Les métaphores du désespoir
Par le père Jean Valentin Istrati (prêtre roumain)

Le monde est en proie fin décembre à une panique qi ne se prête pas à l’explication. Cohues dans les magasins, files d’attente interminables pour pouvoir frénétiquement se débarrasser de ses derniers kopecks, des chalands à chaque coin de rue faisant commerce de toute sorte de pacotille et, dirai-je, d’âmes humaines : ils vous proposent le bonheur ou ne fût-ce qu’une parcelle de celui-ci. Même les plus méchants des passants font des sourires aux enfants, les pauvres sapins sont sciés, la consommation d’électricité explose pour tout le mois dit des cadeaux, on s’arrache les guirlandes, les étoiles, les ornements…

Tout le monde s’empiffre, on fait jouer des noëls aux ordinateurs. Le SAMU se hâte de venir en aide aux victimes des indigestions. Foules et attroupements partout où quelque chose est en vente. On a l’impression que tous ces gens sentent qu’ils vont mourir dans les 48 heures qui suivent et veulent vivre de la manière la plus intense possible ce qu’il leur reste d’existence. Il se trouve toujours d’austères moralistes pour expliquer de la manière la plus sérieuse que tout ceci n’est que vanité, ignorance, indifférence, artifice, malédiction de la matière et orgueil de la chair et autres diagnostics relevant de la langue de bois

. Cependant, comment percevoir ce bouillonnement extraordinaire, quel est le mystère que cachent ces myriades de feux bariolés, quel est le sens de ces files d’attente et de ces multitudes dans les commerces ? A quoi visent les exclamations aux relents de mauvais champagne dans les lieux publics, à quoi rime cette humanité saisie par une sorte de délire effervescent en plein hiver ?

La réponse est fort simple. Les gens sont à la recherche du bonheur, ils aspirent à la vie éternelle, à la lumière transcendante, à l’amour, à contempler les saints habitants du Ciel, à s’assouvir des sons de la chorale de myriades d’anges, à l’éternelle liturgie de l’Agneau de Dieu. Tout cela, ils y aspirent passionnément. Mais de qui parlons nous ? De ceux qui s’égosillent Place de la Constitution ? Des ivrognes dans les escaliers des immeubles ? De ceux qui se donnent à cœur joie d’allumer des pétards dans les cités dortoirs ? Des mélomanes qui assourdissent leurs voisins en installant des baffles sur les rebords de fenêtres ? Des amateurs de mousseux imbuvable ? Des consciences humaines cloîtrées dans des clubs privés où les décibels, la fumée et les pénombres s’appliquent à prophétiser les siècles futurs ? De la mascarade qui tambourine sous nos fenêtres plongeant dans la détresse les parents et leurs petits enfants ? Oui, c’est bien d’eux qu’il s’agit. Mais ils ne savent pas où chercher. Ils sont en quête, comme le disent les Pères, d’objets tangibles mais avec un désir insatiable, ils cherchent l’éternité dans la chair, la lumière dans les détritus.

Cela équivaut à essayer d’assouvir son appétit en allant chercher dans la poubelle plutôt qu’au réfrigérateur ou au fourneau. De nos jour Noël nous offre encore une possibilité de regarder comment les hommes s’agrippent désespérément à la matière essayant d’assouvir leur constante soif spirituelle, comme ils fouillent les déchets dans l’espoir de tomber sur le paradis, comme ils aspirent à voir le ciel le regard désespérément fixé vers le sol. Les insatiables sont de simples victimes de leur estomac mais leur appétit ne peut être assouvi que par la nourriture Divine, celle que nous recevons avec la sainte eucharistie. Les dépravés sont ceux qui périssent dans une multitude de corps, cela à la recherche de l’amour authentique, celui qui réside dans la demeure nuptiale du Seigneur. Ceux qui vident des cohortes de bouteilles sont assoiffés, sans le savoir, de l’eau de la vérité, celle qui descend du Ciel et nous mène vers la vie éternelle. Ceux qui prennent plaisir à écouter des refrains creux ont en réalité envie d’entendre les mélodies des chorales célestes.

Les fêtes sont la clameur assourdissante et désespérée des hommes qui aspirent à l’éternité. C’est l’infinie douleur de ceux qui savent qu’ils vont mourir. C’est le frémissement que ressent l’homme face au non être, c’est la résistance acharnée que manifestent ceux qui vont être inhumés. C’est la réponse de millions d’âmes immortelles clamant vers le ciel : « Non, nous ne mourrons pas, nous sommes faits pour les cieux, nous avons des idéaux, des désirs, des émotions, des projets conçus pour durer à l’infini ». Mais, malheureusement rares sont ceux qui savent où se situe la vraie nourriture, la vraie musique, les vrais cadeaux, la vraie lumière, la vraie vie.

Là où naît le Christ, Pain céleste, éternel Hymne à l’amour, Don de Dieu aux hommes, Lumière éclairant l’univers, la Voie, la Vérité et la vie.

Traduction Nikita KRIVOCHEINE

Doxologia.ro et Pravoslavie.ru

Rédigé par Nikita Krivocheine le 29 Octobre 2013 à 18:15 | 12 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Daniel le 07/01/2012 07:18
Excellent texte! Bravo!

2.Posté par Mischa le 08/01/2012 22:20
Замечательный текст. Прочёл по ссылке по русски. Всё правильно написано. Как мир упал. Кстати об этом писал Солженицын в своих статьях. об обществе потребления

3.Posté par T. Schakhovskoy le 09/01/2012 00:04
Ah oui ! Merci du fond du coeur pour ce texte inattendu qui jaillit comme une étoile filante... je viens de l'envoyer, comme un cadeau, à une amie qui, je pense, cherche Dieu, sans jamais vouloir l'admettre...

4.Posté par Serge Mullins le 05/02/2012 16:09
Je découvre les textes de ce prêtre et j'avoue être stupéfié par leur intériorité et la vérité de l'analyse.....

5.Posté par Anne Khoudokormoff-Kotschoubey le 31/10/2013 15:30
Il y a bien longtemps que je ne "fête" plus vraiment Noël... autrefois, on se moquait (gentiment) un peu de moi lorsque je disais, depuis des années: "et surtout pas de cadeaux". Que ferais-je de cadeaux dans ma vie déjà si longue? Au contraire, depuis des années, j'emballe ce que j'ai de plus précieux et je donne, à mes enfants, à mes petits-enfants, ce que j'ai aimé comme bijoux ou livres, me disant que c'est mieux de donner maintenant plutôt que lorsque je ne serai plus là... Mais ceci est personnel. Je suis au fond contente que je "célèbre" Noël lors de notre calendrier liturgique, le 6 janvier, après le brouhaha assourdissant de la démence collective de devoir faire un cadeau. Ainsi cela me donne le loisir de pouvoir fuir, privilégiée que je suis, dans un monastère, à la fin de l'année qui s'achève et pour quelques jours de l'année nouvelle qui commence, dans une paix royale et divine, ainsi j'ai de la chance de ne pas entendre les pétards, et la radio tonitruante sur le balcon qui m'impose de "goûter" à ce que je fuis...Mais ceci est aussi un désir personnel que tout le monde ne peut pas s'offrir.


Cependant, je me demande si on ne pourrait pas, par exemple, dire aux petits enfants que s'ils veulent un petit cadeau, est-ce que pour mériter ce petit cadeau n'y aurait t'il pas moyen de faire d'abord le tour de tous les jouets reçus qui s'accumulent dans un panier ou dans des armoires? D'en choisir quelques un et d'en faire un gros paquet et de les apporter soi-même quelque part où on les donnerait à ceux qui n'ont jamais eu de cadeaux??? Et pour les adultes qui eux savent réfléchir eux-mêmes, même projet, ne pourrait-on pas lancer, comme auparavant on dédicaçait une année en l'honneur de ceci ou de cela, une année "sans cadeaux du tout". Juste pour savoir se contenter et de jouir des cadeaux qu'on a déjà reçus l'année d'avant et qu'on n'a pas eu le temps de prendre véritablement connaissance... C'est utopique? Oui, et alors? L'utopie peut réserver des surprises, non? Autre chose: à cause de notre manque de temps, ou de conscience, on ne s'est (presque) pas aperçu qu'il n'y avait plus de crêches dans les vitrines...

On les remplace par des "animaux d'hiver", ours polaires, cerfs... et ainsi on a perdu le sens de la crêche... et les petits enfants d'aujourd'hui ont alors perdu le sens de Noël qui est la pauvreté, dans le bonheur, d'être réchauffé par des animaux qui donnent ce qu'ils ont en eux, c.à.d. la chaleur, et par une sainte Famille qui entourent un Nouveau Né par la chaleur de leur Amour, cadeau éternel, etc... etc... Je trouve que l'on pourrait essayer de décider d'une année sans cadeaux!!! Je crois que tout le monde serait content et heureux de ne pas avoir à céder à une convention annuelle, et en plus ce ne serait pas cher!!! Trêve de plaisanterie. Essayons une trêve de Paix, pour un an, disons. Une paix que nous apportera un embargo sur les cadeaux, fini les foules hagardes, fini la folie des courses à toute allure, etc... et tout cela nous apportera LA véritable paix, c.à.d. LE cadeau tant attendu!

6.Posté par Tamara Schakhovskoy le 31/10/2013 19:43
Merci à PO de nous avoir reproposé ce texte, toujours aussi vibrant et juste.

En contrepoint aux remarques d'Anne K.-K., je voudrais raconter mon effarement de ce matin devant l'évolution qui sévit jusque dans ce qui passe, encore aujourd'hui je crois, pour être "la presse catho".

Au courrier de ce matin, donc, j'ai trouvé un envoi des éditions Bayard Presse : publicité très colorée pour les nombreuses publications pour enfants de ce groupe, certaines bien sympathiques à première vue.

Je regarde mieux la sélection de pages du magazine Pomme d'Api (3-7 ans) "Des histoires pour attendre Noël" et que vois-je : p. 8 " Avec le sapin-calendrier de l'avent et ses 24 histoires, tu pourras suivre, jour après jour, les aventures de.... MARTIN LE LUTIN... jusqu'au soir de Noël" ! Et p. 9, un extrait de la première histoire "richement illustrée intitulée "Martin et la lettre-mystère". En résumé, la neige tombe sur le village des lutins, un grand sapin trône au centre du village et le petit Martin dort dans sa maison-pomme de pin en attendant que son papa vienne l'embrasser pour le réveiller.
Je n'ai rien contre les belles histoires avec de jolis dessins "pour nourrir l'imagination de votre enfant", mais consacrer exclusivement le calendrier de l'Avent à un lutin, cela me heurte !

D'ailleurs, c'est bien simple : dans les 16 pages proposées pour inciter à l'abonnement, il n'y a pas la moindre allusion à la Nativité, pas la moindre explication chrétienne de la fête, juste des cadeaux, encore des cadeaux... Idem p. 7, trois devinettes : 1) autour d'un cadeau, on fait un noeud ou un voeu ? 2) en haut du sapin, on accroche l'étoile de Noël ou les toiles d'araignées ? (!!!) 3) les rennes du Père Noël ont des cornes ou des couronnes ?
A ce stade, tout ce qu'on peut dire, c'est... pfffffff.

7.Posté par Tchetnik le 31/10/2013 23:01

"La Croix" touche 33 centimes d subventions par exemplaire vendu et un total de 9 988 388 Euros de subventions par an entre 2009 et 2011. (juste en dessous de l'"Huma" donc...).

"Pélerin Magazine", lui, sur la même période, a touché 2849 399 Euros soit 23 centimes par exemplaire vendu.

Il est évident que Bayard a vendu son maitre, mais, avec l'inflation, les 30 Deniers ont fait des petits.

8.Posté par Perplexio le 01/11/2013 09:59
Dans le même registre évolutionniste le témoignage de cette messe de mariage (catholique) un après-midi dans une paroisse normale du diocèse normal de Versailles, messe new style qui n'était pas une liturgie mais une sorte de radio-crochet.

Chacun des assistants qui le voulait était en effet invité par un animateur laïc à l'ambon à s'approcher du micro installé devant l'autel, et à y aller de sa petite intervention personnelle improvisée.
Au bout de 3/4 d'heure il y eu un Notre-Père, la seule prière, la seule allusion à Dieu. Mais ni évangile, ni credo, ni consécration … rien ne se passa à l'autel.

Soudain surgirent des laïcs hommes et femmes qui distribuèrent à la main dans les rangs, à qui en voulait sauf aux enfants … des hosties déjà consacrées. Consacrées où ? quand ? comment ? mystère ... les participants les portèrent directement à leur bouche.
Ensuite un prêtre bénit les anneaux et formula des voeux pour les nouveaux mariés, un chant fut entonné, étouffé par l'orgue retentissant, la cérémonie pris fin.
Pas une seule fois le nom du Christ ne fut prononcé au cours de cette sorte de contre-façon cérémonielle tout à fait officielle m'a-t-on assuré. C'était le vide du faux-semblant.

Attristé, j'en sorti pris de compassion pour ces brebis délaissées, laissées à elles-mêmes jusque dans leur église.

Et perplexe, je me demandais ce que nos militants créatifs orthodoxes oecuménistes patentés en extase devant le catholicisme, si friands d'incantations sur le "langage d'aujourd'hui" et autres nouveautés, pouvaient bien attendre de ses fruits désagrégés.

9.Posté par Tamara Schakhovskoy le 01/11/2013 12:53
C'est... désespérant, sans aucune métaphore.

10.Posté par Vladimir.G le 02/11/2013 18:54
Expérience très différente: dimanche dernier (27/10/13)m basilique st Petronius à Bologne. Messe en italien célébrée à l'autel principal (au dessus de la nef). Crédo (distribué avec les textes d'autres chants) version "des Apôtres", sans "filioque". Longue homélie (plus de 15 mn) ou je reconnais plusieurs fois les mots "unico Salvatore" et "Christos"... Consécration à l'autel, face à la nef. Pas d’enfants de chœur ni de clochette. C'est un diacre qui commence la communion au pied de l'autel, en déposant l’hostie dans les maints jointes des fidèles, puis le prêtre descend à son tour, accompagné d'un servant portant le calice, et lui donne la communion en trempant l'hostie dans le calice et en la posant directement dans la bouche des fidèles. A certains il pose une question et donne la communion après un acquiescement. Approche une petite fille de 8-10 ans et la question tourne au conciliabule avec intervention de la maman... Puis la petite fille communie sous les deux espèces ainsi que sa mère...

Je trouve que nous voyons, dans ces deux témoignages, qu'il y a beaucoup de diversité de pratiques dans l'Eglise catholique: si certaines tendent clairement vers le protestantisme, d'autres, au contraire, se rapprochent de l'Orthodoxie, ce qui est certainement le résultat du témoignage orthodoxe en occident...

11.Posté par Daniel le 02/11/2013 21:36
La communion dans la bouche est l'ancienne pratique catholique toujours possible et pratiquée dans certaines paroisses parisiennes. Aucune influence orthodoxe dans tout cela, sachant que l'usage antique était de communier dans la main mais fut abandonné car certains volaient l'eucharistie pour des messes noires.

La communion sous les deux espèces est aussi toujours possible et je l'ai toujours vu dans mon enfance. L'hostie était trempée dans le vin. Ce type de communion a d'ailleurs toujours eu cours en occident car a été prôné par les hussites et bien d'autres, ce qui a contribué à entretenir le souvenir de la communion sous les deux espèces. Aucune influence orthodoxe à nouveau.

Quant à la communion des enfants, dans certains pays catholiques, la première communion a lieu très tôt, et j'avais vu aussi dans une paroisse parisienne un prêtre demander à la mère (a-t-il fait sa première communion, réponse oui) et il a donné la communion. A nouveau, aucune influence orthodoxe.

12.Posté par Tchetnik le 02/11/2013 22:28
Cette pratique st effectivement très ancienne et largement antérieure à la venue en masse de Chrétiens Orthodoxes en Occident.

Certaines églises en France, Italie et ailleurs ont simplement conservé des usages antiques en Occident. L'Église Arménienne communie de la même manière ceci dit en passant.

Cette pratique n'est hélas pas plus le résultat d'un "témoignage Orthodoxe" hélas bien parcimonieux que la "redécouverte" de Pères de l'Église qui avaient fait l'objet d'éditions en français et en anglais très exhaustives au XIXième siècle.

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