Résurrection à Saint Petersbourg
V.Golovanow

La commission toponymique de la ville de Saint-Pétersbourg a voté à l'unanimité le 23 décembre en faveur du retour de son nom au "quai de la Résurrection", qui était dénommé "quai Robespierre" depuis exactement 90 ans.

Il retrouvera son nom d’avant 1923, "quai de la Résurrection", du nom d’une église qui s’y trouvait au début du XVIIIe siècle. Une façon d’exorciser un lourd passé qui mine tout particulièrement ce coin du centre-ville Saint-Pétersbourgeois.

Ce quai fait face à la sinistre prison des Croix sur l’autre rive. Elle tient son nom de ses deux bâtiments cruciformes en briques et des dizaines de milliers de Pétersbourgeois y sont passés avant d'être exécutés ou envoyés dans les camps (la prison sera désaffectée en 2014 et transformée en hôtel, commerces et ateliers d’artistes…).


Résurrection à Saint Petersbourg
Depuis la fin de l’URSS, de nombreuses rues, des villes entières même, qui se sont vues attribuer le nom de leaders révolutionnaires soviétiques ou étrangers (Danton, Marat et Robespierre principalement en ce qui concerne la France) se sont vu rendre leurs noms historiques. Ainsi, Leningrad s’appelle de nouveau Saint-Pétersbourg, Nijni Novgorod, la 5e ville de Russie, ne se nomme plus Gorki (du nom de l’écrivain soviétique), tout comme Sverdlovsk est redevenu Ekaterinbourg, 4e ville de Russie et chef-lieu de la région de l’Oural.

Dans le même élan, de nombreuses églises ont été et continuent à être relevées et restaurées dans toute la Russie, où rejaillit la Foi orthodoxe après des décennies de persécutions antireligieuses. Aujourd’hui, le gouvernement russe se fait chantre des valeurs morales conservatrices, pour asseoir enfin sur des bases solides ce grand pays fragile, miné par vingt ans de chocs politiques, sociaux, moraux, boursiers, migratoires quasi-incessants. Suite

Un monument de la littérature

La poétesse Anna Akhmatova écrivit "En guise de préface" à son tragique recueil "Requiem": "Aux terribles années de la iéjovchtina j'ai passé dix-sept mois à faire la queue devant les prisons de Leningrad. Un jour, quelqu'un crut me reconnaître. Alors, derrière moi, une femme aux lèvres bleuies et qui, bien sûr, n'avait jamais entendu mon nom, sembla s'éveiller de la torpeur où nous étions toutes plongées et me chuchota à l'oreille (là bas, nous ne parlions toujours qu'à voix basse) :
- Et ceci, vous pourriez le décrire ?
Et j'ai répondu :
- Oui.
Alors, quelque chose comme un sourire glissa sur ce qui, un jour, avait été son visage."

(Leningrad, 1 avril 1957)

Voici quatre extraits du Requiem (en conservant la numérotation du recueil)

II

Paisible coule le Don
La lune entre dans la maison
La lune entre sans façons,
Elle voit une ombre dans la maison.

Cette femme est malade,
Cette femme est solitaire.
Le mari mort, le fils est en prison
Priez à mon intention.

(1938)


Depuis dix-huit mois je hurle :

Reviens à la maison.

Je rampe aux pieds des assassins,

Toi mon effroi, mon garçon.

Tout s'embrouille sans rémission

Et je ne sais plus trop

Qui est un fauve qui est un homme,

Quand viendra le bourreau.

Il n'y a que des fleurs somptueuses,

Et tintement d'encensoir, et des empreintes

Mènent ailleurs, vers le néant.

Et sans répit me dévisage,

Et de mort brandit le présage

Une étoile géante.

(1939)

VERDICT

Et la parole de pierre tomba
Sur mon sein encore vivant.
Ce n'est rien, j'étais prête.

Et je m'y ferai de toute façon.


Aujourd'hui, j'ai beaucoup à faire :
Il faut que je tue ma mémoire jusqu'au bout,
Il faut que mon âme devienne comme de la pierre,
Il faut que je réapprenne à vivre.

Et sinon...Le bruissement chaud de l'été
Comme une fête derrière ma fenêtre.
Depuis longtemps je pressentais cette

Claire journée et maison désertée.

(été 1939)

ÉPILOGUE

(Extrait)

Et j'ai appris l'affaissement des visages,

la crainte qui sous les paupières danse,

les signes cunéiformes des pages

que dans les joues burine la souffrance ;

les boucles brunes, les boucles dorées

soudain devenir boucles d'argent grises,

faner le sourire aux lèvres soumises,

et dans le rire sec la peur trembler.

Et ma prière n'est pas pour moi seule,

Mais pour tous ceux qui attendaient comme moi

dans la nuit froide et dans la chaleur

sous le mur rouge, sous le mur d'effroi.

1940


Résurrection à Saint Petersbourg
Et un monument coulé dans le bronze

Saint Petersbourg a été en pointe dans la mise en accusation des criminels soviétiques: dès 1991 un référendum populaire a rejeté le nom de Lénine, dont il était affublé depuis 1924, pour lui rendre son nom d'origine et, dès 1995, un impressionnant monument aux victimes de toutes les répressions politiques a été érigé sur ce quai de la Résurrection, face à la prison. Deux sphinges encadrent une fenêtre grillagée de prison et les sphinges ont deux visages: ceux de jeunes femmes regardent les passants mais ce sont les squelettes des victimes qui font face à la prison. Un monument à Anna Akhmatova complète l'ensemble. Son regard est dirigé vers la prison, à travers la fenêtre grillagée et ses paroles sont gravées sur le socle: "Si un jour dans ce pays on décide de m'ériger un monument...; qu'on l'érige ici, où j'ai attendu trois cents heures, et où on ne m'a pas ouvert." voir reportage photo

Source
Voir aussi: Akhmatova (Anna)

Rédigé par Vladimir Golovanow le 2 Janvier 2014 à 09:52 | 1 commentaire | Permalien



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