Le sens de l'Eucharistie
Vladimir GOLOVANOW

J'avais consacré 2 posts à la FREQUENCE-DE-LA-COMMUNION (ici et ici), qui avaient donnés lieu à un échange intéressant. Je voudrais maintenant revenir sur le sens de l'Eucharistie en partant de certaines expérimentations qui ont lieu chez nous et en utilisant l'analyse de JC Larchet dans la recension qu'il a consacrée au livre du Père Alexandre Schmemann, "L’Eucharistie, Sacrement du Royaume". Je lui emprunte toutes les citations et références qui suivent.

Les expérimentations auxquelles je pense veulent au départ valoriser la dimension communautaire de la Liturgie, mais elles en arrivent à dévaluer la dimension personnelle de la participation des fidèles et l'importance de leur effort individuel. Nos "modernistes pensent suivre le père Alexandre lorsqu'il affirme que « le christianisme ne consiste pas à offrir à chacun la possibilité de devenir personnellement meilleur » (p. 14) et dénonce le fait que « la communion soit considérée comme un moyen d’obtenir la grâce, comme un acte de sanctification personnelle » (p. 66). Mais ce qui est tout à fait justifié chez lui pour dénoncer une pratique moralistes, piétistes et individualistes de la Liturgie voire une conception consumériste de l’Église (p. 115, 119 et 150), amène nos modernistes à tomber exactement dans le même travers en introduisant une communion "automatique" et sans préparation à chaque Liturgie.

Ne jettent-ils pas "le bébé avec l'eau du bain" en minimisant aussi bien le rôle essentiel de la grâce dispensée dans la Liturgie dans le progrès spirituel et le salut de chaque personne, que le rôle de la préparation « ascétique » de chacun à l'Eucharistie? Les prières avant la communion, par exemple, insistent fortement sur ce point JC et Larchet cite "la Mystagogie" de saint Maxime le Confesseur et "l’Explication de la Divine Liturgie" de saint Nicolas Cabasilas, qui soulignent le lien profond qui existe entre le déroulement de la Liturgie et le développement de la vie spirituelle personnelle du chrétien, au point que saint Maxime développe son commentaire sur la base d’une stricte correspondance.

Il est clair que les participants à la Liturgie doivent être "les membres d’un même corps" et l’on doit déplorer que, dans certaines paroisses orthodoxes "traditionalistes", les fidèles sont de facto une somme d’individus, chacun priant à part soi et participant à la Liturgie indépendamment des autres, se comportant même comme s’ils n’existaient pas. Mais on peut pareillement déplorer que, dans d’autres paroisses, "modernistes", il y ait une perte du sens de la relation intime de la Liturgie avec la spiritualité (et inversement) et que la vie ecclésiale y soit transformée en une forme particulière de vie associative dont le prêtre est devenu l’organisateur et l’animateur: certaines gestuelles spécifiques de l'animation, avec les fidèles quasiment en rond, y font irrésistiblement penser de même que l'appel à se donner mutuellement "le baiser de paix" à l'instar de mariages catholiques ou de cultes protestants.

Ainsi, complétant mes posts précédents où je parlais des deux façons opposées de pratiquer l'Eucharistie, nous voyons là clairement deux approches opposées du sens même de la Communion eucharistique. Mais je ne veux pas dramatiser ce problème: en fait il ne s'agit là que de cas extrêmes et, dans la plupart des cas, nos prêtres connaissent très bien la bonne orientation à suivre pour éviter ces extrémités.
Toutefois le danger existe car ce sont souvent les extrémistes, et en particulier les "modernistes" en ce moment, qui parlent le plus fort; et ils risquent de troubler des esprits peu avertis, en particulier chez les nouveaux émigrants des pays de l'Est dont la culture orthodoxe n'est pas solide et qui ont tendance à prendre pour argent comptant tout ce qu'ils entendent ici.

Rédigé par Vladimir Golovanow le 25 Mai 2010 à 12:35 | 7 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Irénée le 25/05/2010 13:48
Merci de reprendre ces intéressantes questions, mais pourquoi vouloir opposer certaine paroisses à d'autres en les rangeant dans un camp moderniste ou traditionalistes ? Il me semble qu'à part quelques rares exemples (parisiens ?) la plupart des paroisses sont plutôt un mélange de personnes venant d'horizons divers, avec chacune son histoire et sa personnalité. Et c'est cet ensemble de personnes rassemblées pour rendre grâce au Seigneur qui fait que la paroisse existe.
Concernant le Baiser de Paix, il ne s'agit pas d'une invention catholique romaine, et encore moins protestante, mais bien d'une très ancienne tradition de l'Eglise. Dans notre Eglise, l'évêque et les prêtres se donnent le Baiser de paix dans le sanctuaire au moment du symbole de Foi, et les diacres au moment de la Communion.
Les textes liturgiques anciens (comme par exemple la Liturgie de Saint Jacques) indiquent clairement que les fidèles aussi se donnent le Baiser de Paix...
Il s'agit donc pour une fois d'un appauvrissement de notre propre Tradition, et non d'innovations protestantes...

2.Posté par Daniel le 25/05/2010 14:43
Texte intéressant : concernant le baiser de paix, il s'agit d'un ancien usage de l'église qui a été abandonné chez les orthodoxes. Pour les raisons de l'abandon, j'ai lu que certains "libidineux" recherchaient particulièrement à embrasser les belles femmes. Est-ce vrai? Depuis, il se limite au sanctuaire entre célébrants. Ma réserve tient au simple fait du calme et de la tenue dans l'église : il y a en certaines paroisses des gens un rien bavards qui troublent les offices; introduire le baiser de paix risque de donner l'occasion à de nouveaux blablas. Par ailleurs, si quelqu'un ne veut pas faire le baiser de paix, il n'y pas à le lui imposer.

Autre remarque : je ne vois pas comment on peut matériellement se mettre en rond dans une église orthodoxe. Le schéma est globalement rectangulaire; on se mettrait en rond autour de qui, de quoi?

3.Posté par Irénée le 26/05/2010 06:57
Difficile de répondre à Daniel concernant les raisons de l'abandon de cet usage du Baiser de Paix dans la Liturgie. Mais l'explication proposée me semble un peu simpliste !
En tout cas ça ne me semble pas problématique de souhaiter revenir à cet usage, d'une manière ou d'une autre...c'est à réfléchir, et aux évêques de le proposer...
Difficile aussi de l'imposer, m^me si bien des usages dans la manière de se tenir ou de se comporter à tel ou tel moment de la Liturgie deviennent des obligations de fait...
Concernant le fait de se "mettre en rond", je ne vois pas de quoi on parle moi non plus...

4.Posté par vladimir le 26/05/2010 21:15
Je voudrais d'abord souligner que les excentricité dont je parle sont des cas extrèmes, mais qui soulignent une interprétation qui oublie "en minimisant aussi bien le rôle essentiel de la grâce dispensée dans la Liturgie dans le progrès spirituel et le salut de chaque personne, que le rôle de la préparation « ascétique » de chacun à l'Eucharistie". Si ces cas là restent exceptionnels cette interprétation, elle, est assez répandue parmi certains de nos prêtres et elle me semble d'autant plus dangereuse qu'elle s'appuie, comme je l'ai montré, sur une interprétations exagérée des écrits du p. Alexandre et bénéficie donc de sa popularité et de son autorité.
Pour le baiser de paix, le fait est qu'il a été abandonné par l'Orthodoxie. Y revenir comme cela, individuellement, revient à barrer plusieurs siècles de Tradition et à s'isoler du reste de l'Orthodoxie. N'oublions pas que le retour aux sources, la négation de la Tradition et la recherche de solutions individualisées caractérisent justement le Protestantisme alors que pour l'Orthodoxie la Vérité est dans la Tradition et la conciliarité des décisions.

5.Posté par Irénée le 28/05/2010 07:11
Je suis heureux d'apprendre que ces bizarreries restent rares... j'ignorais leur existence !
Sans vouloir ouvrir à nouveau le "dossier" du P. Alexandre Schmemann, je voudrais préciser deux choses :
D'une part dire ici que j'ai eu la joie de participer à plusieurs reprises à des offices présidés par lui, et que le moins que l'on puisse dire c'est que ce n'était pas un excentrique, bien au contraire... rigueur liturgique et respect des usages caractérisaient sa façon de célébrer. Que certaines personnes aient ensuite fait leur petite cuisine à partir de certains de ses articles ne permet pas de lui faire porter la paternité d'un courant "moderniste". C'est un peu plus compliqué que ça je pense.
Concernant le baiser de paix, on ne peut pas dire qu'il a été abandonné dans l'Eglise orthodoxe, il a simplement petit à petit été réservé au clergé. La pratique n'en est donc pas contestée ou rejetée.
Attention aussi à l'usage du mot Tradition avec un grand T d'autorité. Certains usages que l'on croit hérités de l'Eglise primitive ne datent que de deux siècles, alors qu'il est incontestable que d'autres usages qui ont existé pendant plus de 1000 ans ont été abandonnés...
La Tradition, ce n'est pas exactement l'usage de l'Eglise russe avant la révolution...

6.Posté par vladimir le 28/05/2010 12:59
Je suis totalement d'accord avec vous, Cher Irénée, et vous m'apprenez toujours beaucoup. Je partage totalement votre point de vue sur le P. Alexandre: je n'ai pas assisté à ses offices, mes tous les témoins disent comme vous et cela transparait dans ses écrit, son Journal, ses émissions sur radio Liberté (qui viennent d'être éditées en russe)... Je fais bien la différence entre ce qu'il écrit lui et ce que certains en font, et je crois l'avoir bien précisé dans mon billet.

D'ailleurs, pour compléter, il faudrait aussi parler de certains excès de paroisses traditionnelles: j'ai, par exemple, personnellement vu à l'église de ND de Vladimir, à Saint Petersbourg, un groupe assez important de fidèles réunis autour d'un prêtre, sur le coté droit de la nef, pendent toute la Liturgie des catéchumènes. Totalement étrangers au déroulement de l'office, ils écoutaient une homélie spéciale après laquelle ils recevaient individuellement l'absolution... et communiaient. Curieux exemple de participation!

Je ne juge pas le baiser de paix en soi. Je constate que toute l'Orthodoxie le réserve au clergé et le réintroduire pour les autres en catimini, dans quelques paroisses qui se singularisent et s'écartent de la pratique générale, me semble éloigné du principe conciliaire de l'Orthodoxie. Ces recteurs considèrent donc qu'ils ont raison contre tous les autres Orthodoxes? Contre tous ceux qui ont abandonnés cette pratique depuis des siècles? Le danger me semble être dans cette pratique "moderniste" consistant à introduire , ou "ré-introduire" individuellement des changements des les offices au prétexte que "c'est plus logique" ou que "cela se faisait avant Constantin" me semble se rapprocher du pêcher d'orgueil. Et vous avez tout à fait raison de souligner que le P. Alexandre ne le pratiquait pas ainsi même s'il en soulevait la question!

7.Posté par Irénée le 28/05/2010 20:07
Bien entendu, les "dérapages" existent partout...
Merci de citer ce cas à St Petersboug...
Ce que je voulais dire aussi, c'est qu'à l'intérieur de l'orthodoxie "classique" et "traditionnelle" il y a aussi des pratiques contestables et pas toujours très conformes à l'esprit des Pères, et qu'il nous revient à tous d'étudier, d'analyser, et parfois de proposer certines choses, ou d'en contester d'autres. L'Eglise est un corps vivant, pas une administration figée, et nous en sommes tous responsables.
Quant au baiser de paix, je crains que nous ayons fort peu d'informations sur le moment et les conditions de s disparition dans la pratique paroissiale. Je me souviens avoir lu il y a longtemps que c'était intervenu au 13 ou 14è siècle...
Au passage, je précise que certaine Eglises, comme l'Eglise syriaque, continuent à le pratiquer, et ce sans interruption il me semble depuis les premiers siècles à Antioche.

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