Les inédits slaves de l’Eglise russe en Occident
Archiprêtre Alexandre Winogradsky Frenkel, patriarcat de Jérusalem

Il y a quelque chose de pourri dans le domaine de la climatologie. Enfin, il est certain que ces canicules, ces incendies qui avalent les hectares à travers les continents, les îles grecques, la Sibérie, l’Europe continentale… Il y aurait comme un changement. Hier encore, la pluie était normale. Il pleuvait, oui, certes ,mais on connait bien le terrain. Le grand-père, les aïeux savaient quand il faut semer, récolter, engranger. Là, il y a comme un tournis à y perdre son latin. Enfin, c’est peut-être vrai pour un occidental du Sud. Mais allez reconnaître la géographie humaine ces temps derniers ! Non seulement, il n’y a plus de saison, mais, en plus, les gens migrent. Tout va si vite… trop vite sans doute.

Un feu s’empare des terres. Il court les forêts, détruit. Les tornades ,les bourrasques font voler des bâtiments que l’on croirait stable. Les glaces ont fondu au Groënland. Les inondations ont submergé le Néguev israélien et le désert d’Akaba, la mousson déracine les sols birmans et les typhons précipitent la disparition des îles du Pacifique.

Il y a de la fragilité dans l’air, les traditions s’affirment ou disparaissent. Sait-on seulement quel temps il fait et pourquoi ? C’est bien plus difficile à déterminer. Encore que Jésus de Nazareth ait bien parlé de la capacité humaine à anticiper les ouragans…

On cherche des signes. Mais est-ce que ces signes nous parlent ? Que faire dire aux signes ? Surtout quand on a la foi vissée au corps et à l’âme.

L’Eglise orthodoxe russe est apparu massivement en Europe occidentale et dans le monde à la suite de la Révolution bolchévique. Depuis 1917, un peu avant pour certains, le peuple russe s ‘est mis en marche. Il partit pour un exil intérieur car il est ardu, pour l’âme slave, de quitter une terre immense et si viscéralement attachée à un paysage, des sentiments humains.

Croyant parfois que la situation d’exil ne serait que temporaire, d’autres ont choisi de quitter le sol natal et d’immigrer, par vagues concentriques, vers les pays voisins (Finlande, Pologne) ou facilement accessibles (Turquie, Roumanie, Bulgarie) avant de pousser plus loin vers l’Allemagne, la Serbie, la France et le Bénélux, voire l’Angleterre ou les pays scandinaves. Ils atteindront aussi les Amériques, l’afrique du Sud et l’Australie, l’Asie du Sud-Est.

Une situation “hors frontières” qui n’était pas sensée pas durer. Elle s’est attardée, alanguie par nécessité économique, la douceur des populations locales, leur tolérance ou hospitalité assimilatrice, une sorte d’acédie migratoire. Il est si dur de quitter la mère-patrie qu’un havre de tranquilité incite à ne pas trop regarder ailleurs. Elle a passé le cap du siècle et de nouvelles générations arrivent aujourd’hui des vastes territoires russes ou anciennement soviétiques pour des raisons essentiellement économiques et transitionnelles. On ne peut parler d’une quadrature du cercle, mais les choses ont pris une tonalité à la mesure de l’internationalité contemporaine.

Oserait-on prétendre que ce qui devait rester temporaire est devenu définitif au bout d’un siècle ? La mémoire s’est estompée de bien des familles. Elle s’est aussi transmise dans des contextes parfois surprenants.

L’Eglise orthodoxe russe se trouva aussi à l’aube d’une reconstruction. Sortant des catacombes administratives et oppressives, le renouveau du patriarcat de Moscou suggérait des voies nouvelles sur le plan théologique et la participation des fidèles, de leur clergé. Le Concile de Moscou fut à peine initié en 1917-18, mais les propositions faites à l’époque s’annonçaient prophétique pour l’une des Eglises chrétiennes les plus importantes par la richesse de sa tradition et la fragilité de sa destinée historique.

Il faut surtout s’arrêter sur un trait singulier de ces mouvements inédits. L’Eglise orthodoxe russe s’est ouverte sur le monde par une évangélisation migratoire involontaire. Le kérygme de la foi chrétienne tel qu’il fut vécu dans la partie orientale de l’Europe allait entrer en contact avec le monde romain et latin, voire protestant d’un continent et d’une modalité religieuse qui s’était perçue comme toute-puissante sur une période bien trop longue.

Allons directement aux faits.

La Russie pieuse est en ébullition. Cela fait un certain temps que cela dure, mais jusqu’à présent la partition se jouait en mineur et sotto voce. Autour de cette russité européenne s’active tous les anciens camarades, les prolétaires, les serviteurs déchus ou presque de l’empire soviétique. L’athéisme et la foi ? C’est comme un blanc bonnet qui est d’abord blanc puis postérieurement adjectivé à la mode du “renouveau”. Et il y a aussi la foule qui cherche, cherche, se cherche, recherche. On y trouve des convertis sincères, fantasques, rigoureux ou universalistes. On rencontre des anciens hérétiques accueillis avec miséricorde, des âmes en quête de Dieu, du Christ, du salut. En Occident chrétien, ils découvrirent, dans la tradition slave, un chemin vers la lumière de pureté qui luit dans les pauvres communautés de la grâce hiératique de l’Esprit de vérité.

De quoi parler ? Il y aurait trop de choses à dire. Les flots des paroles slaves s’évadent parfois dans un silence prudent ou propre à la méditation. Il arrive qu’elle ne puisse se passer de médisance, mais alors ! “Seigneur, aie pitié du péché que je suis !”. L’Orient chrétien est fils du pardon ardu, arraché à la pénitence comme pour jubiler d’avance à la joie de la résurrection.

Vous savez tout ce qui s’est passé dans les pays des Slaves depuis l’an 2013 et comment l’Archevêché des Paroisses de tradition russe en Europe occidentale, devenu “Exarchat” du patriarcat oecuménique de Constantinople fut brutalement déchu de cette qualité et même suspendu en tant qu'”Archevêché” le 27 novembre 2018.

Une date importante : d’une part, le Phanar supprimait le prestigieux archevêché et instaurait, en Ukraine, un patriarcat phanariote qu’aucune Eglise canonique n’a accepté de reconnaître en cet automne 2019.

On se croirait à une réplique cléricalo-pieuse du Traité de Versailles dont les décideurs ecclésiastiques agiraient non plus depuis l’Occident romain, mais la Nouvelle Rome phanariote ou la Place moscovite qui aura bientôt son siège à la Laure Saint Serge – Possad, le Slavikan russe, espace immense d’où directions spirituelles et administratives s’épancheront vers tous les horizons d’un christianisme oriental en redéploiement.

L’histoire est connue, du moins de ceux qui s’y intéresse vraiment. Les péripéties actuelles sont tissées de vieilles querelles mises trop longtemps, trop souvent sous le boisseau. Pendant un siècle, des familles se sont échirpées sur leur héritage russe et la fidélité à quelle Eglise, quelle juridiction ? Et pourtant ! N’y a-t-il pas des zones qui restent tues pour le moment parce qu’il est plus facile de parler de décisions hardies et novatrices comme celles qui furent proposées au Concile de Moscou en 1917-18. SUITE Abba Blog

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 1 Octobre 2019 à 16:08 | -1 commentaire | Permalien


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