V.Golovanow

"L’accord de Balamand contient plusieurs recommandations pratiques visant à réduire la tension entre orthodoxes et catholiques dans certaines régions. Hélas, ces recommandations sont souvent restées lettre morte: en pratique, certains gréco-catholiques n’ont pas souhaité les suivre. Bien au contraire, l’uniatisme a commencé une expansion active en Ukraine, cherchant à dépasser les limites de l’Ukraine occidentale et à s’implanter dans les régions orientales où il n’était guère présent auparavant." - Métropolite Hilarion de Volokolamsk, 2009 (1)

A. - Les fondements
Contexte historique

L'Eglise "uniate" d'Ukraine fut créée en 1596 quand l'Ukraine faisait partie du royaume Lituano-polonais; sous la pression des autorités catholiques, le métropolite de Kiev et 6 évêques sur 8 signèrent l'Union de Brest-Litovsk qui reprenait les conclusions du Concile unioniste de Florence-Ferrare (1439-1440), rejetées par Moscou et Constantinople.Les Orthodoxes réfractaires (clergé paroissial, monastères, Cosaques qui créèrent un éphémère état indépendant (1646) avant de passer sous protectorat russe en 1654) furent privés de tous droits religieux et une sévère répression s'abattit sur ceux qui résistaient; les églises, monastères et biens de l'Eglise, passèrent aux "Uniates". Ces persécutions contre les Orthodoxes devinrent alors un abcès permanent entre Rome et l'Orthodoxie.

Après les trois "partages de la Pologne" (1773-1795) cette Eglise prospéra dans les territoires annexés par l'empire austro-hongrois (elle fut nommée "grecque-catholique" par décret impérial (1774) pour distinguer des latins ces catholiques qui utilisent le rite grec-byzantin, avec clergé marié, Credo sans "filioque", etc.).

A la fin de la seconde guerre mondiale, l’Eglise gréco-catholique d’Ukraine fut supprimée par Staline sous l'accusation d’avoir collaboré avec les nazis et encouragé les revendications nationalistes contre l’URSS (pseudo concile de Lvov décidant l'incorporation à l'Eglise orthodoxe russe en mars 1946). Ses prêtres et évêques furent incorporés dans l'Eglises russe avec tous leurs biens. Ceux qui résistaient —1500 prêtres et évêques, des centaines de religieux, des milliers de laïcs— furent arrêtés, déportés, exécutés. L’Eglise russe, elle-même persécutée, entérina la situation, certains la justifiant comme le juste retour sur les persécutions des siècles précédents... Après avoir passé 18 ans en détention, le métropolite-primat Joseph Slipyj (primat de 1963 à 1984), reçut l'autorisation d'émigrer et s'installa à Rome qui devint le centre de cette Eglise dispersée à travers le monde (1963). L'Eglise gréco-catholique d’Ukraine reçut le statut d'archevêché majeur la même année.

Vision messianique (2)

Les Gréco-catholique d’Ukraine considèrent que leur Eglise est élue par Dieu pour apporter la vraie foi aux Eglises d'Orient, avec une vision messianique qui s'affirma particulièrement entre les deux guerres. Ainsi le métropolite Andreï Septickij (primat de 1901 à 1944) précisait qu'ils doivent conserver leurs particularités canoniques et liturgiques pour démontrer que le rite orthodoxe est compatible avec l'union à Rome et, soutenu par le Pape Pie X, il fonda une Eglise catholique de rite russe en 1917. Le cardinal Slipyj fut son digne continuateur dans cette voie. Il y eut d'ailleurs de véritables tentatives d'unir Catholiques et Orthodoxes ukrainiens en une seule Eglise nationale, en particulier en 1918, sous le gouvernement Skoropadsky, et en 1941, après l'invasion allemande.

La Vatican a toujours eu une attitude assez ambiguë vis-à-vis des gréco-catholiques. Ainsi, il ne leur accorde pas d'autonomie canonique et ne donne pas suite à leurs demandes d'érection en patriarcat, mais les Papes successifs soulignent à plusieurs reprises leur attachement à cette Eglise, ce qui provoque régulièrement des crises dans les relations avec l'Eglise russe (annulation d'une rencontre de théologiens orthodoxes et catholiques à Odessa en 1979, absence de la délégation de l'Eglise russe à la 4ème réunion de la Commission Théologique mixte à Bari en 1986 …)

"Cheval de Troie"

L'Eglise gréco-catholique n'est pas seulement soumise à Rome, elle confesse aussi la théologie romaine (Filioque, purgatoire, etc.) même si, comme indiqué plus haut, le rite byzantin, le clergé marié et le Credo de Nicée sont restés orthodoxes pour ne pas dépayser les croyants. Les "uniates" soutiennent la doctrine d'une matrice unitaire du peuple ukrainien qui aurait la même racine ethnique et culturelle, la même mentalité, le même rite et « aussi la même foi », aussi bien dans l'expression orthodoxe que catholico-orientale; les orthodoxes le refusent catégoriquement : « Notre foi au contraire est différente : la vôtre est d'origine latine sous un travestissement oriental, tandis que la nôtre est vraie et authentique». L'hostilité qui divise le peuple ukrainien depuis plus de 400 ans, bien qu'ayant connu des répits momentanés, n'a jamais vu l'ombre d'un armistice. (3) Les Gréco-catholiques mettent leur principes en pratique par une attitude très pragmatique et ouverte envers leurs voisins orthodoxes; ainsi ils acceptent de célébrer les mariages mixtes et pratiquent l'hospitalité eucharistique, que refusent les Orthodoxes, et les couples ainsi repoussés par les Orthodoxes deviennent naturellement des familles gréco-catholiques…

La question de "l'uniatisme" fut soulevée par les premières conférences préparant le concile panorthodoxe dans les années 1960, en particulier les deuxième et troisième Conférences de Rhodes (1963-1964) (4); ainsi la 3e Conférence Panorthodoxe de Rhodes (1964) exigeait "… que les Eglises dites uniates soient soumises et incorporées à celle de Rome, parce que «unitiatisme et dialogue sont tout à fait incompatibles»." (5) Ces conclusions n'ont été officiellement adoptées par aucune Eglise et les documents ultérieurs sont largement revenus dessus, en particulier le document sur "les dialogues de l’Église orthodoxe avec les catholiques-romains et les autres hétérodoxes" adopté par la Conférence Préconciliaire de 1986 et surtout "la déclaration de Balamand" (voir plus loin).

Le retour

Dès leur reconnaissance par les autorités en 1989 (M. Gorbatchev Secrétaire général du PCUS), les communautés gréco-catholiques s'emparèrent de leurs anciennes églises, où officiaient des communautés orthodoxes, souvent avec violence, et les Orthodoxes se retrouvèrent sans lieux de culte. En effet, de nombreuses églises et monastères avaient été confisqués après l'annexion et durant les répressions Khrouchtchéviennes (7) et les Orthodoxes officiaient donc dans les églises qui leur avaient été laissées. Ce sont à elles que les gréco-catholiques s'attaquèrent en premier, avec la complicité des autorités, et non à celles, transformées en ¨divers établissements laïcs, que les autorités protégeaient.

"L’uniatisme a commencé une expansion active en Ukraine, cherchant à dépasser les limites de l’Ukraine occidentale et à s’implanter dans les régions orientales où il n’était guère présent auparavant. La preuve la plus triste de cette orientation fut le transfert en 2005 de l’archevêché majeur des gréco-catholiques de Lvov à Kiev et le projet de l’élever au rang de patriarcat qu’elle n’a jamais eu dans l’histoire. Ainsi, l’uniatisme n’est pas seulement un fait douloureux du passé qui, pendant des siècles, a divisé l’Orient et l’Occident, mais demeure un grave obstacle sur le chemin du rétablissement de l’unité perdue entre les Églises" écrit Mgr Hilarion en 2009 (ibid. note 1).

***

B.- La déclaration de Balamand et ses suites
Un pas très important

L'accord de Balamand marque une étape particulièrement importante pour le dialogue en Orthodoxes et Catholique et pourrait servir de base pour une résolution du problème "uniate".

Le dialogue théologique entre les Églises, qui se développait après la première "rencontre au sommet" de 1964 (6) et la levée des anathèmes un an plus tard, fut consacré au sujet de l'uniatisme pendant la dernière décennie du siècle à la demande des délégués orthodoxes; les assemblées plénières de la Commission mixte à Freising (Allemagne, 1990), Balamand (Liban, 1993) et Baltimore (États-Unis, 2000) ont adopté plusieurs déclarations importantes à ce sujet dont la "Déclaration de Balamand", particulièrement importante puisque Rome admet pour la première fois que l'uniatisme pose problème et ne doit pas s'étendre (voir Conférence du Professeur Michel Stavrou pour l'analyse détaillée de ce texte (8)). "Ce texte est intitulé « L’uniatisme, méthode d’union du passé, et la recherche actuelle de la pleine communion », et comporte 3 grandes décisions:

1/ La démarche de l’uniatisme est condamnée par les deux Eglises catholique et orthodoxe en tant que méthode d’union et en tant que modèle d’unité ;
2/ Les deux Eglises se reconnaissent mutuellement comme Eglises Sœurs ;
3/ Les orthodoxes s’engagent « par économie » à respecter les communautés uniates existantes.

Le cœur de l’accord est le 2ème point : il interdit toute démarche du type uniatisme, écrit le professeur Stavrou.

Cet accord devait donc mettre fin à la doctrine prosélyte des Gréco-catholiques et, les Orthodoxes acceptant les communautés existantes, on aurait dû aboutir à une coexistence pacifiée; mais il n'a jamais été signé ni par les autorités romaines (le Pape ou le Conseil pontifical pour l'unité des chrétiens), à la différence des autres textes œcuméniques, ni par aucune Eglise orthodoxe, et ses déclarations sont restées sans effet. Malgré cela, il fait toujours référence: "L’accord de Balamand contient plusieurs recommandations pratiques visant à réduire la tension entre orthodoxes et catholiques dans certaines régions. Hélas, ces recommandations sont souvent restées lettre morte: en pratique, certains gréco-catholiques n’ont pas souhaité les suivre. Bien au contraire…" écrit Mgr Hilarion en 2009 (ibid. note 1).

Resté sans effet

En effet, si les affrontements sur le terrain ont cessé, il n'y a eu aucune régularisation concernant les lieux de cultes et l'Eglise gréco-catholique a étendu don implantation en Ukraine centrale, dont le symbole a été le transfert du siège primatial mentionné plus haut. Deux ans plus tôt (1993), une crise grave a failli être provoquée par leur demande de conférer à leur Eglise le statut de "patriarcat de Kiev": non seulement Moscou a vivement protesté, mais le patriarche œcuménique Bartholomée écrivit au Pape (29 novembre 2003) que l'éventuelle installation du patriarcat gréco-catholique à Kiev « fera sauter en éclats les tentatives de poursuite du dialogue » et « fera revenir le climat d'hostilité qui régnait il y a quelques décennies » (ibid. note 3).

Et la question devient récurrente:

- Dans "les Principes fondamentaux régissant les relations de l'Eglise orthodoxe russe envers l'hétérodoxie" (2000) le Concile épiscopal de l'Eglise russe (approuvé par le concile local de 2009) revient sur le sujet: "Le dialogue théologique avec l'Église catholique romaine doit se poursuivre parallèlement à l'examen des problèmes les plus considérables affectant les relations bilatérales. Le sujet le plus brûlant à l'heure actuelle demeure la question du prosélytisme et le problème uniate " (9)

- Le règlement de la question "uniate" est posé comme préalable chaque fois qu'une rencontre entre le Pape et le patriarche de Moscou est évoquée.

- Le "Comité de coordination de la Commission théologique mixte internationale pour le dialogue entre les Églises catholique et orthodoxes" est spécifiquement revenu sur le sujet de l'uniatisme le 22 novembre 2011: le métropolite Hilarion, chef de la délégation de l'Eglise russe, y a rappelé que l’une des conditions à la participation de son Église au processus de dialogue orthodoxe-catholique avait été un retour sur le problème de l’uniatisme. Les membres orthodoxes de la rencontre ont soutenu cette position… et il n'y a pas eu de réunion depuis à aucun niveau!

Pour revenir au premier plan de l'actualité avec les évènements de l'hiver 2013-2014: « L'Église gréco-catholique d’Ukraine se livre à des activités politiques directes, malheureusement, en utilisant des slogans russophobes tranchants et en lançant de durs jugements contre l'Église orthodoxe russe dans ses déclarations publiques » a déclaré le patriarche Cyrille, estimant qu'un tel comportement « russophobe jette une ombre très mauvaise » sur les relations entre l’Église russe et le Vatican (10). Il faut aussi souligner que l'Église gréco-catholique joue sur les dissensions internes à l'Orthodoxie Ukrainienne (11) en menant des actions conjointes avec l'EOU (soi- disant patriarche Philarète). "Le chef de l’Église gréco-catholique d’Ukraine et le chef du soi-disant Patriarcat de Kiev ont arpenté les cabinets du Département d’état des États-Unis, incitant les autorités américaines à intervenir et à mettre de l’ordre en Ukraine" accuse Mgr Hilarion de Volokolamsk (12).

A suivre…

Les conclusions que proposaient le père Vladimir Zielinsky en 2004 (ibid. note 3) et le Pr. Stavrou en 2007 (ibid note 8) restent totalement d'actualité"

"Une solution au problème sera possible seulement quand chacun pourra reconnaître sa propre douleur sur le visage de l'autre, de ce prochain porteur d'une autre foi et, partant de cette douleur, reconnaître aussi le Christ de l'autre et dans l'autre. Un miracle qui écrase les murs pesants de l'histoire est toujours possible, comme le fut la réconciliation de Paul VI avec le patriarche Athënagoras quand, en 1965, ils annulèrent les excommunications réciproques de 1054 et, devant Dieu - avec les larmes de la réconciliation - demandèrent ensemble pardon" écrivait le premier.

"Dans l’esprit de Balamand, si l’uniatisme comme démarche est aujourd’hui voué à l’échec dans la perspective du dialogue de vérité et de charité ouvert voici 40 ans entre catholiques et orthodoxes, les Eglises uniates ont cependant un avenir devant elles, celui de participer à ce dialogue : non pas au premier plan comme intermédiaire obligé, mais pas non plus reléguées dans l’ombre. Elles devraient contribuer à retisser un climat de confiance et de bienveillance entre nos Eglises meurtries par l’histoire. Ainsi nos Eglises seraient plus fortes pour affronter ensemble les défis du troisième millénaire" concluait le second.

Fasse le Ciel que ces vœux soient, enfin, entendus…
...................................

(1) In. "Le grand schisme entre l’Orient et l’Occident: point de vue orthodoxe", 1909, cf. http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Le-grand-schisme-entre-l-Orient-et-l-Occident-point-de-vue-orthodoxe_a3796.html
(2) In. Kathy Rousselet "Une Église nationale: l'Église gréco-catholique", 1988. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/assr_0335-5985_1988_num_65_1_2461
(3) Père Vladimir Zielinsky, "Ecclesia" - N° 51 - 23 juillet 2004, (http://www.colisee.org/article.php?id_article=1527).)
(4) http://www.centreorthodoxe.org/saint-et-grand-concile/3eme-conference
(5) http://books.google.fr/books?id=ZLIQ_N4Cb18C&pg=PA143&lpg=PA143&dq=3e+Conf%C3%A9rence+Panorthodoxe+de+Rhodes&source=bl&ots=czWrGa4722&sig=aMxf1bLZ_TrIXff6gsyllD6s6i0&hl=fr&sa=X&ei=daiVU7O1Kaa00QWFxYDADQ&ved=0CGAQ6AEwBTgK#v=onepage&q=3e%20Conf%C3%A9rence%20Panorthodoxe%20de%20Rhodes&f=false
(6) Le Patriarche œcuménique Athënagorass et le Pape Paul VI se sont rencontrés pour la première fois en janvier 1964,
(7) La campagne antireligieuse de Khrouchtchev (1959-64), Entraine dans toute l'URSS la fermeture massive d'églises, dont le nombre passe de 22 000 en 1959 à 7 873 en 1965. L'Ukraine occidentale fut particulièrement touchée. Cf. http://en.wikipedia.org/wiki/USSR_anti-religious_campaign_%281958%E2%80%9364%29
(8) "Le dialogue catholique-orthodoxe sur la question de l’uniatisme"; 8 décembre 2007. http://www.catho-theo.net/spip.php?article176
(9) http://orthodoxeurope.org/print/7/5/2.aspx
(10) http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Le-patriarche-Cyrille-de-Moscou-s-en-prend-a-l-Eglise-greco-catholique_a3774.html?com#comments
(11) http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/L-Ukraine-orthodoxe-ORTHODOXIE-MAJORITAIRE-MAIS-DIVISEE-1_a1117.html
(12) https://mospat.ru/fr/2014/04/04/news100434/







Rédigé par Vladimir Golovanow le 1 Juillet 2014 à 20:53 | 37 commentaires | Permalien



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