Le père André Kordotchkine : mon sacerdoce est une navigation en solitaire
Interview accordée à Marie Svechnikova Vesti.ru Traduction abrégée Nikita Krivocheine

Lorsqu’ils ont été affectés à Madrid le père André et son épouse Alexandra ont trouvé une petite église installée dans un garage.

Jusqu’à des temps récents les offices orthodoxes étaient célébrés par les paroisses du Patriarcat de Moscou dans des commerces, des centres d’appel, des ateliers. Cela jusqu’au 2 mars 2013. C’est un Jeudi Saint que la première liturgie a été célébrée dans la nouvelle cathédrale Sainte Marie Madeleine, magnifique bâtiment aux coupoles dorées. La cathédrale appartient au diocèse de Chersonèse (Patriarcat de Moscou).

Elle est devenue un monument dont les madrilènes sont fiers, ils viennent visiter et s’y faire prendre en photo. La communauté donne des cours de russe pour les Espagnols, une école du dimanche, des cours de musique et de peinture y ont été mis en place. Les enfants russes adoptés par des foyers espagnols y sont accueillis.

Lire Bientôt, une église orthodoxe, diocèse de Chersonèse à Madrid!!!

Le père André Kordotchkine : mon sacerdoce est une navigation en solitaire
- Père André, quelques mots à propos de votre épouse. Nous adressons à elle « ma mère (matouchka) » selon la tradition. Votre femme a des diplômes universitaires.

- En effet, Alex est diplômée de l’université, elle se consacre beaucoup aux enfants qui fréquentent notre école du dimanche.

J’ai été ordonné prêtre après huit ans de vie en Angleterre, Alex, elle, y avait vécu un an et demi. Tous deux nous sommes originaires de Saint Pétersbourg. Nous n’y avions pas de logement à nous. Aussi nous sommes allés en Espagne le cœur léger, sans éprouver le sentiment de rompre des attaches. Foi et devoir ont été nos mobiles lorsque nous avons accepté cette affectation. Nous connaissions peu le pays, nous ne parlions que quelques mots d’espagnol.

- A quel âge avez-vous été ordonné ? Quelles étaient vos motivations ?

- Je peux dire aujourd’hui que j’ai senti la vocation à l’âge de seize ans. Je me souviens des dernières années du régime soviétique qui était alors sur le point de s’effondrer. Je fréquentais une école privilégiée, il y avait parmi les élèves Xenia Sobtchak - la fille du maire de l’époque, Anatolie Sobtchak, de Leningrad. C'est lui a organisé le referendum qui a permis de restituer à la cité son vrai nom, Saint Saint-Pétersbourg.

Tout était en train de changer! Nouveaux films, nouveaux livres, nouveau discours. Nous avions pris conscience de ce qu’auparavant nous vivions dans la grisaille, le mensonge et la tromperie. L’Eglise était à nos yeux une sorte de monde parallèle. La notion de liberté est peu à peu devenue pour moi une réalité. Je ne connaissais pas à l’époque le père Alexandre Men, déjà très actif. Ses livres, tout ce que j’ai entendu à son propos me montraient que c’était quelqu'un dont ne pouvait dire avec mépris « un cureton ».

La volonté de me faire prêtre vient du désir de m’imprégner d’une orthodoxie non mutilée par le soviétisme. Je voulais faire mes études au séminaire de New York. Mais je me suis retrouvé dans une école catholique en Angleterre. J’ai fait à Oxford deux rencontres passionnantes. L’une avec l’évêque Kallistos Ware qui y enseignait, l’autre avec un jeune hiéromoine de 27 ans qui y travaillait à une thèse. C’était le père Hilarion (Alféev). Ces deux rencontres ont été déterminantes pour mon avenir.

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- Qu’est-ce qui distingue, en gros, une paroisse moscovite d’une paroisse à l’étranger ?

- A Moscou les paroissiens choisissent généralement l’église où ils vont prier selon des critères autres que la proximité. Ils cherchent des « âmes sœurs » et sont disposés quand ils les trouvent à effectuer des trajets de deux heures en métro. Ils savent qu’ils se rendent dans « leur » église et qu’ils y trouveront « leur » prêtre. Les communautés se constituent d’une manière non aléatoire mais par choix.

A l’étranger, nos paroissiens sont tous différents. Ils viennent de partout dans le monde, niveaux d’instruction et appréhension de l’Eglise également très différents. D’une certaine façon le sacerdoce est plus difficile à l’étranger, il est indispensable que le prêtre soit « tout pour tous ». Il ne doit y avoir aucune ségrégation. Il me faut trouver « une clé de contact » pour chacun. Etre prêtre n’a rien à voir avec être perçu comme « un gourou ». Nous appartenons au Christ, aussi l’Evangile est notre unique « feuille de route ».

- Qu’est-ce qui vous manque le plus en Espagne ?

- Je souffre le plus de vivre dans un climat qui ignore les saisons. Le ciel est tout le temps bleu, parfois il fait très chaud, parfois moins.

- Avez-vous rencontré des Espagnols ayant exprimé le souhait de devenir orthodoxes ? Est-ce que notre Eglise suscite leur intérêt ?

- Dès que nous avons commencé à officier dans la nouvelle cathédrale nous avons eu à recevoir de très nombreuses personnes souhaitant nous questionner. Nous avons compris qu’il nous fallait organiser des excursions guidées en langue espagnole et cela se fait maintenant chaque samedi à 17 heures. Nous recevons des groupes venus d’établissements scolaires, de centres culturels et même de maisons de retraite. Parmi nos paroissiens des Espagnols orthodoxes appartenant le plus souvent à des familles mixtes.

- Je vois qu’il y a à la cathédrale plus d’hommes de femmes ?

- Cet état de chose a des explications qui remontent au passé. Une majorité féminine parmi les fidèles, cela relève de l’époque soviétique. Nombre de nos paroissiens hommes viennent des régions occidentales de l’Ukraine qui n’étaient pas soviétiques avant la Seconde guerre. Dans ces contrées, quels qu’aient été les mouvements de frontières la religiosité est restée bien plus présente que dans le reste de l’URSS. Il y avait après la guerre bien plus de femmes que d’hommes dans les églises russes. La révolution, la guerre, la terreur communiste ont abouti à une considérable réduction de la population masculine. La vie religieuse s’est trouvée en Union soviétique fortement ritualisée et réduite à sa plus simple expression.



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- Comment appréhendez-vous la prêtrise ? Comment avez-vous intériorisé les paroles de prière ?

- C’est après la dixième année de mon sacerdoce que j’ai seulement commencé à saisir le sens du Notre Père. Une fois, je me trouvais dans l’autel aux côtés du métropolite Antoine (Bloom) et il m’a dit «Ce n’est que maintenant que je commence à comprendre le sens de la prêtrise ». Or, le métropolite entrait alors dans sa neuvième décennie. Je n’ai pas eu beaucoup de contact avec le métropolite au cours des huit ans que j’ai résidé en Angleterre. Nous avons eu des rencontres, des entretiens. Lorsque je faisais mes études à Londres pour travailler à ma thèse de mastère, j’étais auxiliaire à l’autel lors des offices. J’ai vu une fois que plusieurs moines se sont mis à questionner Monseigneur Antoine.

L’un d’entre eux ne faisait qu’écouter. Le métropolite le questionna sur les raisons de son silence. Réponse de ce moine : « Pourquoi vous poserai-je des questions ? Il me suffit de voir comment vous célébrez, d’écouter vos homélies, d’observer vos contacts avec les paroissiens ». Monseigneur Antoine, en effet, se tenait de toute évidence constamment au regard de Dieu. Tout en lui m’était signifiant. Cela d’autant plus que j’avais été formé à l’école « synodale » de Saint Pétersbourg fondée sur le désir d’impressionner, « d’en faire voir ». Il n’y avait chez Monseigneur Antoine aucun sens de la vénération hiérarchique. Aucune ligne de départage entre les Russes et les Britanniques. Il ne pensait nullement à quelle complaisance que ce soit à l’égard d’une idéologie ethnique ou politique. L’énergie personnelle qui irradiait de lui était immense. Rien à voir avec ma propre appréhension de moi-même. Jamais il ne s’était fixé pour objectif de convertir quelqu’un à l’orthodoxie. Monseigneur Antoine était convaincu qu’il fallait aider les gens « ici et maintenant », le reste viendrait de par soi-même.

Tout est différent en Espagne ; mais au fonds de moi-même j’aurais aimé que soit reconstitué ici ce dont j’ai été témoin à Londres. Pour la plupart des orthodoxes anglais leur foi ne relève pas de la tradition russe. Elle remonte à la pratique ancienne des îles britanniques. A leurs yeux l’orthodoxie représente un peu ce qui a été perdu par le catholicisme moderne. Aux yeux des Espagnols la tradition orthodoxe russe paraît statique et figée. Ils ne comprennent pas qu’il faut se tenir debout et immobile, le chant paraissant un peu lugubre, alors que rien ne se passe dans l’autel. Lorsqu’ils apprennent que nos offices dépassent souvent largement les deux heures et qu’il convient de se tenir debout, cela leur paraît inconcevable.

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Nous constatons certaines similitudes entre les orthodoxes russes et les traditionnalistes catholiques espagnols. Evoquons le Semaine Sainte en Espagne : nous sommes en mars, il fait froid, des processions ont lieu dans toutes les grandes villes. Les fidèles marchent pieds nus pendant plusieurs heures dans les rues de Madrid ou de Salamanque. Nombreux ont les jambes enchaînées. Ils portent de lourds crucifix. C’est là que nous voyons la profonde religiosité enracinée dans la société espagnole.

La guerre civile, bien au contraire, nous montre les extrêmes qu’a atteints en Espagne dans l’athéisme militant : sépultures de moniales profanées, des mégots placés dans les lèvres des dépouilles. Des Russes blancs sont venus nombreux en Espagne pour en 1936-1939 pour combattre aux côtés des franquistes cette guerre était une sorte de réplique du conflit civil en Russie Les officiers russes avaient vu dans leur pays des cadavres dont les orbites étaient bouchées par de petites icônes, des églises souillées, des prêtres passés par les armes.

Nous faisons de notre mieux pour commémorer comme il se doit les gardes blancs russes qui s’étaient portés volontaires en Espagne. Ils étaient une centaine au plus. La guerre civile en Espagne nous aide à mieux percevoir ce qui s’était passé en Russie et donc de mieux comprendre ce qu’a été pour nous le XXe siècle. Toute réserve faite nous pouvons supposer que la Russie aurait suivi la voie espagnole si les Blancs avaient remporté la victoire. L’histoire de l’Espagne est donc celle de la Russie, mais l’envers à l’endroit.


Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 2 Septembre 2015 à 11:52 | -6 commentaire | Permalien


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