MOLDAVIE - I : L’EGLISE ET L’ETAT A L’EPOQUE DE STALINE ET KHROUCHTCHEV
Voici un premier extrait de la thèse de doctorat soutenue par
L’hiéromoine Joseph ( Pavlinciuc), archevêché de Chesonèse

LES RELATIONS ENTRE L’EGLISE ET L’ETAT A L’EPOQUE DE STALINE ET KHROUCHTCHEV : L’EXEMPLE DU DIOCESE DE CHISINAU, MOLDAVIE
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Les persécutions de la fin de la période Khrouchtchévienne (1959-1964)
et leurs conséquences pour le diocèse de Chisinau.


Au cours de cette période, la politique de fermeture des églises et de déchristianisation des populations fut menée de façon beaucoup plus agressive et systématique que dans les années qui avaient immédiatement suivi la Seconde Guerre mondiale. La lutte antireligieuse de Khrouchtchev était bien préparée. Son but principal était que "les Églises soient fermées par les mains des prêtres". Il souhaitait avoir de bonnes relations avec l'Occident, mais n'y parvint pas, ce qui constitua le principal motif de sa destitution. D'après son plan, la fermeture des églises devait se produire pacifiquement, mais il faut constater qu'il n'en fut pas ainsi. En effet, en plusieurs occasions les croyants s’opposèrent à la suppression de leurs lieux de cultes. Un fidèle fut tué au monastère de Răciula et beaucoup de moines furent déportés. Mais la politique religieuse de Khrouchtchev ne réussit pas à venir à bout des résistances et de l’attachement des Moldaves à leur religion traditionnelle. Dans le présent chapitre, nous allons faire connaissance avec les plus tristes pages de l'histoire des relations entre l'Église et l'État en URSS.



MOLDAVIE - I : L’EGLISE ET L’ETAT A L’EPOQUE DE STALINE ET KHROUCHTCHEV
En 1959, Nikita Khrouchtchev donna le signal d’une nouvelle campagne massive visant à propager partout l’athéisme scientifique qui constituait un des points de la doctrine sociale du parti et à éradiquer la pratique religieuse. L’une des principales cibles de cette campagne était l’Église orthodoxe qui représentait la plus grande organisation religieuse du pays. On sait comment Khrouchtchev avait patiemment consolidé son pouvoir en écartant ses principaux adversaires, comme Beria et Molotov. En 1954 il était devenu Premier Secrétaire du CS du PCUS. Il fut également nommé Président du Conseil des Ministres de l’URSS en 1958. Au XXIe Congrès du PCUS (1959), le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif furent réunis entre ses mains. C'est à ce moment là que fut annoncé le dogme de la victoire finale du socialisme et le passage à l’établissement du communisme, dont Khrouchtchev attendait l’avènement dans les prochaines décennies. De fait, il n’y avait pas de place pour la religion dans cette "nouvelle" société communiste dont l’un des fondements devait être l’athéisme.
La mise en place de mesures anticléricales massives au cours de la période 1959-1964 se traduisit par la fermeture et la profanation de presque tous les monastères, le pillage et la destruction de près de 300 églises, la réduction drastique des effectifs du clergé au niveau d’un tiers. La «détente» politique et «la conquête du cosmos» servirent à la fois de paravent et de justification à la campagne planifiée de lutte contre l’Église. «L’éducation du peuple, le déploiement des connaissances scientifiques, l’étude des lois de la nature ne laissent aucune place pour la foi en Dieu» , - avait en effet déclaré Nikita Khrouchtchev. Les orientations données par le nouveau chef du communisme mondial furent confirmées par une directive secrète du CS du PCUS du 4 octobre 1958. Son titre complet est : «A propos de la note du département de la propagande et de l'agitation politique du CS du PCUS concernant les républiques de l’Union sur les insuffisances de la propagande athée scientifique». Elle fait obligation aux organisations du Parti, aux komsomols et aux organismes publics de lancer une vaste offensive de propagande contre «le reliquat de la religion». Le texte dit encore : «Nous sommes obligés de prendre toutes les mesures qui dépendent de nous en vue de l’affaiblissement de l’Église. Il faut agir de façon réfléchie et adroite…» . Il était enjoint aux institutions gouvernementales de mettre en œuvre des mesures de caractère administratif, afin de rendre plus difficiles les conditions d’existence des communautés religieuses.

A cette occasion, deux directives du Conseil des Ministres de l’URSS du 16 octobre 1958 furent confirmées : «Au sujet des monastères en URSS» et «De l’augmentation de l'impôt sur le revenu des manufactures diocésaines et des monastères» . La première directive enjoignait aux Conseils des Ministres des Républiques de l’Union, au Conseil pour les Affaires de l’Église Orthodoxe Russe et au Conseil pour les Affaires des cultes religieux de rendre sous six mois un rapport sur les moyens de réduire le nombre de monastères et des ermitages (skits ?) et de présenter au Conseil des Ministres des propositions dans ce sens. Il était également recommandé de réduire les surfaces de terres cultivables mises à la disposition de l’Église. Dans la deuxième directive «Sur l’augmentation des impôts» il était interdit à l’Église de vendre des cierges autrement qu’à prix coûtant. Ceci porta un sérieux coup aux revenus et au budget des paroisses puisque désormais l’acquisition de cierges dans les ateliers était devenue un facteur de déficit. On cessa donc d’en acheter, ce qui entraîna la fermeture de nombreux ateliers . En appliquant les directives du ministère soviétique au sujet des monastères, les autorités soviétiques enlevèrent aux couvents leurs petits lopins de terrain cultivable, leur laissant seulement des terres non-arables ou peu productives. Dans les monastères il était particulièrement difficile d’utiliser ces parcelles de terre puisqu’il était défendu d’engager de la main d’œuvre ou d’utiliser le travail bénévole des pèlerins pour cultiver la terre, ceci étant qualifié d’exploitation du travail humain. Or les monastères étaient principalement peuplés de personnes âgées et inaptes au travail, et il était interdit d'y accueillir des personnes âgées de moins de 30 ans.
Des directives et décrets anticléricaux continuèrent d'être pris. Le 9 janvier 1960 fut adoptée une directive du CS du PCUS «sur la mission de propagande du Parti dans contexte actuel» dont les rédacteurs fustigeaient la passivité de certaines organisations du Parti à l’égard de l’idéologie religieuse, opposée au marxisme-léninisme. La directive du CS du PCUS du 13 janvier «Sur les mesures destinées à contrecarrer les violations par le clergé de la législation soviétique concernant les cultes» est plus sévère encore et exacerbe encore la lutte antireligieuse. Elle porte atteinte aux fondements mêmes de l’activité de l’Église Orthodoxe Russe. Dans la directive il était prescrit qu' «en dépit de la législation soviétique sur les cultes, qui confère à des organes choisis par les croyants eux-mêmes le droit de diriger les communautés religieuses, les serviteurs du culte ont pris en mains la direction des paroisses et usent de ce pouvoir pour renforcer et propager la religion». Les organes locaux du gouvernement soviétique rivalisèrent d’efforts afin d'atteindre les objectifs de ces directives, particulièrement dans les régions périphériques. Il est vrai que pour garantir l’exécution des décisions prises au centre, un grand nombre d’administrateurs pour les affaires de la religion et de l’Église Orthodoxe Russe furent envoyés dans chaque République Soviétique. L'un d'entre eux était le président du Conseil pour les affaires de l’Église Orthodoxe Russe de l’Union Soviétique Guéorgui Karpov, ainsi que l’administrateur du Conseil pour l’Église Orthodoxe Russe en RSSM Piotr Romensky . Tous deux furent cependant rapidement écartés. Le déplacement de Romensky fut motivé parce qu’on l’accusait, sur la foi de dénonciations, d’être trop proche d’un archiprêtre auquel il rendait de fréquentes visites . De son côté, Guéorgui Karpov fut congédié de son poste et mis à la retraite, car, malgré ses efforts, il ne répondait pas suffisamment bien aux nouvelles exigences. V. A. Kouroiédovedov, un fonctionnaire du Parti, ancien « travailleur idéologique », et qui s’était fait une réputation de fidèle exécutant fut alors nommé au poste de président du Conseil pour les affaires de l’Église Orthodoxe Russe.

Le 17 mars 1959, par décret № 104 du Conseil des Ministres de RSSM, l’Administrateur pour les affaires de l’Église Orthodoxe Russe auprès du CM d’URSS fut désigné. Il s'agissait de А. I. Oleïnik, un athée notoire, ennemi avoué de l’Église . Il organisa «avec succès» l’opération de fermeture des paroisses, remplissant les directives du Conseil pour affaires de l’EOR et les ordres du Conseil des Ministres de l’URSS et de la RSSM.

Grâce à ce regain d’activité des communistes et des propagandistes athées, le processus de liquidation «du reliquat de l’idéologie bourgeoise» et «des préjugés religieux» se déroulait très rapidement. A ce moment-là le président du Conseil pour les affaires de l’EOR envoya dans la République une série d’instructions secrètes qui formulaient des objectifs et définissaient les méthodes de façon concrète. Elles expliquaient comment faire pour que la quantité des pétitions déposées pour obtenir la réouverture des églises diminue jusqu’à devenir négligeable ou nulle, comment faire pour mettre en avant les communautés de paroissiens "en déclin" et organiser des manifestations favorisant l’autodestruction de ces communautés. Enfin, et le plus important, il indiqua comment agir pour faire en sorte que «l’activité de l’Église diminue du fait même du clergé» . Dans ces lettres étaient données d’autres consignes encore, par exemple : «les administrateurs du Conseil doivent expliquer au clergé qu’il leur est interdit d’attirer les enfants et les adolescents âgés de moins de 18 ans dans la célébration du culte» . Ces instructions n’étaient que rarement ignorées ; au contraire, elles furent parfois appliquées de façon extrêmement stricte, comme le montre la lecture des comptes-rendus rédigés par A.I. Oleïnik de 1959 à 1964. Se fondant sur leurs instructions, nombre de plénipotentiaires locaux allaient jusqu'à exiger du clergé et des fidèles d’interdire aux enfants et à la jeunesse d’entrer dans les églises lors des offices divins. Dans son compte-rendu de 1959, Oleïnik remarque : «Au cours de l’année 1959, un travail en vue de l’affaiblissement de l’influence de l’Église et des monastères sur les croyants a été mené. Les résultats sont les suivants : on a confisqué aux monastères leurs parcelles de terrain (environ 540 ha de terre arable et plus de 90 ha de jardins et vignobles), il a été mis fin aux violations sérieuses de la réglementation financière et fiscale vis-à-vis des monastères que commettaient les communautés de réguliers et des prêtres. Grâce au travail d’éducation mené auprès des masses, 30.000 calvaires ont été enlevées du bord des routes et un certain nombre d’autres mesures ont été mises en œuvre» . En 1959, les offices divins furent supprimés dans 159 églises, et sept monastères furent fermés et leurs biens confisqués «avec succès». Oleïnik croit nécessaire d’ajouter que «cette diminution du nombre des églises actives a été réalisée sans porter atteinte aux besoins religieux des croyants» . En conclusion il revient, avec une certaine satisfaction, sur la raison principale qui explique à ses yeux sa réussite : «Nous avons accordé une grande attention à ce que toutes nos mesures, en rapport avec la suppression des monastères, la suppression des offices divins dans les églises et la suppression des communautés religieuses, fussent mises à exécution par le diocèse lui-même, de ses propres mains. La pratique montre qu’une telle approche donne de bons résultats» . Oleïnik précise néanmoins que tout ce travail a été accompli «avec l'aide quotidienne renforcée du CS du PC de Moldavie et du Conseil des ministres de la République» .

L’administrateur avait remarqué la passivité et l’indécision de l'archevêque Nectaire et su s'en servir habilement. Il caractérisait ainsi le prélat : «En général, en manipulant habilement son caractère et son tempérament, il est possible de lui faire prendre, par lui-même, toutes les mesures visant à l’affaiblissement de l’Église» . Malheureusement, il ne s'agissait pas là d’une simple vantardise. «Tout le travail effectué en vue de la suppression de 159 églises en 1959 fut réalisé sans la moindre pression sur le clergé épiscopal. [Passage souligné par mes soins P.P.]. Au cours des discussions, nous sommes parvenus à le persuader que cette mesure ne mènerait pas à la restriction des droits des croyants» .
L’évêque a donc remis de lui-même une liste des «églises vouées à être rayées du registre». On voit donc que les agissements du prélat se distinguaient à peine de ceux des communistes et des non-communistes des années 30, qui avaient prêté la main à la politique de déchristianisation. Il est cependant indispensable de se demander quelle était la position exacte de Nectaire et de son entourage. Était-il, au moins en partie convaincu par les arguments de ses interlocuteurs ? Ou s’est-il laissé intimider ? Les sources dont nous disposons ne laissent pas entendre qu’il ait été menacé de mort, de prison ou de déportation, mais la menace n’avait pas besoin d’être explicite. Un homme de son âge et de sa formation ne pouvait pas ne pas penser aux paroles de l’apôtre Paul : «De fait, à notre arrivée en Macédoine notre chair ne connut pas de repos. Partout des tribulations : dehors, des luttes ; au-dedans, des craintes» (2 Cor. 7, 5).

ECOLE PRATIQUE DES HAUTES ETUDES
SCIENCES HISTORIQUES, PHILOLOGIQUES ET RELIGIEUSES
MENTION « SCIENCES DES RELIGIONS ET SOCIETE »

Directeur de recherche : Monsieur le professeur Pierre Gonneau - 2009

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Notes:

214 Dans le diocèse de Chisinau de Moldavie l’atelier fut fermé dès le dix juillet 1958 et cette première expérience inspira la directive du Conseil des ministres. ANRM. Fds. 4036. Inv.1. Dossier 85. Feuilles,71.

215 La parole prophétique de l’archevêque Benoît (Poliakov) s’accomplissait: «Le plénipotentiaire camarade Romensky… a pointé une arme contre moi, de même puisse cette arme se retourner, par la Volonté Divine, contre lui». GARF. Fds.6991. Inv.7. Dossier 24. Feuilles,26-27.

220 En Moldavie, il était de tradition de planter des croix et de placer des icônes aux carrefours des routes, ou auprès des puits. Dans certains villages les paysans plantaient une croix auprès de chaque puits et sur chaque route. Les chrétiens les plus fervents s’astreignaient à planter dans leur cour une croix, qui était disposé soit auprès de la porte d’entrée, soit au centre de la cour.







Rédigé par l'équipe de rédaction le 24 Juin 2010 à 15:41 | 0 commentaire | Permalien


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