Le rôle controversé du patriarche Serge (Starogorodsky) (1867–1944)
V.G.

L'an prochain marquera le 70ème anniversaire du décès du patriarche Serge Starogorodsky (1867–1944), qui est l’une des personnalités les plus controversées de l’Eglise russe. Rappelons qu’il fut "locum tenens" du trône patriarcal (1925-1943) puis patriarche de Moscou (1943-1944) pendant la pire période des persécutions antireligieuses. Sa "Déclaration" de 1927, reconnaissant le pouvoir soviétique comme légitime, a permis une légalisation de l’Église et a mis pratiquement fin à la prétendue Église vivante, suscitée par les Soviets pour détruire l’Église canonique; son appel à la défense de la patrie le jour de l'attaque allemande contre la Russie (22 juin 1941) permit une timide régularisation de la situation de l’Église qui ouvrit en particulier la voie à son élection comme patriarche deux ans plus tard.

Une position officielle ?

Cette année a déjà marqué les 70 ans de son élection au trône patriarcal et ce jubilé, considéré comme le point de départ de la renaissance de l’Église, fut célébré dans tous les diocèses du patriarcat, y compris à la cathédrale des Trois-Saints-Docteurs à Paris… (Communiqué du diocèse de Chersonèse, 11/09/2013). Le patriarche Cyrille s'adressa aux fidèles orthodoxes avec un message particulier, soulignant le rôle joué par Serge dans la survie de l'Église orthodoxe pendant les persécutions:

Le rôle controversé du patriarche Serge (Starogorodsky) (1867–1944)
Citation:

Aujourd'hui nous nous souvenons comment en 1943, aux jours terribles de la Grande Guerre Nationale, Dieu a manifesté sa grâce extraordinaire en accordant à notre Église un nouveau Primat. Pendant presque deux décennies la chaire patriarcale était restée vide après le bienheureux décès du saint patriarche Tikhon et ces années furent l'époque des pires persécutions de la foi Chrétienne, avec la destruction massive et systématique des églises et des lieux saints orthodoxes, les persécutions les plus cruelles du clergé, des moines et des laïques. Les persécuteurs croyaient orgueilleusement que l'absence de primat de l’Église Russe leur permettrait de réaliser rapidement leurs projets impies. Mais aux jours terribles de la guerre et des épreuves pour notre Patrie la méchanceté humaine a reculé devant la volonté de Dieu et Son très miséricordieux Dessin

Le Patriarche Serge est entré dans l'histoire de l’Église orthodoxe comme une personne douée d'éminents talents spirituels et dont le sacerdoce fut héroïque. (…). Comme "locus tenens" du trône patriarcal, il a déployé des efforts immenses pour sauver l'Église de l'anéantissement, menant une lutte intransigeante avec le schisme de l'Église vivante, qui déchirait la tunique du Christ. La volonté de garder l'unité de l'Église Russe et de ne pas permettre la fermeture totale des églises orthodoxes est devenue était à la base de tous ses actes pendant les persécutions. Dans les années de la Grande Guerre Nationale le Patriarche est apparu comme un patriote énergique. Sous sa sage conduite le peuple de Dieu a répondant aux appels de son primat en apportant non seulement ses prières, mais aussi un effort physique considérable qui permit de vaincre le perfide ennemi.

Le patriarche Serge nous montre l'exemple du courage et de la fermeté, du don total au service de l'Église et du prochain(…). "Que son âme soit reçue avec les saints et que sa mémoire demeure de génération en génération."

Fin de citation. Traduction VG

Le rôle controversé du patriarche Serge (Starogorodsky) (1867–1944)
Le Conseil d'édition de l'Eglise orthodoxe Russe a de son côté consacré une table ronde à l'étude de la vie et du sacerdoce du métropolite et patriarche Serge avec la participation de membres du clergé, d’historiens et des collaborateurs de la Maison d'édition du Patriarcat. L'idée commune des exposés sur différentes périodes de la vie du métropolite Serge a montré que, face à des persécutions sans précédent, si l'Eglise orthodoxe Russe l'Église n’a pas été entièrement détruite et annihilée, c’est grâce à la politique souple et sage du métropolite Serge. Et les offices ont repris dans de nombreuses églises dès qu’il a été possible d’obtenir le retour de membres du clergé emprisonnés et exilés ; des couvents et séminaires ont commencé à rouvrir et certains de ceux qui s'étaient détachés de l'Eglise Russe en se trouvant à l'étranger sont revenus en son sein.

La « Revue du Patriarcat De Moscou » a recommencé à paraitre, des livres religieux et le calendrier liturgique ont aussi été publiés ; mais nombre de travaux théologiques du métropolite Serge n’ont jamais été publiés bien qu'il soit l’un des théologiens importants de cette époque. (D’après Alexeï Reoutsky, « Revue du patriarcat de Moscou » 10 septembre 2013)

La condamnation du "Sergianisme"

Mais cette appréciation du rôle du métropolite Serge ne fait pas l'unanimité: L’Église Hors Frontières (EORHF), qui bénéficie d’une large autonomie au sein du patriarcat depuis la réunification de 2007, le considère en effet comme responsable de la soumission de l’Église au bolchévisme. Le "Sergianisme", qui qualifie pour ce courant de pensée cette collusion avec le pouvoir athée, était l’un des principaux point d’achoppement du dialogue entre les deux branches séparées de l’Église russe (avec "l’œcuménisme") et fit l’objet d’une mention spécifique dans le "Document commun des commissions du Patriarcat de Moscou et de l’Église orthodoxe russe hors frontières intitulé ‘Sur les relations entre l’Église et l’État’"(1): Les conclusions de ce document, adopté par les Saints Synodes des deux parties de l’Église Russe, "établissent une évaluation parfaitement définitive" de la "Déclaration" du métropolite Serge en 1927 : "Le rejet de la direction prise par l’Église de Russie dans ses relations avec l’État telle que reflétée dans la ‘Déclaration’ ouvre le chemin à la plénitude de la communion fraternelle." (ibid. 1)

Toutefois, les groupes non-canoniques qui refusèrent l’union de 2007 continuent d’accuser l’Église russe de "Sergianisme" et ces accusations sont relayés par des opposants au patriarcat à l’intérieur même de l’Église russe, si bien que les représentants de L’Eglise Hors Frontières rappellent régulièrement leur position : ainsi le père Andrew Philips écrivit en janvier 2011 : "… après 2000, … avec la condamnation du "sergianisme" (erastianisme(2)) et de l'œcuménisme, le Patriarcat de Moscou en Russie s'est trouvé transformé".

En lisant l'homélie du patriarche et les conclusions de la table ronde mentionnés plus haut on peut penser que cette affirmation ressemble plutôt à un vœu pieux et je me demande si le jubilé de 2014 ne pourrait pas être l’occasion de trouver une position commune entre ces deux partis.

(1) Cf."Commentaire sur le document commun des commissions du Patriarcat de Moscou et de l’Église orthodoxe russe hors frontières titré ‘Sur les relations entre l’Église et l’État’." (http://www.russianorthodoxchurch.ws/synod/engdocuments/enmat_commentary.html).

(2) Erastianisme: Doctrine de la suprématie absolue de l'État en matière ecclésiastique, l'érastianisme a été théorisé par le Suisse Thomas Lieber (alias Thomas Erastos, 1524-1583), qui s'opposait aux Calvinistes en se situant dans la perspective d'un État confessionnel réservant au pouvoir civil le droit et le devoir d'intervenir dans tous les domaines religieux (cf. "Explicatio gravissimae quaestioni", Londres, 1589) .
Le rôle controversé du patriarche Serge (Starogorodsky) (1867–1944)

Rédigé par Vladimir Golovanow le 17 Novembre 2013 à 10:43 | 0 commentaire | Permalien


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