Les nouveaux martyrs de Boutovo, vus par des chrétiens d'occident
"FOMA" Un article de Constantin Matsan, traduit par

Laurence Guillon

Il se trouve que le sort des nouveaux martyrs de Boutovo ne touche pas seulement le cœur de nos compatriotes. On a pu le voir avec des pèlerins de divers pays d’Europe (Grande-Bretagne, Italie, Suède, Pologne, Serbie etc.) qui sont venus pour la Semaine Sainte, fin avril, à Moscou.

Ils furent amenés par des moines de la communauté française de Taizé. Leur plus forte impression fut le vendredi saint, jour que nos hôtes passèrent au Polygone de Boutovo. L’Allemand Benjamin étudie la théologie en Suède. Il a vingt-cinq ans. Comme il convient à un Européen, il ne sait pas discuter avec des inconnus sans sourire.

Les nouveaux martyrs de Boutovo, vus par des chrétiens d'occident
- La fidélité à la tradition, voilà ce qui me sidère le plus, dans l’Eglise Orthodoxe.
Benjamin représente avec ses mains, dans l’atmosphère, quelque chose comme une pelote dont on tire un fil.
- Il y a le socle antique, et la contemporanéité qui lui est directement liée. Et ici, Benjamin désigne dans son dos le Polygone de Boutovo, on en prend conscience plus que n’importe où ailleurs.

- Quand on prononce le mot « saint », il nous vient tout de suite à l’esprit, on ne sait pourquoi, des images du XIV° ou du XV° siècle. Pour nous, européens, les saints les plus connus et les plus vénérés appartiennent tous au moyen-âge. Mais ici, le stéréotype habituel se brise. Il s’avère que les saints sont beaucoup plus proches. Ils peuvent être l’arrière-grand-père ou l’arrière-grand-mère de jeunes de notre âge. C’est-à-dire qu’ils font partie de notre génération. Et donc de nous-mêmes.

- Pourquoi ?
Benjamin essaye encore de représenter quelque chose avec ses mains dans l’atmosphère, mais cela lui paraît trop difficile. Aussi désigne-t-il, une fois de plus, le polygone.
- Venir ici, ça bouleverse toutes les représentations habituelles.

Nous avons discuté avec le frère Matthew, organisateur du voyage pour ce qui concerne Taizé, sur un banc, près de la petite église de bois située directement sur le territoire du polygone :- C’est une des églises les plus étonnantes que j’ai visitées à Moscou, reconnaît le moine.

Cette église, comme sa voisine de pierre, est consacrée aux Nouveaux Martyrs et Confesseurs de Russie, mais elle a été construite plus tôt. C’est ainsi qu’on l’appelle simplement : l’église de bois. Le groupe de pèlerins a du mal à s’y faire de la place. Sur le lutrin, au centre, est posée une icône des Nouveaux Martyrs et Confesseurs de Russie. Parmi d’autres sujets, sont représentés les croyants fusillés au polygone. Le guide montre le coin inférieur gauche :

- Si vous rencontrez un jour une icône de ce modèle, sachez que vous avez été précisément ici.

Visiter le polygone de Boutovo le vendredi saint n’avait pas été, pour les frères de Taizé, un choix fortuit.

- Il y a longtemps que je voulais amener nos pèlerins ici, dit le frère Matthew. Je connais bien nombre d’entre eux. Et maintenant, je vois leurs yeux, quand ils marchent le long des talus qui étaient autrefois des charniers. .. Ce sont des yeux tout à fait différents.

- Vous voulez que ce voyage change quelque chose dans le cœur des gens ?

- Je voudrais que chacun d’eux, en venant ici, se posât la question : jusqu’où pourrais-je aller, moi personnellement, pour défendre ma foi ?

Une demi-heure auparavant, j’avais discuté avec l’Italien Alessandro qui avait proféré une idée, d’un point de vue théologique peut-être un peu hardie, mais très pénétrante : - Quelques milliers de fusillés, et chacun d’eux, était le Christ, à sa manière. Je pense que peu de gens de ma génération peuvent, même de façon hypothétique, se retrouver dans la situation où ils auront à choisir entre leur foi et leur vie. Mais ici, à Boutovo, on commence à se demander tout à coup: est-ce que je pourrais, moi, comme ces quelques milliers, ne pas reculer et aller jusqu’au bout ? J’ignore la réponse…

Sur l’emplacement de la répression staliniennes des années 30, résonnaient les langues anglaise, française, italienne, polonaise, serbe. Les étrangers les plus curieux feuilletaient des brochures avec le texte des services religieux orthodoxes, demandaient aux guides russes comment se lisait tel ou tel endroit, et essayaient ensuite de prononcer eux-mêmes en slavon d’église: « Saint Dieu, saint Fort, saint Immortel, aie pitié de nous », mais ils le faisaient avec un fort accent étranger. Cela prenait un tour quelque peu fantasmagorique.

- Tu comprends, tentait de me rasséréner l’Anglaise Anna, il y a dans l’histoire des évènements qui concernent tous les hommes de la Terre, indépendamment de leur nationalité et de l’époque dans laquelle ils vivent. Le plus important, c’est qu’un évènement de cette sorte se soit produit il y a deux mille ans au Golgotha. L’écho direct en a résonné ici, il y a moins d’un siècle, chez vous, dans les environs de Moscou. C’est pourquoi nous sommes là…

La communauté de Taizé (ordre monastique) se trouve dans un village homonyme, en France, et compte à présent plus de cent moines de nationalités différentes, représentant l’Eglise Catholique Romaine et différentes branches du protestantisme. L’ordre se considère comme œcuménique, c’est-à-dire qu’il s’efforce de faciliter les contacts entre chrétiens de différentes confessions, de les aider à mieux se connaître les uns les autres.
Des milliers de pèlerins visitent Taizé chaque année. Pendant les mois d’été, vivent dans la communauté jusqu’à 6000 personnes par semaine. Les rencontres internationales de la jeunesse (de 17 à 35 ans) sont la priorité de la communauté. Elles comportent des moments de communication en petits groupes sur des thèmes évangéliques et des prières en commun. Pour prendre en considération les différentes confessions, les prières sont concentrées autour de la lecture des saintes Ecritures

Le polygone de Boutovo est l’un des endroits où l’on procéda à l’exécution massive et à l’enterrement des victimes des répressions staliniennes des années 30, non loin du village de Drojjino, district Lénine de la région de Moscou. Au début de la perestroïka, on entreprit la réhabilitation des victimes politiques de l’époque des répressions staliniennes. Il fut prescrit de retrouver les emplacements où elles avaient été enfouies et de publier les listes des fusillés. On découvrit alors, dans la direction moscovite du KGB, 11 tomes sur l’application des sentences portées sur 20765 personnes. Elles furent exécutées à Boutovo, dans la période du 8 août 1937 au 19 octobre 1938. Parmi eux, plusieurs milliers périrent pour leur foi ; des évêques, des prêtres, de simples laïques. Ils sont tous canonisés par l’Eglise Orthodoxe, en tant que Nouveaux Martyrs.
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"PO" Taizé, hôte de l'Eglise orthodoxe russe pour Pâques
Taizé - Russie: Le pèlerinage à Moscou au jour le jour
Paroles de remerciement de frère Alois au Métropolite Hilarion

Rédigé par Laurence Guillon le 12 Mai 2012 à 08:30 | 4 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Marie Genko le 29/08/2011 10:14

Il faut lire et relire les paroles de remerciement du frère Aloïs sur le lien ci-dessus, elles sont le témoignage de ce que notre Eglise mère peut aujourd'hui apporter à l'Occident.

2.Posté par Daniel le 30/08/2011 06:40
Article intéressant, en revanche surprenante photo des pélerins affalés dans l'église au premier rang ou debout appuyés au mur de l'église ou à l'icône

3.Posté par Laurence Guillon le 01/09/2011 15:03
Les occidentaux ont des attitudes par certains côtés plus "décontractées". Au monastère de Solan, je vois des Français orthodoxes s'asseoir par terre sans façon pour écouter l'homélie du père Placide, et pas seulement les enfants ou les jeunes, et cela ne me choque d'ailleurs pas du tout. Pourtant tout le monde est très fervent et prend les choses très au sérieux. A d'autres égards, je les trouve moins spontanés que les croyants russes, moins immédiatement ouverts, mais d'un autre côté, ils ne font à personne de réflexions déplacées. Je crois que le principal, en l'occurrence, c'est que les occidentaux prennent conscience de l'ampleur et de la portée du matryr des Russes sous le communisme, de leur témoignage.

4.Posté par Maricha Gestkoff le 12/05/2012 11:01
J'ai non seulement visité le polygone, mais cela fait trois ans que je passe la nuit de Pâques dans l'église "en pierre" qui est juste à côté. C'est mon "poste" pour accueillir la Sainte Flamme que mes scouts ORUR vont chercher à l'aéroport de Vnoukovo où arrive l'avion venant de Jérusalem. L'atmosphère dans cette église pendant l'office de la Résurrection avec les martyrs enterrés juste à proximité est magnifique.

Le père Cyrille, recteur, est le petit-fils d'un des prêtres fusillés au Polygone. L'église est assez loin de l'agglomération, mais elle est pleine à craquer, et il y a surtout des jeunes, des jeunes couples avec leurs bébés, des enfants de tous âges et quelques vieux en minorité.

Le long de certains murs de l'église inférieure il y a des vitrines avec des objets récupérés pendant les fouilles des tranchées. Cela va des croix, à des lettres et même à des chaussures (y compris des chaussures d'enfants!). C'est poignant et en même temps magnifique quand retentit : "Christ est ressuscité"!!! L'église supérieure est fermée pour l'instant, on termine sa décoration car l'église est très récente. J'espère pouvoir encore longtemps passer la nuit de Pâques en ce lieu saint où on sent la communion entre tous ces martyrs et les jeunes et moins jeunes Russes.
Maricha Gestkoff

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