Vladimir Golovanow

Serge Tchapnine
(*), donne son point de vue sur la crise dans l'Eglise et il remet les choses au point en montrant les différents points de vue qui coexistent dans l'Eglise russe. Cela change des discours habituels où on n'entend qu'un seul point de vue qui prétend parler au nom de toute l'Eglise, voire même être seul dépositaire de la Vérité.

Serge Tchapnine commence par calmer le jeu en disant qu'on ne peut parler de véritable crise de l'Eglise: "Disons que les progrès tranquilles que nous avons connus ces vingt dernières années ont caché une vraie question: l'Eglise se trouve petit à petit marginalisée car elle s'est tenue à l'écart des questions qui agitent la société". Depuis les manifestations de décembre dernier le problème est remonté à la surface et Serge Tchapnine y voit trois raisons:

1. L'absence de théologie: cette pensée de Dieu devrait unir le cœur et l'esprit, alors qu'actuellement elle est "considérée comme une science ou comme l'activité professionnelle des professeurs de théologie".

2. L'Eglise projette une image "inadéquate": "trop de personnes parlent au nom de l'Eglise alors qu'ils n'y ont pas leur place. Ils devraient promouvoir la victoire du prolétariat au Komsomol et écrire des dénonciations contre "les ennemis du peuple". Ils donnent une bien piètre image de la vie spirituelle et intellectuelle de l'Eglise car rien dans leur activité ne témoigne du Christ. Ce n'est que jongleries avec les mots et jeu à une primitive idéologie orthodoxo-patriotique". Sur ce point l'analyse de Serge Tchapnine se rapproche des thèses que développe le père Georges Mitrofanov,

3. L'illusion de l'unité de l'Eglise continue Serge Tchapnine: il y a actuellement plusieurs groupes importants dans l'Eglise, avec leurs propres systèmes de pensées et, parfois, des positions idéologiques rigides. Ils ne communiquent pas entre eux depuis longtemps et, ces derniers temps, un conflit aigu se dessine clairement. Pourtant nous DEVONS être unis et tout Chrétien tend naturellement à l'unité. Ce problème ne peut être réglé par ni un effort intellectuel ni par une volonté administrative. Il ne peut qu'être "dépassé" en Christ, mais pour cela il faut faire personnellement un exploit moral. En sommes-nous capables aujourd'hui? Là est la question"

De quels groupes s'agit-il?


Serge Tchapnine pense que la classification tripartite traditionnelle "droite-centre-gauche" est trop simple mais la prend pour point de départ de son analyse: "Il semblerait que nous ayons une droite puissante et nombreuse. Mais qui compose cette droite? Sont-ils vraiment traditionalistes et conservateurs? Difficile de l'affirmer sérieusement alors que trois générations ont été élevées uniquement sur des traditions soviétiques. Passer aux traditions chrétiennes est en fait une simulation artificielle, peut-être même sincère, mais qui reste une mascarade.

En face il y aurait donc une aile libérale. Mais elle ne demande pas de réforme, ne cherche pas à avoir un programme, n'a pas de leaders. C'est un groupe peu nombreux qui ne pourra pas jouer un grand rôle dans un avenir prévisible. Et quid du centre? C'est la "majorité silencieuse" que personne n'a songé à interroger jusqu'ici et qui n'a pas encore eu la possibilité de s'exprimer…

Se réfèrant ensuite aux derniers sondages et études sociologiques, malheureusement sans préciser lesquelles, Serge Tchapnine estime que l'Eglise représente environ 40% de la population puis, sans plus développer ce point, il propose une analyse plus fouillée des groupes en présence:

"Pour revenir au classement "droite-centre-gauche", on peut aussi prendre une autre approche. Si on prend uniquement ceux qui participent activement à la vie de l'Eglise, le tableau est tout autre: ceux qui sont baptisé "libéraux" constituent en fait un centre libéral-conservateur. Ce sont d'abord les prêtres de paroisses de Moscou et St Petersbourg parmi lesquels les élus connus sont, par exemple, les archiprêtres Alexis Ouminsky et Georges Mitrofanov. Ils sont suivis par la plupart des professeurs des instituts religieux. A leur droite se trouvent les clercs et laïcs qui suivent la stricte tradition monachique, aujourd'hui bien peu nombreuse. A gauche, les paroisses et les communautés qui s'occupent principalement de catéchisation et de mission dans les villes de plus d'un million d'habitants."

Cette approche me déçoit par son manque de précision: que représentent "ceux qui participent activement à la vie de l'Eglise"? Où sont passés ceux qui "donnent une bien piètre image de la vie spirituelle et intellectuelle de l'Eglise"? Ceux qui forment les "milices orthodoxes" et arrachent les T-shirts "Pussy Riot"? Je pense que ceux "qui prétendent faire de l'Eglise une subculture normative" (cf. père Pierre Meschtcherinov, http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Defense-de-la-desecclesialisation_a1878.html) dépassent largement cette droite "qui suit la stricte tradition monachique" et se retrouvent bien dans "la droite puissante et nombreuse. … traditionaliste et conservatrice" dont il était question plus haut.

Mais Serge Tchapnine revient sur la position unitaire de l'Eglise et sur le grand travail réalisé pour la faire avancer: "Comme ces différents groupes n'ont pas de position claire, on peut se poser la question: que signifie la position unique de l'Eglise? Il est clair qu'il ne peut y en avoir pour la plupart des questions non-dogmatiques (personne n'a supprimé la liberté d'opinion). Mais même lorsqu'un point de vue officiel de l'Eglise est formulé il faut se rappeler que tous ne sont pas prêts à le partager. L'Eglise promulgue un grand nombre d'excellents documents, qui pourraient améliorer la vie de l'Eglise, mais la plupart restent lettre morte. L'une des tâches essentielles seraient donc d'analyse pourquoi cela se passe ainsi et de faire que ces décisions soient effectivement mises en ouvre, contribuant ainsi à l'affermissement de l'Eglise et à son dialogue interne."

A suivre: Serge Tchapnine revient ensuite plus précisément sur les réactions face à l'offensive médiatique et l'affaire Pussy Riot". Je me propose de le reprendre dans un prochain billet…

(*) Serge Tchapnine est rédacteur en chef de «La revue du patriarcat de Moscou» (Журнал Московской Патриархии»), professeur à l’université orthodoxe Saint Tikhon- Cf



Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 29 Novembre 2012 à 13:39 | 1 commentaire | Permalien



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