Reflexions sur le texte du père Georges Mitrofanov
Vladimir Golovanow

L’archiprêtre Georges Mitrofanov: "C’est une honte si le prêtre vit mieux que ses paroissiens"

Pour bien comprendre le commentaire du père Georges, il faut comprendre que la situation du clergé en Russie est très différente de ce que nous connaissons ici. Là-bas tous les clercs sont des salariés de l'Eglise, qui se retrouve ainsi dans la position d'une grosse institution avec près de 50 000 salariés (le chiffre exacte n'est pas publié…). Je ne veux aucunement nier la vocation de tous ces clercs, il y en a de très dévoués et le père Georges en est un excellent exemple, mais pour nombre d'entre eux il s'agit pratiquement d'un "métier" où "revenus" et "carrière" tiennent une place importante. J'ai ainsi connu un jeune séminariste dans les années 1990 (période de grand recrutement) qui se demandait s'il allait se marier avec une jeune chef de chœur, pour bien faire marcher une paroisse, ou bien se faire moine, pour pouvoir espérer devenir évêque… Ce type de raisonnement ne me semble pas exceptionnel quand on voit les annonces matrimoniales sur les forums religieux: "séminariste cherche j.f. chef de chœur en vue mariage"… ou l'inverse!


Signes particuliers de richesse, les voitures et appartements de fonction font partie des "avantages en nature" recherchés. Si tous les évêques ont de grosses limousines noires, objets de nombreux quolibets et commentaires négatifs des successeurs de saint Nil de la Sora, la plupart des prêtres ont une voiture payée par la paroisse (le père Georges précise dans une autre interview qu'il prend le métro).

Pourtant la voiture reste encore un luxe en Russie (1 voiture pour 5 habitants contre 1 pour 2 chez nous): elle est l'apanage des classes moyennes aisées qui sont loin de constituer la majorité des paroissiens. Elle devient ainsi un signe de luxe ostentatoire du clergé, situation encore exacerbée par les accidents que mentionne le père Georges, et les clercs sont catalogués dans les "possédants", avec les fonctionnaires…

Ce sont tous ces maux que le père Georges dénonce à juste titre.

Mais il le fait avec amour et fidélité, pour essayer de redresser et améliorer ce qui ne va pas dans son Eglise: rappelons son intervention l'hiver dernier à Paris: "«Vous avez devant vous un prêtre appartenant au patriarcat de Moscou. Il est à la tête d’une chaire de l’Académie de théologie, il est membre de la commission synodale de canonisation et de l’Assemblée interconciliaire. Ce n’est pas quelqu'un en marge de l’Eglise, loin de là. (…) N’est-ce pas une preuve de ce que les choses ne vont pas si mal en Russie et au sein de l’Eglise russe ? » . Les adversaires du patriarcat de Moscou ont répliqué : «Est-ce que de tels prêtres sont nombreux en Russie ? On laisse peut-être faire celui là pour donner le change et créer l’impression que le patriarcat le tolère afin de montrer qu’il existe en son sein une authentique liberté d’opinion ? » Je ne tiens pas à approfondir. Que vaudrai-je en tant que chrétien si j’acceptai de penser à mon Eglise en ces termes ?" Ainsi chez lui fidélité et amour ne sont pas synonymes d'oeuillères et abandon de son libre arbitre…

PO

Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 26 Septembre 2012 à 09:30 | 8 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Daniel le 26/09/2012 10:35
Juste une remarque au sujet de l'annonce matrimoniale : ""séminariste cherche j.f. chef de chœur en vue mariage"… ou l'inverse! ". Chef de choeur est-il un poste si bien rémunéré? On peut aussi supposer que l séminariste étant amené à devenir diacre ou prêtre, et à passer beaucoup de temps à l'église, préfère épouser une femme qui, elle-même, a l"habitude d'y passer un certain temps en étant par exemple actif dans un choeur... C'est juste une hypothèse...


2.Posté par Lise le 26/09/2012 12:44
L'emploi de chef de choeur n'est pas spécialement bien rémunéré, tout en étant un bon appoint. Et de fait nombre de jeunes séminaristes cherchent à épouser une chef de choeur, une iconographe, une catéchète. Bref, des jeunes femmes qui pourront pleinement les seconder dans leur ouvrage de prêtres. D'autant que les relations entre chef de choeur et prêtre sont souvent conflictuelles lorsqu'il s'agit de quelqu'un d'extérieur: le choix du répertoire et celui des chantres sont souvent source de conflit. On comprend donc parfaitement cette annonce qui n'a rien de choquant ni de carriériste.
Quant à dire que la plupart des prêtres ont une voiture ou un appartement de fonction... Ce n'est pas le cas. La plupart des prêtres n'ont pas d'appartement de fonction. La voiture n'est un signe ostentatoire que chez certains "moines" fortunés. Pour les autres, c'est un outil de travail pour des prêtres souvent chargés de familles nombreuses. Je parle en connaissance de cause.

3.Posté par Marie Genko le 26/09/2012 14:09

Merci, Lise pour votre commentaire!

Je ne suis pas assez souvent allée me promener dans les campagnes russes pour savoir comment vit la grande majorité des prêtres russes, mais ce qui est certain c'est que je n'en ai pas rencontré beaucoup qui roulaient en voitures ou même qui avait un embonpoint aussi généreux que celui du Père Georges Mitrofanov....!
Mes souvenirs sont plutôt attachés à des personnes surchargées de travail et dévouées à leurs ouailles....
Rien à voir avec des intellectuels qui peuvent se permettre de publier de nombreux livres et articles!
Ceci dit, il est certain que la nature humaine étant faible, il est inévitable que certains dérapages se produisent et aucune Eglise ne peut se vanter d'être sans péché!

Mais est-ce vraiment nécessaire de critiquer en permanence au lieu de remercier le Seigneur pour tous les efforts accomplis?
Il est même possible de parler des prouesses réalisées par toute une frange active du clergé qui travaille sans se plaindre et reconstruit dans tout son rayonnement l'Eglise de Russie!


4.Posté par Tchetnik le 26/09/2012 16:56
La totalité des prêtres que je connais en Russie vivent sur un train de vie correct, sans plus. Pas de rossignol, mais pas non plus de voiture luxueuse, pas de villa spacieuse...

Il existe ensuite en Russie comme ailleurs certainement quelques prêtres qui ont choisi la prêtrise pour de mauvaises raisons et qui hélas n,en honorent pas forcément l'état, mais rien ne dit que ces prêtres ne se montreront pas dignes de leur fonction un jour. On peut dsapprouver certains actes ou certaines (mauvaises) habitudes sans pour autant jeter l'opprobe sur les personnes comme a un peu trop tendance à le faire P.George (lequel ne semble pas vivre dans la pauvreté non plus, ce que je ne lui repproche pas).

On ne devient pas prêtre parce qu,on le mérite. On devient prêtre par un concours de circonstances. on le mérite après si tant est qu,on le mérite un jour.

Ce que dit P.George n'est pas forcément faux mais il a la facheuse tendance à pratiquer lui-même ce fameux "jugement" qu'il repproche à d,autres (Défaut hélas commun au genre), à partir de cas isolés qui existent et sont effectivement condamnables pour faire des généralités assez dommages en oubliant l'ensemble des bienfaits d'éducation, de charité, de politique sociale auxquels se livre et l'Église et ses prêtres. C'est ainsi qu'un prêtre roulant en Volga 3105 pourra apporter à un orphelinat des jouets pour Noël ou des fournitures scolaires...Ou qu'un prêtre pourra utiliser son Dodge RAm pour transporter à une soupe populaire des ingrédients de cuisine...tooute chose que P.George ne voit pas.

Que P.George s'occupe bien de sa paroisse, personne n'en doute, mais il devrait être un peu plus discret quant à ses qualités, reconnaitre qu'il n'est pas le seul prêtre à jouer le jeu, et ne pas s'ériger par conséquent en chevalier blanc seul contre tous (N'est pas Clint Eastwood qui veut...).

Qu'il critique, certes, mais en restant lucide sur lui-même, en ramenant les choses à leur juste mesure et proportion et en proposant des solutions. Ce sera plus juste que cette opposition brouillonne et systématique dans laquelle il risque de s'enfermer.

5.Posté par Michel le 26/09/2012 18:11
Chère Marie, l'embonpoint de certains prêtres ou moines vient souvent d'une mauvaise alimentation... de carême. En effet, ils mangent des féculents (en Russie, principalement à base de céréales : du pain) ce que leur métabolisme ne le leur permet pas de faire. On voit ces manifestations d'embonpoint dans nombre de monastères ou on voit aussi des gens secs. Et pourtant ils mangent la même nourriture.

6.Posté par Vladimir le 30/09/2012 15:12
Je veux d'abord remercier les commentateurs qui apportent des compléments à mon texte. Il avait été écrit simplement comme commentaire à l'article du père George et met de ce fait l'accent sur certains traits spécifiques, mais il ne rend pas compte de toute la situation des prêtres en Russie qui mériterait un livre.

Soulignons d'abord que le père Georges est un cas exceptionnel: il fait partie de cette très petite minorité de clerc qui ont fait des études supérieures et ont été consacrés sous le pouvoir soviétique, ce qui signifie un âpre combat contre le système, qui faisait tout pour éloigner les intellectuels de l'Eglise, et le choix d'une vie sans aucune perspective, en marge de la société. Actuellement il est aussi l'un des très rares prêtres à cumuler la responsabilité d'une paroisse et une activité missionnaire, dont on n'entend dire que du bien, avec le professorat et des recherches de haut niveau… On comprend bien que sa voix ait autant d'autorité en Russie et à l'étranger, dans l'Eglise et en dehors…

La plupart des prêtres sont effectivement logés, à ma connaissance, ce qui constitue un avantage appréciable même si le logement est modeste aux normes occidentales comme l'écrit Tchetnik: à Moscou et St Petersbourg les prix au m² atteignent les niveaux parisiens alors que les revenus sont 3 ou 4 fois plus bas. La voiture, effectivement outil de travail, les met dans la catégorie minoritaires des gens aisés et, en ajoutant la sécurité de l'emploi, très appréciable en ces temps d'incertitude, ces avantages matériels ont de quoi attirer des jeunes inquiets pour leur avenir. Cela explique qu'on n'entende pas parler de crise des vocations, même si le niveau des séminaristes baisse comme l'avait souligné le père Pierre Mechtcherinov: les jeunes gens qui font de bonnes études supérieures sont attirés vers des carrières plus prometteuses…

Il serait mal vu, m'a-t-on expliqué (j'écris sous contrôle de Lise que je remercie de nous faire part de ses observations), que l'épouse d'un prêtre (matoushka) travaille en dehors du contexte religieux et l'emploi de chef de chœur serait le mieux rémunéré des emplois féminins (toujours sous contrôle de Lise); cela explique le pragmatisme de ces PA matrimoniales… Rappelons que dans les villes tous les choristes sont rémunérés: c'est la principales source de revenus des étudiants en musique…

Cela dit, la plupart des prêtres s'occupent bien de leur paroisse, leur principal souci restant malheureusement, comme le soulignait récemment le père diacre André Kouraev, de récolter les fonds indispensables à la restauration et l'entretien des locaux de la paroisse et aux bonnes œuvres dont se charge l'Eglise pour palier la défaillance des organismes publics. Rappelons en effet que les paroissiens ne versent pas de "denier du culte" et les seules ressources des paroisses sont la vente de cierges et objets de piété, les "services privés" (commémorations, baptêmes, mariages, obsèques… tous tarifés.) et les "sponsors" que le recteur peut trouver…

Une catégorie du clergé bien spécifique, minoritaire, est celle du "clergé noir": ce sont ceux qui prennent l'habit monastique au séminaire et, sans passer réellement par un monastère, partent en paroisse ou rejoignent une administration diocésaine ou patriarcale (ils y sont majoritaires). Ceux-là réfléchissent plus à leur carrière, comme l'ami que je cite, et se permettent parfois des excès très mal vus comme l'écrit Lise.

Mais il faut aussi souligner la grande abnégation, dont fait preuve la quasi-totalité du clergé, et surtout son énorme charge de travail: il y a en général peu de congés, pas de jours chômés (en dehors des administrations) et des horaires sans norme: j'ai connu l'évêque de Kostroma Alexandre; il se peignait de devoir dormir au moins cinq heures chaque nuit. Il avait bien essayé de descendre à quatre, mais cela l'avait rendu malade…

7.Posté par Tchetnik le 30/09/2012 22:34
Logement et voitures en général modestes aussi par rapport aux normes Russes actuelles, lesquelles ne sont pas précisément indigentes (et tant mieux d'ailleurs).

8.Posté par Vladimir: des précisions factuelles le 03/10/2012 13:23
Des précisions factuelles: la Russie ne fait certainement pas partie des états les plus pauvres (112 rang sur 226 pour le revenu/tête), mais le revenu moyen y est inférieur de moitié à celui de la France (17 000$ contre 35 000$), la population vivant sous le seuil de pauvreté y représente 13% (6,2% en France) et, comme précisé avant, le nombre de voitures/tête y est 2,5 fois plus bas que chez nous. Ce sont ces données là qu'il faut avoir en mémoire pour comparer: tout logement et toute voiture garantissent déjà un niveau de vie supérieur à la moyenne! En fait la famille d'un prêtre peut y vivre suffisamment bien, et surtout avec suffisamment de stabilité, pour que ce soit considéré comme attractif pour les jeunes gens et jeunes filles…

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