Le monastère Sainte-Elisabeth à Minsk : Les Soeurs ( partie II )
Un article de Constantin Matsan, traduit par Laurence Guillon
Revue FOMA
SITE du monastère Sainte-Elisabeth à Minsk
Tout fait maison

Ces fresques ont été faites par nos artisans… me racontait mère Hillaria, l’économe du monastère, dans l’église de l’icône de la Mère de Dieu toute puissante.
— Comment ça, les vôtres ? m’étonnai-je. Les fresques étaient vraiment d’une beauté inhabituelle, on sentait qu’elles étaient l’œuvre de professionnels.
— Par les ouvriers de nos ateliers de peinture murale…
Dans l’église suivante, se répète un dialogue semblable.
— L’iconostase est l’œuvre de nos artisans.
— C’est-à-dire de votre propre atelier ?

Le monastère Sainte-Elisabeth à Minsk : Les Soeurs ( partie II )
— Oui. Prêtez attention aux visages de la première iconostase de notre monastère. On peut voir de quelle façon rudimentaire, et même légère, ont été exécutées les icônes. Si on les compare ces premières œuvres avec les icônes qui se font maintenant à l’atelier, on voit combien s’est perfectionné le style de nos iconographes.
Il s’avère qu’à l’heure actuelle, au monastère, tout est « fait maison », absolument tout : il y a ici plus de vingt ateliers. Les énormes encensoirs pour tous les sanctuaires du couvent ont été fabriqués à la forge du monastère avec des métaux non ferreux. Les vêtements liturgiques des prêtres sont confectionnés à la fois par l’atelier de broderie au fil d’or et l’atelier de couture. On y coud aussi des vêtements pour les séculiers, élégants mais convenables pour aller à l’église. L’atelier de sculpture sur bois, celui de charpenterie et celui de dorure fabriquent des iconostases. Les noms des ateliers de céramique, de vannerie et de cierges parlent par eux-mêmes. Les chaises, les bancs, les tables, les tabourets sortent des ateliers de meubles.

A côté du portail du monastère, se dresse un café de bois à un étage, dont la forme rappelle un moulin. Je demande pour plaisanter : - Et ce palais, ce sont aussi vos artisans qui l’ont construit de leurs mains ?
On me répond très sérieusement :
- Bien sûr. C’est pour que les pèlerins puissent entrer et manger quelque chose…

La plupart des denrées de ce café sont aussi de la production locale. A côté, il y a un magasin. On y vend la viande du monastère, du lait, du lard etc. Bien que là, tout soit « fait maison », les sœurs disent que le sens de la création des ateliers, c’est d’aider les gens, et non de vivre en autarcie.
- Beaucoup de ceux qui travaillent dans les ateliers ne peuvent se trouver d’emploi dans la société moderne, nous expliquait sœur Ioanna. Quelques uns d’entre eux s’y trouvent en réhabilitation, après un long séjour en hôpital psychiatrique. C’est précisément pour favoriser l’adaptation sociale des gens qu’est apparue la Maison de l’amour du travail, un pavillon séparé, où s’est concentrée la part la plus importante des ateliers. Ce qui a ici servi d’exemple, c’est la Maison de l’amour du travail qu’avait fondée saint Jean de Cronstadt.

On a commencé avec des cassettes

Quelques pièces sous le toit, un plafond bas, des murs de bois, beaucoup d’ordinateurs, des chopes de métal pleines de café brûlant sur la table, dans le studio dédié au saint confesseur Jean le Guerrier règne une atmosphère de laboratoire créatif. La journée de travail commence à 10 heures, mais les collaborateurs arrivent à 9 heures, chaque matin commence avec l’acathiste à leur protecteur céleste. C’est ici que l’on produit des enregistrements, que l’on tourne des films documentaires et des films d’art, et qu’on a commencé récemment à faire des dessins animés.

— Nous allons essayer de faire des dessins animés pour enfants utiles à l’âme, explique l’un des collaborateurs.
— L’important est de ne pas en rajouter dans les bons sentiments, observai-je prudemment.
— C’est vrai. Quand nous avons discuté du scénario de notre premier film, à l’intérieur de notre collectif, quelqu’un a dit qu’il n’était peut-être même « pas assez édifiant ». Et grâce à Dieu !
La première production audio apparut au monastère Sainte-Elizabeth apparut encore à l’époque des cassettes. Cela se passa de cette manière. Depuis déjà de nombreuses années, ont lieu au couvent chaque semaine, des discussions entre le père Andreï Lemechonka et ses paroissiens.
On met des bancs dans l’antichambre de l’église, qui se transforme pratiquement en salle de conférence, avec tous les attributs indispensables de ce genre de manifestation populaire : les billets avec les questions, les invités en retard, qui n’ont pas eu le temps d’occuper les places assises, mais qui sont prêts à rester trois heures debout seulement pour écouter de quoi va parler aujourd’hui le père. C’est le père Andreï qui choisit le thème de la discussion. C’est un public d’habitués, et le père commence sans préambule :
— Comment un homme peut-il en comprendre un autre ? Ce n’est pas si simple…
On voit que les paroissiens prennent immédiatement le rythme.
— Et pourtant, dans l’église, on ne peut faire entrer qu’un nombre limité d'auditeurs, racontent les collaborateurs du studio du monastère. Et les sœurs avaient très envie de faire partager les sermons de leur père spirituel au maximum de gens. Elles décidèrent de les enregistrer sur cassettes, et d’ensuite les tirer et les distribuer.
Cette pratique s’est poursuivie jusqu’à nos jours. Mais maintenant, à la place des cassettes, ce sont des disques compacts, dans une belle pochette, et à la place d’un petit magnétophone audio, avec une fonction enregistrement, tout un studio. Et en plus des sermons ou des livres audio à contenu spirituel, on y fait la bande sonore des dessins animés, on y conçoit des radio-spectacles, on y a récemment enregistré le grand chœur du monastère. Sur son directeur, le célèbre chantre Irina Denissova (depuis 2009, la moniale Iouliana), par l’intermédiaire de ce même studio, on a tourné un film documentaire « la Moniale ». Ce film a été primé au festival cinématographique de Minsk « Listopad 2010 ».

Sans projet commercial

L’exemple du studio saint Jean le Guerrier est significatif. Dans le sens que ce studio est apparu de lui-même, au gré des circonstances. Personne ne s’est préoccupé de rédiger une conception ou un projet commercial, n’a cherché de sponsors, ni n’a étudié d’auditoire ciblé. « On ne peut simplement pas négliger la culture », ont décidé les sœurs. Elles ont commencé petit, elles sont allées loin. C’est selon ce modèle que se sont développées toutes les autres activités du monastère. Ce modèle est précisément celui-ci : « Il y a des choses qu’on ne peut pas éviter de faire ». Les moniales raisonnent de cette manière :
- Personne n’a planifié de créer une communauté orthodoxe pour les SDF, les ZEK et les alcooliques. Mais ces gens existent, et ils viennent ici nous demander du secours. Si Dieu les a amenés au seuil de l’église, comment pouvons-nous les chasser ? Donc, impossible de ne pas les aider.
- Personne n’a planifié que le métochion aurait une ferme. Mais nous avons eu de plus en plus de monde, la communauté grandissait. Alors impossible de ne pas leur proposer de travail. C’est comme cela que la ferme est apparue.
— Personne n’a planifié de monter des ateliers. Mais c’est un bon moyen de mettre au travail ceux qui n’ont pas voulu ou pas pu en trouver dans les firmes ou les compagnies séculières. Donc, impossible de ne pas créer des ateliers.
Et là, j’ai compris : le rythme de vie d’une moniale au monastère peut coïncider avec celui d’un collaborateur d’une firme quelconque : une grande responsabilité, beaucoup d’obligations, de nouveaux défis qui se présentent constamment… Mais cette ressemblance est seulement superficielle. Car ces deux styles de vie ont un contenu radicalement différent. Ce que j’ai vu, au monastère Sainte Elizabeth, m’a convaincu de ceci : si le manager d’une quelconque firme séculière travaille pour lui-même, les sœurs, qui vivent au même rythme, le font pour les autres. Et c'est seulement quand on commence à mettre, au lieu de soi-même, les autres à la première place, qu'on commence à comprendre: il y a des choses qu'on ne peut pas ne pas faire.

Photos Vladimir Echtokine

Rédigé par Laurence Guillon le 24 Février 2012 à 14:44 | -1 commentaire | Permalien



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