Le monastère de Solan : un greffon athonite sur le cep français (partie I)
Laurence Guillon

Orthodoxe depuis l’âge de dix-neuf ans, je fis la connaissance du père Placide Deseille il y a plus de vingt ans, dans le premier monastère qu’il avait fondé, Saint-Antoine-le-Grand, entre Valence et Grenoble, dans la massif montagneux du Vercors. J’étais entrée initialement dans une paroisse du Patriarcat de Moscou, mais, me trouvant fort isolée dans une région éloignée de tous centres russes, je m’étais adressée au père Placide pour savoir si mon profond désir de retourner en Russie relevait de l’exaltation, ou s’il répondait à la volonté de Dieu. Une fois en Russie, où je vécus seize ans, je fis quelques petites incursions au monastère de Solan, que le père Placide venait de fonder, et qui était plus près de la maison de ma mère, en France. Mais je ne donnai pas suite, car j’étais parfaitement intégrée en Russie et pensais y rester toute ma vie.

Mais voici que l’état de santé de ma mère m’obligea à revenir en France et, à nouveau très isolée, je me dirigeai tout naturellement vers le monastère de Solan, à une quarantaine de kilomètres de chez moi. Dès mes premières visites, je sentis que cet endroit serait la source de lumière de ma nouvelle vie, dans un pays et un environnement terriblement déchristianisé, où l’orthodoxie minoritaire fait son chemin discret.

Le monastère de Solan : un greffon athonite sur le cep français (partie I)
Le « mas » sur la villa romaine

Le monastère de Solan, consacré à la Protection de la Mère de Dieu, est situé dans le sud de la France, dans des régions que se disputaient catholiques et huguenots, non loin de la belle ville d’Uzès, dans le département du Gard. Le paysage alentour, à la fois austère et lumineux, a gardé quelque chose de médiéval : des bois, des vergers, des vignes, de vieux villages perchés sur les collines.

La bâtisse du monastère, restaurée par les moniales elles-mêmes, est ce qu’on appelle, dans le midi, un mas : une grosse ferme de pierre blonde, avec de nombreuses dépendances, probablement installée sur l’emplacement d’une villa romaine qui lui aurait laissé son nom, à moins que celui-ci ne dérive du mot « soleil ». Certaines parties sont du XII° siècle, d’autres ont été construites entre le XV° et le XIX° siècle, ce qui est le cas de beaucoup de fermes du midi. Actuellement, le mas, dont l’architecture traditionnelle a été respectée, a une allure très monastique. La construction d’une église est encore à l’état de projet. L’église actuelle a été ménagée dans une pièce voûtée à l’intérieur des bâtiments. Elle est en général bondée de fidèles français, hollandais ou belges, résidant dans les environs, ou beaucoup plus loin. L’endroit est d’une sobre et lumineuse beauté : la cour, avec ses néfliers, ses fleurs méridionales et ses nombreux chats, les pièces simplement enduites de chaux teintée, les plafonds de bois à l’ancienne, les sols dallés.

Solan compte actuellement une quinzaine de sœurs de différentes nationalités.
L’higoumène, mère Hypandia, est chypriote, ainsi que sœur Lazaria. Il y a aussi une sœur brésilienne, une sœur portugaise et une sœur estonienne. Les moniales passent généralement un peu de temps avec les fidèles après la liturgie du dimanche, pendant que du café et du thé sont servis dans la pièce d’accueil, avec des gâteaux fabriqués par les paroissiennes. Ceux qui le souhaitent partagent ensuite le repas monastique, en silence. Les sœurs fabriquent du vin, des confitures, et divers produits, elles ont une librairie avec un grand choix de livres spirituels et d’objets religieux. Le père Placide se déplace entre ses deux monastères, c’est lui qui confesse, à la demande, sur rendez-vous, il tient également régulièrement des synaxes sur des sujets spirituels divers.

J’ai été immédiatement conquise par la sérénité et la bonté des moniales, et en particulier de leur higoumène. Leur présence, leur attention, leur rayonnement sont devenus pour moi ce que peut être un phare pour un marin breton perdu dans la brume.

L’orientation des métochia athonites : la greffe réussie de la tradition méditerranéenne antique sur une souche à qui elle fut autrefois naturelle.

La liturgie au monastère de Solan, comme à Saint-Antoine-le-Grand, suit le rite grec, mais les offices sont entièrement en langue française. Cependant, la traduction des textes, et l’harmonisation avec les motifs traditionnels byzantins ont été faites de façon si rigoureuse, que le résultat est parfaitement organique. Pour moi, qui avait été « élevée » dans l’Eglise russe, et habituée au slavon, ce fut au départ une expérience étrange. D’abord, j’ai été en quelque sorte dépaysée, car je me trouvais dans l’orbite grecque et non plus dans l’orbite russe, qui m’était si chère. La parfaite harmonisation de la langue française et du chant byzantin me donna d’abord l’impression que je comprenais couramment le grec. Puis je me rendis compte qu’en fait, plus simplement, je comprenais tout. Les textes en slavon, naturellement, je les comprenais encore moins que les Russes. Je comprenais les prières courantes, pas plus, je comprenais plus ou moins bien selon la diction du prêtre. Et là, j’étais comme un myope qui met sa première paire de lunettes et découvre le monde.

Ma deuxième impression fut de ne pas être, en fin de compte, dépaysée du tout, et même rapatriée. J’étais d’abord au magnifique pays de l’orthodoxie, qui m’était familier, mais j’y retrouvais la France qui m’entourait, ce paysage ascétique, lumineux et doré, son moyen-âge oublié et trahi, sa civilisation paysanne et chrétienne anéantie. La Bible est imprégnée d’images tirée du quotidien des vignerons, des éleveurs, des cultivateurs, des bergers qui peuplèrent le bassin méditerranéen et y vécurent sensiblement de la même manière pendant dix mille ans, jusqu’à ce que les diverses révolutions des deux derniers siècles vinssent proclamer la mort de Dieu et entamer l’extermination systématique ou le déracinement de ceux qui vivaient sur leur terroir et autour de leurs églises, comme leurs ancêtres, avec leur foi et leur culture locales.

Je discernai une profonde parenté non seulement spirituelle mais charnelle et cosmique entre la France méridionale, où j’avais grandi, et l’héritage grec que lui rendait le mont Athos et ses métochia.

Ce qui explique sans doute le rayonnement qu’ils ont manifestement sur les populations alentour. Car lorsque je suis allée dans des monastères de juridiction russe placés dans la France profonde, je ne les sentais pas aussi intégrés. Ils attiraient quelques Français mais surtout des Russes, des Serbes, des gens auxquels le slavon était familier et qui cherchaient un endroit où retrouver quelque chose de la mère patrie.

Il est vrai que les paroisses d’obédience russe ont attiré des Français sans l’avoir voulu, étant destinées tout d’abord aux émigrés, mais la démarche des trois moines français venus de l’Athos et qui avaient fait leur propre retour aux sources, était délibérément de rendre à la France son héritage des premiers siècles du christianisme, en rentrant dans la communion des grands patriarcats orthodoxes.

Ayant personnellement épousé la Russie en même temps que l’orthodoxie, je n’avais pas effectué, au départ, une telle démarche.
Au contraire, j’ai subi toute ma vie une russification de plus en plus profonde, ponctuée de tentatives plus ou moins prolongées de m’adapter à l’occident où je résidais, pendant lesquelles je prenais momentanément mes distances avec l’Eglise. Encore actuellement, je prie chez moi en slavon, du moins en ce qui concerne les prières du matin et du soir. Je fais en revanche la préparation à la communion en français, autrement, je lis ces longues prières sans en comprendre la moitié. Cependant, ayant vécu en Russie pendant longtemps, j’avais déjà commencé à retrouver mes racines françaises à l’intérieur de l’orthodoxie, l’orthodoxie russe étant à mon avis beaucoup plus proche de la France ancestrale dont je suis issue que la France et le catholicisme actuels, sans parler du protestantisme......
Suite!

Rédigé par Laurence Guillon le 16 Janvier 2012 à 07:00 | 4 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Caroline le 18/01/2012 21:12
Merci Laurence!!!! On ne sait pas vraiment ce que c’est, on aimerait bien savoir....notre cœur s’affole, on se demande ce que c’est, on se demande pourquoi ça nous envahit comme ça, ça brûle, ça nous brûle au plus profond de nous, ça brûle nos ailes, ça brûle notre âme....Nostalgie?

2.Posté par Laurence Guillon le 28/01/2012 00:23
Sans doute. En ce qui me concerne, j'ai toujours été profondément nostalgique et derrière toutes mes nostalgies se cache sans doute celle de l'absolu, celle du Royaume à venir. Il n'est pourtant pas simple de quitter la terre...

3.Posté par Association Les Amis de Solan -Solan menacé de très près le 03/12/2012 20:25
Personne ne semble prêter l'attention voulue au post que j'ai transmis sur la page de "Thomas".

Le monastère de Solan, projet impulsé grâce à l'aide de Pierre Rabhi est en danger.

Si vous souhaitez qu'il puisse poursuivre le développement et la diffusion de ses pratiques agroécologiques, merci d'envoyer le message de soutien ci-dessous :http://www.monasteredesolan.com/association.php?cat=20.%20L_action%20de%20l_association

A l'attention du Commissaire enquêteur, Monsieur Jean-Louis Blanc
Ou par courrier

postal avant le 3 décembre à l'adresse suivante :

Monsieur le Commissaire Enquêteur

Mairie, 30330 Saint Laurent la Vernède


Monsieur le Commissaire Enquêteur

Moi, XXXXXXX..résidant à XXXXXXXXX

Donne un avis défavorable au projet de carrière et de traitement de matériaux (ICPE 2510-1, 2515-1, 2517-1) par la Société Guintoli sur la commune de Saint-Laurent La Vernède (30).

En effet, si elle voit le jour, cette carrière sera située à seulement 1,6 kms du domaine du Monastère de Solan, site agroécologique majeur (classé Natura 2000), où l'expérience de conjuguer pratique agricole et écologie se poursuit avec succès ; elle nuira de fait inévitablement au très large rayonnement des pratiques agroécologiques qui y sont développées depuis 20 ans, affectant ainsi une initiative contribuant au bien commun.

Je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le Comissaire Enquêteur, l'expression de ma haute considération.

Je connais bien l'endroit où l'on compte créer cette carrière. Quand ma mère était moins malade, j'allais y pique-niquer avec mon chien après les liturgies. C'est un endroit magique, miraculeusement préservé, d'une beauté prenante et mystique. Le village de Saint-Laurent-la-Vernède, celui de la Bastide d'Engras, les champs d'arbres fruitiers, les vignes, tout cela compose un tableau qui rappelle les enluminures du moyen-âge, les tableaux des primitifs italiens. Le silence est riche de sons harmonieux, de la prière instamment chuchotée des arbres au vent qui passe, du chant des oiseaux. L'air est plein de perfums, de l'encens naturel qu'exhalent les pins, les fleurs, les plantes aromatiques méridionales. Tout autour du monastère se déroule la liturgie permanente d'une nature et d'un paysage agricole archaïques encore préservés, et c'est là que Satan décide de frapper fort, par l'entremise de la société Guintoli, qui se fiche éperdument de tout cela et a dû trouver un gros crétin local pour lui signer une autorisation. Cela signifie qu'outre cette navrante profanation d'un endroit magnifique à deux pas du monastère, des camions feront sans cesse la noria sur les routes avoisinantes, détruisant la sérénité de ce cœur battant de l'orthodoxie française. Parallèlement, c'est tout le midi de la France, le midi de Van-Gogh et de Cézanne, qui est sous la menace de l'exploitation du gaz de schiste, c'est-à-dire que tous ces malfaisants, au lieu de comprendre enfin le mal qu'ils font à la planète, cherchent à piller et ravager toujours plus avec la complicité de fonctionnaires et d'élus de toutes couleurs qui ne sont entre leurs mains que de ridicules marionnettes. La pétition n'arrêtera sans doute pas ces brutes cupides, mais "aide-toi, le Ciel t'aidera" et pour le reste prions... Que pouvons-nous faire d'autre?

4.Posté par Le monastère de Solan, un bijou de biodiversité dans la tradition orthodoxe le 20/06/2013 09:35
Pierre Rabhi, agriculteur, philosophe et essayiste, a inspiré des initiatives d’agroécologie, que « La Croix » a visitées. Comme le monastère de Solan dans le Gard.
Mère Hypandia, 41 ans, higoumène du monastère orthodoxe de Solan qui compte dix-sept sœurs, invite le visiteur au jardin. La tisane au thym et les pâtes de fruits sans arômes chimiques viendront délicieusement agrémenter ce moment de paix partagée. C’est en 1992 que l’aventure des religieuses a ici commencé. Les toutes premières venaient d’un monastère implanté dans le Vercors et devenu trop exigu pour une communauté qui grandissait. Mère Hypandia, de nationalité chypriote, allait alors entrer l’année d’après comme novice, puis faire ses vœux en 1996.

Aujourd’hui, en tant que supérieure, elle raconte : « Faute de trouver une ancienne abbaye qui aurait pu nous convenir, de taille suffisante mais pas trop grande, avec un minimum d’un hectare pour notre consommation, nous avons jeté notre dévolu sur ce domaine : alors une simple ferme à retaper, mais entourée de 60 hectares ! » Pour cette poignée de femmes, toutes d’origine citadine et qui n’avaient d’expérience agricole que l’entretien de leur potager, l’aventure allait s’avérer truffée d’embûches. SUITE "LA CROIX"

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