Le patriarche d’Antioche Jean X considère qu’il est irraisonnable de mettre fin au schisme ukrainien au prix de l’unité du monde orthodoxe

Les événements en Ukraine provoquent l’inquiétude non pas seulement en raison de la désunion qu’ils provoquent dans le monde orthodoxe, mais aussi parce que, dans cette situation, il n’a pas été prêté attention à l’opinion des Églises orthodoxes locales.

Lire: Le métropolite de Varsovie Sava, primat de l’Église orthodoxe de Pologne rejette la demande du patriarche de Bartholomée de reconnaître la nouvelle « Église autocéphale d’Ukraine »

C’est ce qu’a déclaré le patriarche d’Antioche Jean X en réponse à la lettre du patriarche de Constantinople Bartholomée dans laquelle celui-ci annonçait son intention d’octroyer l’autocéphalie à « l’Église orthodoxe d’Ukraine ».

« Nous souhaitons voir l’unité du monde orthodoxe renforcée et consolidée. Il ressort de votre lettre que vous avez décidé de continuer le processus d’octroi de l’autocéphalie… Aussi, nous vous appelons à ne prendre aucune décision sans consensus des Églises orthodoxes autocéphales.

Car il est irraisonnable de cesser un schisme au prix de l’unité du monde orthodoxe » a fait remarquer le Primat de l’Église orthodoxe d’Antioche. Celui a exprimé la certitude que « le plus utile pour la paix dans l’Église, son unité et pour le témoignage orthodoxe commun dans notre monde aujourd’hui, est de suspendre et de reporter ce processus, tant que le problème ukrainien ne sera pas examiné et tant qu’une solution panorthodoxe ne sera pas trouvée ».

« Aussi, nous implorons votre Toute-Sainteté d’appeler votre frères les Primats des Églises orthodoxes à examiner ces questions pour protéger notre Église des dangers qui n’apporteront pas la paix et la concorde, ni en Ukraine, ni dans le monde orthodoxe », a poursuivi le patriarche Jean.

« Notre amour envers notre Église orthodoxe et Votre Toute-sainteté bien-aimée nous incite à vous écrire ces paroles dans l’espoir de voir le monde orthodoxe uni, portant témoignage de la Vérité de notre Seigneur Jésus, incarné pour le salut du monde », a souligné le primat de l’Église orthodoxe d’Antioche.

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 9 Janvier 2019 à 09:20 | 9 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Guillaume le 09/01/2019 11:02
Un Schisme pour guérir d'un schisme. voilà la médication du phanar.

2.Posté par Lucienne le 30/01/2019 14:55
Nous avons appris le comportement de Constantinople, qui est inesthétique, qui n'est pas digne d'un authentique patriarcat. Nous, les orthodoxes, nous souffrons, et appelons le ciel à l'aide. J'aimerais quand même dire que je suis profondément déçue de la plupart des patriarcats, mis à part, les russe, les serbes, Antioche, la Pologne, car ils ne prennent pas position. Ils ne nous montrent pas de quel côté ils se situent, et de ça l'orthodoxie en aurait bien besoin.
Alors, où est votre courage, messieurs les évêques, patriarches, métropolites, si vous vous cachez peureusement sans oser montrer montrer le juste, le vrai, le droit ? C'est de cela dont on a besoin. Où est votre force? Car si vous la tiriez de Jésus cela se verrait. Mais il ne reste que votre silence frileux. Nous attendons, nous les fidèles, des pères forts et courageux. Nous attendons de voir rejaillir la face de Dieu sur cette terre. Parce que de ce Dieu, nous en avons bien besoin. Alors je vous demande : par le Dieu qui est toute force, tout courage, toute vérité et tout amour, que s'ouvrent vos lèvres pour soutenir les orthodoxes qui souffrent.

3.Posté par justine le 31/01/2019 17:27
Au post 2: Entièrement d'accord avec Lucienne. En attendant, n'hésitons pas, nous les simples fidèles, avec foi et courage de continuer à crier, conformément à ce que disait le Seigneur: "Si ceux-là se taisent, les pierres crieront" (Lc 19,41). Ces pierres, c'est nous, les pierres vivantes de
l'édifice de l'Eglise, comme dit l'apôtre Pierre (2 Pierre 2,5).

4.Posté par Vladimir G: FORTE IDENTIFICATION NATIONALE le 31/01/2019 18:26
LA CRISE DE L’ORTHODOXIE UKRAINIENNE MET EN LUMIÈRE L'IMPORTANCE POLITIQUE DU CHRISTIANISME ORTHODOXE.

«Le schisme en Ukraine n’est pas le fait des Orthodoxes. C’est un acte politique sous couverture religieuse».
Patriarche d’Antioche Jean X, 7 janvier 2019
https://mospat.ru/en/2019/01/22/news169316/

PARTIE 1 : LA SOCIOLOGIE DES ORTHODOXES ET SES ORIGINES HISTORIQUES EN UKRAINE

FORTE IDENTIFICATION NATIONALE

Le groupe de recherche américain The Pew Research Center (1) a mené en 2015-2016 une enquête sociologique sur les liens entre appartenance religieuse et culture nationale dans 18 pays d'Europe de l'Est, du Caucase sud et des Balkans (2). En particulier, cette étude montre la place prépondérante de l'Orthodoxie en Ukraine. "Près de huit adultes sur dix (78%) s'identifient comme orthodoxes en Ukraine contre 71% en Russie," écrit David Masci spécialiste des relations état-église chez Pew, en soulignant que "cela représente 39% de plus qu’en 1991 - l'année de l'effondrement de l'Union soviétique officiellement athée et de l'indépendance de l'Ukraine. Avec près de 35 millions d’orthodoxes, l'Ukraine est donc la troisième population orthodoxe du monde, après la Russie et l'Éthiopie," (soulignons que l'Éthiopie ne faisant pas partie de la communion orthodoxe, l'Ukraine se trouve en fait en deuxième position…)

"L’Orthodoxie est clairement reliée à la vie nationale et politique de l’Ukraine, continue l'expert. Près de la moitié des Ukrainiens (51%) estiment qu'il faut être orthodoxe pour être vraiment ukrainien. En Russie aussi, 57% des personnes interrogées affirment qu’être orthodoxe est important pour être vraiment russe... Dans les deux pays, environ la moitié (48%) déclarent que les leaders religieux ont une influence en matière politique, bien que la plupart des Ukrainiens (61%) et environ la moitié des Russes (52%) préféreraient que ce ne soit pas le cas…" (3) Notons aussi que et 46% des Orthodoxes d’Ukraine "ont déclaré faire confiance aux primats de l'église nationale ukrainienne (soit le pseudo-patriarche de Kiev, soit le métropolite de Kiev et de toute l'Ukraine rattaché à Moscou) en tant qu'autorité suprême de l'Orthodoxie," écrit l'expert. Seulement 17% considéraient alors le patriarche de Moscou Cyrille comme leur chef spirituel (alors qu’il est commémoré dans les paroisses de l’église canonique) et une proportion encore plus réduite (7%) affirmaient se tourner vers le patriarche de Constantinople Bartholomée, effectivement sans aucune position canonique en Ukraine à l’époque (ibid. Il est probable que sa position serait différente maintenant.)

Mais il faut aussi regarder les différences régionales que l'étude met en évidence. La carte montre la division du pays en distinguant les provinces de l'est et du sud, où le patriarche de Moscou et la métropole de Kiev qui en dépend obtiennent plus de soutien que le pseudo-patriarcat de Kiev, contrairement aux chiffes moyens, et ce sans compter les provinces sécessionnistes et la Crimée…

À suivre

5.Posté par Vladimir G: LA CRISE DE L’ORTHODOXIE UKRAINIENNE (suite de 4) le 01/02/2019 12:06
LA CRISE DE L’ORTHODOXIE UKRAINIENNE MET EN LUMIÈRE L'IMPORTANCE POLITIQUE DU CHRISTIANISME ORTHODOXE.

(suite de 4)

LES VICISSITUDES HISTORIQUES DE LA METROPOLE DE KIEV

Ces différences résultent bien entendu de l'histoire dramatique de la métropole de Kiev. Elle fut fondée après le baptême de la Russie kiévienne (988) et occupait la 60e place dans les dyptiques du patriarcat de Constantinople. Après la conquête tatare (XIIIe siècle) le métropolite suivit le Grand Prince à Vladimir (1354), puis à Moscou, devenue capitale du principal état russe, tout en gardant le titre de "métropolite de Kiev et de toute la Russie" jusqu'à l'obtention du titre de "patriarche de toute les Russies" en 1589.

Entre temps, les princes lituano-polonais annexèrent le territoire dès le XIVe siècle (prise de Kiev en 1361) et la métropole de Kiev, autonome de fait, se rattacha à Constantinople en 1458 malgré les protestations du métropolite et du Grand prince de Moscou. Elle fut quasiment annihilée en 1596, quand la majorité du clergé passa dans l'Église catholique-uniate à la suite de l'Union de Brest-Litovsk (c'est l'origine de l'actuelle Église gréco-catholique d'Ukraine). Les croyants étaient restés majoritairement fidèles à l'Orthodoxie, en particulier dans les territoires contrôlés par la cosaques Zaporogues (voir carte historique), et la métropole de Kiev se rétablit à partir de 1632 avec la nomination du métropolite orthodoxe de Kiev Pierre Moghila par le patriarche de Constantinople. La défense de l'Orthodoxie fut l'une des causes de la révolte des cosaques sous la conduite de Bogdan Khmelnitski (il est considéré comme un héros en Russie et un traitre en Ukraine…) Après six ans de résistance à une féroce répression par l'armée polonaise, les cosaques demandèrent l'assistance de la Russie et signèrent le traité de Periaslavl (1654) par lequel Khmelnitski et les anciens des Cosaques juraient fidélité au tsar de Moscou. Ce traité ne parlait pas du statut de l'Eglise, mentionnant simplement la garantie des droits immobiliers du clergé, et le métropolite titulaire de Kiev refusa de reconnaître l'autorité du patriarche de Moscou en revendiquant l'obédience canonique de Constantinople. Un nouveau traité fut signé en 1659 et là il était spécifié que "le Métropolite de Kiev et tout le clergé de la "Petite Russie" seront sous la bénédiction du patriarche de Moscou" alors même que les cosaques ne contrôlaient que les deux diocèses bordant le Dniepr (Kiev et Tchernigov/Chernigov), les 5 autres diocèses ukrainiens, plus à l'ouest, restant sous le contrôle de la Pologne qui était toujours en guerre avec la Russie. Ce n'est qu'après de nombreuses péripéties que le tomos rattachant la métropole de Kiev au patriarcat de Moscou fut promulgué en 1686… (4)

L'autonomie des cosaques fut progressivement réduite puis supprimée par Catherine II (1775) et les territoires de la "Petite Russie", complétés par le reste des territoires orthodoxes après les partages de la Pologne en 1795 (sauf la Ruthénie subcarpathique et la Galicie attribuées à l'Autriche-Hongrie), furent divisés en plusieurs gouvernorat intégrés à l'empire russe. La métropole de Kiev perdit de son importance après la suppression du patriarcat de Moscou par Pierre le Grand, les diocèses de la rive gauche furent directement rattachés au synode, les spécificités ukrainiennes furent progressivement nivelées et la métropole, devenue archevêché, de Kiev, fut un diocèse de l'Eglise russe parmi d'autres jusqu'après la révolution.

Les nouveaux diocèses crées dans les steppes de l'est après le démantèlement du Khanat de Crimée aux XVIII-XIXe siècles (dans les gouvernorat de Kharkov, Ekaterinoslav, Kherson et Tavria qui formèrent la "Nouvelle Russie") furent rattachés au synode… C'est toutefois l'archevêque de Kiev Vladimir qui fut le premier néomartyr de l'Eglise russe en 1917.

Le patriarcat fut rétabli par le concile de Moscou de 1917-18 et la métropole de Kiev retrouva son statut dans les limites de la république socialiste soviétique d’Ukraine, mais toute l'Église subit en URSS les féroces persécutions bolchéviques. Toutefois, la partie occidentale de l'Ukraine actuelle, où se situent deux diocèses orthodoxes, fut attribuée à la Pologne par le traité de Versailles (1919) et ces diocèses s'érigèrent en "Église Orthodoxe autocéphale d'Ukraine (UAOC)" (1921). Lorsque ces territoires furent annexés par l'URSS, en 1945, les hiérarques de l'UAOC s'exilèrent (principalement en Amérique du nord), ses paroisses et celles de l'Eglise gréco-catholique furent absorbées de force par l'Eglise russe qui subissait les persécutions staliniennes. Il y avait alors plus de paroisses en Ukraine qu'en Russie même où elles avaient été victimes des premières années du bolchévisme… Cette situation perdura jusqu'à l'effondrement de l'URSS et la proclamation de l'indépendance ukrainienne en décembre 1991.

À SUIVRE :

Nous verrons dans la deuxième partie de cet article la situation socio-culturelles actuelle et ses implications tant religieuses que géopolitiques.

À suivre
SOURCES ET RÉFÉRENCES :

(3) http://www.pewresearch.org/fact-tank/2019/01/14/split-between-ukrainian-russian-churches-shows-political-importance-of-orthodox-christianity/
(4) https://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/EGLISE-RUSSE-LA-REUNION-DU-SIEGE-METROPOLITAIN-DE-KIEV_a5433.html

6.Posté par Vladimir G: 1 ÉTAT, 2 LANGUES, 3 ÉGLISES (suite de 5) le 02/02/2019 18:35
LA CRISE DE L’ORTHODOXIE UKRAINIENNE MET EN LUMIÈRE L'IMPORTANCE POLITIQUE DU CHRISTIANISME ORTHODOXE.

PARTIE 2 :

"L’émancipation de l’Ukraine a privé la Russie de sa mission la plus symbolique, d’une vocation confinant au droit divin : son rôle de champion de l’identité panslave."
Zbigniew Brzezinski, "le Grand Échiquier" (1997)

1 ÉTAT, 2 LANGUES, 3 ÉGLISES

Le résultat de cette histoire chahuté donne un territoire partagé en 3 zones culturellement différenciées, y compris du point de vue religieux, comme le dessine le taux d'abstention au premier tour de l'élection présidentielle (1).

• LES PROVINCES LES PLUS OCCIDENTALES n’ont rejoint l’Ukraine politique qu’en 1945, après avoir appartenu à la Pologne entre les deux guerres, voire à l'empire austro-hongrois auparavant pour Galicie et Ruthénie subcarpatique). Elles intégrèrent l'URSS sous la terreur stalinienne la plus féroce, qui traquait les opposants accusés de "collaboration avec l'Occupant" (l’Armée insurrectionnelle ukrainienne, UPA, de Stepan Bandera y a maintenu des maquis jusqu'au milieu des années 1950.) Les anciens y parlent avec nostalgie de la période précédente, le russe n'y est pas parlé et l'ukrainien local, largement repris dans les média nationaux, diffère de la langue classique par quelques idiotismes particuliers et nombre de mots et expressions empruntés au polonais.

Ces provinces sont le bastion de l'Église gréco-catholique, qui s'était largement développée dans l'empire austro-hongrois puis en Pologne qui se sont réimplantées après 1991 en reprenant, parfois de force, les lieux de culte utilisés par l'Église Orthodoxe d'Ukraine dépendant de Moscou. ne représentant que 10% au niveau national, cette confession est essentiellement concentrée ici. Ces régions n’ont de fait connu la métropole de Kiev que comme une organisation imposée par la violence stalinienne, qui avait englobé de force aussi bien l’Église l'UOAC que l’Église gréco-catholique; il n'est donc pas étonnant qu'elle n'y soit actuellement en position de force…

• L'UKRAINE CENTRALE autour de Kiev est la partie la plus peuplée et la plus convoitée. Creuset historique de la nation ukrainienne qui avait choisi la Russie contre la Pologne au XVIIe siècle, elle porte en fait un trilinguisme: c'est son parler local qui a servit de base à l'ukrainien littéraire formatté au XIXe siècle par des intellectuels locaux (un peu comme notre Félibrige pour le provençal,) mais tout le monde y parle aussi le russe et le "sourgik", mélange des deux langues … Nous avons toutefois personnellement constaté le recul du russe au profit de l'ukrainien dans les lieux publics depuis 1990. Cette région fut le véritable foyer du nationalisme ukrainien dans l'empire russe avant la révolution, le cœur des éphémères républiques ukrainiennes en 1917-1920 et l'état soviétique priva Kiev de son statut de capitale, lui préférant l'ouvrière et russophile Kharkov jusqu'en 1934.

L'Église russe y fut traditionnellement en position de force, mais c'est dans cette région que le schisme du pseudo-patriarche Philarète, qui fut métropolite de Kiev dans le patriarcat de Moscou jusqu'en 1992, lui prit le plus grand nombre de ses paroisses. Il lui en reste néanmoins deux plus qu'au pseudo-patriarcat de Kiev.

• LES PROVINCES SUD ET EST ne faisaient partie ni de la "petite Russie", qui regroupait les gouvernorats recouvrant l'Ukraine centrale actuelle, ni de la métropole de Kiev, qui en regroupait les diocèses. Conquises sur le khanat de Crimée au XVIII-XIXe siècle, elles furent développées par l'empire comme "Nouvelle Russie". Les russes y fondèrent les principales villes industrielles (Kharkov, Donetsk, Lougansk, Odessa…), qui furent peuplées essentiellement d'ouvriers russes venues pour y développer les industries. Les campagnes furent peuplées par des paysans ukrainiens et russes, mais aussi serbes et hongrois fuyant le joug russe. Les langues y sont donc très mêlées, le russe dominant clairement en ville, "sourgik", largement répandu, et ukrainien étant limités aux campagnes. Cette situation explique la révolte de 2014 contre les autorités de Kiev qui tentèrent d'imposer une ukrainisation forcée en interdisant l'usage du russe. Il faut toutefois constater que les rebelles ne contrôlent concrètement qu'une partie réduite du territoire ukrainien.

L'Église Orthodoxe Ukrainienne (EOU), qui jouit d'une très large autonomie dans l'Église russe, a gardé là une position largement dominante en nombre de paroisses; elle est quasiment seule dans les zones rebelles. Ses fidèles sont en généralement favorables au rapprochement avec la Russie et méfiant vis-à-vis de l'Occident: leur appartenance à l'EOU traduit aussi cette orientation culturelle.


7.Posté par Vladimir G: LE GRAND JEU ANTI-ORTHODOXE. le 04/02/2019 10:47
LA CRISE DE L’ORTHODOXIE UKRAINIENNE MET EN LUMIÈRE L'IMPORTANCE POLITIQUE DU CHRISTIANISME ORTHODOXE. (Suite de 6)

LE GRAND JEU ANTI-ORTHODOXE.

EN UKRAINE la scission orthodoxe risque d'accentuer les divisions: le "concile d'unification" du 15 décembre 2018 n'a réuni que 50 évêques environ (sur plus de 130 évêques ukrainiens) du pseudo-patriarcat de Kiev et de l'UOAC. Qualifiée d'autocéphale, la "nouvelle Église unifiée" est de fait étroitement contrôlée par Constantinople (l'EOU est clairement moins dépendante de Moscou), ce qui la soumet évidement à l'Occident sur lequel Constantinople aligne ses positions. Elle regroupe environ 6 000 paroisses, soit 1/3 des paroisses orthodoxes du pays, principalement dans l'est, où elle est clairement appuyée par la majorité des laïcs, les autorités et l'Église gréco-catholique. Une centaine de paroisses de l'EOU l'ont rejointe dernièrement, essentiellement à l'est du pays (cf. carte qui souligne à nouveau la partition de l'Ukraine…). Généralement, cela s'est fait avec l'intervention de personnes extérieures aux paroisses concernées, qui se sont emparées des églises, et cela a souvent provoqué la création de nouvelles paroisses de l'EOU par les paroissiens évincés, alors qu'ailleurs les paroissiens mobilisés ont bloqué l'accès à leur église aux éléments extérieurs. Cela génère bien évidement des tensions, surtout à l'est et au sud du pays où l'EOU reste largement prépondérante (plusieurs assemblées diocésaines l'ont récemment confirmé) …

POUR L'ORTHODOXIE il s'git probablement d'un schisme unique dans l'histoire du 1ème millénaire. Même si aucune de 13 autres Églises n'a pris officiellement position sur la fondation de la "nouvelle Église unifiée" en Ukraine et la rupture de communion entre Moscou et Constantinople qui s'en est suivie, on voit se dessiner deux groupes:
- d'une part ceux qui désapprouvent Constantinople, comme le patriarche d'Antioche cité en exergue, les Églises serbe, polonaise, monténégrine et tchécoslovaque, qui dénoncent l’immixtion politique de l’État ukrainien dans les affaires ecclésiales, et L'Église orthodoxe en Amériques (OCA), qui demande la réunion d'urgence d'un concile pan-orthodoxe..
- d'autre part ceux qui sont prêts à reconnaitre la "nouvelle Église unifiée" d'Ukraine en s'alignant derrière Constantinople (les média ukrainien citent l'Église de Grèce et le patriarcat de Jérusalem…).

La récente réception solennelle donnée à Moscou pour le 10e anniversaire du Concile local de l'Église russe et de l'intronisation du patriarche Cyrille, dessine en creux la scission de l'Orthodoxie: étaient présentes les délégations d'Antioche, de Serbie des terres Tchèques et de Slovaquie, représentées par leur primats, ainsi que celles d'Alexandrie, Géorgie, Roumaine, Bulgarie, Pologne et de l'Eglise orthodoxe en Amérique (OCA). Constantinople, Jérusalem, Chypre, Grèce et Albanie n'étaient pas représentées… (2)

Quelques théologiens refusent l'analyse géopolitique et prônent le retour à un débat ecclésiologique: «il est très réducteur de parler de bipolarisation Moscou-Constantinople. La question centrale n’est pas géopolitique mais canonique. À l’exception de Constantinople, toutes les Églises considèrent que l’attribution de l’autocéphalie doit passer par un consensus panorthodoxe, qui laisse à chaque Église la liberté de s’exprimer» analyse le théologien orthodoxe français Jivko Panev (3). Mais il semble, malheureusement, que cette question ecclésiologique échappe aux considérations théologiques… En tous les cas, l'essentiel de l'action des Églises orthodoxes va se trouver polarisée sur cette question pour de longs mois, comme le montre aussi la crise ouverte dans l’Archevêché des églises orthodoxes russes en Europe occidentale (3). Cela va clairement affaiblir la position de l'Orthodoxie qui ne sera plus en mesure de parler d'une seule voix.

ENCERCLEMENT DE LA RUSSIE ET AFFAIBLISSEMENT DE LORTHODOXIE : Zbigniew Brzezinski, influent conseiller des présidents américains depuis Carter, décrit dans son livre "le Grand Échiquier" (1997, repris dans "Le Vrai Choix, 2004) comment éroder l’influence historique de la Russie dans sa périphérie postsoviétique et donne à l’Ukraine un rôle clé: aucune restauration impériale n’est possible pour la Russie sans elle: c’est la technique du « roll back », le refoulement de la Russie vers l’Asie. La citation que nous donnons en exergue le souligne et se trouve confirmée dans le sondage de Pew étudié dans la première partie: l'Ukraine constitue maintenant une exception parmi les pays orthodoxes concernant le rôle de la Russie comme "protecteur des Orthodoxes hors de ses frontières". Cette opinion se trouve partagée à plus de 50% par tous les autres pays orthodoxes, y compris la Grèce, alors qu'elle n'est en moyenne qu'à 22% en Ukraine… Notons toutefois que, là encore, la différenciation régionale est flagrante puisque ce taux atteint 54% dans les provinces est et sud! (4) La citation que nous donnons en exergue de cette partie 2 le souligne et se trouve confirmée dans le sondage de Pew étudié dans la première partie: l'Ukraine constitue maintenant une exception parmi les pays orthodoxes concernant le rôle de la Russie comme "protecteur des Orthodoxes hors de ses frontières". Cette opinion se trouve partagée à plus de 50% par tous les autres pays orthodoxes, y compris la Grèce, alors qu'elle n'est en moyenne qu'à 22% en Ukraine… Notons toutefois que, là encore, la différenciation régionale est flagrante puisque ce taux atteint 54% dans les provinces est et sud! (5).

Brzezinski aurait déclaré par ailleurs, dans les années 1990, que "l'Orthodoxie constituait le plus grand danger pour les États Unis après la chute de l'URSS" (si la phrase n'est pas de lui, elle traduit bien sa pensée et celle des principaux politologues US, même si la priorité a évolué après le 11 novembre…) Il est alors évident que l'affaiblissement général de l'Orthodoxie et celle de l'influence russe en Ukraine constituent des points marqués par les stratèges US contre la Russie.

Sources et notes
(1) https://www.huffingtonpost.fr/2014/05/25/election-presidentielle-ukraine-differentes-regions-urnes_n_5385478.html
(2) https://mospat.ru/ru/2019/01/31/news169862/
(3) Jivko Panev, maître de conférences en droit canon à l’Institut de théologie Saint Serge in https://www.la-croix.com/Religion/Orthodoxie/question-ukrainienne-fracture-monde-orthodoxe-2019-01-28-1200998576
(4) http://exarchat.eu/

8.Posté par Nicodème le 04/02/2019 16:43
Hélas oui . Je crains que Poutine n'ait trop attendu et qu'il se soit planté dans son subtil jeu de patience .L'Empire atlantique (càd la dictature politiquement correcte et bien pensante) ne cesse de renforcer ses positions. Au détriment de la civilisation . "Wait and see" , comme disent les rosbeefs . Il a presque gagné en Syrie . Presque . Ensuite , il faudra protéger le Vénézuela . Ca urge . Resserrer les liens avec la Bélarus . Quant au Dombass , ne parlons même pas de l'Ukraine , je crains qu'il ne faille maintenant un miracle . Que fera-t-il lorsque l'Ukraine rentrera ds l'Otan ? Désolé de n'en rester qu'à la géopolitique , mais ces querelles canoniques ne sont que le faux nez d'une guerre mondiale larvée .

9.Posté par Daniel le 04/02/2019 19:51
@ Nicodème

Le Vénézuela? Il est temps que le révolution bolivarienne cesse, ce n'est qu'une version du socialo-communisme a paupérisé un pays où on vivait un peu correctement à force clientélisme, de magouilles et autres choses du même genre. Seriez-vous mélanchonien?

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