Semion Kvacha

Ils ont fui la Russie au XVIIème siècle, ont été persécutés par le pouvoir, se sont interdits le mariage et les sacrements de l’Église, ont créé plusieurs courants, ont constitué un moteur du capitalisme russe au début du XXème siècle et ont malgré tout conservé leurs traditions jusqu’à nos jours. Ces gens n’ont pas accepté les nouvelles coutumes de l’Église introduites au XVIIème siècle. Il s’agit des « staroobriadtsy » (« vieux croyants »).
En Bouriatie, région russe proche du lac Baïkal, la majorité de la population parle une langue proche du mongole et est bouddhiste. Mais elle abrite également des villages russophones et, si vous vous y rendez un jour de fête, vous verrez des femmes habillées de robes ornées de broderies et dont les vêtements ont parfois jusqu’à 200 ans. Le paysage change même avant d’entrer dans le village : de vastes champs de blé remplacent en effet les pâturages et terrains vagues

Ces territoires appartiennent aux « vieux croyants » (« staroobriadtsy » en russe), également appelés « semeiskie ». À la fin du XVIIème siècle, ils ont fui le « Raskol » (« Schisme », réforme de l’Église orthodoxe russe) en Pologne, avant d’être exilés vers la frontière de l’époque avec la Chine suite à la prise d’une partie de la Pologne par l’empire russe, et ce afin de peupler et de défendre le territoire.

Le Schisme de l’Église orthodoxe russe s’est produit à cause de la volonté du patriarche Nikon de mener plusieurs réformes : célébrer le culte selon les anciennes traditions byzantines, uniformiser le clergé, se débarrasser des rites artificiels ayant perdu leur sens et renforcer l’importance de la prière. Au XVIIème siècle, la Russie était officiellement chrétienne depuis déjà 600 ans. Durant cette période, une multitude d’erreurs de retranscription se sont introduites dans les livres religieux. De plus, peu de prêtres retransmettaient un message précis ou comprenaient tout ce qu’ils disaient.

La réforme de l’Église était nécessaire, mais l’intransigeance de Nikon pour la mener a engendré un schisme. Beaucoup de prêtres et de laïques avaient du mal à comprendre certaines modifications. Pourquoi la « Rus sainte », qui avait connu les invasions des Tatars et des Polonais et survécu aux souffrances, devait s’adapter aux acquis grecs alors que toute la hiérarchie orthodoxe grecque se trouvait à cette époque sous la domination des sultans ottomans ? Les « raskolniki » (« schismatiques ») sont ainsi devenus des « vieux croyants ».

Comme souvent dans les guerres religieuses, les différences de positions ont entraîné violences et incompréhensions. Fallait-il faire le signe de croix avec deux ou trois doigts ? Écrire Issous ou Iissous (Jésus en russe) ? Quelques lettres utilisées comme symboles de croyance, mais pour lesquelles certains étaient prêts à quitter le pays, se battre ou brûler sur le bûcher. Être un « raskolnik » était devenu un crime, et les délateurs récupéraient souvent les biens des condamnés ... SUITE la Russie d' aujourdhui

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 31 Mars 2013 à 10:35 | 1 commentaire | Permalien


Commentaires

1.Posté par Vladimir G: LES VIEUX-CROYANTS - MYTHES ET RÉALITÉS le 27/12/2016 11:03
LES VIEUX-CROYANTS - MYTHES ET RÉALITÉS

Contrairement à une opinion largement répandue, l'ancien rite russe, qui provoqua le schisme des Vieux-croyants, ne provient pas des erreurs des copistes, mais tire ses racines de l'une des plus anciennes traditions liturgique orthodoxe abandonnée au Moyen-âge par Byzance. Et c'est parmi eux que se trouvent les principaux entrepreneurs russes avant la révolution.

RAPPEL HISTORIQUE

Les vieux-croyants ne différent de l'Orthodoxie que sur des questions de rites. Ils se sont séparés de l'Église orthodoxe russe en refusant les réformes introduites par le patriarche Nikon en 1666-1667 ce qui provoqua un schisme ("Raskol" en russe). Les Vieux-croyants firent l'objet de persécutions terribles allant jusqu'au bûcher aux XVII-XVIIIe siècles. Des tentatives de surmonter le schisme eurent lieu sans résultat au XIXe siècle et ce n'est qu'en 1905 qu'un décret de l'empereur Nicolas II autorisa réellement les communautés de Vieux-croyants à pratiquer leur rite.

Quelques paroisses ont rejoint l'Église russe après 1801 en gardant leur rite - elles sont une trentaine actuellement et le patriarcat a levé l’anathème sur les vieux rites et livres en 1971, mais la majorité des vieux-croyants refuse l'équivalence des anciens et des nouveaux rites et textes. Des pourparlers sont toutefois en cours depuis la fin du XXe siècle.

QUELLE PLACE DANS LA SOCIÉTÉ ?N

Du XVIIe siècle à la fin du XIXe, l'Église officielle et l'Administration impériale avaient le monopole total de l'information religieuse. Les réformes niconiennes ayant été ratifiées par les conciles de Moscou de 1666-1667, les opposants furent stigmatisés comme schismatiques et les causes du schisme présentées de façon biaisée.

Cette version est toujours largement rependue parmi les Orthodoxes, mais les recherches scientifiques menées dès la fin du XIX siècle (A.A. Dmitrievski, N.F. Kapterev, A.V. Kartachev …) montrent que, si les différences étaient bien réelles, elles n'avaient pas surgi par erreur mais remontaient à l'ancienne règle du Stoudios qui avait pénétré en Russie dès sa christianisation.

L'ANCIEN RITE RUSSE

Les missionnaires de Constantinople qui christianisèrent la Russie au Xe siècle apportèrent les rites alors en vigueur – ceux de la règle studite, établie par saint Théodore le Studite (759 - 826), higoumène du monastère de Stoudios à Constantinople à partir de 788-789. Il y développa un nouveau typicon, fondé sur les règles de saint Basile de Césarée (ca. 330 - 379) et saint Pacôme le Grand (v. 292 - 348), qui s'imposa progressivement à Constantinople (le mont Athos l'adopta en 962) jusqu'au XIIIe siècle. Cette règle s'appliqua aussi aux monastères fondés en Russie: la version d'Alexis le Studite (patriarche de Constantinople en 1025-1043) fut traduite en slavon et introduite par saint Théodose (+1074) à la Laure des Grottes (Kiev) après 1054; de là elle fut diffusées dans la majorité des monastères et paroisses russes.

À partir des XIIe-XIIIe siècles la règle studite fut graduellement remplacée à Constantinople par l'ancienne règle de Jérusalem, appelée Sabaïte car elle fut établie par saint Sabas le Sanctifié (439 – 532.). L'Église de Byzance subit aussi l'influence latine, qui aboutit à l’Union de Florence (1439). La règle de Jérusalem néogrecque devint la référence universelle du monde byzantin, mais sa diffusion en Russie fut retardée par la domination mongole, qui coupait la Russie de Byzance comme de l'Occident. Son introduction y fut commencée aux XIVe – XVe siècles par les métropolites de Kiev et de toutes les Russies Cyprien (+1406) et Photius (+1431), mais sa généralisation fut encore ralentie par la rupture avec Byzance qui suivit le concile de Florence.

Ainsi, avant la réforme de 1666 - 1667, l'Église russe utilisait une règle hybride conservant des éléments de la règle studite, avec ses nombreux éléments paléochrétiens et paléobyzantins, à côté de ceux la règle de Jérusalem. Nikon et ses partisans manquaient de connaissances de la tradition ecclésiastique et les conseillers grecs ignoraient déjà la tradition studite; de ce fait les différences dans les textes russes furent prises à tort pour des innovations ou des erreurs causées par des traductions fautives ou arbitraires, alors qu'elles provenaient de la règle originelle... Et c'est cet ancien rite russe qui est toujours en vigueur chez les Vieux-croyants.

FOI ET RITUALISME

Les livres imposés par la réforme furent de nouvelles traductions des livres liturgiques selon la règle néogrecque. Comme les chrétiens orthodoxes dans l’Empire ottoman n’eurent pas le droit d’imprimer les livres ecclésiastiques, ils durent recourir aux typographies européennes: la première édition imprimée du typicon Sabaïte est celle de Venise en 1545.Les livres liturgiques que Nikon fit traduire furent imprimés par les typographies des Jésuites à Rome, Venise et Paris (les premières éditions imprimées en slavon datent de 1610 et la première édition en Russie est celle de 1682, après la réforme…) Et ils furent non seulement imprimés mais aussi rédigés en Italie à l'aide de sources des chrétiens de l’Italie méridionale qui pratiquaient le rite byzantin. Des glissements occidentalisants y apparurent; ils furent soulignés par les opposants à l réforme et, comme les livres et rites anciens furent anathémisés, de nombreux fidèles pensèrent que les vérités de la foi, qui avaient trouvé leur expression dans les rites et les livres à partir des premiers siècles, avaient été modifiés dans ces nouveaux textes. Cela accentua le rejet de la réforme qui, au départ, tenait surtout à la modification des rites.

Les principaux rites touchés sont par exemple:
- Le signe de croix se fait désormais avec trois doigts dressés, l'index, le majeur et l'annulaire au lieu de deux (trois doigts réunis symbolisent la sainte Trinité, deux doigts repliés représentent les deux natures de Christ – divine et humaine – c'était précédemment le contraire!);
- Dans le Credo, le Saint-Esprit devient « source de vie »au lieu « vraie source de vie »;
- L'alléluia binaire est remplacé per une triple répétition
- Les processions se firent d'ouest en est au lieu de suivre le cours du soleil pour montrer qu'on va vers le Christ, le soleil du monde;
- Le nom de Jésus, prononcé traditionnellement comme Isous fut transformé en Iisous ;
- La liturgie fut célébrée avec cinq au lieu de sept phosphores, etc.

Le ritualisme tient une place très importante dans l'expression de la foi en Russie et cet aspect devint prépondérant chez les tenants des anciens rites; forme et contenu sont indissociables pour les croyants russes: « Aucun peuple chrétien de l'Europe ne possède un sentiment aussi aigu et brûlant de Dieu dans la matière, dans les objets sacrés que les Russes. La séparation nette du pur et de l'ignoble, du sacré et du profane dans la piété russe n'a comme précédent que, dans l'Israël ancien, le rapport à l'Arche d'Alliance (…). Comme prototype et anticipation de la vie juste, le peuple russe aime appréhender la vie quotidienne dans un contexte rituel et spirituel ; il aime que la vie quotidienne domestique autant que la vie publique soient comprises dans leur aspect ecclésial. Il aime considérer que, dans le creuset du culte ecclésial, tout ce qui est plein de grâce soit transformé de terrestre et périssable en quelque chose de pur et sacré,» écrit l'historien et théologien A.V. Kartachev (In « Le sens de la vieille-croyance », Paris 1924; Citation du journal « Tserkov » Moscou, 1992-2, page 18)

Pour les Vieux-croyants cela va encore plus loin. Les rites sont inséparables de la manifestation de leur piété, comme l'écrit en 2002 l'évêque vieux-croyant Mikhaïl Semionov: « De quelle foi aux rituels peut-on parler ici ? Pour nos ancêtres les rites sont "la manifestation évidente de la vérité dogmatique…" comme écrit Klioutchevski*, et l'aspiration à conserver un tel rite-symbole n’est-elle pas naturelle ? On peut craindre que l'altération du rite n'en vienne à ébranler, à perdre la vérité de la foi habillée en cette enveloppe sacrée »(in « Apologie de la vieille-croyance », "Tserkov", Moscou, 2002, 4-5, page 19).
*V.O. Klioutchevski(1841 - 1911) est un historien russe; cf.https://fr.wikipedia.org/wiki/Vassili_Klioutchevski

QUELLE PLACE DANS LA SOCIÉTÉ ?

Avant la révolution les Vieux-croyants étaient plus de quinze millions dans l'empire russe, avec vingt diocèses et plus de deux mille paroisses. Contrairement aux clichés encore répandus ils n'étaient pas tous des paysans enfermés dans des communautés archaïques; il y avait parmi eux de grands entrepreneurs qui furent les moteurs du développement économique de la Russie et détenaient une bonne partie du capital industriel russe (citons les Morozov, Mamontov, Riabouchinski, Rakhmanov /mes aïeux/ ou Soldatenkov, /aïeux du père Nicolas Soldatenkov/.)

Les persécutions bolchéviques ne les épargnèrent pas plus que l'Église officielles et il ne seraient actuellement qu'environ deux millions en Russie, divisés en plusieurs juridictions dont la plus importante est "L'Église orthodoxe vieille-ritualiste russe" ("РусскаяПравославнаяСтарообрядческаяЦерковь"), dont le centre métropolitain se trouve au complexe du cimetière Rogojskoïe à Moscou, qui en regrouperait près de la moitié (détails sur https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_orthodoxe_vieille-ritualiste_russe#Organisation).

L'attitude envers eux reste ambivalente: certains orthodoxes conservateurs leur reprochent l'insoumission à la hiérarchie ecclésiastique en considérant comme mineures les divergences sur les textes et les rites; mais il y a aussi ceux qui apprécient les vieux-croyants, comme Alexandre Soljenitsyne qui voit en eux les porteurs de la conscience et de la religion russe authentiques qui ont été détruites par les dérives provoquées par le schisme et la réforme de l’Église sous Pierre le Grand (in Alexandre Soljenitsyne, "La Russie sous l'avalanche", 1998) et il y a des théologiens orthodoxes qui vont chercher chez eux des racines authentiques. Ainsi le père Alexandre Schmemann, même s'il ne partage pas l'engouement de Soljenitsine comme le montre leurs échanges, s'en inspire peut être pour sa critique du "byzantinisme"…

« Le Raskol… ce fut la dissipation irréparable de la précieuse énergie nationale, ce fut un malheur immense dans la vie de l'Église et du peuple, une nouvelle catastrophe intérieure dans les destins de la Russie sacrée. Il a brisé l'âme du peuple et a obscurci la conscience nationale. Les zélateurs de la Russie sacrée l’ont emporté dans le secret et la clandestinité. Mais les classes officielles, ayant perdu l’instinct religieux, ont imperceptiblement succombé aux sortilèges d’une nouvelle culture : la culture laïque occidentale sécularisée. Le schisme religieux a entraîné le schisme de la conscience nationale, la catastrophe a été double et ce fut très compliqué. Deux Russies apparurent : l’une populaire, avec l'image de la Russie sacrée dans l'esprit et le cœur, l’autre gouvernementale, cultivée, le plus souvent pas vraiment nationale. Cette catastrophe double eut pris au dépourvu la Russie sacrée, non préparée, comme la première catastrophe de l'invasion latine. Maintenant il arrive un ennemi ou concurrent beaucoup plus puissant. C'est la sécularisation mondiale de la culture européenne ; le remplacement de la théocratie par l’anthropocratie, l’autorité de Dieu par celle de l’homme; le christianisme par l'humanisme, le droit divin par les droits de l’homme, l’absolu par le relatif , la fin de interdiction des idées fausses et de la volonté de les diffuser. Le but de la Russie sacrée fut le ciel, celui de la nouvelle Russie c’est la terre. Là où le législateur était Dieu par l'Église, maintenant c'est l’homme autonome par le pouvoir de l'État armé de l'instruction scientifique… Pierre le Grand a opposé à la thèse de la Russie sacrée l'antithèse de l'État laïc et de la culture laïque. »
(A.V. Kartachev, in « "La Russie sacrée" dans les destinées de Russie. » Cours pour la connaissance avec la Russie, Paris 1938 // Essai sur la Russie sacrée, Moscou 1991 (Paris 1956))

Sources principales:
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Orthodoxes_vieux-croyants
- Job Getcha, «Le Typikon décrypté. Manuel de liturgie byzantine», Cerf, 2009, p40-52
- Blackwell W. L. The Old Believers and the Rise of Private Industrial Enterprise in Early Nineteenth-Century Moscow // Slavic Review. – 1965. – Vol. 24, N 3.
- A.B. Borodkin, "«ТРУД ДУХОВНЫЙ» И «ТРУД ДОСТОЙНЫЙ». ЭВОЛЮЦИЯ СТАРООБРЯДЧ,ЕСКОЙ ЭКОНОМИЧЕСКОЙ МОДЕЛИ во второй половине XVII–начале XX вв." Scientific revue of the Baikal State University", 2010, Vol.11. N2, p.5-15.

Illustrations originales sur: https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=1635421293421202&id=100008600417897&pnref=story

Nouveau commentaire :



Recherche



Derniers commentaires


RSS ATOM RSS comment PODCAST Mobile