Mgr Hilarion, métropolite de Volokolamsk: "L’Eglise et l’Etat : vingt ans de relations"
Le 2e Forum catholique-orthodoxe qui rassemble représentants des Eglises orthodoxes territoriales et du Conseil des Conférences épiscopales (catholiques) d'Europe (CCEE) s'est tenu, du 18 au 22 octobre, sur l'île de Rhodes. Le thème portait cette année: " Les relations Eglise-Etat : perspectives théologiques et historiques ".

Intervenant le 19 octobre 2010 dans le cadre du Deuxième forum catholique-orthodoxe à Rhodes le Mgr Hilarion, métropolite de Volokolamsk, a présenté une communication intitulée « L’Eglise et l’Etat : vingt ans de relations ». En voici le texte:

« C’est il y a vingt ans qu’une loi instituant pour la première fois en Russie la liberté des religions a été promulguée en Russie. Le 25 octobre 1990 le Soviet Suprême de la Fédération Soviétique Socialiste de Russie a adopté la loi « Liberté des confessions religieuses ». Ce texte était loin d’être parfait, il donnait cependant à l’Eglise la possibilité de gérer ses relations avec l’Etat. Je rappellerai le décret « Sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat et de l’école de l’Eglise » adopté en janvier 1918. Depuis, l’Etat a combattu l’Eglise et a brimé les droits des croyants. Les périodes les plus intenses des persécutions se situent en 1929-1930, 1937-1938 et 1960-1961.

C’est en 1983 que se sont manifestés les premiers signes d’une normalisation des relations Eglise-Etat. Le monastère Saint Daniel à Moscou nous fut restitué. La résidence officielle du patriarche s’y installa. En 1986 y fut transféré le Département des Relations Ecclésiales Extérieures que je dirige actuellement.
Il devint évident lors de la préparation des solennités du Millénaire du baptême de la Russie (1988) que l’Etat n’était plus à même de maintenir le contrôle total qu’il avait exercé sur l’Eglise pendant sept décennies. Les Conseils pour les affaires de la religion de l’URSS et de la République Soviétique de Russie furent dissous en 1990-1991. Pendant de très longues années ces institutions avaient étouffé les activités missionnaires de l’Eglise.

Les années qui suivirent ne nous furent pas simples : il fallait mettre en place un nouveau système de relations entre l’Eglise et l’Etat. De nombreux fonctionnaires se convertirent d’un jour à l’autre du communisme à la « démocratie ». Ils s’opposaient à toute forme de collaboration avec les groupements religieux nouvellement formés et contraient les initiatives de l’Eglise Russe. Ce fut une période d’activité intense des sectes et des prédicateurs venus en Russie d’outre-océan. Selon la loi de 1990 ces sectes se virent conférer des droits identiques à ceux des religions traditionnelles du pays. En 1991-1992 des édifices qui appartenaient avant la révolution de 1917 à l’Eglise Orthodoxe Russe étaient remis à des entités schismatiques. Au début des années 90 nombreux étaient les hommes politiques qui ne comprenaient pas le rôle de l’Eglise dans la vie de la société et le sous-estimaient. Ce n’est qu’en 1993 lorsque la société était au bord d’une guerre civile que le rôle de l’Eglise devint évident aux yeux de tous. L’Eglise était la seule institution suffisamment respectée pour pouvoir entamer et conduire des négociations entre les parties en présence.
Une Commission pour les entités religieuses fut mise en place auprès du gouvernement en 1994. Un Conseil pour les relations avec les entités religieuses fut crée en 1995 auprès du Président de la Fédération de Russie. Peu à peu des relations de coopération se mettaient en place entre l’Eglise et l’Etat.

Des débats passionnés s’engagèrent dans l’opinion russe vers le milieu des années 90 à propos du projet de loi sur la liberté de conscience. Ce projet adopté en 1997 était pour beaucoup le résultat d’un compromis. Le préambule de cette Loi dit que « l’Etat reconnaît le rôle particulier de l’Orthodoxie dans l’histoire, le devenir et la culture de la Russie ». Bien que ce préambule n’ait pas force de loi en tant que tel la reconnaissance de la place de l’Orthodoxie par l’Etat ainsi que le respect promulgué de par ailleurs à l’égard des autres religions traditionnelles de la Russie ont pour nous une très grande importance.
Évoquons dans ce contexte les débats récents à propos de la mention des racines chrétiennes dans le préambule de la Constitution Européenne.

Depuis 1997, année de son adoption, cette Loi fut à plusieurs reprises amendée et complétée. Ce n’est pas toujours, loin de là, que les amendements introduits tenaient compte des souhaits de l’Eglise. Dans son état actuel la loi comporte beaucoup de lacunes et de faiblesses : elle ne garantit pas la protection des valeurs religieuses traditionnelles et ne définit pas les modalités de la participation de l’Eglise à l’éducation religieuse et à l’assistance sociale, aucune disposition ne confère aux membres du clergé des sursis à leur service militaire obligatoire, etc.

Les fondements de la "Doctrine sociale de l’Eglise" ont été adoptés en 2000 par le Concile des évêques. Notre vision des rapports entre l’Eglise et l’Etat y est clairement exposée. L’Eglise n’aspire pas à fusionner avec l’Etat et ne s’ingère pas dans les affaires de l’administration publique, d’autant moins dans la vie politique du pays. Nous souhaitons de par ailleurs que les intérêts des orthodoxes, c'est-à-dire de près de 80% de la population, soient pris en considération par l’Etat. L’Eglise se déclare loyale à l’égard de l’Etat mais seulement dans une certaine mesure. Il est dit dans les fondements de la Doctrine sociale que « l’Eglise est loyale à l’égard de l’Etat tout en plaçant les commandements Divins au dessus de cette loyauté : son devoir est de contribuer au salut des hommes quelles que soient les circonstances ». La Doctrine sociale traite du travail commun de l’Eglise et de l’Etat dans divers domaines de la vie de la société. Il s’agit en particulier du maintien de la morale publique et l’éducation spirituelle, culturelle, morale et patriotique ainsi que de la bienfaisance et de la mise en œuvre de programmes sociaux communs, de la sollicitude ecclésiale à l’égard des militaires et des collaborateurs des forces de protection de l’ordre, de la prévention des délits, de l’aide spirituelle aux détenus, du soutien à la famille, la maternité et l’enfance ainsi que de contrer les agissements des entités pseudo religieuses présentant un danger pour l’individu comme pour la société. La Doctrine sociale stipule d’une manière claire que l’Eglise est en droit d’appeler ses enfants à la désobéissance civique si l’autorité publique exige d’eux de commettre un péché. La Russie est heureusement épargnée par ce genre de situations.

Les fondements de la culture orthodoxe sont une matière scolaire largement enseignée depuis la fin des années 90 dans de nombreuses régions de la Russie. Cette matière est strictement optionnelle. Son enseignement, comme le montrent les résultats de nombreuses études, contribue à la moralité des élèves ainsi qu’à la prévention des conflits interethniques. Le ministère de l’instruction publique a essayé d’appliquer cette pratique dans l’ensemble du pays. Cela suscita des protestations violentes de la part de secteurs influents de l’opinion et provoqua des accusations de « cléricalisation de l’enseignement ». Les amendements qui furent apportés aux textes de loi en 2008 ont rendu difficile l’enseignement optionnel des fondements de la culture orthodoxes dans le secondaire. Le patriarche Cyrille ainsi que les responsables des religions traditionnelles de la Russie ont rédigé une lettre commune au président Medvedev. Ils le priaient de faire de sorte « à ce que les élèves du secondaire et leurs parents puissent opter pour un enseignement de l’histoire et de la culture des religions traditionnelles, - orthodoxie, islam, bouddhisme et judaïsme. Cette matière ferait ainsi partie intégrante des programmes scolaires ».
Le président Medvedev adopta une attitude positive à l’égard de cette demande. Plusieurs régions de la Russie ont actuellement introduit à titre d’essai l’enseignement optionnel des fondements de l’une des religions traditionnelles ou de la morale civique.

A la suite de l’effondrement du régime soviétique le statut de l’Eglise quant au régime de propriété n’a pratiquement pas changé. La plupart des monastères et des églises à l’exception de ceux construits au cours des vingt dernières années restent propriété publique. Cela se rapporte également aux icônes et objets du culte qui avaient été confisqués à l’Eglise dès l’avènement du régime bolchevik. Un projet de loi vient d’être adopté en première lecture qui porte sur « la restitutions aux entités religieuses des biens ayant une destination religieuse ». Il ne s’agit pas aujourd’hui d’une restitution inconditionnelle des biens mobiliers et immobiliers que l’Eglise possédait avant la révolution de 1917. L’Eglise estime que ses biens mobiliers et immobiliers confisqués par le régime soviétique doivent lui être restitués sans conditions et non dans le cadre d’un régime de rachat ou de location comme le préconise le code foncier en vigueur. La législation fiscale confère aux entités religieuses des avantages importants. Elles sont dispensées de taxes foncières sur les terrains où se trouvent des bâtiments religieux. Cette dispense ne s’applique pas aux terrains non bâtis. La législation foncière actuelle ne confère pas aux entités religieuses une jouissance gratuite et permanente de ces terrains comme cela était le cas avant 1917. Il est proposé à l’Eglise de racheter ou de prendre en location les terrains actuellement à sa disposition. Nous estimons que cela est injuste car les terrains en question avaient été arbitrairement confisqué par les soviets et n’avaient pas été utilisé conformément à leur destination première. Il serait injuste que l’Eglise paye pour les obtenir à nouveau les prix en vigueur sur le marché.

Des changements très importants se sont produits quant à l’exercice de la mission de l’Eglise dans les unités militaires. L’absence dans ces unités de personnes disposant aux yeux des personnels d’une autorité spirituelle et morale a entrainé de nombreuses conséquences indésirables. Le commandement militaire a pris conscience de son incapacité à trouver seul des solutions à cette situation et a fait un pas à la rencontre des entités religieuses traditionnelles. Je pense en premier à l’Eglise Orthodoxe Russe car plus de 70% des militaires d’active se déclarent orthodoxes. Une loi est entrée en vigueur en 2010 conformément à laquelle des prêtres orthodoxes, des mollahs et des rabbins deviennent adjoints des commandants d’unités pour le travail éducatif et perçoivent une rémunération en conséquence. A titre provisoire cette pratique n’existe actuellement que dans les unités cantonner dans le Nord Caucase. A partir de 2011 la loi sera appliquée dans l’ensemble des régiments. Cela signifie que l’Eglise doit se dépêcher de former des effectifs suffisants d’aumôniers militaires.

Notre Eglise se consacre à l’assistance sociale : aide aux indigents, aux jeunes mères, protection des droits de l’embryon, aide aux SDF, etc. Nous appelons l’Etat à seconder l’Eglise dans ce travail. Souvent nous recevons l’aide nécessaire bien qu’il y ait encore des fonctionnaires qui continuent à penser que puisque la Russie est un Etat laïc la mission de l’Eglise doit être confinée dans les enceintes des paroisses. Certaines autorités locales ayant une perception qui leur est propre des « droits des enfants » veulent obtenir la fermeture des refuges pour enfants ouverts par l’Eglise en arguant de l’insuffisance de leurs moyens budgétaires.
Les activités de bienfaisance de l’Eglise sont très étendues et diverses. La Russie a souffert en 2010 de terribles incendies de forêt ayant fait des milliers de sinistrés. Nous avons pu collecter des sommes considérables pour aider les victimes de ces sinistres.

A la différence des gouvernements de certains pays occidentaux le gouvernement russe ne se fixe pas pour objectif la sécularisation de la société. Les responsables politiques russes ont conscience du rôle important de l’orthodoxie dans la formation de la civilisation russe et la vie de peuple. Ils participent personnellement à la vie de l’Eglise. Cependant il n’existe pas jusqu’à présent de doctrine claire quant aux rapports entre l’Eglise et l’Etat. Comme dans les années 90 ces rapports restent d’ordre contractuel et sont tributaires des accords passés entre les services publics et les entités ecclésiales. Les relations Eglise-Etat sont régies par des facteurs d’ordre subjectif et sont donc fragiles.

J’ai le sentiment que ces relations pourront bientôt reposer sur des dispositions juridiques claires. Nous ne pouvons plus nous contenter de bonnes intentions, de concessions réciproques et « d’initiatives concertées ». Ce n’’est que sur un socle juridique solide que les rapports entre l’Eglise et l’Etat pourront évoluer indépendamment de l’état d’esprit et des humeurs de tel ou autre fonctionnaire quant aux domaines de travail en commun dans les intérêts de la société.
Souvent les diocèses, les monastères, les paroisses, les institutions ecclésiales parviennent à établir de bonnes relations de collaboration avec les dirigeants de la région ou les pouvoirs locaux. Des accords de coopération sont signés. Mais il arrive que des responsables nouvellement nommés fassent preuve d’une toute autre attitude.
Nous souhaiterions que les relations de partenariat dans des domaines socialement importants cèdent la place à une collaboration systémique avec l’Etat. Une telle coopération bénéficierait à l’ensemble de la société. Le patriarche Cyrille, primat de notre Eglise, s’applique à ce que les relations Eglise-Etat évoluent dans ce sens.

Le 19 octobre 2010, Rhodes
MOSPAT.RU

" P.O." Traduction Nikita Krivochéine


Rédigé par l'équipe de rédaction le 23 Octobre 2010 à 22:21 | 6 commentaires | Permalien



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