Jusqu’en 1917

Au XIXe siècle les églises russes en Europe occidentale dépendent de trois instances: le métropolite de Saint-Pétersbourg (subordination ecclésiastique), le Saint-Synode (nominations, contrôle) et le ministère des Affaires étrangères (nominations, contrôle, traitements du clergé).

1907-1911 : ces églises passent sous la juridiction de l’évêque de Cronstadt (Mgr Vladimir), auxiliaire du métropolite de Saint-Pétersbourg. Les nominations se font sur sa proposition, après consultation des autres instances. Mgr Vladimir assure les ordinations. Sa résidence est fixée à Rome.

En 1911, l’ordre ancien est rétabli.

1917-1940

Mars 1922 : Mgr Euloge, archevêque de Volhynie, est nommé par Mgr Benjamin, métropolite de Pétrograd, administrateur provisoire des paroisses russes en Europe occidentale (en qualité de vicaire du métropolite de Pétrograd). Il s’adresse à l’Administration ecclésiale suprême provisoire pour obtenir confirmation de ses pouvoirs (cet organisme est né en 1919, avec l’accord du patriarche Tikhon, dans le Sud blanc de la Russie).

5 mai 1922 : Le patriarche Tikhon dissout l’Administration ecclésiale, installée à Karlovtsy en Yougoslavie, qui reste cependant en fonctions. Il nomme Mgr Euloge, élevé à la dignité de métropolite, à la tête de toutes les paroisses russes en Europe. Mais Mgr Euloge refuse cette responsabilité, reste soumis à l’Administration ecclésiale en qualité de vice-président, et se contente de la direction des églises russes en Europe occidentale.

1923 : Mgr Euloge s’adresse au Concile de l’Église russe hors-frontières en proposant la création d’une métropole autonome en Europe sous la juridiction du patriarche de Moscou, ce qui est refusé par Karlovtsy. La même année, l’Administration ecclésiale provisoire hors-frontières, présidée par Mgr Antoine de Kiev, proclame qu’elle constitue (provisoirement) le pouvoir suprême dans l’Église russe toute entière.

1925 : L’Administration ecclésiale se transforme en Synode épiscopal en conservant les mêmes pouvoirs. La même année (en novembre), le Synode reconnaît l’autorité du métropolite Pierre qui dirige l’Église de Russie à titre provisoire.

1926 : Rupture de Mgr Euloge avec le Synode de Karlovtsy, qui a retiré de sous sa juridiction ses paroisses d’Allemagne.

Mgr Euloge reconnaît l’autorité de Mgr Serge, locum tenens du Patriarcat russe. Celui-ci exige une déclaration de loyauté à l’égard du pouvoir soviétique de la part du clergé russe à l’étranger. Mgr Euloge accepte, mais sous la forme d’une renonciation à toute action politique antisoviétique. Il est soutenu par son assemblée diocésaine à une très large majorité (quelques prêtres quittent alors sa juridiction).

Le Synode de Karlovtsy refuse la déclaration de loyauté et rompt avec le métropolite Serge.

1927 : Mgr Euloge est démis de ses fonctions par le Synode. Il s’adresse au patriarche de Constantinople, qui l’assure de son soutien et affirme ne reconnaître ni la décision du Synode de Karlovtsy, ni le Synode lui-même.

Le métropolite Serge, de son côté, considère la déclaration proposée par Mgr Euloge comme insuffisante et fait pression pour qu’on revienne au texte initial.

1930 : Mgr Euloge participe en Angleterre à une réunion œcuménique de soutien à l’Église russe persécutée. Le métropolite Serge demande des explications. Mgr Euloge n’exprime aucun regret. Il est démis et remplacé par Mgr Vladimir de Nice, qui refuse le poste. L’assemblée diocésaine demande Mgr Euloge de rester. Celui-ci essaye d’obtenir du métropolite Serge l’autorisation de prendre la tête d’un diocèse « provisoirement autonome » regroupant les paroisses russes d’Europe occidentale. Refus de Mgr Serge, qui l’interdit a divinis et transfère ses paroisses au métropolite Euléthère de Lituanie.

1931 : Mgr Euloge s’adresse alors au patriarche de Constantinople (Photios), qui accepte à titre provisoire ses paroisses sous sa juridiction sous la forme d’un Exarchat, avec maintien d’une autonomie interne et de statuts propres, inspirés des résolutions du Concile de Moscou (1917-1918). Un évêque (Mgr Benjamin) et quelques prêtres restent fidèles à Moscou. Naissance de la paroisse de la rue Pétel.

1935 : Le contact avait été maintenu entre Mgr Euloge et Mgr Antoine. En 1935, Mgr Euloge se rend au Concile de l’Église synodale à Karlovtsy et signe un accord avec le Synode.

1936 : Cet accord, qui réduit fortement l’autonomie de la juridiction de Mgr Euloge, est rejeté par son assemblée diocésaine. La rupture avec l’Église synodale est consommée


1940-1946


1940--1944 : Période douloureuse, marquée par des relations difficiles avec les autorités d’occupation. Les paroisses se trouvant sur le territoire du Reich sont transférées à l’Église orthodoxe russe hors-frontières. Le métropolite Séraphin, qui représente cette Église à Paris, tente, en vain, d’obtenir des autorités allemandes la liquidation de l'Exarchat de Mgr Euloge.

1944 : Le 20 novembre 1944 visite (secrète) de Mgr Euloge à l’ambassade d’URSS. L’ambassadeur Bogomolov lui promet une invitation pour le Concile de l’Église russe, qui doit élire le nouveau patriarche (janvier-février 1945).

1945 : L’invitation est arrivée après la fin du Concile. Le patriarche Alexis écrit à Mgr Euloge et lui propose un retour dans le sein de l’Église russe sans obligation de repentir.

En août 1945, le métropolite Nicolas (de Kroutitsy) reçoit Mgr Euloge dans l’Église russe patriarcale et concélèbre avec lui et de nombreux membre de son clergé rue Daru.

Mgr Nicolas s’adresse ensuite à l’assemblée diocésaine en brossant un tableau idyllique de la situation de l’Église en URSS. Une majorité de délégués conduits, entre autres, par le professeur Kartachev et le père Vassili Zenkovski, reste sceptique. L’Assemblée exige des garanties concernant l’autonomie du diocèse et considère comme indispensable un congé officiel de la part de Constantinople. Mgr Nicolas promet l’autonomie et affirme que Constantinople est déjà d’accord. En attendant le feu vert de Constantinople (qui n'est jamais venu), Mgr Euloge se considère comme l’exarque des deux patriarches.

1946 : le 8 août, mort de Mgr Euloge. Le 14 août, on informe officiellement Mgr Vladimir de la nomination du métropolite Séraphin (qui est au Patriarcat de Moscou).

1946 - 1971

1946 : Mgr Vladimir (Tikhonitsky), soutenu par son assemblée diocésaine, refuse de quitter la juridiction de Constantinople sans congé du patriarche. Il est élu à la tête de l’Exarchat et le dirige jusqu’à sa mort, en 1959.

Dans les années d’après-guerre, Mgr Vladimir tente un rapprochement, qui échoue, avec Mgr Anastase, métropolite de l’Église russe hors-frontières.

1960 : Élection de Mgr Georges (Tarassoff), notre dernier archevêque né et éduqué en Russie (1960-1981).

L’idée de la nécessité de la création d’une Église orthodoxe locale commence à trouver des partisans de plus en plus nombreux dans les années 1960, en particulier parmi les jeunes, mais ils restent encore largement minoritaires

1966 : Le 26 décembre 1965, Mgr Georges est informé par le patriarche Athenagoras qu’il « [le] confie, son clergé et ses fidèles au souci et à l’amour paternel du patriarche de Moscou » et qu’il « ne doute nullement que l’archevêque Georges entrera en temps voulu en rapports avec le patriarche Alexis pour régler ses affaires ». En février 1966, l’Assemblée diocésaine décide de la création d’un diocèse indépendant. On continue à espérer un accommodement avec le Patriarcat de Constantinople (avec lequel l’intercommunion n’est pas interrompue).

1971 ‒ 2018

1971 : Retour sous la juridiction de Constantinople, mais en qualité de simple diocèse des églises russes en Europe occidentale, rattaché au patriarcat de Constantinople « par l’intermédiaire du métropolite [grec] de France ». Ce dernier devait désormais présider les Assemblées extraordinaires de l’Archevêché.

De plus en plus de voix soulignent la nécessité de la mise en place progressive en Europe occidentale d’une église orthodoxe locale entièrement maîtresse de son destin.

1974 : Motivé par une lettre d’Alexandre Soljenitsyne appelant à la réconciliation et au rétablissement de l’union entre les trois branches de l’Église russe, le IIIe Concile de l’Église hors-frontières s’adresse à l’Archevêché en lui proposant de se rencontrer pour ébaucher un dialogue « en tout temps, en tout lieu, à n’importe quel niveau ».Refus de l’Archevêché, qui considère qu’un dialogue n’est possible qu’avec une Église en communion avec l’ensemble du monde orthodoxe. Cette communion, pour l’Archevêché, ne peut se réaliser qu’au travers du Patriarcat œcuménique.

1981 : Décès de Mgr Georges (Tarassoff) et élection de Mgr Georges (Wagner).

1988 : Célébration à Paris et ailleurs, en coopération avec l’Église hors-frontières, du millénaire du baptême de la Russie. Début de contacts amicaux avec l’Église de Russie. Mgr Georges déclare (allocution du 29 mai 1992) : « Nous sommes persuadés que la fidélité à nos sources historiques et la réalité de l’enracinement ne doivent pas exclure l’une de l’autre ».

1993 : Décès de Mgr Georges (Wagner) et élection de Mgr Serge (Konovaloff).

1999 : Tomos du patriarche Bartholomée Ier élevant l'archevêché au rang d'Exarchat du Patriarcat de Constantinople..

2013 : Décès de l’archevêque Gabriel[ et élection de l'archimandrite Job (Getcha)[),

2016 : Élection de Monseigneur Jean (Renneteau).

2018 : Le Saint Synode du Patriarcat de Constantinople annonce en novembre la dissolution de l'Archevêché-Exarchat et abroge le tomos patriarcal de 1999.

2019 : Le 23 février, l'assemblée de l'Archevêché refuse sa dissolution et entreprend la recherche d'une issue à sa situation canonique. [.

À ce jour, de 1922 à 2018, la Métropole, puis l'Archevêché des églises orthodoxes russes en Europe occidentale ont changé 13 fois de statut canonique. Il est grand temps de trouver une solution satisfaisante et définitive.

Le texte ci-dessous est constitué par la première partie d'un exposé que j'ai lu à la table ronde organisée par l'OLTR le 1er février 2004 à l'Institut Saint-Serge de Paris. Il a été légèrement modifié et actualisé.
Nicolas ROSS


Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 27 Février 2019 à 21:10 | 12 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Macaire le 27/02/2019 21:37 (depuis mobile)
Il est surtout grand temps d''accepter ce que Moscou nous propose. Mais le Conseil de l''Archeveche est tres tiede, fort malheureusement. Mais soyez rassure, nous sommes une majorite pour rejoindre Moscou. Et j''etais membre de l''AGE samedi dernier!

2.Posté par OLTR WEB-MASTER le 27/02/2019 21:38
"Le texte ci-dessous est constitué par la première partie d'un exposé que j'ai lu à la table ronde organisée par l'OLTR le 1er février 2004 à l'Institut Saint-Serge de Paris. Il a été légèrement modifié et actualisé."

On peut trouver cette référence sur le lien indiqué ci-dessous

3.Posté par Vladimir G: BRAVO! le 27/02/2019 23:13
BRAVO et MERCI, cher Nicolas, pour ce résumé magistral!

On peut aussi penser que, après avoir survécu à tant d'avatars, "Daru" trouvera le chemin pour surmonter aussi cette nouvelle épreuve. C'est en tous les cas ce que je lui souhaite de tout cœur.

4.Posté par père Joachim le 28/02/2019 00:22
Y a t'il une "morale" à tirer de cette histoire religieuse symptomatique, bien trop longue, qui n'a fait que compliquer les relations Est/Ouest du monde entier ?

S'il y avait la moindre sympathie pour le "clergé rouge" chez Mgrs Tarasov et Wagner, leurs auxiliaires et leur clergé, j'aurais été le plus fier de me présenter comme leur disciple. Mais dans le cas de figure je confesse avoir préféré "taper en touche"pour en finir au plus tôt de mon expérience parisienne.

Tout ce bon clergé jusqu'il y a quelques semaines ne pouvait souffrir que nous recevions le Prélat de Chersonèse au son des cloches lors de ses visites dans les églises dites "grecques" sans que nous soyons ressenti comme "traitre à la cause"et "acheté par le KGB"...(siq)

et ils sont très nombreux ceux qui envisagent avec sagesse leur retour dans les bras du Père, a avoir été convaincu que Constantinople était avide de posséder les joyaux architecturaux russes de la Côte d'Azur et de quelques autres lieux. (pour les garages et les cryptes catholiques on peut imaginer la suite de l'histoire...)

Pour ce qui est du "juste retour" on aura tout à gagner car les attaques qui se réfèrent au vieux complexe du "meurtre du Père" ne cesseront pas mais se dérouleront hors du contexte eucharistique diocésain.

Pour revenir à la chronologie proposée, l'épiscopat ordonné après 1923/36 par le Synode très Russe des KARLOVTSY qui est allé jusqu'à ordonner une hiérarchie parallèle en Russie, n'avait rien de plus canonique (si j'ose dire ?) que le clergé de seconde catégorie slave, d'Ukraine ?

Et pour en finir je dirais que ce que nous craignons le moins en Gaule "orthodoxe" c'est l’abondance de neurones chez nos Hiérarques et dans le cas de la promotion de l’archimandrite Sabbas Toutounov comme évêque de Zélénograd nous ressentons une grande joie car au moins certaines remarques trouveront un échos dans ses réflexions et ses riches connaissances; IS POLLA ETI DESPOTA bienvenue ici où vous êtes déjà chez vous.

5.Posté par Marie Genko le 28/02/2019 10:29
Un immense MERCI à Nicolas Ross, pour son précieux travail d'historien.
Et MERCI aussi aux quatre intervenants des messages ci-dessus.

J'ose espérer que je verrai de mon vivant l'Archevêché rejoindre son Eglise mère, celle qui l'a créé et lui a donné la vigueur d'un témoignage orthodoxe sans précédent sur le sol d'Occident.

Pour que ce témoignage continue à vivre et à s'enraciner ici, il a besoin de s'abreuver à la source qui est la sienne. La vigueur retrouvée de l'Eglise de Russie fera couler un sang nouveau dans notre diocèse des églises russes d'Europe occidentale.

La certitude d'un avenir stable sera un levain salvateur pour notre structure si partagée et si malade de ses propres querelles.

Je me souviens avoir vu un jour à la rue Daru le jeune Savva Toutounov. Il était encore adolescent. Mais déjà il était intégré dans le décors de l'église.
Je voudrais donc répéter ici les paroles du Père Joachim, publiées dans son message N° 4

"la promotion de l’archimandrite Sabbas Toutounov comme évêque de Zélénograd nous ressentons une grande joie car au moins certaines remarques trouveront un échos dans ses réflexions et ses riches connaissances; IS POLLA ETI DESPOTA bienvenue ici où vous êtes déjà chez vous."

6.Posté par Vladimir G: petit complément d''''information le 01/03/2019 11:44
PS à 3: une ligne a disparu de l'exposé mentionné in fine par N. Ross et disponible in extenso (très intéressant!) sur le site mentionné en (2), que je redonne.

"1993 : Décès de Mgr Georges (Wagner) et élection de Mgr Serge (Konovaloff)."

Et on pourrait ajouter par souci de précision: "2003 : Décès de élection de Mgr Serge (Konovaloff) élection de Mgr Gabriel (de Vylder)."

Et, sans prendre personnellement position dans un débat qui doit rester interne à l'Archevêché, je cite la conclusion de 2004, clairement bien plus dans la ligne de l'OLTR (cf. https://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Site-de-l-OLTR-Editorial-de-Fevrier-2019-Crises-et-perspectives_a5645.html) que celle, simplement factuelle, du post d'aujourd'hui:

"Je me permettrai de citer cette opinion d’Alexandre Soljénitsyne (exprimée en 1974) : «La seule voie juste est la voie qui mène à la fusion de toutes les branches de l'Église russe».

Une telle «fusion» nous permettrait de retrouver une stabilité juridictionnelle durable et de réaliser dans le cadre qui lui est le mieux adapté la mission spécifique que nous a confiée le Seigneur au sein de l'orthodoxie universelle." Fin de citation.

7.Posté par Nicolas Ross le 01/03/2019 17:30
Réponse à 6, Vladimir G.
Merci de ces compléments, mais la conjoncture a changé et je ne me retrouve plus entièrement dans ce que je disais il y a quinze ans.
Je pense toujours qu'une union est nécessaire, mais sans fusion. Il me semble que la contribution de l'Archevêché à son Église mère et au monde chrétien serait plus riche s'il conservait sa spécificité.

8.Posté par Gueorguy le 01/03/2019 23:17
@6 - Vladimir G - @7 Nicolas Ross.

Je peux comprendre la position de Nicolas Ross. Nous ne sommes plus en 2003 mais en 2019 et, si l'on me permet cette adaptation d'une expression bien connue: "Beaucoup d'eaux a coulé le long du quai Branly".

D'ailleurs, dans mon éditorial que Vladimir G me fait l'honneur de citer, j'entrevois bien une convergence avec l'idée formulée par Nicolas Ross:

"Dans la situation actuelle, il peut simplement s’agir, pour l’Archevêché, de solliciter cette protection canonique qui lui permettrait de prolonger son expérience et vivre sur le socle qu’il a édifié. A l’image de ce qui se vit avec l’Eglise Orthodoxe russe à l’Etranger, nous sommes convaincus qu’un nouvel espace de conciliation et d’échanges d’expérience pourra alors s’ouvrir. Enfin, pourraient être dépassés, tous les clivages et les tensions d’avec l’Eglise russe qui, elle, a su dans un héroïsme jamais égalé surmonter les défis terribles du 20ème siècle. "

9.Posté par Marie Genko le 02/03/2019 13:37
@ Guéorguy,

Merci pour votre message N° 8, auquel j'adhère entièrement.

10.Posté par Vladimir G: LES CHOIX DE L’ARCHEVÊCHÉ le 08/03/2019 10:34
LES CHOIX DE L’ARCHEVÊCHÉ

UN CHOIX FONDÉ SUR LES DÉCISIONS DU CONCILE LOCAL RUSSE DE 1917-18.

L'Assemblée générale extraordinaire (AGE) de l’Archevêché le 23 février dernier n'a pas réellement clarifié la situation: la seule décision qui en ressort c'est de refuser la dissolution décidée par Constantinople, mais Le divorce avec Constantinople n'est pas (encore?) consommé au vu du dernier communiqué de l’Archevêché: ..."Pour l’instant, la vie de l’Archevêché se poursuit comme à la veille de l’AGE. Notamment, dans les célébrations, l’Archevêque commémore le Patriarche œcuménique et le clergé paroissial commémore l’Archevêque selon la règle canonique." (1).

Toutefois, le choix "de ne pas dissoudre l’Archevêché, mais de le conserver comme entité ecclésiale unie selon sa forme primitive" (ibid.) est en contradiction flagrante avec la décision du Patriarcat de Constantinople de "réorganiser le statut de l’exarchat" en subordonnant ses paroisses se aux Métropoles grecques d’Europe occidentale (communiqué du 29 novembre 2018 du Saint-Synode du patriarcat. Pour accepter ce choix de l'AGE, la direction de l'Archevêché s'appuie sur ses statuts, inspirés des décisions du Concile local de l'Église russe de 1617-18 au risque de devoir quitter le patriarcat de Constantinople.

Il n'y a aucune impossibilité canonique à ce que l’Archevêché change de juridiction: l'histoire a connu des diocèses changeant de patriarcat, comme ceux de Ravennes et d’Illyrie, disputés entre Rome et Constantinople du IIIe au Ve siècles, comme la métropole de Kiev qui a rejoint Constantinople en 1458 pour revenir à Moscou en 1686 et, plus près de nous, la métropole orthodoxe russe de Grande Bretagne est passée de Moscou à Constantinople (en perdant une bonne partie de ses paroisses...) Mais ce qui est nouveau, c’est que c’est l'AGE composée de tout le clergé et de représentants laïcs des paroisses qui va décider de son destin: "Une nouvelle AGE sera convoquée ultérieurement, probablement en juin." (ibid 1.)

Cette situation avait été prévue dès la convocation de l'AGE du 23 février, dont l'objet était limité à "statuer sur la dissolution" et qui prévoyait expressément: "Néanmoins, il faut noter qu’aucune autre décision que celle posée à l’ordre du jour ne pourra intervenir lors de cette AGE du 23 février. Si l’AGE refuse la dissolution et se prononce pour le maintien de son existence, la vie ecclésiale de l’Archevêché se poursuivra selon des scénarios alternatifs qui seraient à envisager et à débattre dans une AGE ultérieure, chargée de réviser les statuts actuels…" (2)

MOSCOU OU CONSTANTINOPLE

Les fidèles de l'Archevêché sont très majoritairement d'accord pour préserver l'unité de l'Archevêché (93% des voix à l'AGE, i.e. 191 délégués sur 206…). Mais nous voyons bien que cette unité est déjà compromise: après les deux paroisses italiennes rejoignant l'EORE, la paroisse de Stockholm, fondée par l'Eglise russe il y a 400 ans, a rejoint le patriarcat de Roumanie et 15 délégués (sur 206...) ont voté pour la dissolution de l’Archevêché (ibid); ils représentent entre 5 et 10 paroisses et on peut se demander quelle va être leur position.

Mais surtout, cette volonté de préserver l'unité est compromise par l'opposition de deux courants antinomiques au sein de l'Archevêché:

- Le courant prônant le retour à l'Église russe est fortement représenté dans les médias russophiles, mais il était rejeté depuis quinze ans par la direction de l'Archevêché. Toutefois, d'après RFI en russe (3), il serait maintenant soutenu par l'archevêque Jean qui a déclaré, lors de l'AGE, que des discussions sont en cours "au plus niveau du patriarcat de Moscou" (on parle d'une rencontre avec Mgr Hilarion de Volokolamsk, bras droit du patriarche Cyrille) et lu les propositions du patriarcat de Moscou, clairement exposées dans la lettre qui lui a été adressée au nom du patriarche Cyrille par Mgr Antoine, archevêque de Vienne et de Budapest, chef du Département de l’administration patriarcale pour les institutions à l’étranger (4). C'est à ce jour la seule proposition concrète reçue par l'Archevêché…

- Le courant de ceux pour qui l'essentiel est de ne pas rejoindre Moscou en a d'ailleurs fait le reproche à Mgr Jean et lui a demandé d'étudier d'autre options, à commencer par une rediscutions d'un éventuel statut modifié avec Constantinople; c'est semble-t-il ce que faut le Conseil de l’Archevêché qui "a pris acte de cette décision de l’AGE et va communiquer rapidement la décision à Sa Toute-Sainteté le Patriarche œcuménique de Constantinople." (Ibid.1) L'article cité (ibid 2) fait état de l'opposition à l'option Moscou du représentant de Nice, qui met en avant ses procès avec l'état russe (ne pourrait-on pas justement essayer de régler cette question dans le cadre d'un rapprochement?), ou D. Struve qui, sur RFI, met en doute l'engagement de l'Eglise russe de préserver l'indépendance de l'Archevêché, malgré la lettre de Mgr Antoine et l'exemple que donne depuis plus de 10 ans le statut de l'EORE - Église très largement indépendante au sein du patriarcat de Moscou.

AUTRES CHOIX POSSIBLES?

Il apparait dans ces conditions que Moscou (en direct ou par l'EORE) comme Constantinople (même en sauvegardant une structure autonome comme avant 1999) seront probablement repoussés par les communautés qui se retrouvent dans ces deux derniers courants, comme le montrent déjà les exemples des 3 paroisses citées plus haut. Notons aussi que les statuts auxquels tient l'Archevêché, dérivés des principes du concile local de 1917-18, vont à l'encontre de la pratique de toutes les Églises locales, à commencer par Moscou et Constantinople, à l'exception de l'Église Orthodoxe en Amériques (OCA), qui fait exception en s'en réclamant…

Un rattachement "neutre" (ni Moscou ni Constantinople) aurait-il des chances de trouver un consensus plus large et de minimiser la dispersion? J’en imagine plusieurs possibilités:

- Le patriarcat Roumain a été cité par Mgr Jean lors de l'Assemblée pastorale qui a rassemblé tout le clergé de l’Archevêché le 15 décembre 2018. Cette ce rattachement semble curieux, mais le père diacre Alexander Zanemonets, qui a participé à l'Assemblée pastorale, en a analysé les avantages (5) et c'est d'ailleurs ce choix là qu'a fait la paroisse de Stockholm avant même cette réunion…

- D'autres sources ont parlé du patriarcat de Serbie (6) ou de l'OCA, qui est certainement la juridiction la plus proche de l'Archevêché par ses origines, son statut et sa tradition. Cette hypothèse avait été évoquée lors de la crise des élections de 2013, mais il n'est pas certain qu'elle soit acceptée par l'OCA qui se positionne plutôt comme exclusivement américaine...

L'avenir de l'Archevêché semble donc toujours aussi ouvert et incertain et je pense que tous les Orthodoxes français, en particulier ceux de tradition russe, doivent prier pour que l'Esprit Saint ne l'abandonne pas et indique aux délégués de la prochaine AGE la meilleure voie pour suivre notre Seigneur.

Amen

Illustration: la cathédrale de la rue Daru (Paris), graveur anonyme, 1861, Musée Carnavalet, Histoire de Paris

Sources et références:
(1) http://exarchat.eu/spip.php?article2333
(2) http://exarchat.eu/spip.php?article2326
(3) http://ru.rfi.fr/frantsiya/20190223-russkaya-arkhiepiskopiya-v-parizhe-ne-posledovala-ukazu-konstantinopolya
(4) https://orthodoxie.com/les-propositions-du-patriarcat-de-moscou-a-larcheveche/?fbclid=IwAR24qs9vBFnEEJQRmwXapATBS0WCuNLMMcrZd7QHzzBY31zfhbAuLmmQH14
(5) https://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/L-Archeveche-a-la-croisee-des-chemins_a5602.html).
(6) https://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Stockholm-16-fideles-exclus-de-la-paroisse-relevant-du-Patriarcat-de-Constantinople_a5560.html

11.Posté par Vladimir G: LES ARGUMENTS DES PARTIES EN PRÉSENCE le 13/03/2019 15:34
LES CHOIX DE L’ARCHEVÊCHÉ SUITE


POUR LE RETOUR À L'ÉGLISE RUSSE

PO a publié plusieurs appels de ceux qui font partie du courant prônant le retour au patriarcat de Moscou. Dans l'article dont je parle dans mon post 10, le père diacre Alexander Zanemonets en résume bien les principaux arguments (cette partie de l'article n'a pas été traduite pour PO):

"Il y a des choses importantes sans lesquelles l'Archevêché ne se voit pas d'avenir. Il est important de conserver un diocèse, élire soi-même ses évêques (cela sonne étrangement en Russie, mais c'est naturel pour la diaspora russe), suivre les décisions du Concile local de Moscou de 1917-1918, qui non seulement a restauré le patriarcat, mais a aussi beaucoup fait pour la décentralisation de la gestion et la liberté des communautés ecclésiales.

Pour les Russes de Paris, il est important de vénérer leurs saints et les néomartyrs apparus parmi les émigrés russes, qui ont été glorifiés par le patriarcat de Constantinople mais ne sont pas encore inscrits dans les ménologes russes. Respecter ses théologiens qui ont tant fait pour la mission orthodoxe en Occident au cours du XX siècle.

La réunification avec l'église russe amènera certainement une augmentation des contacts avec la Russie actuelle et l'Ukraine et changera la perception de l'Archevêché, que beaucoup considéraient jusqu'ici comme étranger. Il est possible que ce processus rappelle celui par lequel sont passés le patriarcat de Moscou et l'ERE en 2007, bien que l'Archevêché ne revienne pas d'une isolation conservatrice mais passe d'un patriarcat à un autre.

Et pour l'Église en Russie, l'Archevêché parisien, présent dans tous les pays d'Europe Occidentale, ne deviendra-t-il pas l'endroit de plus grande ouverture, de liberté et de l'unification du clergé et des évêques avec leur peuple ?" Fin de citation (*)

ET LES AUTRES?

Ces arguments sont donc bien connus et cela peut donner l'impression d'une expression majoritaire au sein de l'Archevêché (c'est d'ailleurs l'idée que soutient aussi le père diacre Alexandre). Mais ce n'est peut-être pas réellement le cas et il semble intéressant de chercher à cerner les arguments des autres parties prenantes dont je parle dans mon post 10.

- Dans le même article, le père Alexander évoque la proposition du patriarcat de Roumanie: "La proposition l'Eglise orthodoxe Roumaine de la rejoindre est inattendue mais intéressante. C'est aujourd'hui l'une des Eglises orthodoxes les plus dynamiques. Avec le plus grand nombre de moines et une attitude authentiquement pastorale de la hiérarchie et du clergé envers le peuple. Il y a en Europe Occidentale des centaines de paroisses roumaines, célébrant pour la plupart en langues locales et non uniquement en roumain. Nombre d'évêques et de prêtres roumains ont étudié à l'ITO St Serge de Paris, car le français ne présente pas trop de difficulté pour les Roumains." (Ibid). Toutefois il ne croit pas au choix de cette solution, bien que la paroisse russe de Stockholm en ait pris le chemin.

- L'article de RFI, que je cite dans le même post, donne aussi la réaction du marguillier de la paroisse de Nice, Alexandre Obolensky, qui fait partie de l'opposition de base à l'option Moscou. Ce rejet, basé sur les relations conflictuelles de la dernière décennie, est partagé par certains, et s'y ajoutent les accusations datant de la guerre froide (liens avec le KGB et avec le gouvernement russe, maintenant personnifié par le président Poutine.) Tout cela est foncièrement politique et rappelle les prises de position du "synode hors frontières" qui avaient conduit à la rupture avec l'Archevêché en 1926-27… Sauf que maintenant les positions sont inversées !

- Dans le même article Daniel Struve, maître de conférences à l'Université Paris Diderot et membre de la communauté orthodoxe de Paris, rappelle que l'Archevêché "avait toujours été un fervent partisan de la formation d'une Église locale (indépendante) en France qui intégrerait différentes nationalités." Cet argument de la recherche d'une Église orthodoxe locale indépendante en France regroupe un bon nombre de partisans dans l'Archevêché et surtout dans sa direction.

Il faut noter que ces deux derniers arguments expliquent probablement la position des 15 délégués qui ont voté pour la dissolution de l'Archevêché. Certains sont persuadés que c'est le patriarcat de Constantinople qui est le mieux à même de garantir l'indépendance de l'Archevêché contre les volontés d'ingérences prétées à l'Église russe, d'autres pensent que c'est à travers Constantinople que peut se réaliser cette Église locale de France qui unifierait toutes les juridictions orthodoxes du territoire. Ceux là appuient la position Constantinopolitaine à ramener toute la diaspora orthodoxe sous son autorité mais se heurtent à la volonté manifestée par toutes ces juridictions de ne dépendre que de leurs Églises-mères respectives.

UNE PAGE SE TOURNE

Les débat de l'AGE du 23 février dernier n'étant pas divulgués, nous ne pouvons avoir une idée précise de l'importance numérique des groupes qui appuient ce différentes tendances et nous devrons attendre la prochaine Assemblée, prévue en juin prochain, pour savoir laquelle prévaudra. Il semble clair que les choix de Moscou ou de Constantinople sont très clivants et entraineront le départ d'un bon nombre de paroisses, comme l'ont montré les trois qui sont déjà parties. Est-ce un choix plus neutre (Roumanie, Serbie, OCA ont été évoqués) qui va prévaloir pour sauvegarder au maximum l'intégrité de "Daru"? Il est en tous les cas évident que c'est toute une page de l'histoire de l'Orthodoxie en Occident que nous voyons se tourner.

(*) https://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/L-Archeveche-a-la-croisee-des-chemins_a5602.html

12.Posté par Kolessnikow le 14/03/2019 17:53
Un très intéressant et fort louable travail de clarification de la part de l’historien Nicolas Ross qui mériterait peut-être quelques précisions ou commentaires. Pour l’heure, je voudrais seulement compléter une lacune, fort gênante : rien n’est dit sur la période cruciale 1917-1922, sauf des erreurs pour mars et mai 1922 cf infra. Voici ce qu'il manque:
1917-1922
Oukaze du 20/11/1920 du Patriarche Tikhon (élu en novembre 1917) bénissant la fuite à l’étranger de l’Église russe libre. Constitution en novembre 1921 à Sremski-Karlovstsi de la Haute administration ecclésiale russe provisoire à l’étranger sous l’autorité du métropolite Antoine Khrapovitsky. Nomination par ce dernier dès le 02/10/20 de Mgr Euloge évêque diocésain des paroisses russes en Europe Occidentale (ce qui est confirmé par Mgr Tikhon début novembre 20, et qui parviendra à Mgr Euloge début 21).
Le 5 mai 1922 le Guépéou rédige un soi-disant décret du Patriarche Tikhon (alors emprisonné), signé par Mgr Thaddée d’Astrakhan et qui abolit l’Administration provisoire en raison de sa déclaration pro Romanoff à la SDN de 1921 et confie à Euloge le rang de Métropolite en Europe, ce que ce dernier refuse comprenant la pression des bolcheviks sur le patriarche. Création de l’EORHF en 22.

Les erreurs pour mars et mai sont notamment, d’une part, que Mgr Euloge ne s’adresse pas à la Haute autorité pour confirmation de ses pouvoirs donnés par Mgr Benjamin de Petrograd (en juin 21), mais qu’à l’inverse il avait demandé confirmation à Mgr Tikhon de sa nomination par Mgr Antoine (cf Mémoires Mgr Euloge traduction française p 315) ; d’autre part que personne à l’époque, en Russie ou en Europe (et pas plus Mgr Euloge que les autres) n’a accepté de croire que le décret du 5 mai exprimait la livre volonté de Mgr Tikhon. Voir à ce sujet "Petite géopolitique du christianisme ou Histoire des Trois Rome" S. Kolessnikow Éditions RIC 2018).

La rupture entre eulogiens et karlovtsiens intervient après le décès du patriarche Tikhon en 1925, entre Mgr Euloge qui acceptera de suivre le Métropolite Serge Stragorodsky dans son allégeance à l’Etat bolchevik et le Métropolite Antoine qui le refuse. Nicolas Ross conclut à juste titre en rappelant la bonne dizaine de changements canoniques de l’Archevêché. L’EORHF, elle, n’a jamais changé (jusqu'à la scission de 2007).

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