icône de la Mère de Dieu « Joie-de-tous-les-affligés ». À l’issue de la lecture du canon pénitentiel de saint André de Crète, le métropolite Hilarion s’est adressé aux personnes présentes.

« N’entre pas en jugement avec moi, mettant mes actions au grand jour, scrutant mes paroles et blâmant mes impulsions ». Ces paroles, adressées à Dieu, nous venons de les entendre dans le Grand canon de saint André de Crète. Maintenant, en ces jours du grand Carême, lorsqu’on lit la prière de saint Éphrem le Syrien, lorsqu’on médite sur le contenu de cette prière, je voudrais attirer votre attention sur l’expression « scrutant mes paroles », et je propose de penser comment elle est liée à ce que nous lisons dans la prière de saint Éphrem, lorsque nous demandons que le Seigneur nous délivre de l’esprit de vaines paroles.

Les mots du Grand canon de pénitence nous disent que nous serons jugés lors du Jugement redoutable non seulement pour nos actes, mais aussi pour nos paroles et nos intentions. Et la prière de saint Éphrem le Syrien concentre notre attention, en partie, sur le fait que les vaines paroles constituent l’un des péchés graves, produisant, à son tour, d’autres péchés. L’Église nous rappelle, aux jours du grand Carême, la responsabilité de l’homme, tant en ce qui concerne ce qu’il fait que ce qu’il dit, car les vaines paroles constituent un péché très répandu, que nous prenons très à la légère. Nombreux sont même ceux qui n’ont pas conscience que les paroles vaines constituent un péché. Il est si fréquent que les gens s’invitent mutuellement, passent quelques heures ensemble à table, discutent, et à l’occasion de cette conversation ne disent rien l’un à l’autre d’important, d’essentiel, la discussion n’enrichit personne ni au niveau spirituel, ni même au niveau informationnel. Trois heures de verbiage passent sans que l’on s’en aperçoive, alors que ce sont trois heures de la vie qui sont rayées.

Et il arrive souvent qu’un homme, qui occupe quelque poste public, par exemple un politicien ou un journaliste, commence à tenir des propos futiles sur les ondes devant des milliers, voire des millions de gens. Pour comprendre comment doit être notre parole, quelle doit être notre attitude envers celles-ci, nous devons tourner nos regards vers Celui qui est l’exemple absolu pour chaque chrétien, notre Seigneur même, Jésus-Christ. Regardons comment et à quel sujet parle le Seigneur, au moins dans la forme sous laquelle Ses paroles ont été transmises jusqu’à nous par les évangélistes. Nous voyons que le Seigneur n’a jamais prononcé de paroles superflues. Il monte sur la montagne, s’assied, Ses disciples étant auprès de Lui, et Il commence Son sermon sur les Béatitudes, non pas avec quelque introduction ou préface, mais avec le sujet même, les commandements des Béatitudes. Et même si le Sermon sur la montagne était une exposition résumée de nombreux sermons du Seigneur, nous verrions de toute façon qu’il n’y a pas là un mot de trop. Chaque parole ici, a un poids en or, on pourrait graver dans la pierre chaque mot et en faire un monument pour édifier tous les hommes.

Si nous regardons les œuvres des saints Pères, nous voyons qu’il n’y a là aucun verbiage et que chaque mot est adressé à l’âme de l’homme. En lisant les œuvres patristiques, nous sentons qu’elles sont adressées à chacun de nous, précisément parce que dans ces livres chaque mot est rempli de sens et de contenu spirituel.

Les vaines paroles. Cette expression même montre que les paroles peuvent être vaines, c’est-à-dire vides. Mais la parole peut ne pas être vide, mais emplie de contenu spirituel. Et c’est précisément ainsi que doivent être nos paroles, que doit être notre prédication. Et comment y parvenir ? En réalité, c’est très simple : si l’intellect de l’homme n’est pas vide, sa parole ne le sera pas non plus, si son âme est emplie d’un contenu, sa parole sera valable, convaincante et ayant du sens et de la force. Si le vide est présent dans les pensées et dans son cœur, alors ses paroles seront vides. Mais si l’homme vit dans cette profondeur de la vie spirituelle à laquelle nous appelle tous le Seigneur Jésus-Christ, alors notre parole brûlera le cœur des hommes, et à l’instar de la parole divine, pénétrante jusqu’à partager âme et esprit (cf. Hébr. 4,12)-.

Il arrive que très peu de mots suffisent à changer le monde. Si l’on regarde combien de paroles de notre Seigneur sont parvenues jusqu’à nous, il y en a très peu, elles ne constituent même pas un livre, mais elles ont renversé le cheminement de l’histoire humaine.

Et les quelques mots du brigand sur la croix – on a entendu cela dans le Grand canon de pénitence – ont changé radicalement son sort, lorsqu’il s’adressa au Christ : « Souviens-Toi de moi, Seigneur, quand Tu entreras en Ton Royaume » (Lc 23,42). Ces paroles se sont avérées plus précieuses que tout ce qu’il aurait pu dire, ces paroles, ces mots ont biffé tous les crimes qu’il avait accomplis précédemment et pour lesquels il était condamné au supplice, et lui ont ouvert les portes du royaume céleste. En même temps, l’autre larron blasphémait, condamnait, proférait des paroles vaines, même en étant crucifié, lors des minutes précédant sa mort. Et pourquoi ? Parce qu’il mourut de la même façon qu’il avait vécu.

Il se produit souvent dans notre vie qu’au lieu de dire quelques paroles simples et convaincantes, nous disons des milliers de mots qui n’ont aucun sens. Et combien de fois nous essayons de nous abriter derrière les mots pour ne pas faire tel ou telle chose… Combien de fois nos paroles constituent une tentative de justification ; nous parlons beaucoup et longtemps au lieu de regarder la vérité en face et dire, peut-être, seulement la parole qui est nécessaire. Souvent, des conflits se produisent entre les hommes, et ils commencent à se répandre mutuellement en paroles, parfois vides, parfois insultantes, et ce de façon orale ou écrite. Et tout cela au lieu de se regarder face à face et de dire un seul mot simple : « Pardonne-moi » ou « Pardonnez-moi ». Seul ce mot peut changer de façon radicale les relations entre les gens, ôter le poids de l’incompréhension, des malentendus, de la méfiance, qui s’est accumulé au cours de nombreux jours, mois ou années. Si l’homme trouve en lui les forces de prononcer un tel mot, cela est suffisant pour le réconcilier avec celui avec lequel il est en mauvais termes. Mais combien de fois nous ne trouvons pas en nous de forces pour cela et nous préférons prononcer mille paroles pour nous justifier, pour accuser les autres, et tous ces mots ne sont pas seulement creux, mais nuisibles pour nous, parce qu’ils nous apportent la chute spirituelle.

La vie qui nous entoure est emplie de paroles vaines. Il fut un temps lorsque les gens parlaient peu, écrivaient peu et lisaient encore moins, lorsque les livres étaient onéreux. Se procurer un livre n’était possible que pour un homme très riche. On lisait alors avec révérence, on gardait les livres précieusement. En se trouvant seul, on lisait même à voix haute, tel était le respect envers la parole écrite. Mais les auteurs éprouvaient aussi un tel respect envers la parole : ils ne se permettaient pas d’écrire des paroles vaines, parce qu’ils savaient que le papier et l’encre coûtaient très cher, et – c’est le principal – le temps de leur propre vie et la vie de leurs lecteurs coûtaient également cher.

Aujourd’hui, tout a perdu sa valeur : et le papier, et l’encre, notamment l’encre typographique, mais c’est le plus important, le temps a perdu sa valeur, et avec lui la vie humaine. Les hommes passent leur vie à diffuser sur les ondes des paroles vaines, et d’autres passent de nombreuses heures à consommer ces paroles vaines dans des quantités énormes, c’est l’image de notre temps. Il n’est donc pas étonnant que les hommes aient oublié comment se comprendre mutuellement, comment se parler les uns aux autres. Nous croulons sous l’information. Dans ce flot bruyant d’informations, nous cessons de distinguer les signaux, parce qu’il y a autour trop de paroles vaines, et, volontairement ou non, nous devons leurs prisonniers et leurs esclave. Je n’appelle pas à lire ou à entendre moins, mais je veux rappeler qu’il convient d’apprendre à apprécier la parole, avant tout la nôtre. Nous ne devons pas disperser les paroles ici et là, dire ce qui n’est utile ni aux autres, ni à nous-mêmes, ni à notre entourage, ou chercher à nous abriter derrière des belles paroles, des promesses, des justifications de soi ou la condamnation d’autrui.

Dans la sainte Écriture, il est dit : « Que votre parole soit toujours… assaisonnée de sel » (Col. 4,6). Il y a des mots que l’on peut comparer à une nourriture, fade, insipide, tandis que la parole peut être délicieuse, elle peut nourrir l’âme et le cœur de l’homme. Pour que notre parole soit substantielle, notre vie doit être substantielle. Et pour se délivrer des paroles vaines, nous devons emplir notre vie de sens et d’y aider les autres personnes.

Les composantes de la vie ne revêtent pas uniquement un caractère religieux. En parlant aux gens, nous ne devons pas nous limiter à prêcher, à être missionnaires. Nous pouvons parler aussi de thèmes de la vie de chaque jour, car notre vie ne consiste pas uniquement de prières, de la fréquentation des offices, mais en grande partie de toutes sortes de choses du quotidien. Cependant, même notre vie de tous les jours peut et doit être emplie du sentiment de la présence divine. Si nous nous souvenons que Dieu est près de nous, qu’Il ne voit pas seulement nos œuvres, mais entend ce que nous disons, nous aurons une attitude entièrement différente envers notre parole. En effet, nous ne prononçons pas de paroles vaines en la présence de personnes dont nous estimons fortement l’attention, ou de personnes haut-placées, au contraire, nous nous efforçons de ne rien dire de superflu, nous nous efforçons qu’ils entendent de nous que des paroles significatives. Mais comme nous oublions souvent que Dieu entend nos paroles et que nous donnerons une réponse pour chacune de nos paroles lors du Jugement redoutable…

Apprenons à vivre de telle façon que notre vie soit remplie d’un contenu spirituel et que les paroles que nous prononçons reflètent notre monde intérieur, afin que chacune de nos paroles aient un sens et une force, afin que par la parole nous transmettions aux autres des paroles divines, afin que chacun de nous, comme chrétien, soit l’organe du Saint Esprit. Demandons au Seigneur qu’Il emplisse notre vie par la présence dans la grâce de l’Esprit Saint, qui nous aidera à nous contrôler et à nous discipliner non seulement nos actions, mais aussi nos paroles. Amen.

MOSPAT


Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 7 Mars 2012 à 18:28 | 0 commentaire | Permalien



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