La lecture du communiqué publié par la paroisse "géorgienne" du patriarcat de Constantinople, Sainte Nino, laisse une sombre impression. Au lieu de se réjouir de la possibilité offerte aux orthodoxes géorgiens d'avoir une nouvelle église, le communiqué s'en prend de façon effrontée au catholicos Élie II de Géorgie, un des patriarches les plus anciens et les plus estimés dans le monde orthodoxe. Pourquoi si peu d'amour et de soutien fraternel ?

On se demande pourquoi l'ouverture d'une nouvelle paroisse géorgienne en France serait en "en contradiction avec les règles canoniques de l’Église orthodoxe". De quelles règles s'agit-il? Le communiqué, très peu bienveillant à l'égard de l'Église de Géorgie et très polémique, reproche aussi au patriarche Élie "le manque de "concertation avec les autorités ecclésiastiques orthodoxes, que ce soit celles de France ou le Patriarcat œcuménique de Constantinople". L'Église orthodoxe de Géorgie ne serait-elle plus autocéphale pour devoir consulter le patriarcat de Constantinople qui n'a pas plus de droits en dehors de son territoire canonique (Turquie et une partie de la Grèce) que les autres Églises orthodoxes.

Finalement, le concile épiscopal de l'Église orthodoxe russe de juin 2008 avait vu juste, en dénonçant dans sa déclaration "Sur l'unité de l'Église orthodoxe" le danger de la "nouvelle ecclésiologie de Constantinople" qui, selon l'épiscopat orthodoxe "est en contradiction manifeste avec la tradition séculaire sur laquelle s’est édifiée la vie de l’Église orthodoxe russe et d’autres Églises orthodoxes locales, et va à l’encontre de leurs devoirs pastoraux auprès de leurs fidèles dans la dispersion".

Voici l'extrait de la déclaration conciliaire relatif à la question:

Aujourd’hui, l’unité est menacée non seulement dans l’Église orthodoxe russe, mais aussi dans l’orthodoxie universelle. Le danger vient de tentatives imprudentes de revoir l’organisation séculaire des rapports entre les Églises locales fixée dans les saints canons. Soucieux de la communion avec toutes les Églises orthodoxes locales, et surtout avec le patriarcat de Constantinople, Église mère à laquelle l’héritage de la Sainte Russie est inséparablement lié depuis des siècles, le concile exprime sa profonde préoccupation devant les tendances à altérer la tradition canonique qui apparaissent dans les déclarations et les actes de certains représentants de la Sainte Église de Constantinople. Se fondant sur une interprétation du 28e canon du IVe concile œcuménique qui n’est pas acceptée par l’ensemble de l’Église orthodoxe, ces évêques et théologiens élaborent une nouvelle conception de l’ecclésiologie qui met en péril l’unité de l’orthodoxie. Selon cette conception,
a) seules les Églises en communion avec le siège de Constantinople appartiendraient à l’orthodoxie universelle ;
b) le patriarcat de Constantinople aurait le droit exclusif de juridiction au sein de la diaspora orthodoxe;
c) dans les pays ayant une diaspora orthodoxe, le patriarcat de Constantinople représenterait lui seul l’avis et les intérêts de toutes les Églises locales face aux pouvoirs publics ;
d) tout évêque ou membre du clergé qui exerce son ministère hors du territoire canonique de son Église locale se trouverait automatiquement dans la juridiction ecclésiale de Constantinople, même s’il n’en est pas conscient, et pourrait de ce fait être reçu dans cette juridiction sans aucune lettre dimissoriale de son Église (comme ce fut le cas avec Mgr Basile, ancien évêque de Serguéiévo) ;
e) le patriarcat de Constantinople aurait la prérogative de définir les frontières géographiques des Églises et, si son avis diverge avec celui d’une autre Église, pourrait créer sur le territoire de cette Église ses propres structures (comme ce fut le cas en Estonie) ;
f) le patriarcat de Constantinople déciderait unilatéralement quelle Église orthodoxe locale peut participer aux manifestations interorthodoxes et interchrétiennes.

Cette vision qu’a le patriarcat de Constantinople de ses propres droits et prérogatives est en contradiction manifeste avec la tradition séculaire sur laquelle s’est édifiée la vie de l’Église orthodoxe russe et d’autres Églises orthodoxes locales, et va à l’encontre de leurs devoirs pastoraux auprès de leurs fidèles dans la dispersion.

Rédigé par l'équipe de rédaction le 20 Mai 2009 à 09:59 | 4 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Serge le 20/05/2009 10:30
On ne peut pas non plus ignorer l'histoire de la communauté géorgienne en France, ni le travail remarquable fait depuis par les recteurs successifs de la paroisse existant à Paris.

Plutôt que d'utiliser ce ton agressif et polémique, il vaudrait mieux aller prier à l'église géorgienne, parler aux paroissiens troublés et peinés, et si cela vous intéresse, étudiez les conditions de la création de la paroisse par le métropolite Germanos.

2.Posté par vladimir le 20/05/2009 11:13
'Celui qui sème le vent récolte la tempête!'
Nous somme en plein dans la bataille éclésiologique que nous avons déjà évoquée ici à propos de l'Amérique et du livre de Mgr Hillarion:

- Le communiqué de Sainte Nino donne le ton: 'un apparent esprit de défiance à notre égard, en contradiction avec les règles canoniques de l’Église Orthodoxe,'. Suit une série d'ACCUSATIONS, clairement dans l'interprétation constantinopolitaine du 28ème canon de Chalcédoine, qui se termine par 'Il est certain que tout ceci ne peut que semer la confusion, non seulement dans notre communauté, mais dans l’ensemble du monde orthodoxe'. Malheureusement rien de fraternel dans tout cela!

- La rédaction du blog rappelle du tac au tac que d'autres Églises sont sur une autre position: avant le concile de 2008, cette position était remarquablement résumée par le patriarche Alexis II, de bienheureuse mémoire (cf. http://oltr.france-orthodoxe.net/html/patriarches2002fr.html) qui précisait au patriarche Bartholomé de Constantinople: 'Ajoutons encore que ni la Très Sainte Église Orthodoxe de Roumanie ni la Très Sainte Église Orthodoxe de Pologne ne partagent la vision des problèmes de la diaspora orthodoxe exposée par Votre Sainteté : c'est ce qui ressort des rapports de ces Églises aux réunions de la commission préparatoire pour le Saint et Grand Concile en 1990.'

A première vue, Constantinople parait isolé car aucune autre Église ne défend officiellement sa position. Mais le vrai problème me semble être dans ce triste spectacle de désunion des orthodoxes: nous prenons le monde extérieur à témoin, voire pire – en arbitre! Comme si cette question, il est vrai fondamentale, ne devait pas se résoudre entre nous, fraternellement, en recherchant la solution que nous indiquera le Saint-Esprit quand nous saurons nous remettre entre Ses mains…

3.Posté par le hiéromoine Alexandre le 20/05/2009 11:30
Merci, Vladimir, pour vos justes précisions. Il est important que les positions de toutes les Églises orthodoxes soient entendues.

4.Posté par Theophylactere le 21/05/2009 09:25
Je pense qu'il ne faut pas non plus jouer la victimisation en parlant de paroissiens troublés et peinés. D'une part, l'église Sainte Nino n'est ôtée à personne et demeure en l'état dans sa situation de toujours. En revanche, ceux à qui elle ne convenait pas ont un autre choix. Et je puis vous dire qu'ils sont nombreux à qui elle ne convenait pas. Je me souviens qu'en 2004, qu'en j'ai rejoins l'église de Serbie, j'ai vu de nombreux Géorgiens à la cathédrale Saint Sava. Il y avait donc un petit souci avec l'église Sainte Nino car ils préféraient assister à un office en serbe et slavon plutôt qu'à un office en géorgien. Pourquoi? Est-ce le fait que l'église Sainte Nino utilise le nouveau calendrier? Qu'elle ait une pratique 'libérale'? En visitant la nouvelle église (pour admirer les fresques) samedi dernier, et en parlant avec une vieille connaissance, j'ai eu l'impression, pour une raison que j'ignore, que certains ne se sentaient pas vraiment chez eux à Sainte Nino.

Personne n'a mis officiellement en doute le travail accompli à la paroisse Sainte Nino... En revanche, à vue d'oeil, tout le monde met en doute cette interprétation des canons qui veut que Constantinople chapeaute toute église en Europe occidentale. Au vu des églises des différentes juridictions présentes en région parisienne (serbe, bulgare, roumaine, géorgienne, russe, antiochienne), Constantinople semble vraiment la seule à partager sa propre interprétation, interprétation découverte tardivement dans les années 20. L'église de Géorgie avait depuis plus de 4 ans un évêque pour l'Europe occidentale du nom d'Abraham, ce qui indiquait que son église ne partageait pas l'interprétation canonique constantinopolitaine. En conséquence, un donateur lui a proposé ce don, et elle accepte... Je trouve aussi le communiqué très virulent et le snobage médiatique de la visite d'Elie II assez indécent. Je note sur un site d'information orthodoxe bien connu que la visite a été annoncée après sa fin, et que le compte-rendu évite de mentionner l'ouverture de la nouvelle église Sainte Thamar alors que le lien vers la source anglaise indique l'événement.

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