Comment, en effet, dans une civilisation marquée au plus profond par l’animisme, le brahmanisme et le bouddhisme, parler de Dieu, du Dieu des chrétiens, à des Khmers sans risquer d’être incompris ?

Les lecteurs d’Eglises d’Asie connaissent bien le P. François Ponchaud, des Missions Etrangères de Paris. Connu du grand public pour avoir fait connaître la tragédie vécue par les Cambodgiens après la prise du pouvoir par les Khmers rouges (Cambodge année zéro, Paris, Julliard, 1977), auteur de plusieurs ouvrages sur le Cambodge et la petite communauté catholique qui y vit (La Cathédrale de la rizière, Paris Le Sarment-Fayard, 1990, réédité aux éditions CLD en 2006), il est aussi l’un des protagonistes de la traduction en khmer de la Bible, une entreprise entamée en 1973 et achevée en 1998. Il s’inscrivait ainsi à la suite d’une longue lignée de prêtres des Missions Etrangères de Paris, pionniers de la linguistique cambodgienne et rédacteurs des premiers dictionnaires cambodgiens. Fort de cette expérience, menée dans un cadre œcuménique, le P. Ponchaud livre dans le texte ci-dessous quelques clefs de vocabulaire.

Сe sont les événements qui m’ont conduit à lancer, puis à collaborer à la traduction interconfessionnelle de la Bible en cambodgien, en qualité d’exégète autoproclamé, sans formation précise, avec un pasteur méthodiste et deux spécialistes de la langue khmère. L’an dernier, Mgr Olivier Schmitthaeusler, le nouvel évêque de Phnom Penh [depuis octobre 2010], m’a demandé d’achever la traduction de l’ensemble des textes du concile Vatican II que j’avais commencée jadis à usage des séminaristes : je viens d’en achever une première version. Travail passionnant, qui permet de chercher de nouveaux mots et de nouvelles expressions pour exprimer notre foi catholique dans une Eglise nouvelle qui ne possède pas encore un vocabulaire religieux bien fixé.

Je considère ce travail comme un cadeau du Ciel, qui m’a permis d’approfondir ma foi, afin de la transmettre en un langage compréhensible. Prenons un premier exemple tiré de la compréhension du sens originel des mots : si on demande à un Français, même non chrétien, ce que signifie le mot « résurrection », il traduira immédiatement par « vivre à nouveau ». C’est cette idée que nos vénérés Anciens, prêtres des Missions Etrangères, ont traduit dans les diverses langues asiatiques qu’ils ont dû apprendre et dans lesquelles ils ont traduit la Bible. Ils ont fait ce qu’ils pouvaient, avec leurs connaissances et l’esprit du temps. Un grand coup de chapeau pour ces pionniers ! Lors de la formation des catéchumènes, dans une mentalité bouddhiste où la transmigration est un donné culturel, nous nous sommes vite rendus compte que ce mot n’était pas le bon : pour beaucoup de catéchumènes, Jésus s’était « réincarné », « avait repris sa chair et ses os », « vivait comme avant ». Le cœur de notre message était donc sérieusement biaisé.

A l’analyse, dans le Nouveau Testament, il n’y a que quelques emplois du mot « vivre à nouveau » (ana-zoein : ana « de nouveau », zoein « Vivre », même racine que le Zoo), notamment par le père de l’enfant prodigue (Lc 15,32) qui, après avoir retrouvé son fils, dit : « Mon fil était mort, il est revenu à la vie » (ana-zoei). Pour Jésus, il est écrit, en revanche, que Dieu l’a « réveillé » (égeireisthai), « relevé d’entre les morts » (anastazethai). Jésus n’est pas le sujet, il ne s’est pas ressuscité lui-même, mais a « été re-levé, ré-veillé », au « mode moyen », en grec, c’est-à-dire mode qui indique que l’intéressé a subi l’action d’un autre, du Père en l’occurrence.

Si de plus, on examine les harmoniques utilisées pour qui désigner l’événement extraordinaire de Pâques, on peut noter « il a été élevé », « exalté, super-exalté » « glorifié », « entré dans la gloire », « établi Christ et Seigneur », « a reçu le Nom », « a été rempli de l’Esprit et nous l’a donné », pour ne signaler que les termes les plus usuels. A part Luc qui distingue trois phases de l’unique événement de Pâques (revification-exaltation-don de l’Esprit), à des fins catéchétiques, les trois autres Evangélistes ne distinguent pas les trois volets de ce même événement, mais l’Eglise catholique d’Occident en a fait trois événements historiquement séparés : Résurrection, Ascension, Pentecôte !

Dans une Eglise peu nombreuse, composée majoritairement de nouveaux chrétiens, il est encore facile, avec un peu de courage et de lucidité, de procéder aux changements nécessaires sans troubler les consciences attachées à des traditions immuables. Risquons donc l’audace !

SUITE Asie du Sud-Est
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Une Bible de prisonniers chrétiens chinois exposée à Dallas

Une Bible "New Age": sans Christ, sans anges et sans apôtres

La première traduction de la Bible en touvien
Traduire ou ne pas traduire: là n'est pas la question!
Une traduction de la Bible en russe moderne


Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 26 Juin 2012 à 18:03 | 1 commentaire | Permalien


Commentaires

1.Posté par vladimir le 02/07/2012 10:46
Merci pour ce texte passionnant qui montre bien la difficulté de toute traduction des textes religieux. Cette même difficulté se rencontre aussi pour la traduction des textes orthodoxes en français, car cette langue est aussi profondément marquée par le catholicisme que le khmère l'est par le bouddhisme: je pense par exemple à "catholique", à la Vierge, au "pain quotidien"…

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