RENCONTRE AVEC  BRIGITTE DE MONTCLOS,  COMMISSAIRE DE  L’EXPOSITION  « Splendeurs des Romanov »
- Vous étiez déjà la commissaire de l’exposition « Impérial Saint Saint-Pétersbourg » en 2004 qui mettait à l’honneur l’œuvre de dignes représentants des Roma Romanov, à nov, l’image de Pierre le Grand et de Catherine II. Est Est-ce l’histoire qui se répète ?

« Ce n’est pas du tout la même exposition qui recommence. Ici on prend le sujet des
Romanov dans son cœur en focalisant sur Moscou, la vieille capitale qui symbolise le
véritable esprit de la Russie à travers l’Histoire. Pourquoi dans son désir de conquête,
Napoléon est-il allé jusqu’à Moscou et non pas à Saint-Pétersbourg ? Parce qu’il
voulait asservir l’âme de ce pays…Pourtant fondateur de Saint-Pétersbourg, Pierre le Grand lui-même a succombé au souffle historique de Moscou en s’y faisant couronner Tsar mais aussi Empereur.
De nombreux auteurs du XIXè siècle comme Théophile Gautier, Alexandre Dumas,
Jules Verne ont exhorté l’âme russe de Moscou, en opposition à Saint-Pétersbourg
l’occidentale.
- En quoi le terme « Splendeurs des Romanov » va va-t-il prendre ici un caractère exceptionnel ?

« Tout d’abord, il faut rappeler que lorsque Michel, Premier des Romanov, accède au
Trône en 1613, la Russie sort du « temps des troubles » qui a vu se succéder à sa tête des imposteurs et des étrangers et qui ont plongé le pays dans le marasme
économique. Cette splendeur retrouvée va être symbolisée par les cérémonies de couronnement qui se préparaient pas moins d’un an à l’avance, le temps de réunir et de confectionner les plus beaux tissus, les plus riches dentelles, les objets les plus exceptionnels, qui étaient ensuite pieusement rangés au Palais des Armures du Kremlin. C’est dans cette renaissance du faste que va nous entraîner l’exposition du Grimaldi Forum ».


RENCONTRE AVEC  BRIGITTE DE MONTCLOS,  COMMISSAIRE DE  L’EXPOSITION  « Splendeurs des Romanov »
VOYAGE AU CŒUR DE L’EXPOS L’EXPOSITION ITION

Section 1 : Le Couronnement des Romanov

Si depuis le XVIIIème siècle, la dynastie régnante des Romanov partage son temps
entre Saint-Pétersbourg élevé au rang de capitale de l’Empire Russe en 1712 par
Pierre le Grand et les résidences d’été des Tsars (Tsarskoïe Selo, Peterhof, Gatchina,Pavlosk et Oranienbaum), Moscou représente néanmoins l’étape originelle et incontournable, celle du couronnement des Souverains.
C’est pourquoi l’exposition ouvrira de manière majestueuse sur cette cérémonie du
sacre, avec la reconstitution de la Cathédrale de la Dormition sur la place du Kremlin
où tous les souverains sans exception ont été couronnés. Il est vrai que les cérémonies du sacre redonnaient à l’ancienne capitale le lustre dont l’avait dépossédé Saint- Pétersbourg.
Le visiteur revivra ainsi la procession religieuse avec tout son cérémonial et son décorum datant des XVIIè et XVIIIè siècles. Derrière le tsar symbolisé par les robes de couronnement issues des Collections du Musée du Kremlin, on reconnaît toutes les hautes personnalités du régime en costumes d’apparat en train de défiler vers l’iconostase.Sur les côtés, pièces de mobilier et icones étalent toujours plus de richesses. Au fond, domine l’impressionnante iconostase. Clou de la scène, cette cloison, de bois ou de pierre, qui dans les églises de rite byzantin, particulièrement orthodoxes, sépare le clergé célébrant des fidèles, symbolise la porte vers le monde divin. Restauré, cet ensemble de quatre rangées d’icones n’a jamais été montré en Occident.
Non loin de là, la sacristie renferme les objets de culte, véritable orfèvrerie religieuse,
les linges liturgiques ou encore les couronnes de mariage.

Section 2 : Les Splendeurs des Romanov
Dans cette salle circulaire prend place la galerie chronologique des portraits des
principaux souverains de la dynastie des Romanov, depuis Michel Ier (1613-1645)
jusqu’à Nicolas II (1895-1917).Au centre tournoie un kaléidoscope d’objets précieux symbolisant chacune des époques (porcelaines fabriquées à Moscou même, mobiliers, cristallerie moscovite aux armes des Tsars, services à café, flambeaux, robes brodées, trônes, médailles militaires et ordres de couronnement, imposant candélabre dit de la Tsarine créé par Baccarat en 1867).
Le vent de l’histoire balaie cette période de 300 ans, un véritable tourbillon renforcé par les effets de miroirs qui ornent le plafond. Il est intéressant de souligner la mise en exergue des fabrications artisanales moscovites au regard des grandes manufactures occidentales de l’époque.

Section 3 : Moscou, portrait d’une ville
Dans un accrochage épuré, donnant le sentiment de l’observer sous la neige, apparaît ici la ville de Moscou représentée par une trentaine de peintures et gravures provenant du Musée historique de Moscou. Cette section met en regard différentes vues de la cité, avant et après le grand
incendie de 1812 déclenché au moment de l’arrivée des soldats napoléoniens et qui
ravagea la quasi-totalité de la ville construite alors essentiellement en bois.
Avant : nous découvrons le travail du graveur Alexeiev qui dès 1801, à la demande
du Tsar Alexandre Ier, répertorie visuellement des quartiers de Moscou, tel qu’aurait
pu le réaliser un photographe.Après : d’après un travail de commandes auprès de peintres russes et étrangers, le graveur Datsiaro, qui avait également pignon sur rue Boulevard des Italiens à Paris,
entre en action à partir de 1840 et apporte ses témoignages visuels sur le renouveau
de Moscou.

Section 4 : Les Commandes impériales

Les fastes de la Cour sont traités au travers des commandes impériales et de
l’aristocratie russe dans le domaine de la bijouterie et de la joaillerie. Là encore,
l’accent est mis sur la prédominance d’une fabrication « made in Russia » et sur
l’évolution stylistique des grandes manufactures occidentales influencées par ce « goût russe » découvert lors des grandes Expositions internationales. L’utilisation de l’émail est particulièrement probante si l’on prend l’exemple des pendules créées par la Maison Cartier.
Comme Saint-Pétersbourg, Moscou était un grand centre de création qui abritait ses propres bijoutiers ou les filiales des plus importants fournisseurs de la cour impériale (Bolin, Fabergé, Tereshenko, Tschitscheleff…)
La plupart étaient établis sur Kouznetsky Most, une rue « pavée de diamants », centre du luxe moscovite. Leurs créations étaient souvent inspirées du passé national, un goût propre à Moscou, mais elles étaient également tournées vers les modèles occidentaux, capables de séduire une clientèle cosmopolite. La clientèle moscovite appréciant le goût français, est convoitée par les meilleurs créateurs parisiens. Dans un contexte historique favorable qui aboutira à l’alliance
franco-russe, une exposition commerciale française est organisée à Moscou en 1891.
Les bijoux et objets d’art des bijoutiers et joailliers parisiens tels Louis Aucoc, Frédéric Boucheron, Th. Bourdier, L. Coulon et Cie, Vever… suscitent l’enthousiasme et certains sont achetés par la famille impériale. Pour conquérir cette clientèle, Boucheron ouvre même une succursale à Moscou tandis que d’autres fabricants, à l’image de Cartier ou Chaumet, y envoient leur représentant et y exposent leurs œuvres.
Dans la vieille capitale de l’empire, les clients, issus de la Cour ou de l’aristocratie,
étaient les mêmes qu’à Saint-Pétersbourg. On rencontrait notamment à Moscou le
grand-duc Serge Alexandrovitch, gouverneur de la ville et son épouse, la grandeduchesse Elisabeth Feodorovna ou encore les Youssoupov, propriétaires de plusieurs résidences dans la région.
La grande-duchesse Wladimir ou la princesse Paley qui firent les beaux jours des
joailliers parisiens tels Boucheron ou Cartier, seront également évoquées dans cette
section.
Cette clientèle commune aux Russes et aux Français (Fabergé, Bolin, Boucheron,
Cartier, Chaumet…), formée au même goût, peut expliquer les parallèles de formes,
de styles et de techniques tel l’emploi des émaux guillochés ou de la néphrite, que l’on rencontre sur les créations de ces différentes maisons. Le noyau central de cette salle sera constitué par une incroyable exposition d’œufs de Pâques en joaillerie de Fabergé produits pour le compte des tsars Alexandre III et Nicolas II. A l’exception d’un exemplaire conservé dans les collections du Palais
Princier de Monaco, tous ces chefs d’œuvre proviendront d’une fabuleuse collection,
celle de Victor Vekselberg.
En février 2004, l’entrepreneur russe Victor Vekselberg achète la plus importante
collection privée d’Oeufs Impériaux de Pâques créée par Carl Fabergé, qui appartenait jusqu’alors aux descendants du milliardaire américain Malcom Forbes.
Cette collection, qui comprend neuf Oeufs Impériaux (dont 6 seront à Monaco) et près de 190 objets de la Maison Fabergé, fut exposée lors d’une vente Sotheby’s au risque de la voir se disséminer en plusieurs collections privées, si toutefois les enchères avaient eu lieu. La décision de Victor Vekselberg d’acquérir l’ensemble de la collection avant même que la vente ne commence reste en effet une grande première dans l’histoire de la maison Sotheby’s.
Ainsi, ces chefs-d’œuvre d’une valeur historique et culturelle inestimable retournèrent
en Russie où l’on pu les admirer.

Section 5 : Rouskii Style
Le style russe, apparu en 1850-60 prit sa forme définitive dans les années 1870. A
l’origine du style russe, de nombreux artistes remarquables tels que I. Zabiéline,
F.Solntsev, V.Stassov, I.Sakharov, V.Prokhorof, L.Dahl…
Aux XVIIIème et XIXème siècles, Saint-Pétersbourg était le centre artistique principal, mais cette situation changea dès la seconde moitié du XIXème siècle quand apparut à Moscou une culture artistique indépendante fondée sur l’étude de l’art russe ancien.
Malgré la tendance générale de cette période, la différence entre les écoles de Moscou et de Saint-Pétersbourg se fit sentir dans tous les aspects de l’art, y compris dans le travail de l’or et de l’argent. Pour Moscou, ce retour aux racines nationales faisait l’originalité et l’indépendance culturelle de l’ancienne capitale. Ce style russe fut accueilli par toutes les couches de la société, et gagna de nombreux amateurs et mécènes moscovites. Cela détermina le caractère national de l’Ecole de Moscou.
En 1870, le directeur du Musée de l’Ecole Impériale d’art industriel Stroganov,
Boutovski écrit dans son livre Sur l’application de l’éducation esthétique à l’industrie en Europe et en Russie en particulier : « … nos fabriques et métiers ne peuvent pas s’appuyer seulement sur les modèles et les dessins étrangers, voire sur des copies d’œuvres étrangères. Cet emprunt permanent fait notre faiblesse et est aux antipodes de nos conditions techniques… dans ce qui est notre propre bien national nous pouvons trouver des formes et des dessins originaux qui ne le cèdent pas en goût et en grâce aux occidentaux ».
La volonté de restaurer une ligne nationale de développement en se tournant vers
l’héritage russe d’avant Pierre Ier explique l’originalité stylistique de l’art à cette
période. Cette aspiration était bien entendu soutenue par le pouvoir tsariste,
notamment par les empereurs Alexandre III et Nicolas II.
Les orfèvres russes ont donc répondu à un besoin de la société russe d’un art national, on retrouvera l’utilisation de divers motifs comme des vues de villes, de monuments et de sujets historiques. On vit également apparaître différents objets comme des salières de la forme des salières paysannes, des kovch et des bratina avec des ornements du XVIIème siècle, ou des inscriptions de proverbes. Le porte-cigare imitant la moufle populaire en peau s’est également répandu. Ainsi l’art et la vie du peuple devenaient les sujets du décor de l’orfèvrerie russe.
La redécouverte du passé russe et l’émergence de ce style russe sont traitées dans
cette section de l’exposition à travers des objets d’Art : vase en cristal en forme de
kovch, Samovar de Serguei Alexandrovitch, service de table en dorure ciselé de
Constantin Alexandrovitch, coupes d’argent aux motifs russes, etc.

Section 6 : L’école russe des Peintres ambulants
Cette salle fait la part belle à la peinture russe qui trouve également au sein de la capitale un terrain privilégié pour s’exprimer.Des groupes d’artistes indépendants – en dehors du système académique – basés à Moscou constitueront de véritables écoles : « Les Ambulants », « Le Valet de carreau », «La Toison d’or », autant de groupes et d’écoles essentiels à la compréhension de l’art moderne.
L’école représentative des peintres Ambulants ou Itinérants est le terme donné au mouvement réaliste apparu en Russie en 1863 et qui exista jusqu'aux années 1890, en réaction contre l'enseignement, les sujets et les méthodes de l'Académie des beauxarts de Saint-Pétersbourg. Les expositions itinérantes dans les grandes villes russes avaient aussi un but pédagogique, et la volonté de rendre l'art plus accessible à un vaste public. Les peintres ambulants pratiquaient essentiellement une peinture de genre à caractère social et historique : le portrait, le paysage russe et peu de natures mortes. Contemporain des Herzen, Tchernychevski, Tourgueniev, Dostoïevski, Tolstoï, les Ambulants s'intéressèrent à la condition du peuple russe et mirent en évidence les inégalités criantes à l'époque. Les plus radicaux d'entre eux développèrent ensuite ce qui fut connu sous le nom de réalisme critique.

Section 7 : le Destin des Romanov

Cette section nous invite à entrer dans l’intimité du dernier des Romanov ; le Tsar
Nicolas II. Au travers d’un incroyable fond photographique, le public découvre non
sans émotion la vie de famille de Nicolas II avec son épouse Alexandra Feodorovna et leurs cinq enfants, le tsarévitch Alexis Nikolaïevitch et quatre filles, Olga, Tatiana,
Marie et Anastasia. Des extraits de films issus des Archives fédérales de Moscou
viennent compléter ce tableau de famille rendu des plus vivants par la magie du
cinéma... Surgissant de ces images fortes car puisées dans une réalité quotidienne, des objets
emblématiques viennent ponctuer cette découverte, rendant la force de l’histoire
presque palpable : le dernier cadeau d’Alexandra à Nicolas –l’Evangile de Marfa, la
mère de Michel, Premier des Romanov ! L’emblématique robe blanche d’Alexandra, le costume militaire de Nicolas II, le service de verres Baccarat créé spécialement par la cristallerie française pour Nicolas II…Des objets en relief qui donneraient presque une lecture en 3D de ces images
d’époque !

Section 8 : Epilogue de l’exposition avec l’Avant l’Avant-Garde russe
Un changement d’époque se profile, l’histoire est en marche sur le plan politique,
social et économique. Dans le domaine des arts, à Saint-Pétersbourg, le mouvement
de Mir Iskousstva réunit un groupe d’intellectuels à culture européenne, plus
particulièrement française. Après la dissolution du groupe, c’est la revue la Toison d’or qui prend le relais, mais cette fois-ci à Moscou. C’est dans cette revue qu’est publiée une présentation exceptionnelle de l’œuvre de Matisse. Le groupe de la Rose Bleue, héritier de l’influence de Vroubel et de Borissov-Moussatov organise sa première exposition en 1907 chez Paul Kouznetsov à Moscou et c’est encore la Toison d’Or qui rend compte de son activité et qui, l’année suivante, confronte l’art russe et l’art français dans une exposition ou voisinent Larionov, Gontcharova, Braque, Matisse, Vlaminck. Les années suivantes voient l’apparition d’une école russe dont Moscou est le centre. Dès la fin de l’année 1910 se trouvent réunis, dans le cadre de l’exposition restée fameuse du Valet de carreau, tous les artistes regroupés aujourd’hui sous le nom d’avant-garde.

INFORMATIONS PRATIQUES
L’exposition « Moscou : Splendeurs des Romanov » produite par le Grimaldi Forum
Monaco bénéficie du soutien de la Compagnie Monégasque de Banque (CMB).
Commissariat : Brigitte de Montclos
Commiss Commissariat riat adjoint section bijoux : Wilfried Zeisler
Scénographie : François Payet
Lieu : Espace Ravel du Grimaldi Forum Monaco
10, avenue Princesse Grace - 98000 Monaco
Site Internet : www.grimaldiforum.mc
Dates : du 11 juillet au 13 septembre 2009
Horaires :
Ouverte tous les jours de 10h00 à 20h00

Rédigé par Xenia Krivochéine le 25 Juin 2009 à 10:33 | 6 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Xenia Krivocheine le 02/07/2009 07:40
La maison impériale des Romanov demande un statut officiel

Après avoir obtenu la réhabilitation du dernier tsar de Russie Nicolas II et de sa famille, assassinés en 1918 par les bolcheviques, la maison impériale des Romanov a émis, le 28 juin par la voix de sa chancellerie, le souhait d’obtenir un statut officiel en Russie, rapporte Kommersant. Ayant fui la révolution russe, la dynastie des Romanov est aujourd’hui représentée par trois dignitaires : la grande-duchesse Maria Vladimirovna ; son fils, le grand-duc Gueorgui Mikhaïlovitch ; et sa mère, la grande-duchesse Leonida Gueorguievna. La mère et la fille vivent à Madrid et le grand-duc à Bruxelles. Ils sont tous citoyens russes et n’ont jamais obtenu d’autre citoyenneté, précise le journal moscovite. La maison impériale des Romanov aimerait être reconnue en tant qu’institution par la législation russe et obtenir “un statut semblable à celui de l’Eglise orthodoxe russe, qui est une organisation sociale distincte de l’Etat mais qui participe à toutes les cérémonies officielles et possède une certaine autorité et influence”.

2.Posté par Xenia Krivocheine le 25/08/2009 20:20
"Le Monde" daté du 25 août 2009

Monaco, terre d'accueil de la vie artistique russe d'avant la Révolution
La principauté expose les trésors de la dynastie des Romanov et célèbre les Ballets de Diaghilev

Les Russes sont les héros de Monaco. Ceux dont les yachts emplissent le port de la Principauté, bien sûr, mais aussi leurs lointains devanciers, des empereurs, et un mythe. Soit les Romanov et Serge Diaghilev (1872-1929), célébrés dans deux expositions surprenantes : le " Etonne-moi ! " lancé par Diaghilev à Cocteau prend ici tout son sens.

C'était le temps où la Russie élisait ses tsars. En 1613, une assemblée choisit Michel Romanov, alors âgé de 16 ans, qui prend la tête d'un pays dévasté, par les Polonais notamment, qui ont occupé Moscou. Il sera le fondateur d'une dynastie, les Romanov, qui ne disparaîtra qu'avec la révolution de 1917. Il sera aussi l'initiateur d'un goût russe, encourageant une architecture et des arts décoratifs nationaux, pour mieux asseoir son pouvoir et unifier son pays. Il s'appuie enfin sur l'Eglise, d'autant plus volontiers que son père, Féodor, en est le patriarche.

Moscou est, après Byzance, la troisième Rome, et Michel Romanov se pose en successeur des empereurs de Constantinople. Aussi n'est-il pas étonnant qu'y ait perduré l'art de l'icône. Et de sa présentation sur un véritable mur d'images, l'iconostase.

Celle montrée au Grimaldi Forum de Monaco date du XVIIe siècle, mais bien malin qui pourrait l'affirmer par des arguments stylistiques, tant la tradition a figé le genre dans un registre intemporel. On pourrait en dire autant du rituel des cérémonies de couronnement des tsars qui empruntent aussi à la tradition byzantine et se dérouleront dans une pompe quasi inchangée pendant trois cents ans. Laquelle provoquait une hécatombe dans les populations d'hermines de Sibérie, à en juger par la splendeur des manteaux exposés.

Splendeur et démesure, affirmées par une scénographie qui ne fait pas dans la sobriété. Les Monégasques, semble-t-il, partagent le " penchant marqué du peuple russe pour l'ornementation et les couleurs éclatantes ", tel que le définit dans le catalogue Tatiana Sizova, conservatrice au Musée historique d'Etat de Moscou, l'un des principaux prêteurs de l'exposition.

Dans ce décor surchargé, on poussera un soupir devant le délire d'ébéniste d'un mobilier qui témoigne d'un style baroque poussé dans ses derniers retranchements, d'un rococo qui perdure durant tout le XIXe siècle, encouragé, entre autres, par l'impératrice Maria Fedorovna. On en poussera un second devant les célèbres créations de Carl Fabergé : des oeufs, qui reprennent la tradition des matriochkas, les fameuses poupées russes. " Le premier oeuf impérial était d'or émaillé blanc, écrit Brigitte de Monclos, la commissaire de l'exposition. On l'ouvrait, il y avait un jaune ; on ouvrait le jaune, il y avait une poule ; on ouvrait la poule, il y avait une couronne du sacre ; on ouvrait la couronne, il y avait un oeuf en rubis. "

Ce luxe inouï et pesant des Romanov, qui ne prendra fin qu'avec la révolution de 1917, est aussi documenté par les photographies d'un Suisse, Pierre Gilliard (1879-1962), qui fut le précepteur des cinq enfants du couple impérial. Arrivé à Saint-Pétersbourg en 1904, il se dit alors révolté par la misère de la population et tente de faire prendre conscience à l'héritier du trône des réalités vécues par son peuple. Les soviets rendront de manière expéditive son enseignement caduc.

Reste la peinture, qui suit pour l'essentiel une tendance inverse à celle des arts décoratifs. Le groupe des " ambulants " pratique, à la fin du XIXe siècle, un réalisme solide qui, pour n'en être pas encore socialiste, ne s'intéresse pas moins à des sujets populaires, comme le Joueur à l'orgue de barbarie peint en 1879 par Makovski. Il faut attendre Vroubel pour voir un symbolisme souvent délirant envahir les toiles. Une tendance soutenue, comme d'ailleurs les formes nouvelles des Larionov, Gontcharova ou Malevitch, par la revue Mir iskousstva (" le monde de l'art "), fondée par Serge Diaghilev.

Pour ce dernier, il faut traverser l'avenue Princesse-Grace et passer du Grimaldi Forum à la Villa Sauber, qui abrite l'exposition consacrée au créateur des célèbres Ballet russes.

Au début du XXe siècle, Diaghilev tente de promouvoir l'art russe en Occident. Il organise des expositions et des concerts à Paris, avant de créer ses Ballets, dont la première saison a lieu en 1909 au Théâtre du Châtelet. Pendant vingt ans, il fera travailler les meilleurs artistes de son temps : Bakst, Picasso, Braque, Derain, De Chirico, Matisse, Larionov, Gontcharova, Sonia Delaunay ou Gabo et Pevsner pour les décors et les costumes ; Lifar, Massine, Nijinsky, Balanchine, Trefilova, Kchessinskaïa ou Karsavina pour la danse et la chorégraphie ; Moussorgski, Stravinsky, Rimski-Korsakov, Debussy, Prokofiev, Satie ou Poulenc pour la musique, sans compter la première chance accordée en juin 1929 à un tout jeune chef d'orchestre, Igor Markevitch.

Qui dit mieux ? Monaco accueille les Ballets russes dès 1911, leur fournissant une base permanente. Elle les célèbre aujourd'hui, et c'est l'une des plus belles et instructives expositions de l'été.

.

Harry Bellet



" Moscou, splendeur des Romanov ",

Grimaldi Forum, 10, avenue

Princesse-Grace, Monaco.

Tél. : (00-377) 99-99-30-00.

Jusqu'au 13 septembre, de 10 heures à 20 heures. 10 ¤.

Catalogue, éditions Skira, 322 p., 39 ¤.

" Etonne-moi ! Serge Diaghilev et les Ballets russes ".

Villa Sauber, 17, avenue Princesse-Grace, Monaco. Tél. : (00-377) 98-98-91-26. Jusqu'au 27 septembre. De 10 heures à 19 heures. 6 ¤. L'exposition sera aussi présentée à la Galerie Tretiakov de Moscou du 27 octobre 2009 au 25 janvier 2010.

Catalogue, éditions Skira, 320 p., 39 ¤


3.Posté par Marie Genko le 26/08/2009 12:24
Il est comme toujours affligeant de lire les articles du journal "Le Monde"!
Dans l'article ci-dessus, l'iconostase perd toute sa signification spirituelle pour ne rester qu'un mur d'images, symbole d'une mythique troisième Rome!
Harry Bellet continue son appréciation acide de l'exposition de Monaco en dénigrant le travail des merveilleux ébénistes du XIXème siècle:
"on poussera un soupir devant le délire d'ébéniste..."
Il serait trop long de reprendre chaque phrase, je citerai tout de même la plus choquante de toutes:
"Ce luxe inouï et pesant des Romanov, qui ne prendra fin qu'avec la révolution de 1917 est aussi documenté par les photos d'un Suisse, Pierre Gilliard (1879-1962) qui fut le précepteur des cinq enfants du couple impérial...."
Le récit de Pierre Gilliard insiste particulièrement sur la simplicité de la famille impériale russe et les photos de son livre sont les photos d'une famille unie, vivant justement dans un confort sans luxe affiché!
Mais que peut comprendre un journaliste de gauche à la spiritualité et à la sainteté, qu'incarne aujourd'hui pour tous les Russes, la tragique famille de Nicolas II ?

4.Posté par genovieva le 26/08/2009 14:18
"Bien malin qui pourrait l'affirmer par des arguments stylistiques, tant la tradition a figé le genre [de l'icône] dans un registre intemporel."
L'auteur aurait été plus "malin" d'aller voir la belle exposition du Petit Palais consacrée aux 'trésors du mont Athos', qui insiste justement sur l'évolution de l'art de l'icône. Mais comme d'habitude, la tradition n'est comprise ici que comme ce qui fige, ce qui détruit la liberté créatrice... et l'orthodoxie est évidemment la religion réactionnaire par excellence...

5.Posté par Xenia Krivocheine le 26/08/2009 17:39
Marousia, BRAVO!!!!

6.Posté par Anna Rotnov le 27/08/2009 23:38
Nous avons enfin vu l' exposition et je dois dire que le nom donné " Splendeur des Romanoff " surprend des la 1ère salle ; la seconde et les quelques suivantes sont identiquement surprenantes , car là ou on s' attend à " rencontrer " les objets des Romanoff ... on voit de somptueuses et immenses icônes " empruntées " soit aux églises soit aux musées , suivent les calices et autres objets religieux innombrables . Du coup je me voyais expliquer aux enfants ; " Les Romanoff étaient très pieux , de ce fait cet effet " église " n' étonne pas , la religion est étroitement liée
à leur passé , au passé de la Russie ... " Ainsi nous traversions les salles en nous signant . Beaucoup de touristes Russes nous entouraient , et on se dit ; " C' est leur patrimoine , ils peuvent le voire chez eux , pourquoi venir ici ? " J' ai pu comprendre en les observant qu' ils voulaient voire ce que la Russie a envoyé à l exposition .
Une vitrine nous a prit par surprise : trois grandes médailles ornés de diamant . Si de loin on se dit ; " Quelle beauté ! Il doit s' agir de médailles décoratives , militaires ou autres de ce genre ... " en s' approchant , étonné déjà on lit ... qu' il s' agit de médailles ayant appartenu et portées en son temps par des évêques . On était tous choqués ; " Voilà une des explications à la révolution ! Avez - vous vu un évêque ( mes enfants en ont vu plusieurs ) porter de tels joyaux ? Ils sont sensés être à l' image du Christ et que portait - Il ? - Une simple chemise ! " Ce fut la seule ombre de l' exposition , mais elle était de taille .
6 oeufs de Fabergé , des couronnes et des bijoux , des médailles militaires , meubles , vaisselle et tableaux de la dynastie des Romanoff ... et enfin ces visages si doux et familiers à nous tous ; la famille Impériale martyre au complet juste avant la fin , une grande salle leur est consacrée avec projection de filmes noir et blanc de l' époque ou on voit effectivement toute la splendeur de 1900 .
On repart triste et nostalgique en se disant ; " Quelle gâchis cette révolution ! "

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