V.Golovanow

"L'Eglise catholique romaine affirme que le mariage est, pour ainsi dire, réalisé par les conjoints eux-mêmes, lorsqu'ils consentent l'un à l'autre. Dans l'Eglise orthodoxe, c'est le prêtre ou l'évêque qui bénit le mariage et qui, au nom de la communauté, invoque Dieu, lui demandant d'envoyer l'Esprit Saint (épiclèse) sur l'homme et la femme, et les faisant donc "une seule chair".

Dans cette perspective, le mariage est, pour l'Eglise orthodoxe, plutôt un chemin spirituel, une recherche de Dieu, le mystère d'unité et d'amour, l'anticipation du Royaume de Dieu, plutôt qu'une exigence de la procréation."

Mgr Athenagoras (Peckstadt), Evêque de Sinope, "Mariage, divorce et remariage dans l’Eglise orthodoxe: économie et accompagnement pastoral", Congrès international “Mariage, divorce et remariage”, Leuven (18 -19 avril 2005)

Mgr Athenagoras (Peckstadt): L'expérience orthodoxe sur la question du mariage
"Mariage, divorce et remariage dans l’Eglise orthodoxe: économie et accompagnement pastoral"

Les débats sur le mariage continuent au sein de l'Église catholique depuis le synode sur la famille d'octobre 2014 et certains théologiens évoquent toujours l’expérience de l’Eglise orthodoxe qui permet aux couples mariés de divorcer et n’empêche pas la communion.Ainsi l"'Osservatore Romano", organe officiel du Vatican, vient de faire référence à une conférence prononcée sur ce sujet en 2005 par Mgr Athénagoras (Peckstadt), actuel métropolite de Belgique et exarque des Pays-Bas et du Luxembourg

Trois extraits de cette conférence*

- D'abord la fin du passage intitulé "le mariage chrétien: mystère-sacrement" qui continue l'idée de l'introduction que j'ai mise en exergue:

"Cette union, accomplie dans le sacrement de mariage, n'est pas une action unilatérale de l'Eglise. Car l'être humain n'est pas appelé à participer de manière passive à la grâce divine : il est convié à être un collaborateur de Dieu. Et même alors, il reste dépendant de la faiblesse et du péché d'une existence humaine.

Dans cette perspective, la procréation (1 Tm.¸2 15) est vue comme une coopération (synergie) de l'être humain à l'œuvre créatrice. Par la procréation, le mystère/sacrement du mariage se trouve en relation immédiate avec le mystère de la vie, de la naissance d'âmes humaines, de l'immortalité et de la mort."

- Et voici un passage sur "l'indissolubilité du mariage":

"La théorie de l'indissolubilité du mariage a une grande valeur pédagogique. L'invitation du Christ est un commandement. Ceux qui sont liés par le mariage doivent veiller à ne pas se séparer, car ils doivent leur unité à Dieu. Mais l'invitation qui suit : "Que l'homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni" (Mc, 10 9; Mt., 19 6) ne signifie pas une sorte de crispation magique. En tout mystère sacramentel, hormis le baptême, s'impose toujours la collaboration de la volonté humaine.

Au fil des siècles, l'Eglise est toujours restée fidèle au principe énoncé par Paul, à savoir qu'un deuxième mariage est une déviation par rapport à la règle chrétienne. En ce sens, la doctrine orthodoxe défend non seulement l'"indissolubilité" du mariage, mais surtout son "unicité". Tout vrai mariage ne peut être qu'"unique".

***
Pensons ici encore à cette analogie qu'établissait Paul entre l'union du Christ et de son Eglise, avec celle de l'époux et de l'épouse. Cette analogie qui est comme la base du mystère, présuppose une unité réelle et durable du couple, ce qui exclut donc tout à fait une polygamie simultanée et qui voit un mariage unique comme l'idéal.

Le divorce ne guérit pas un mariage malade, mais il le tue. Ce n'est pas une attitude ou un comportement positif. Il s'agit de la dissolution de la "mini-Eglise" qui a pris forme par le mariage. L'Ecriture sainte attribue le divorce à la dureté de coeur de l'être humain. Ceci est considéré comme une chute et un péché. Et néanmoins l'Eglise orthodoxe peut admettre le divorce et le remariage, sur base d'une interprétation de ce que le Seigneur dit en Mt.,19,9: "Si quelqu'un répudie sa femme - sauf en cas d'union illégale - et en épouse une autre, il est adultère". Selon l'évêque Kallistos Ware, le divorce est une attitude d'"économie" ou de "philanthropie" de l'Eglise envers un pécheur. "Puisque le Christ, selon le récit de Matthieu, a permis une exception à sa règle générale sur l'indissolubilité du mariage, l'Eglise orthodoxe peut consentir à des exceptions".

- Enfin un passage que l'organe catholique ne cite pas: le rappel des règles orthodoxes sur "Le remariage":

"Bien que l'Eglise condamne le péché, elle veut aussi toujours rester une aide pour ceux qui souffrent et, pour ceux-ci, elle peut autoriser un deuxième mariage. C'est assurément le cas lorsque le mariage a cessé d'être une réalité. Un éventuel deuxième mariage n'est donc concédé qu'à cause de la "faiblesse humaine". Ainsi, l'Apôtre Paul dit à propos des personnes non-mariées ou veuves : "S'ils ne peuvent vivre dans la continence, qu'ils se marient" (1 Cor., 7 9). C'est concédé comme une approche pastorale, en vertu de l'"économie" envers la faiblesse de l'homme et du monde corrompu dans lequel nous vivons.

***

Il serait tout à fait erroné de croire que des chrétiens orthodoxes peuvent se marier deux ou trois fois! Et pourtant le droit canonique orthodoxe permet, au nom de "l'économie", un deuxième et même un troisième mariage, mais interdit strictement un quatrième. En principe, le divorce n'est reconnu qu'en cas d'adultère, mais pratiquement il l'est aussi pour d'autres raisons. Il existe une liste de motifs de divorce, admis par l'Eglise orthodoxe. Dans la pratique les évêques appliquent à l'occasion l'"économie" avec libéralité. Pourtant, le divorce et le remariage ne sont tolérés qu'au nom de l'économie", c'est-à-dire par souci pastoral, par compréhension de la faiblesse humaine. Un deuxième ou un troisième mariage sera donc toujours une déviation par rapport à l'"idéal d'un mariage unique", souvent une nouvelle chance pour "corriger une faute".

Lire aussi L’Eglise orthodoxe de Russie a validé la liste des dispositions concernant la conclusion et la dissolution du mariage religieux

Mgr Athenagoras (Peckstadt): L'expérience orthodoxe sur la question du mariage
"L’expérience de l’Eglise orthodoxe permet aux couples mariés de divorcer et n’empêche pas la communion."

Le métropolite Athénagoras de Belgique était "délégué fraternel" au synode de 2014 et donna à cette occasion une interview à "Radio-Vatican"

"L’Église orthodoxe a toujours reconnu que l’homme a aussi ses faiblesses. Déjà Saint Basile le Grand qui vivait au 4-5°siècle, qui était l’archevêque de Césarée en Cappadoce, un grand Père de l’Église d’Orient disait par exemple que si un homme était trompé par sa femme et qu’il voudrait se remarier, il serait pardonnable et donc, à excuser. Dès le début déjà, les Pères de l’Église étaient soucieux du salut de l’homme. Et finalement, comme pasteurs, nous devons accompagner toutes ces ouailles dans leur cheminement, le chemin du Christ.

Vous pensez que la doctrine orthodoxe en la matière peut être transposable au sein de l’Église catholique ?

Dès le début, les règles étaient les mêmes mais l’Église orthodoxe a aussi appliqué une façon plus souple ce qu’on appelle dans l’Église orthodoxe, « l’économie », c’est-à-dire cette souplesse qui existe au sein de la pastorale orthodoxe. D’un côté, il y a « l’acribia», l’application stricte du canon, de la règle et de l’autre côté, « l’économie ». C’est-à-dire qu’on doit aussi être conscient que parfois, les règles sont trop strictes pour les hommes. Alors, quand il y a un échec dans la vie personnelle de l’homme ou de la femme, c’est à l’évêque de voir s’il n’y a pas une possibilité de donner une deuxième chance. C’est ce que l’Église orthodoxe applique mais ce n’est pas une règle. Il se peut que l’évêque donne la possibilité à quelqu’un de se remarier et d’avoir une nouvelle chance dans sa vie privée.

Comment réussissez-vous à faire passer ce message auprès de vos frères catholiques ?


Nous avons déjà eu une semaine de travail. Nous, les délégués fraternels, nous avons eu la chance de pouvoir exprimer notre point de vue vendredi dernier. Et déjà, avant ça, nous avons entendu les pères synodaux eux-mêmes parler de la façon orthodoxe dans la pastorale. Ça veut dire que l’Église catholique est consciente que l’Église orthodoxe a quelque chose à dire dans ce domaine-là. Et donc, ce n’est pas tellement difficile de faire passer le message. Je sais que le Saint-Père lui-même est très intéressée à cette approche orthodoxe dans la pastorale.

Il y a-t-il d’autres positions de l’Église orthodoxe qui peuvent servir à l’Église catholique dans le domaine général de la famille ?

Je plaide aussi pour un retour à une prêtrise mariée. Je suis moi-même un fils d’un prêtre marié, j’ai un frère prêtre marié et j’ai un beau-frère marié. Et maintenant que je suis métropolite du diocèse pour le Benelux, je n’ai que des prêtres mariés. Ça veut dire que nous avons gardé cette ancienne pratique et que je pense qu’en Occident, vu que l’Église catholique a trop peu de prêtres, ce serait une bonne chose de retourner à cela. Et le prêtre marié est celui qui a déjà une expérience de la vie familière. Il peut être aussi le meilleur Père spirituel pour ceux qui se trouvent dans des problèmes familiaux.

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* Le texte complet de cette conférence est disponible ICI

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 23 Août 2015 à 15:59 | 2 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Vladimir G: Aux yeux du pape, « la grande majorité des mariages (catholiques) sont nuls » le 26/06/2016 10:47
Aux yeux du pape, « la grande majorité des mariages sont nuls »
Sébastien Maillard (à Rome), le 17/06/2016 à 15h37

Le pape François a demandé, jeudi 16 juin, à approfondir la préparation au mariage en développant un « apostolat de l’écoute » estimant que l’ignorance de l’engagement sacramentel rend le plus souvent les mariages « nuls ».
Le pape François à l’audience, 25 mai 2016

En écho à un sujet déjà débattu pendant le synode sur la famille, le pape François a demandé que les préparations au mariage soient davantage approfondies, faute de quoi « la grande majorité des mariages sacramentels sont nuls ». Dans sa retranscription de l’improvisation du pape, le Vatican a écrit qu’il avait dit « une partie de nos mariages sacramentels sont nuls » mais en réalité il a affirmé « la grande majorité ».

« Ils disent 'oui, pour toute la vie' mais ils ne savent pas ce qu’ils disent parce qu’ils ont une autre culture », a observé le pape, qui s’exprimait de manière improvisée, le 16 juin, en ouverture du Congrès ecclésial du diocèse de Rome en la cathédrale de Saint-Jean-de-Latran. « Ils ont de la bonne volonté mais n’ont pas la conscience (du sacrement, NDLR.) », a-t-il poursuivi, dépeignant une « culture du provisoire » à partir de son expérience pastorale en Argentine.
« On ne sait pas ce qu’est le sacrement »

« La crise du mariage est parce qu’on ne sait pas ce qu’est le sacrement, la beauté du sacrement. On ne sait pas qu’il est indissoluble, on ne sait pas que c’est pour toute la vie », a insisté le pape François, regrettant la focalisation sur la préparation matérielle du mariage. Celle au sacrement exige du temps, comme pour les vocations sacerdotales ou religieuses. Il faut faire la préparation « avec proximité, sans se faire peur, lentement » : « C’est un chemin de conversion ». Faisant ainsi l’éloge de la patience, le pape a souhaité, comme pendant le récent jubilé des prêtres, que ceux-ci développent un « apostolat de l’oreille » : « écouter, accompagner ».

Comme en d'autres occasions, il a rappelé que lorsqu’il était archevêque de Buenos Aires, il avait toujours interdit les mariages pendant une grossesse parce qu'alors la précipitation à se marier avant la naissance, pour être « socialement en règle », empêchait le sacrement d'être librement consenti – ce qui est un motif de nullité.

« Tant de fidélité dans les cohabitations »

Toujours s'appuyant sur des exemples argentins, le pape a aussi constaté, sans juger, que la plupart des couples venant aux préparations au mariage cohabitaient déjà. « Ne pas dire toute de suite ‘Pourquoi tu ne te maries pas à l'église’ », a-t-il recommandé aux nombreux prêtres présents : « Non, accompagnez-les, attendre et faire mûrir la fidélité ». « Pourtant, vraiment, je dis que j'ai vu tant de fidélité dans ces cohabitations, tant de fidélité », a observé l'ancien archevêque de Buenos Aires. « Je suis sûr que ceci est un vrai mariage, ils ont la grâce du mariage justement par la fidélité qu'ils ont ».

Des propos qui rappellent l'invitation à discerner les éléments positifs des cohabitations faite durant les deux synodes successifs sur la famille, en 2014 et 2015, et reprise dans l'exhortation post-synodale du pape cette année, Amoris laetitia.

Sébastien Maillard (à Rome)

2.Posté par Vladimir G: Le mariage chrétien est-il indissoluble ? le 26/06/2016 10:53
Le mariage chrétien est-il indissoluble ?
Christophe Chaland, le 20/10/2015 à 16h16

L’échec d’une partie des couples a toujours interpellé l’Église sur l’indissolubilité du mariage.
L’indissolubilité du mariage chrétien en question

La condamnation par Jésus de la répudiation de l’épouse (Mt 19, 3-12) avec l’affirmation « ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas », fonde la doctrine de l’indissolubilité du mariage. Mais la première génération chrétienne elle-même, devant la réalité de la vie des couples, a reçu cette parole prophétique en soulevant des exceptions (Mt 5, 32 et 19, 9 ; 1 Co 7, 10-11).

En droit, la notion d’indissolubilité dans sa compréhension actuelle est formalisée au XIIe siècle. Tout mariage est indissoluble, mais l’Église se donne le pouvoir d’en dissoudre certains, qui ne sont pas contractés entre deux baptisés (mariages non sacramentels). Des critères de validité du mariage sont définis, ce qui permet d’en déclarer certains « nuls », c’est-à-dire n’ayant pas eu lieu.

« Vivre un chemin de conversion »

Le pape Jean-Paul II, dans l’exhortation Familiaris consortio (n° 84), a synthétisé le magistère récent interdisant la communion eucharistique aux divorcés remariés, notamment en raison de l’indissolubilité du mariage. Mais plusieurs appellent à en revoir la compréhension.

« Tout mariage – pas seulement entre chrétiens – est indissoluble », pointe le P. Guy de Lachaux, du diocèse d’Évry, se référant à la parole de Jésus. Le prêtre accompagnateur de divorcés remariés (1) estime même, à la suite de Mgr Jean-Paul Vesco (2), évêque d’Oran, que « c’est tout amour vrai » – c’est-à-dire comportant le projet de don mutuel dans la durée – « qui est indissoluble », y compris s’il échoue.

Certes, « ceux qui échouent ne peuvent surmonter cette situation qu’en faisant la vérité sur le péché qui y a conduit et vivre un chemin de conversion », mais « l’Église ne peut dire à ceux qui vivent une seconde union stable qu’ils demeurent dans le péché », estime-t-il.

C’est une autre voie de recherche que propose le P. Ludovic Danto, doyen de la faculté de théologie d’Angers et enseignant-chercheur en droit canonique : « Le code de 1917 reconnaissait qu’en cas de secondes noces [du vivant d’un premier conjoint], le consentement est humainement suffisant, mais juridiquement inefficace », ce qui lui reconnaît une valeur.

À partir du moment où il y a reconnaissance d’une valeur au plan humain, le canoniste voit là une piste pour « examiner en quoi ce statut reflète l’amour de Dieu pour l’humanité ».

Christophe Chaland

(1) Divorcés remariés : sortir de l’impasse, Médiaspaul, 168 p., 18 €
(2) Tout amour véritable est indissoluble, éd. du Cerf, 112 p.,

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