Vladimir Golovanow

Un exemple des ambiguïtés de la politique coloniale russe dans les steppes kazakhes

Je signale cette très intéressante publication de Sébastien Peyrouse, chercheur associé à l’IRIS et spécialiste de l’Asie centrale (1). Sébastien Peyrouse y donne en effet beaucoup de détails passionnants et peu connus
J'en propose un résumé.


Tout au long du XIXe siècle, l’Église orthodoxe, en grande partie privée de son indépendance face à l’État, a tenté de s’affirmer en cherchant à participer à la « mission colonisatrice » de la Russie en Asie centrale. Cette action semblait particulièrement importante après l'annexion du Kazakhstan à la fin du XVIIIe siècle; en effet, les Kazakh, essentiellement nomades, sont encore peu islamisés et gardent beaucoup de traditions chamanistes, mais ils sont soumis à un prosélytisme musulman très actif lié à la promotion du pantouranismes. Pourtant elle eut du mal à obtenir des autorités le droit de créer une mission dite « antimusulmane » et, enfin fondée en 1881, cette mission dut affronter de nombreux obstacles, de l'insuffisance des moyens humains à l'absence d'inculturation, en passant par la volonté politique des autorités de ne pas heurter les Musulmans de front après la conquêtes du Turkestan et du Caucase.

Le bilan de leur mission que dressent les responsables au début du XXe siècle est particulièrement pessimiste et beaucoup ont perdu leurs illusions sur une œuvre à laquelle l'Eglise avait pourtant aspiré depuis le début du siècle précédent. Le nombre de conversions de Kazakhs reste extrêmement limité : si on enregistre, en 1898 et 1902, 59 et 66 baptêmes, on passe à 22 conversions en 1905 et le chiffre ne cesse de diminuer après 1906. L’échec de la mission "antimusulmane" est d’autant plus flagrant que celle de la partie orientale de la Russie se vante d’avoir amené à l’orthodoxie 15 381 personnes (parmi lesquelles 6 622 vieux-croyants, 1 140 membres de sectes et quelque 3 867 « païens », chamanistes et Russes détachés de la religion. Toutefois près de 12 000 personnes abandonnent l’orthodoxie après la loi de 1905(2): plus de 4 200 personnes retournent vers les mouvements vieux-croyants tandis que 5 000 environ entrent dans des confessions considérées comme sectes.)

Au terme de plus de trente années de missions dans les steppes kazakhes, l’échec orthodoxe est flagrant et s’explique dans le cadre d’une triangulaire colonisateur-colonisé-gouvernement. Le pouvoir politique a manifestement peu fait pour la christianisation des allogènes kazakhs et les missionnaires orthodoxes se sont révélés inadaptés à leur environnement, écrasés par une hostilité venant de toutes parts (« clergé » de l’islam, Kazakhs musulmans ou chamanistes, pouvoir central, hiérarchie religieuse et colons russes). Les raisons de cet échec doivent donc être recherchées non seulement dans le contexte minoritaire des chrétiens en Asie centrale mais dans la perte d’influence d’une Église rejetée des hautes sphères du pouvoir. Une telle approche permet ainsi de mettre à mal l’idée que l’avancée russe en Asie centrale fut également une colonisation religieuse et explique en particulier que dans les régions plus peuplées et où l'Islam était mieux implanté (autres principautés d'Asie Centrale, principautés du Caucase) l'Orthodoxie soit restée très minoritaire.

Mais la situation a considérablement évolué au Kazakhstan après la révolution: cela pourra faire l'objet d'un prochain article.
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Notes

(1) Sébastien Peyrouse est chercheur associé à l’IRIS, spécialiste de l’Asie centrale.

Il est actuellement chercheur au Woodrow Wilson International Center for Scholars (WWICS, Washington DC), rattaché au Kennan Institute. Titulaire d'un doctorat de langues et de civilisations russes (Institut des Langues et civilisations orientales, Paris), Sébastien Peyrouse a travaillé cinq ans en tant que chercheur à l'Institut Français d'Etudes sur l'Asie centrale (IFEAC, Tachkent). En charge du programme "politique et religion en Asie centrale contemporaine", il a mené des recherches dans les cinq républiques de la région. Il a également été boursier de l'INALCO et du Ministère des Affaires étrangères (Lavoisier) en Russie.

(2) Loi de tolérance accordant à chacun la liberté de religion ainsi que le droit de se convertir à celle de son choix.
J'en propose un résumé mais je ne saurais trop recommander sa lecture complète disponible en PDF


Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 17 Octobre 2011 à 13:00 | 2 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Daniel le 17/10/2011 21:56
Espérons que l'Eglise de Russie ne rate pas le coche de l'évangélisation des Kazakhs à présent! L'usage du kazakh dans la liturgie devrait être un atout!

2.Posté par vladimir le 22/10/2011 18:14
KAZAKHSTAN – Première célébration de la Messe de la Journée missionnaire mondiale en langue russe
Agenzia Fides , le 21 octobre 2011


Astana (Agence Fides) – Nombreuses sont les initiatives prises en vue de la Journée missionnaire mondiale au Kazakhstan, où les Œuvres pontificales missionnaires (OPM) ont été instituées en 2008 et continuent depuis lors à s’engager afin de faire connaître aux kazakhs les objectifs et l’action des OPM de par le monde. Le Père Bonaventura Garofalo, Directeur national des Œuvres pontificales missionnaires dans le pays, raconte à l’Agence Fides que, jusqu’à présent, il n’existait pas de textes en langue russe qui expliquent l’existence et la signification de la Journée missionnaire mondiale et des OPM. « J’ai envoyé à chaque Paroisse du Kazakhstan différents textes sur les Œuvres pontificales missionnaires qui jusque là n’existaient pas en russe pas plus que n’existaient de textes expliquant l’existence et les objectifs des OPM – déclare le Père Garofalo. Dans le cadre de la préparation de la prochaine Journée missionnaire mondiale, j’ai envoyé à tous les prêtres et à tous les religieux une brève introduction à lire afin de familiariser avec cet important événement qui se célébrera le dimanche 23 octobre ».
« Les textes – continue le Père Garofalo – comprennent une présentation de chacune des Œuvres pontificales, de leurs fondateurs et de leur histoire. Nous sommes en outre parvenus à obtenir la traduction en russe, qui n’a jusqu’ici jamais existé officiellement, du texte de la Messe pour la Journée missionnaire mondiale. Le texte, que chaque Paroisse a reçu, a été traduit par S. Exc. Mgr Athanasius Schneider, Evêque d’Astana, à partir de l’original latin. Moi-même ai traduit le Message du Saint-Père Benoît XVI pour la Journée et j’ai demandé à ce qu’il soit lu dans toutes les Paroisses. J’ai écrit une lettre dans laquelle j’explique les objectifs de la Journée missionnaire et ai encouragé tous les prêtres et religieux à expliquer aux fidèles les motifs pour lesquels nous devons être reconnaissants pour cette Journée, au-delà du soutien spirituel et économique que nos missions reçoivent de l’Eglise. Je les ai invités également à encourager les gens à dédier du temps et des talents à l’Eglise ». (AP) (Agence Fides 21/10/2011)

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