Père Andrew Phillips:  L’impérialisme et les trois Romes
Extraits de l’essai du père Andrew Phillips (recteur de l’église de Saint Jean de Shanghai Colchester Royaume-Uni)
Texte intégral en anglais en premier commentaire de cette publication L'équipe de rédaction PO ne fait pas siennes toutes les idées de l'auteur.

L’impérialisme de la première et de la seconde Rome
...Le second impérialisme continue d’exister en marge de l’Eglise orthodoxe grecque. La fantaisiste mégalomanie d’une seconde Rome qui a disparu il y a 568 ans reste persistante. Ces illusions coloniales tout à fait irréelles trouvent un terrain d’application à Jérusalem et Alexandrie, par exemple, territoires que voudrait s’approprier le ministère des affaires étrangères d’Athènes. Cet impérialisme est d’autant plus absurde que monoethnique. Le patriarcat de Constantinople s’apprête actuellement à révoquer l’autonomie conférée aux paroisses qui se considèrent « de tradition russe », c’est-à-dire celles qui se trouvent sous la juridiction de « la rue Daru », à Paris.

Ces communautés devront désormais exister au sein du diocèse local grec. Constantinople s’apprête à s’approprier les paroisses « rue Daru » sur le continent en mettant à profit une éventuelle vacance de la chaire de Comane. Il l’a déjà fait entre 1966 et 1971, il l’a essayé à nouveau en 1980. J’étais à l’époque diacre dans la capitale française et ces projets d’hellénisation me paraissaient évidents.
Je m’étais heurté à l’époque au comportement repoussant de Moscou et je me disais naïvement que Constantinople pourrait faire mieux.

L’archevêque Georges (Wagner) était hanté par la peur de voir son diocèse répudié par Constantinople. Hors, le patriarche Démétrios de Constantinople avait alors déclaré que ces paroisses européennes devront un jour réintégrer l’Eglise russe… La stratégie de Constantinople consistait alors à retirer de la juridiction Daru un pays à la suite de l’autre, des paroisses l’une après l’autre et à les placer sous l’omophore d’évêques grecs.

Constantinople est actuellement dans l’attente d’une éventuelle vacance de la chaire « Daru » ce qui conduirait à une « athénogarisation » de ce Diocèse. On pourrait croire que le patriarcat de Constantinople ait renoncé à ses ambitions en Ukraine et, peut-être, en Estonie. Ceci, probablement, en échange d’un soutien diplomatique et financier de la Russie dans les relations entre le patriarcat de Constantinople et les autorités turques. Un tel soutien peut être plus qu’utile en ce qui concerne la réouverture souhaitée par le patriarcat du séminaire de Halki. Les statistiques parlent d’elles mêmes : pour les 800 orthodoxes grecs on compte près de 15.000 orthodoxes russes résidant en Turquie .
La négociation porte également sur le statut futur de l’OCA, ensemble de paroisses en Amérique auxquelles l’Eglise russe a octroyé l’autocéphalie pendant la guerre froide…

L’impérialisme de la Troisième Rome

L’impérialisme inhérent à Moscou, la Troisième Rome, a été moins marqué par le nationalisme et, dans une certaine mesure, plus justifié que celui de Byzance, la deuxième Rome. Cela pour la simple raison que l’Empire Russe (dont la plus grande partie constitue aujourd’hui la Fédération de Russie) a toujours été très vaste, variant par sa superficie de 1/7e à 1/9e de la surface de la Terre. Empire pluriethnique, avec plus de 100 nationalités et langages, à la différence de Byzance qui devint rapidement exclusivement grecque. Je me souviens d’un prêtre grec réputé pour sa sagesse qui m’assurait, il y a 35 ans, que Platon était orthodoxe et que Dieu s’exprimait de préférence en grec.

Etant donné ses effectifs et la diversité qui lui est propre l’Eglise orthodoxe russe est une entité moins centralisée que le patriarcat de Constantinople. On peut dire d’elle que c’est une Confédération d’Eglises et de métropoles autonomes, - Eglises orthodoxes d’Ukraine, de Biélorussie, de Moldavie, de Lettonie, du Kazakhstan, du Japon et de Chine ainsi que l’EORHF. Elle ne comprend pas les Eglises autocéphales de Pologne et des terres Tchèque, celle de Slovaquie qui ont, en fait, été dans un passé récent des parties intégrantes de l’Eglise russe.

Cependant l’impérialisme russe s’est fait beaucoup d’ennemis, en particulier dans le Caucase, l’Ukraine occidentale ainsi que dans la majeure partie de l’Europe de l’Est (la Pologne n’est-elle pas l’Irlande du Nord de la Russie ?). Dans ces contrées la russophobie n’a été que renforcée par les crimes de l’impérialisme soviétique. L’édification de la Nouvelle Jérusalem, antidote à l’impérialisme étatique de la Troisième Rome et de son nationalisme obscurantiste et provincial « vieux croyant » dut être interrompue. Cette rupture se produisit avec la prise en otage de l’Eglise et l’arrestation pendant la deuxième moitié du XVII siècle de son primat légitime, le patriarche Tikhon. Ainsi, la Nouvelle Jérusalem reste jusqu’à présent inachevée. La décapitation de l’Eglise russe fut parachevée par les intrigues des catholiques romains, la vénalité grecque et l’ignorance russe, les trois impérialismes agissant de connivence.

A la suite de la révolution de 1917 qui avait bénéficié dans une grande mesure du soutien de l’Occident le monde orthodoxe fut plongé dans le chaos. L’impérialisme britannique put accaparer des parties du monde orthodoxe au Proche et au Moyen orient, en Grèce, à Chypres et même en Roumanie où furent introduits le nouveau calendrier ainsi que d’autres réformes modernistes, causes de divisions. Il s’agissait, par l’invention d’une orthodoxie « diététique ou light » de la dévaloriser et d’y introduire des schismes afin de pouvoir contrôler les Eglises locales…

Après de l’effondrement de l’impérialisme britannique en 1945 c’est l’impérialisme américain qui prit la relève pour briser ce qui restait de résistance à l’idolâtrie matérialiste, l’objectif final étant de détruire toute trace de spiritualité dans le monde orthodoxe grec. Ces derniers temps une attention particulière est accordée à la destruction de l’orthodoxie en Serbie, en Ukraine et en Géorgie…
Pendant la Guerre froide, encore toute récente, le clergé du patriarcat de Moscou affecté à l’étranger a vécu dans la déchéance morale. Les postes de responsabilité étaient attribués exclusivement par le KGB. Or « chaque homme a un prix ». Le « culte de la personnalité » cause de divisions, était encouragé. Aussi, de nombreux fidèles et clercs de la diaspora préfèrent s’abriter dans d’autres juridictions orthodoxes, en particulier celle de l’EORHF, ceci tout en se maintenant dans le cadre de la tradition russe. Cette situation a été dépassée, mais les plaies qu’elle a infligées ne sont pas encore entièrement guéries. La guerre froide a ruiné de nombreuses vies. Il faut constater que, malheureusement, la méfiance continue à exister dans les relations entre le Patriarcat de Moscou et la diaspora. Les regrets, bien qu’exprimés plusieurs décennies après les faits, ont été d’une grande aide.
Mais quelle est la situation actuelle de l’Eglise orthodoxe en Russie même ? Au grand dam des Etats-Unis et de l’UE elle revit, irriguée par le sang des Nouveaux martyrs et les souffrances des Nouveaux confesseurs…

Conclusions

Ceux qui sont entraînés à la dérive par le patriarcat de Constantinople ont aujourd’hui la possibilité de réintégrer le patriarcat de Moscou ou l’EORHF autonome qui est actuellement dirigée par le métropolite le plus ouvert et le plus compréhensif de son histoire. Par naïveté, par inexpérience vous n’avez pas voulu entendre les avertissements que nous vous avions adressés à l’époque en nous fondant sur notre triste expérience. Mais nous vous restons ouverts. Nous ne devons pas nous condamner nous-mêmes à persévérer dans l’ignorance de l’histoire.
Rejoignez ceux qui, comme nous, ont aspiré et travaillé pour l’avènement d’une métropole orthodoxe autonome en Europe occidentale qui deviendrait un jour, avec l’aide de Dieu, l’assise d’une Eglise Orthodoxe d’Europe. Cela serait l’unique possible témoignage de Dieu dans le monde hétérodoxe et décadent dans lequel nous sommes. Une Eglise seulement est à même de fonder une telle métropole et a annoncé son intention de le faire, c’est l’Eglise orthodoxe russe. Les idéaux multiethniques qui étaient ceux de l’Eglise russe au XVII siècle revivent. La nouvelle métropole européenne est viable, elle est déjà en devenir.
Les cyniques peuvent en douter mais il faut qu’ils n’oublient pas trois choses :

- D’abord la métropole est une réalité et non un phantasme non canonique et désincarné de l’école philosophique de Paris.
- Deuxièmement, elle est l’unique solution réaliste car le patriarcat de Constantinople n’a jamais volontiers octroyé l’autonomie, sans parler de l’autocéphalie à qui que ce soit. Le professeur Basile Osborne me l’a expliqué il y a 35 ans. Les récents évènements de Bulgarie en sont d’ailleurs une preuve.
- Et troisièmement :les cyniques doivent ne pas perdre de vue que l’Eglise n’est pas gouvernée par les hommes mais par Dieu, que c’est à Lui qu’elle appartient. Nous nous efforçons d’accomplir la volonté de Dieu et non la notre. L’histoire récente de l’Eglise orthodoxe russe et de sa résurrection miraculeuse après le Golgotha soviétique en est une preuve.

A ceux qui sont à la recherche d’un havre de paix et qui veulent maintenir intacte la Tradition orthodoxe nous disons :" ne ratez pas le train". Souvenez vous que l’homme propose et que Dieu dispose.

p. A.P. 27 mai - 7 juin 2011

Traduction Nikita Krivochéine

"PO"- Père Andrew Phillips : La pensée et l’enseignement du Père Alexandre Schmemann
Père Andrew Phillips: Reconfiguration inachevée de l'Eglise russe dans l'émigration



Rédigé par Nikita Krivocheine le 13 Juin 2011 à 17:21 | 31 commentaires | Permalien



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