Sergueï Tchapnine: "L’Unité de la Foi"
Sergueï Tchapnine rédacteur en chef de «La revue du Patriarcat de Moscou»

L’Eglise russe hors frontières va célébrer ces jours ci son 90ème anniversaire.
Lorsqu’on y réfléchit, l’Eglise « hors frontières » est une appellation bizarre et même fantaisiste. Nous nous sommes déjà habitués au fait qu’au XXIème siècle les frontières sont devenues transparentes et même, en un certain sens, conventionnelles. Pourquoi fallait-il souligner avec tant de force la russité de l’Eglise et, en même temps, affirmer sa séparation géographique avec la Russie ?

Si nous tenons compte du fait, qu’au cours du XIXème siècle des églises orthodoxes russes furent construites bien au-delà des frontières de l’empire russe –en Allemagne, en France, en Italie et au Japon, et qu’en Amérique elles avaient même leur propre administration diocésaine, dans cette perspective la compréhension d’une Eglise hors frontières nous rend encore plus perplexes.

Les racines de l’Eglise hors frontières se trouvent dans la catastrophe qui a frappé notre nation au XXème siècle.

Sa création fut la conséquence de la révolution d’octobre et de la défaite durant la guerre civile de ceux qui se battaient contre les bolcheviques. En novembre 1920 l’armée du général Pierre Wrangel fut évacuée de Crimée. Avec les officiers et les soldats, partirent leurs femmes, leurs enfants, partirent aussi des cosaques, des civils et le clergé – ils comprenaient tous clairement que tôt ou tard, les bolcheviques les anéantiraient. En tout, environ deux millions de Russes se retrouvèrent proscrits. Ceux qui abandonnèrent leur sol natal étaient des gens de différentes conditions sociales et d’opinion politiques diverses, cependant, ils avaient tous besoin d’un soutien spirituel – la vie loin de la Russie s’organisait difficilement. Et le clergé nombreux, qui se retrouvait au-delà des frontières de la Russie, se sacrifiait pour servir ses fidèles, maintenant à la fois les traditions, la culture russe et la langue maternelle.

Mais l’émigration russe ne sut pas conserver son unité ecclésiale, et l’Eglise hors frontières devint l’une parmi plusieurs juridictions ecclésiales. Néanmoins elle devint le symbole de l’opposition spirituelle au pouvoir soviétique, elle critiquait et jugeait avec la dernière vigueur la partie de l’église orthodoxe en Russie, qui était allée sur le chemin des compromis avec ce pouvoir (entre parenthèses je peux remarquer, que la déclaration du métropolite Serge, qui a définitivement divisé l’église et en Russie et en dehors de ses frontières, fut justement publiée le 19 août 1927 dans le Journal « Izvestia »)

L’Eglise hors frontières s’efforçait de dire la vérité concernant l’Eglise en Russie – elle parlait de ses souffrances et de ses persécutions, et de l’exploit des évêques, des prêtres et des fidèles qui acceptèrent la mort en martyrs. Bien longtemps avant leur canonisation en Russie même, l’Eglise hors frontières glorifia les nouveaux martyrs et témoins russes de la foi et les mis au rang de l’assemblée des Saints. Ceux, qui lui en étaient reconnaissants, étaient nombreux et ils l’étaient aussi pour les envois de livres religieux, envoyés tout à fait gratuitement par dizaines de milliers d’exemplaires par des étrangers vers la Russie au début des années 90.

Il semblait pourtant que cette disposition critique des fidèles de l’Eglise russe hors frontières contre la Russie ne lui permettrait pas de voir les changements des deux dernières décennies et l’espoir d’un retour à l’unité des Eglises ne semblait pas devoir se réaliser rapidement. Mais cette unité à la fois sincère et inspirée du ciel s’est réalisée il y a trois ans. Quelle sera la mission de l’Eglise hors frontières au XXIème siècle ? Elle conserve sa fidélité à l’orthodoxie russe et simultanément s’adresse avec succès à ses ouailles anglophones. C’est une expérience unique à notre époque de globalisation, et elle encore plus indispensable aujourd’hui qu’elle ne le fut jamais auparavant. Les étrangers ne comprennent pas entièrement certains aspects de la Russie actuelle, mais leur analyse de l’Histoire de la Russie du XXème siècle ne perd pas sa signification.

Traduction Marie GENKO "Izvestia"

Rédigé par Marie GENKO le 23 Novembre 2010 à 11:35 | 17 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Irénée le 23/11/2010 11:52
Merci Marie pour la traduction de cet intéressant texte de Sergueï. Ses analyses sont toujours pertinentes. Cependant je ne comprend pas bien sa formulation "Quelle sera la mission de l’Eglise à l’Etranger au XXIème siècle ?" l'Eglise n'est nulle part à l'étranger...

2.Posté par Sergueï Tchapnin le 23/11/2010 16:40
@ Irénée Именно с этой мысли и начинается моя колонка :)

3.Posté par Irénée le 23/11/2010 19:19
Quelqu'un pourrait me traduite la réponse de Serguei ? Merci

4.Posté par Marie Genko le 23/11/2010 20:49
Cher Irénée,

Ci-dessous la traduction que vous demandez:

" C'est justement cette pensée qui est l'introduction de mon article."

Il y a beaucoup à réfléchir et à développer concernant ce très intéressant article de Sergueï Tchapnin. Je vais essayer de m'exprimer à ce sujet dans un prochain message.

Marie

5.Posté par Irénée le 24/11/2010 08:15
Tout à fait d'accord avec ce que dit Segueï à ce sujet.
l'histoire s'est écrite de cette manière, et nul ne peut dire aujourd'hui quel est l'avenir de l'orthodoxie en dehors des territoires qui furent les siens pendant des siècles. Ce dont nous devons être sûrs c'est que la dispersion du XXè siècle n'est pas un "hasard" ni un accident de l'histoire, mais sans doute un événement de dimension prophétique.
Le caractère missionnaire de l'Eglise est trop souvent oublié, c'est pourtant une mission fondamentale demandée par le Christ lui-même : "Allez, enseignez toutes les Nations,baptisez les..."
C'est une des raisons pour lesquelles un simple retour à l'Eglise de Russie pour les uns, de Grèce ou d'ailleurs pour les autres ne correspond pas vraiment au caractère missionnaire de l'Eglise.

6.Posté par Marie Genko le 24/11/2010 10:39
Cher Irénée,

L'équipe de rédaction a publié la réponse que je vous avais faite hier soir sur un fil séparé.
Vous pouvez la lire dans la note intitulée "l'Église russe à l'Étranger".
Vous avez raison, nous sommes effectivement en Occident pour témoigner notre foi orthodoxe.
Une des caractéristiques de notre orthodoxie est justement la pluralité de ses traditions cultuelles qui qui fleurissent de tout leur éclat dans un monde globalisé !
Car notre témoignage est celui de la vraie foi, enrichie du génie propre des peuples qui vont vers le Christ portés par elle!
Nous sommes ici en Occident, non pas pour amener les occidentaux à l'orthodoxie de tradition russe, qui est la nôtre, mais pour leur donner le désir de retrouver l'unité perdue de l'Église du Christ en revenant à la foi qui était la leur il y a à présent mille ans!
Car il n'est pas question de russifier les traditions de l'Église d'Occident, mais bien de donner aux occidentaux le désir de revenir à la foi des sept premier conciles qui unissait tout le monde chrétien en une seule et même Église!
L'Église Locale d'Occident c'est l'Église catholique riche de ses propres traditions!
Riche aussi de la pensée de ses enfants protestants.
Pensée qui s'est développée avec la violence de l'adolescent en révolte contre les erreurs de celui qui l'a engendré!
Et je suis convaincue, que lorsque nous auront donné l'exemple, ici en Occident, de l'amour entre les juridictions russes, le Seigneur nous accordera de voir notre élan suivi par un désir d'unité de la chrétienté toute entière!
Car quelle serait l'utilité des mouvements œcuméniques, si ce n'était pas justement de nous unir en une seule et même Église, afin de rendre le témoignage chrétien crédible devant les Nations.

7.Posté par Irénée le 24/11/2010 12:16
Je répond à Marie sur un point particulier, pour le reste j'ai laissé un message suite à son dernier fil.
Je ne sais pas si l'Eglise catholique romaine est l'église locale. Elle est effectivement implantée ici depuis toujours, mais sa séparation de l'Eglise catholique (les Eglises orthodoxes) a eu lieu il y a bien longtemps, et depuis, les dérives et ruptures avec la tradition de l'Eglise indivise ont été nombreuses et parfois graves.
Quand à un retour à la foi qui était la leur il y a mille ans,, ça me semble aussi une vision assez floue et peu réaliste. Comment ce processus pourrait-il avoir lieu ? quelle était la situation de l'Eglise en France en 1010 ? Il y avait déjà eu tant de ruptures, des années de séparation, et un approche très spécifique de la Foi. Quand à nos frères des églises issues de la réforme, c'est encore autre chose...
Il ne s'agit pas de "russifier" qui que ce soit, mais d'accepter humblement que l'Eglise orthodoxe soit l'Eglise, malgré nos défauts, nos insuffisances, nos péchés. Et par conséquent de témoigner auprès de tous, avec une attitude missionnaires (je ne parle pas de prosélytisme) de ce que nous avons reçu et que nous souhaitons pouvoir faire partager.

8.Posté par Marie Genko le 24/11/2010 17:32
Cher Irénée,

Pourquoi ne pas accepter le statut particulier de l'Église orthodoxe en Occident?
Nous sommes sur une terre catholique depuis la nuit des temps, celle qui a toujours été le territoire canonique de l'évêque de Rome!
Qui sommes nous pour vouloir créer une nouvelle structure ecclésiale?
Et pourquoi la vouloir dans les églises construites par les Russes pour les Russes?
Et par surcroit dans la tradition russe, qui ne ressemble en rien à la tradition grégorienne bien établie en Occident!
Croyez-moi, une telle démarche n'est pas de notre ressort et nous devrons nous soumettre à la décision que prendra le grand concile pan-orthodoxe en ce qui concerne les Églises en diaspora!
Souhaitons que ce concile soit proche et que ses décisions seront accueillies avec joie par l'ensemble des fidèles.
En attendant louons le Seigneur, où que nous soyons, en grec, en roumain, en français ou même en géorgien!
Et préservons, comme un bien précieux, la pluralité de nos traditions cultuelles contre la menace de la globalisation!

9.Posté par Irénée le 25/11/2010 09:01
Je vais tenter de répondre brièvement à Marie.
J'accepte bien le statut particulier de l'orthodoxie en occident, mais je souhaite qu'il évolue vers une situation plus conforme aux canons de l'Eglise.
Nous sommes en effet sur une terre qui a une longue histoire chrétienne, mais l'Eglise locale s'est séparée de l'Eglise catholique (orthodoxe) il y a bien longtemps.
Je ne veux créer aucune structure particulière, mais nous discutons ici et ailleurs d'une "mise en conformité" d'un point de vue écclésiologique.
Nous sommes simplement des chrétiens ayant le désir de vivre dans l'Eglise, et que cette Eglise soit conforme à l'enseignment reçu de nos Pères, et pas un "bricolage" hérité d'une histoire liée aux immigrations diverses. Il est au contraire de la responsabilité de chaque chrétien de travailler à l'unité de tous, comme nous le demandons à chaque office liturgique.

10.Posté par Marie Genko le 25/11/2010 21:39

Cher Irénée,

Les assemblées des évêques dans les pays d'Europe occidentales ne sont pas un "bricolage" comme vous l'écrivez!
Ces assemblées d'évêques répondent aux vœux des orthodoxes présents en Occident et elles sont une solution d'attente du retour à l'orthodoxie des Catholiques et des Protestants.
La mise en conformité d'un point de vue ecclésiologique, que vous souhaitez pour les orthodoxes en Occident, ne sera possible que lorsque l'Église Locale catholique aura retrouvé la vraie foi.
Car ni le patriarche Bartholomé, ni aucun autre patriarche, ne peut prétendre à diriger seul tous les fidèles orthodoxes en dispersion!

Que les Orthodoxes donnent l'exemple de l'Amour entre chrétiens, qu'ils montrent la joie de la Résurrection dans leurs œuvres, et nous verrons les autres chrétiens quitter leurs hérésie et reconnaître la vraie Foi !

11.Posté par Irénée le 25/11/2010 22:13
C'est bien parceque aucun patriarche ne peut prétendre diriger des territoires si grands que l'autonomie a été donnée par Constantinople à la Russie, que les Eglises de Finlande, du Japon et bien d'autres ont acquis leur autonomie !

12.Posté par Marie Genko le 26/11/2010 08:30
Cher Irénée,

Je nuancerais votre dernier message en disant que l'autonomie donnée, ne l'a pas été à cause de la dimension ou de l'éloignement des missions orthodoxes. Mais parce que les peuples venus à l'orthodoxie avaient leur culture propre, différente de la culture grecque, qui justifiait, en Russie, en Chine, au Japon ou aux USA qu'une autonomie leur soit accordée.

13.Posté par Irénée le 26/11/2010 13:29
Vous pensez que la France ou l'Italie n'ont pas leur culture propre ???

14.Posté par Marie Genko le 26/11/2010 15:46
Chère Irénée,

La culture religieuse en France et en Italie, c'est la CULTURE LATINE.
Voilà pourquoi le retour des Catholiques aux dogmes du premier millénaire ne changera pas grand chose dans leurs églises et leurs Liturgies. Il seront simplement habités à nouveau du souffle de l'Esprit qui leur évitera les fautes qu'ils ont commises dans le passé et qui ont causé tant de souffrances.
La réforme protestante et les guerres sanglantes qui s'en sont suivies, n'est qu'un exemple parmi d'autres.
Mais pour donner un véritable exemple missionnaire, notre vécu de chrétiens ici en Occident doit être une vie en Christ crédible, et non des chicanes devant les tribunaux!

15.Posté par Irénée le 26/11/2010 22:59
Dites-moi pourquoi nos amis américains ont eu droit à l'autonomie alors...
Quand à cette référence aux tribunaux, je n' y comprend rien !

16.Posté par Marie Genko le 28/11/2010 01:16
Cher Irénée,

1/ Nos amis américains ne sont pas sur le territoire canonique du Saint Père de Rome.

2/ La référence aux tribunaux, que j'ai faite, est le scandale du procès de Biarritz, où se sont déchirés les paroissiens d'une seule et même église.
Je vous rappelle qu'il y a eu le procès pour l'église de Londres et qu'il y a aussi actuellement le procès pour la propriété de l'église de Nice.
Je vous assure que voir les dissensions entre orthodoxes faire les choux gras de la presse française et britannique est particulièrement odieux à toute personne qui aime le Christ en orthodoxie !
Il faut absolument que nos dissensions prennent fin!
Elles sont un contre témoignage de l'enseignement de Notre Seigneur!

Aimons-nous entre orthodoxes, soyons positifs les uns avec les autres!
La seule mission crédible devant les Nations est l'amour que se portent entre eux les chrétiens !

Alors je vous en prie, cher Irénée, par amour pour vos frères attachés à l'orthodoxie russe, vous qui nous avez rejoint dans notre prière et notre église, ne vous efforcez pas de tout changer avant le temps venu!
Laissez-vous porter par la sagesse de nos théologiens et de nos prélats!
Ne prêchez pas la création d'une église locale dont ne veulent pas, où ne veulent pas encore, les autres orthodoxes en dispersion.
Faite confiance au prochain concile orthodoxe qui trouvera la solution la meilleure et la plus ecclésiale pour les fidèles sur la terre d'occident.

17.Posté par Irénée le 28/11/2010 22:35
@Marie
1) La juridiction de l'évêque de Rome (selon la vision catholique romaine) est universelle. USA y compris ! et pour moi c'est complètement un faux débat. La question est de savoir où est l'Eglise. Elle est, en tout lieu, autour de son évêque, confessant la foi orthodoxe et en union avec l'ensemble du monde orthodoxe. Le pape de Rome n'est pas un évêque orthodoxe, il n'a donc pas juridiction sur les fidèles non-romains.
2) Je connais trop peu ces affaires. Mais pour ce que je connais, je renvoie les deux parties dos à dos.
Pour le reste, je ne veux rien changer avant l'heure ! je souhaite simplement que l'Eglise visvie en conformité avec sa tradition et ses canons. Rien de plus. Je ne prêche rien du tout, je rappelle un principe écclésiologique permanent dans l'histoire de l'Eglise orthodoxe.

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