Chef de chœur et chantre Cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky : Protodiacre Alexandre Kedroff

Cher père Alexis,

La réponse qui suit n'est pas dirigée contre vous personnellement. Certes, votre lettre m'a donné l'occasion de vous répondre, mais surtout de pointer un mal qui ronge et divise notre Archevêché depuis des décennies, et sur lequel je désire, depuis longtemps, mettre des mots.

Ma réponse dépasse sans doute, quant au traitement des sujets, les intentions de votre lettre qui reflète malheureusement l'idéologie véhiculée dans notre diocèse depuis les années Cinquante. Et cette idéologie, permettez-moi de le dire, n'est pas celle de l'Eglise.

À ce titre, je pense que la crise que nous traversons est providentielle parce qu'elle met en évidence ce clivage fondamental qui dépasse de beaucoup la question des préférences pour tel ou tel patriarcat. Le retour probable de notre Archevêché au sein du Patriarcat de Moscou nous donne l'occasion (pour les raisons que tu liras) de crever l'abcès. Cela est sain et, je le pense, salutaire.

À mon sens, l'enseignement spirituel a cruellement fait défaut à l’Archevêché. Cela fait longtemps, par exemple, qu'on y lutte contre l'idée même du monachisme. Cette carence a ouvert la brèche à de nouvelles idées sur l'Eglise dans laquelle une partie de notre émigration s'est engagée.

Le monachisme est le creuset de la haute Tradition spirituelle et ascétique de l’Orthodoxie. La présence monastique venait contrecarrer une idéologie déjà rampante parmi nous en faisant obstacle au développement d'une théologie libérale". Or, le monachisme est le cœur de l'Orthodoxie, son parfum, sa spécificité. Il incarne l'esprit des Pères. « Celui qui méprise le monachisme, écrit le saint hiérarque Ignace (Briant- 2 chaninov), méprise l'Orthodoxie tout entière ».

La théologie libérale a besoin, elle, de « liberté » pour s’exprimer. La soumission à l’enseignement patristique lui est inconfortable, il lui semble oppressant, non créatif, routinier. Les services divins lui paraissent longs et monotones. Elle éprouve souvent le besoin de changer son « menu » et d’expérimenter des nouveautés… Ces agitations trahissent l’absence de vie spirituelle et l’adhésion à l’esprit du monde. Cette « théologie » est étrangère aux Pères, étrangère à l’Orthodoxie.

Si Dieu n’éclaire pas notre intelligence, il ne nous sera pas donné de voir nos erreurs et nous ne connaîtrons pas Sa volonté. Il n'y a pas d'autres voies que l’humilité et le repentir.

***

Cher père Alexis,

Permettez-moi de réagir à votre lettre et d'être très franc avec vous. Il est temps à présent de dire les choses ouvertement.
Sachez que tous mes commentaires ne seront pas dirigés contre votre personne pour laquelle j'ai de l'estime mais contre les IDÉES qui m'apparaissent répréhensibles telles qu'elles sont exprimées dans votre lettre. Nous sommes des chrétiens orthodoxes, l'amour qui doit régner entre nous exige un dialogue de vérité.

Quoique vous vous en défendiez, votre lettre est politique et idéologique. De plus, elle est, le plus souvent, étayée par des considérations psychologiques et non pas spirituelles. On y relève aussi beaucoup de contradictions. Vous commencez en affirmant que "nous sommes tous d’accord pour dire que ce temps délétère doit se terminer."

Et vous passez votre temps à affirmer que le temps est trop court pour une réflexion mûre, que les conditions d'un vote serein ne sont pas réunies... Je ne suis pas bien ici votre pensée. Vous dites encore qu'il n'y a pas de transparence, que tout se fait en cachette. Mais Mgr Jean, au risque de provoquer l'effritement du diocèse, a repoussé déjà trois fois les prises de décisions pour que les choses ne soient perçues comme ni forcées, ni brutales. À chaque consultation diocésaine ou pastorale, un état des lieux a été exposé sur la situation du moment et sur les différentes prises de contact avec les juridictions orthodoxes.

En revanche, que des membres du Conseil Diocésain se permettent de discréditer l'état du dialogue avec le Patriarcat de Moscou par des affirmations aussi désobligeantes que mensongères (car ceux-ci n'y étaient pas) ne vous choque pas. Avez-vous pris la peine de demander à Monseigneur l'Archevêque si ces allégations étaient véridiques ou non ?

Que ces mêmes se permettent contre toute éthique d'exposer par le moyen des réseaux sociaux les déboires du dernier conseil de l'Archevêché sans que les personnes concernées n'avouent leurs méfaits et se défendent d'avoir été à l'origine de ces fuites, ne vous choque pas non plus.

D'un côté, vous dites que "l'enjeu dépasse nos penchants traditionalistes ou modernistes", et dans la phrase suivante, vous affirmez que "l'enjeu est de conserver l'héritage de cet extraordinaire espace de liberté que nous ont légués nos pères, les fondateurs de notre Archevêché".

Mais il est bien évident que pour vous l'enjeu est l'adoption de la théologie libérale et moderne dont peut-être certains de ses représentants ont appartenu au mouvement appelé « école de Paris ». Or, si l’on désigne par cette « école » l’Institut de Théologie Saint-Serge, il apparaît que la plupart de ses professeurs se rattachaient à une ligne « conservatrice », à commencer par son fondateur, le Métropolite Euloge, de bienheureuse mémoire. Et que dire de ses successeurs : le Métroplite Vladimir, les deux archevêques Georges (dont
l’un y enseignait), l’Evêque Cassien qui en fut le recteur ? Que dire de l’Archimandrite Cyprien (Kern), professeur de patrologie, du père Georges Florovsky, du père Jean Meyendorf (quoique ces deux derniers aient émigré plus tard aux Etats-Unis), du père Alexis Kniazeff, de Nicolas Ossorguine ?

Aurait-on imaginé chez ces éminents professeurs des pratiques liturgiques innovantes ou des développements théologiques subversifs ? Combien de fois aije entendu dans la bouche de ces derniers : « Même si telle réforme liturgique semble justifiée, personne n’est autorisé à la mettre en pratique par sa propre initiative, et encore moins à la répandre autour de lui comme la norme de l’Eglise. Cela doit faire l’objet d’un consensus de l’Eglise par une décision conciliaire comme il convient à la tradition orthodoxe ».

Parmi ces glorieux représentants, je vous recommande de lire les commentaires du p. Nicolas Affanassieff sur la participation des laïcs dans l'administration de l'Eglise d'après le Concile de Moscou de 1917-1918. En voici quelques lignes :

« Si l'administration est un don spécial qui est accordé dé à ceux que Dieu a appelés à ce ministère, cela signifie qu'elle n'appartient pas au peuple de Dieu. […] Le peuple de Dieu est confié à l'évêque parce que celui-ci fut appelé et établi par Dieu en vue du ministère de l'administration ; voilà pourquoi il conduit le peuple de Dieu en tant que pasteur. Ne possédant pas le charisme de l'administration, les laïcs ne peuvent être coadministrateurs avec l'évêque, tout comme ils ne peuvent s'administrer eux-mêmes. Ils ne peuvent pas servir à côté de l'évêque dans ce domaine [...], car c'est un ministère. Or, un ministère présume l'existence d'un charisme correspondant.

Le Concile de Moscou de 1917-1918 invita les laïcs à l'administration. […] Comment une élection de représentants des laïcs peut-elle les investir du ministère de l'administration et leur accorder la grâce correspondante ? L'élection à deux tours des représentants devant siéger dans le Conseil Diocésain ne peut pas garantir la fidélité à l'Eglise, car elle n'apporte pas de dons charismatiques. Si les représentants élus des laïcs ne possèdent pas le don de l'administration, comment pourraient-ils diriger l'Eglise ?

Le plus étonnant est que cette question ne se soit même pas posée. Ne serait-ce pas une vengeance du Droit qui règne dans l'organisme ecclésial moderne ? Les choses étant telles, y a-t-il encore place pour la grâce dans l'Eglise ? [...] L'administration de cet organisme charismatique devient non charismatique, elle est laïcisée dans le mauvais sens du mot. C'est la voie sans issue dans laquelle le Droit a conduit la conscience ecclésiale ».....

>>> Suite : ce texte en P.J.en français, anglais et russe



Réponse à la lettre de l’archiprêtre Alexis Struve par le protodiacre Alexandre Kedroff

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 19 Août 2019 à 21:24 | 1 commentaire | Permalien


Commentaires

1.Posté par Claire Stojanovic le 20/08/2019 17:26
Si la personne de p. Alexis a su gagner au fil des ans respect et affection, cela ne doit pas conduire à rejeter les arguments imparables développés dans cette réponse, aussi synthétique que lumineuse.

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