Nice… Et Job, le malheureux, où est-il ?
Père Ioan Dimitrov Notices prises sur la Promenade des Anglais. Réflexions en ces jours de deuil


Sans trop vouloir entrebâiller la porte derrière laquelle l’enfer suinte, j’ose dire quelques mots. « Du cœur blessé doit jaillir la joie », disait le père Serge Boulgakov. Il n’est pas question de chanter des hymnes, or mes premières notes sur Nice furent trop timides, mes doigts touchant à peine le clavier…

Après les vigiles de samedi j’ai pu, enfin, lire l’article du père Serge Boulgakov « L’homme-dieu et l’homme-bête » (une très bonne lecture), article que je n’ai pas réussi à lire jeudi soir.

Ce n’est pas la critique du père Boulgakov à l’égard du Tolstoï qui m’intéresse aujourd’hui, c’est son « homme-nu » que le père Serge découvre dès ses premières pages.

En commençant par saint Augustin et jusqu’à Tolstoï l’homme a traversé un long chemin de mise à nu de son âme. En quête de soi-même l’homme s’est proclamé homme-dieu : on est bon comme on est, plus encore, on est idéal tel que l’on est. Bien sûr, on commet des fautes, mais un petit effort et tout revient à sa place… Et ainsi l’erreur de l’homme devient quelque chose de naturel, et donc, c’est à lui, à l’homme de corriger cette faute, ou bien à vivre avec cette faute. Ensuite viennent l’homme-juste-par-soi-même et le salut-par-soi-même.

Nice… Et Job, le malheureux, où est-il ?
Et oui, nous avons inventé des milliers des mesures de sécurité, des contrôles infinis, nous sommes protégés de partout. Oui, on s’est bien habitué à se promener, à se réjouir, à crier «but ! ». Nous sommes très bien protégés ! Et pourtant, voilà, nous sommes à découvert et non-protégés. Des larmes et des lamentations au moment où tout ce système d’autoprotection et d’auto-sauvegarde se révèle inutile. Malheureusement cela nous arrive souvent… On veut devenir homme-dieu, on fait tout par soi-même. Et Dieu ? Oui, bien sûr on croit en Lui, on L’aime, on Le vénère, mais ici sur la terre il faut que quelqu’un arrange les choses… Sauf que l’on a perdu quelque part les « sauve nous et sauvegarde nous », incrusté sur la croix pectorale…

Il me semble, et je le souligne, que nous oublions de plus en plus qu’est-ce que le mal. En effet, ce n’est pas une force impersonnelle, ce n’est pas une énergie flottante ou aberrante. Le mal c’est la volonté d’un être concrèt, raisonnable, personnel, mais déchu, dont le nom est le diable. Cette expression que l’on utilise et qui est à la mode, « les forces du mal », est devenue trop vague et diffuse. Pourtant l’ennemi aime bien rester dans l’ombre, s’infiltrer sans que l’on s’en aperçoive. « Sauve nous et sauvegarde nous » ne sont pas orientés contre les fautes et les bêtises humaines, mais contre ceux qui sont à la source de ces maux.

Dans sa tendance de devenir homme-dieu, l’homme est resté nu et vulnérable aux flèches de ces « forces du mal ».

Et voilà que, une fois blessé par ces flèches, l’homme-dieu se transforme en homme-bête. Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, à quoi ressemblait-il jeudi soir, conduisant son camion sur en zigzag la Promenade, sinon à une bête qui rassemble ses proies ?... Non, je ne veux pas le juger, ni lui, ni se compagnons. C’est l’affaire de ceux, à qui la société a confié cette tâche. Mais qu’elle le fasse. « Je n’ai connu le péché que par l’intermédiaire de la loi… Ainsi donc, la loi est sainte » (Rom. 7.7 et 12).

Mais il a transgressé la loi. L’homme-nu est un homme vulnérable. Homme-dieu ou homme-bête, peu importe ; les deux sont vulnérables et passe facilement d’un niveau à l’autre, de l’homme-dieu à l’homme-bête et vice-versa.

Ce n’est que Dieu qui « sauve et sauvegarde ». Ce blindage dont l’homme s’est émancipé pour créer ses propres défenses, pour avoir son propre système d’auto-salut et auto-sauvegarde et pour une auto-justice, n’est autre chose que la protection intérieure de son âme. C’est cette protection qui ne permet pas de se transformer en homme-bête, de devenir la proie du maître de celui-ci. Cette lutte est une lutte contre « les esprits du mal dans les lieux célestes » (Eph. 6.12) ; cependant le point d’appui spirituel de l’homme n’est pas en lui-même, mais en Dieu. C’est en Lui, dans le dialogue avec Lui que nous trouvons notre appui et notre consolation…

Et Job dans tout ceci ?

J’ai tout simplement pensé à lui. Il a perdu, lui aussi, sa famille (10 enfants), toute sa fortune, sa santé, son entourage (car il fut emmené hors de la ville à cause de sa lèpre )… Pourtant sa réaction est étrange : il ne cherche pas les voleurs et les brigands, il ne les maudit pas et même ne les juges pas. IL répète une seule chose : « c’est nu que je suis sorti de ventre de ma mère, et c’est nu que je repartirai.

Que le nom du Seigneur soit béni ! » (Job. 1.21). Après des longues discussions avec ses trois amis, que Job ne comprend pas et désapprouve, il s’adresse à Dieu. D’abord il demande, ensuite il crie, il exige, dans sa révolte juste il convoque Dieu au tribunal. Et Dieu lui répond, mais sa réponse n’est pas une réponse claire. Cependant, Job a compris quelque chose, que la Bible passe sous silence. « Je ne fais pas le poids, répond-t-il, que pourrai-je te répondre. Je mets la main sur la bouche… » (Job 40.3). Le pauvre n’a pas eu de réponse, mais quelque chose s’est passé dans son cœur, quand Dieu s’est adressé à lui. « Que votre cœur ne se trouble pas ! Croyez en Dieu, croyez aussi en moi ! » (Jn. 14.1)

Job ne s’est pas troublé et à demandé, dans la confiance. Et Dieu lui a répondu quelque chose. Mais au-delà de ses paroles il y a aussi quelque chose d’inexprimable que fait Job, justifiant sa révolte, demander pardon, d’une certaine manière : « J’ai parlé sans les comprendre, des merveilles qui me dépasse et que je ne connais pas… Mon oreille avait entendu parler de Toi, mais maintenant mon œil T’a vu. C’est pourquoi je me condamne et je reconnais mes torts sur la poussière et sur la cendre. » (Job 42. 3 et 5-6).

Le Seigneur répondra, vraisemblablement, à la prière qui demande « le Consolateur, l’esprit de vérité ». Comme Il répondit à Job. Il nous consolera, même s’il la raison n’aura pas de réponse claire.
Nice… Et Job, le malheureux, où est-il ?

C’est facile à écrire quand ta chemise n’est pas ensanglantée… Je le sais.

Mais je sais aussi que le livre de Job a un prologue, qui donne une réponse préalable claire à toutes les tentations et toutes les tortures de Job, or celui-ci ne le sait pas. Pourquoi Dieu admet cela je ne sais pas. Mais je sais qui est celui qui veut faire tout cela, qui est la source et l’instigateur du malheur. Il s’agit de cet être raisonnable et déchu, le porteur du mal. Toutes ses instigations il les fait par l’intermédiaire de l’homme : par l’intermédiaire de ces brigands qui ont volé la fortune et tué les enfants et les serviteurs de Job, par l’intermédiaire de ces qui ont tué les enfants à Beslan, par ceux qui ont massacré au Bataclan, par ceux qui… par l’intermédiaire des hommes faibles, éloignés de Dieu, par l’intermédiaire de ceux qui n’ont pas en eux la lumière de Dieu, qui n’ont pas assez d’amour divin et de la sagesse divine. Et voilà que cette tâche noire, ce manque de lumière et d’amour, ce manque de sagesse (cette folie) devient la brèche, par laquelle l’enfer entre dans notre monde.
Nice… Et Job, le malheureux, où est-il ?

O Dieu, que je ne devienne pas cet homme-bête, que je ne sois pris par accablement. Je ne veux pas laisser pénétrer en moi la haine, le rage et la violence, et à travers moi, les laisser pénétrer dans ce monde… « Toute vérité et toute beauté est toujours remplie de pardon et de miséricorde.» (« Les Frères Karamazov », Les Noces de Cana).

« Je t’appartiens : sauve-moi, car je recherche Ta justice. » (Ps. 119.94)

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Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 22 Juillet 2016 à 11:00 | 2 commentaires | Permalien



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