Tout est foncièrement commun à l’Orient et à l’Occident, et tout est différent.
Y. CONGAR

Il est particulièrement réjouissant et réconfortant que la pensée théologique hétérodoxe, en ses meilleurs représentants manifeste un intérêt sincère et profond pour l'étude de l'héritage patristique, la doctrine et les institutions de l'Église ancienne. On doit en même temps reconnaître que dans les relations mutuelles entre théologie orthodoxe et théologie hétérodoxe demeurent beaucoup de problèmes et de divergences d'opinions non résolus. En outre même la coïncidence formelle dans de nombreux aspects de la foi ne signifie pas l'unité authentique, dans la mesure où des éléments de doctrine sont interprétés différemment dans la tradition orthodoxe et dans la théologie hétérodoxe. "Principes fondamentaux régissant les relations de l'Eglise orthodoxe russe avec l'hétérodoxie" § 4.6.


"Europe « latine » et l’Europe orthodoxe" (matériaux pour un livre à venir)
D'après M. Dmitriev Traduit du russe par Élisabeth Teiro
Titres et coupures de Vladimir Golovanow

D’habitude, dans un esprit irénique et œcuménique, on tend à gommer les différences confessionnelles et culturelles entre deux traditions chrétiennes, byzantino-orthodoxe et « latine », d’une façon ou d’une autre...

... Parfois l’on ne les reconnaît pas du tout en tant que différences substantielles. L’image largement répandue de l’orthodoxie est celle d’une religion et d’une Eglise où les rites ont supplanté l’intellect, la théologie et l’éthique ; où le clergé s’est docilement et volontairement soumis au pouvoir séculier ; où l’enseignement du Christ ne fut reçu que superficiellement.

Toutefois, le regard d’un historien des sociétés sur les divergences entre les deux Christianismes est, par la nécessité et la logique du métier historique, différent de l’approche des théologiens et spécialistes en Kirchengeschichte. Historiquement parlant, le problème de l’altérité du Christianisme orthodoxe, par rapport au Christianisme « latin », est d’une importance cruciale. Il n’est pas exclu que précisément les singularités confessionnelles de l’orthodoxie nous procurent la clef pour bien comprendre de nombreuses caractéristiques substantielles de l’histoire byzantine, russe, ukrainienne, biélorusse, bulgare, serbe et roumaine. Il n’est pas exclu non plus que les particularités confessionnelles du christianisme latin nous offrent la clef de la compréhension de nombreuses caractéristiques substantielles de l’histoire occidentale. Ainsi faut il prendre au sérieux la question suivante : en quoi se traduisent les différences du prescrit et du vécu chrétiens dans les cultures « latines » et byzantino-slaves ? Quelle serait la manière adéquate de décrire et de conceptualiser les singularités confessionnelles et culturelles du christianisme « latin » par rapport au christianisme « orthodoxe », et vice versa ?

(…)
ISSUES DE DEUX TRADITIONS PATRISTIQUES DIVERGENTES.

Laissons de côté les spécificités explicites de l’orthodoxie et du catholicisme dans le domaine dogmatique, liturgique et institutionnel (Filioque, purgatoire, primauté et infaillibilité papales, immaculée conception, communion sous une ou deux espèces, célibat, langue des offices, existence ou absence d’ordres monastiques, icônes, etc.) et essayons de prendre en compte ce qui est sous-jacent – certains aspects de l’enseignement des Eglises orthodoxe et catholique sur le salut, la grâce, la vérité et l’autorité... Historiquement, elles sont issues de deux traditions patristiques divergentes.

Il y a un consensus pour considérer Tertullien comme le père de la patristique latine. Après lui vinrent Cyprien de Carthage, Lactance, Hilaire de Poitiers, Marius Victorinus, Ambroise de Milan. Augustin et Jérôme occupent une place particulière dans l’histoire de la patristique en Occident. Leurs successeurs furent Prosper d’Aquitaine, Léon Ier le Grand, Jean Cassien, Vincent de Lérins, Grégoire de Tours, Césaire d’Arles, l’auteur anonyme de la Règle du Maître, Benoît de Nursie, Denys le Petit, Cassiodore, Boèce, Grégoire le Grand et Isidore de Séville . Approximativement à la même époque, la patristique grecque est représentée par d’autres figures. Au premier plan d’entre elles on trouve Clément d’Alexandrie, Athanase le Grand, Cyrille de Jérusalem, Basile le Grand, Grégoire de Naziance, Grégoire de Nysse, Jean Chrysostome, Cyrille d’Alexandrie, le pseudo-Denys l’Aréopagite, Jean Damascène.

Certes, l’opposition est trop rigide pour être vraie. Denys l’Aréopagite et Jean Chrysostome sont largement lus et sont bien connus dans l’Occident médiéval et moderne. Certains papes du premier millénaire sont reconnus comme pères de l’Eglise en Orient. À partir du XVIIe siècle la théologie orthodoxe subit une profonde latinisation. Au XXe siècle, en Occident, l’on redécouvre la pensée théologique byzantine et byzantino-slave. Et cependant, il n’en reste pas moins que les deux traditions ne se sont entendues et ne s’entendent qu’à grand-peine et avec méfiance. J. Liébart, historien des dogmes, en fait un résumé : « Péché, grâce, liberté : ce sont des réalités présentesà toute la réflexion chrétienne des premiers siècles et exprimées spontanément à peu près de la même manière en Orient et en Occident pendant les quatre premiers siècles.

C’est sur ce terrain néanmoins qu’au début du Ve siècle va se marquer un clivage théologique important entre l’Orient et l’Occident : alors que l’Orient continuera de parler sereinement de l’homme pécheur "divinisé" par la grâce, l’Occident avec Pélage et Augustin, va s’interroger et engager un long débat sur le "péché originel" et sur les rapports de la grâce et de la "liberté" (…) Tandis que la théologie en Orient demeurera préoccupée avant tout de l’inventaire objectif du mystère du salut, c’est la condition et la démarche subjective du croyant, l’expérience existentielle et personnelle de la libération du péché et de l’ouverture à la grâce qui deviennent le terrain du débat et de la réflexion en Occident. Ce "déplacement" de la théologie accompagne, chez un Augustin notamment, une véritable découverte de l’intériorité spirituelle et de la subjectivité (…) Désormais, la théologie latine a ses préoccupations propres, que ne partagera jamais profondément l’Orient ancien. Si l’on ajoute à cela l’effondrement définitif de l’unité de l’Empire romain au Ve siècle et la rupture linguistique (Augustin est le premier des Pères latins de premier plan à ne plus lire couramment le grec), on comprend que les deux traditions (…) vont désormais se différencier nettement» .

Les conséquences de cette divergence entre l’Est et l’Ouest furent considérables. Elles s’exprimèrent dans différentes mentalités religieuses formées par l’éducation chrétienne. Mais jusqu’à aujourd’hui cet état de fait, le plus souvent, n’est pas pris en considération par les historiens. Pour approcher et comprendre les différences de mentalités des cultures orthodoxes et catholiques (de l’Occident chrétien), on est de quelque sorte contraint d’aborder des thèmes qui, au premier regard, paraissent trop subtils pour un historien des sociétés – tels que, par exemple, les effets de la chute sur la nature de l’homme, sur la conditio hominis, sur l’histoire humaine.

CULPABILITÉ OU ASSERVISSEMENT?

En Occident, on le sait parfaitement bien, la théologie de la chute et du péché originel remonte à Saint Augustin, dont la doctrine « est fondée sur le concept de notre responsabilité héritée pour le péché d’Adam (…) La massa damnata de l’humanité déchue est l’objet de la colère divine parce qu’elle est coupable. Elle peut être justifiée par la grâce qui, seule, peut pardonner, puis restaurer en l’homme la capacité naturelle qu’à son âme de contempler l’essence de Dieu. Cette contemplation ne peut se produire qu’outre-tombe : dans la vie présente, l’homme ne peut jamais être autre chose qu’un pécheur pardonné » . Il résulte de la chute que « l’homme se priva des dons de la grâce (…), qu’il perdit sa "justice originelle" ». Il ne s’agit pas seulement d’une erreur ou d’un péché, mais d’un « dérèglement de tout l’ É T A T (mise en relief de L. P. Karsavin) de grâce ». Il résulta de la chute « une désorganisation de toutes les autres forces de l’âme » (Thomas d’Aquin). En particulier, une faiblesse de la volonté, l’incapacité de ne pas pécher... La convoitise, liée à la multiplication de la race humaine, fit que cette corruption substantielle de la nature commença à se transmettre inéluctablement de génération en génération. En quel sens précisément l’homme hérite-t-il du péché d’Adam ? « L’homme détient le péché d’Adam non dans le sens où il "imite" ce péché, non dans le sens qu’il a l’obligation formelle d’acquérir les dons de la grâce, et il ne peut les posséder par la faute d’Adam, mais de la manière la plus réelle qui soit, par le lien r é e l (mise en relief de L.P. Karsavin) qui l’unit à son ancêtre et qui s’exprime par le fait qu’il descend physiquement de lui » .

L’on ne saurait surestimer le poids de cette doctrine dans l’évolution des mentalités religieuses. L’« homme du Moyen Age » corrélait d’une manière ou d’une autre toute son activité avec son idée du péché et de ce qui est peccamineux... En particulier, à travers la pastorale, la liturgie, l’art chrétien, l’Eglise rappelait constamment qu’aucune justification de l’homme ni rapide ni irrévocable n’était possible. La justification se conçoit comme un long et pénible processus dont il est, en principe, impossible de sortir vainqueur par ses propres forces. Tout ceci eut des conséquences, qui ont été lucidement présentées, par exemple, dans l’ouvrage célèbre de Jean Delumeau .

L’orthodoxie byzantine élaborait cette problématique autrement. Comme l’écrit J. Meyendorff, « avant tout, la relation authentique entre Dieu et l’homme est conçue par les Pères orientaux d’une manière qui diffère de la ligne de pensée inaugurée par saint Augustin ». « L’existence de l’homme comme créature de Dieu n’est pas conçue comme une existence fermée : l’homme a été créé pour avoir part à la vie de Dieu, pour être avec Dieu ». L’homme « participe à la qualité qui appartient en propre à Dieu seul : l’immortalité. En d’autres termes, ce qui fait que l’homme est un homme, et non une bête, c’est sa faculté, originellement établie par Dieu, de participer à l’immortalité de Dieu, au pouvoir de Dieu sur les autres créatures, et même au pouvoir créateur de Dieu ». Comme le souligne J. Meyendorff, « on voit immédiatement ici que les problèmes de la grâce et de la nature se posent d’une tout autre manière que dans la tradition augustinienne : la grâce n’est pas un don créé, conféré comme un donum superadditum (…) C’est la vie divine elle-même communiquée à l’homme qui a été créé dans le but de la recevoir et d’y participer et qui, s’il est privé de la grâce, perd l’intégrité de sa propre nature ». « La chute de l’homme, c’est d’avoir préféré rivaliser avec Dieu (…) au lieu de participer à ses dons (…) Il n’est pas question (…) d’une culpabilité transmise à la race humaine à travers le péché d’Adam. Ce dont la nature humaine tout entière a hérité, c’est l’asservissement à la mort et à la corruption » .

L’ENSEIGNEMENT DU SALUT

En ce qui concerne la doctrine du salut, de nombreux chercheurs (dont J. Meyendorff) imputent au catholicisme un juridisme excessif dans l’approche de cette question. La tradition de la compréhension du salut comme justification quasi juridique fut fondée par Tertullien et Augustin, puis développée par Anselme de Canterbury. Anselme élabora le dogme de la « satisfaction », du « contentement » que l’homme doit procurer à Dieu pour ses péchés. La pratique des indulgences en est le résultat ultime.

Cette sotériologie catholique médiévale « crée une représentation persistante d’un formalisme juridique du dogme catholique » – ce que L.P. Karsavin, à la différence de nombreux auteurs orthodoxes, rejette catégoriquement. Pour lui l’essentiel du catholicisme, dans ce domaine, réside dans la volonté de mettre en pratique les normes de l’Evangile («nous ne craignons pas de mettre une fois encore l’accent sur « l’esprit pratique [et non "juridique" – M.D.] du catholicisme » ). Il reconnaît cependant que dans la tradition catholique médiévale Dieu apparaît avant tout comme un juge – qui plus est absolument équitable. Ici, le catholicisme fait face à un paradoxe : si l’on aborde cette conception de Dieu de façon exclusive, si Dieu n’est que « l’infatigable comptable de nos péchés », alors se brise le lien qui unit l’homme à Dieu, parce que même Dieu se révèle limité dans son propre pouvoir. Implorer son pardon devient absurde, car « on ne peut faire fléchir celui qui est juste ». Ce paradoxe complique extraordinairement l’enseignement catholique du salut. Il se révèle lié à des antinomies prononcées qui, superficiellement, apparaissent comme des « sacrilèges » .

Karsavine était presque seul, parmi les théologiens orthodoxes, à mettre en doute le « juridisme » de la sotériologie catholique. Le futur patriarche Serge (Stragorodskij) a consacré sa thèse précisément à ce thème. Il mettait l’accent sur les caractères spécifiques de l’enseignement orthodoxe du salut .

Quoi qu’il en soit, dans la théologie orthodoxe le salut est pensé autrement qu’en Occident. « Le dogme catholique interpose entre Dieu et l’homme la catégorie supplémentaire de la grâce, en l’interprétant (avec une étude formelle et logique approfondie et considérable) comme une manifestation purement phénoménale de la divinité, extérieure à son essence nouménale (…) A contrario, l’orthodoxie pense la grâce comme la révélation immédiate du divin en l’humain au sujet de la laquelle il ne peut être question de limite entre le nouménal et le phénoménal » . Du point de vue de la tradition orthodoxe, « la chute et la rédemption ne se sont pas déroulées d’une manière abstraite, juridique, utilitaire (…) mais se sont jouées comme un drame à trois partenaires : Dieu, l’homme et Satan. Au lieu du thème augustinien d’une culpabilité héritée, les Pères (grecs – M.D.) – puisque seuls les péchés personnels suscitent la culpabilité – parlent d’un pouvoir de mort et de corruption, le pouvoir d’une personne, le Démon » .

LA DÉIFICATION

Cette divergence entre les deux théologies est intimement liée à une autre très importante particularité de la tradition normative de l’Eglise orthodoxe, dont la portée est bien souvent sous-estimée par les historiens du christianisme, – l’enseignement sur la déification. « L’idée de la déification, si éloignée de l’eudémonisme banal, était le point central de la vie religieuse de l’Orient chrétien, autour duquel tournaient toutes les questions de dogmatique, d’éthique, de mystique» . Comme l’explique Y. Congar, des les débuts « les Grecs ne sont pas orientés vers une élaboration de l’image du corps dans le sens corporatif ou sociologique, ni vers la catégorie de grâce capitale à laquelle le XIIe siècle latin donnera une telle attention. Leur considération du corps mystique demeure, pourrait-on dire, dans les limites de la christologie et d’une théologie de la grâce déifiante des sacrements, sans se développer en ecclésiologie proprement dite; elle se ressent du fait que leur synthèse théologique et leur sotériologie sont dominées par l’idée de déification, elle-même liée à une anthropologie surnaturelle assez différente de celle que l’Occident a hérité de saint Augustin »

Ensuite, depuis s. Anastase, s. Grégoire de Nazianze, s. Cyrille d’Alexandrie, « la théologie orientale a son assise la plus ferme dans le grand principe de sotériologie : il est devenu ce que nous sommes afin que nous devenions ce qu’il est; ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé, mais ce qui est assumé est sauvé. Cette sotériologie elle-même suppose une conception de la déification et des rapports de ce que nous appelons la nature et la grâce – assez différente de celle qui commande la construction théologique latine des mêmes mystères. Cette construction latine repose sur une distinction de la nature et de la grâce, dont les catégories et le vocabulaire sont étrangers à la théologie grecque. Celle-ci attache son attention à une divinisation de la nature défigurée ou déformée par le péché, et cette divinisation consiste à rendre à la nature humaine la ressemblance de l’image de Dieu qu’elle est foncièrement, et la condition divine d’immortalité. Or cela, l‘Incarnation le réalise par le fait même qu’en Jésus, Verbe fait chair, la nature humaine est sanctifiée, pleinement reformée à la ressemblance parfaite de Dieu, par le contact avec la nature divine, immortelle et glorieuse. L’œuvre de l’Eglise consiste dès lors à transformer à son tour la nature humaine individuée dans les personnes que nous sommes, à l’image de celle du Christ et par le contact de celle du Christ, ce qui s’opère principalement par les mystères (sacrement) qu’elle célèbre et en particulier le baptême et l’eucharistie; mais aussi par l’ascèse dont la vie monastique est mise en oeuvre idéale » .

A cet égard, la tradition orthodoxe se distingue radicalement de la catholique. Conformément aux conceptions de la déification, « l’homme peut s’imprégner des énergies divines et s’unir à Dieu. Cette union constitue précisément l’essence de la sainteté. Dans ses formes primitives, la doctrine de la déification se développe dans la théologie byzantine dès la période comprise entre les deux premiers conciles œcuméniques dans les écrits de saint Athanase le Grand et des Pères cappadociens (saint Basile le Grand, saint Grégoire de Naziance et saint Grégoire de Nysse) (…) [Elle] connut un essor décisif dans les œuvres de Maxime le Confesseur. Maxime écrit sur la prédestination originelle à la déification que possède la nature humaine (…) Cette prédestination est inscrite dans le principe inné de l’homme, dans sa raison naturelle (…) Cependant, le moyen d’existence de l’homme peut entrer en contradiction avec sa raison naturelle, le péché originel était la manifestation de cette contradiction (…) En suivant le Christ et en accordant sa volonté à la raison naturelle, l’homme prend part à la Divinité. Le moment ultime de ce mouvement est bien la déification » .

L’ORIENT A BESOIN DE NE PAS DÉFINIR

Du point de vue occidental, rationnel et savant, on peut porter de nombreuses récriminations logiques, scripturaires, rationnelles à l’encontre des doctrines orthodoxes du péché, de la grâce et du salut. C’est assez évident de notre point de vue d’aujourd’hui, c’est-à-dire de l’époque ou il est devenu normal et « naturel » de penser à la cartésienne. Mais pourquoi la pensée orthodoxe, la pensée raffinée des Byzantins, restait-elle si peu soucieuse de la cohérence rationnelle de ses conceptions ? Pourquoi assumait-t-on assez facilement les antinomies et les paradoxes qui découlent de la manière byzantine d’approcher cette thématique ? Il semble que le type même de la rationalité dont la culture orthodoxe des Grecs et des Slaves s’est imprégnée, était différent de celui du monde « latin ». Et comme dans le domaine de l’anthropologie et de la sotériologie, c’est l’enseignement d’Augustin qui entretient la prise de distance.

La lutte avec le dualisme manichéen « amenait Augustin à identifier Dieu avec une essence rationnellement concevable, celle du Bien suprême. En développant son système, Augustin n’a pas ignoré, bien entendu, l’idée biblique d’un Dieu essentiellement transcendant (…) mais cette transcendance de Dieu lui parut relative à la déficience de la créature, plus précisément de la créature déchue : Dieu est invisible, incompréhensible, inconnaissable, parce que l’homme ne possède pas la vision qui pourrait le voir, l’intelligence qui pourrait le comprendre, la connaissance qui pourrait le connaître. Néanmoins, avec l’aide de la grâce, il est capable de développer sa capacité naturelle de connaître Dieu. Cette capacité c’est, pour Augustin, le sensus mentis – un sens intellectuel – qui, par nature, appartient seulement à l’âme, et qui a la faculté de connaître l’essence de Dieu » .

J. Meyendorff insiste sur le fait que les voies de l’enseignement théologique orthodoxe sur ces questions sont totalement différentes. « La transcendance divine ne s’explique pas, comme chez Augustin, par les limitations de notre état déchu ou les imperfections de notre existence corporelle (…) Dieu, dans son Etre véritable, est au-delà de toute réalité créée ; il garde une entière liberté dans ses rapports avec le monde créé, et aucune créature ne pourra jamais le posséder ou le voir. Voilà ce que veut exprimer la théologie radicalement négative, ou apophatique, des Pères » .

A cet égard J. Meyendorff serait bien d’accord avec le dominicain Y. Congar. L’une des particularités de l’Occident, du « tournant décisif » entre la fin du XIe et celle du XIIe siècle, c’est le passage « d’un régime de tradition, qui s’accorde si bien avec un statut de perception synthétique, à un régime scolaire, universitaire, de mise en question et de recherche personnelle, qui s’accorde avec l’analyse. L’Orient suit un régime de tradition, et on a pu indiquer comme l’une des différences principales des peuples orthodoxes, le fait qu’ils ne sont pas formés, comme les Latins, par l’école. » Les Latins ont créé une nouvelle science, « mais cette science est demeurée étrangère à l’Orient qui, n’ayant pas eu de scolastique, ne connaîtra non plus ni la Réforme, ni le rationalisme : les trois grands facteurs en raison desquels le catholicisme moderne a modelé son visage. Aussi l’Occident est allé vers un genre de connaissance analytique, de type, en somme, rationnel. Il a besoin de définir le contour exact des choses, de les voir pour ainsi dire l’une en dehors de l’autre ». La très belle formule du père Congar est particulièrement révélatrice: « autant les Latins en général, Rome surtout... ont besoin de définir, autant l’Orient a besoin de ne pas définir » .

Ainsi que l’écrit un autre auteur, « la réalité que les croyants orthodoxes désignent par le terme "Dieu" apparaît donc comme ce qui est derrière, devant et au-delà de toute expérience de la vie ; "Dieu" est la réalité qui donne à l’existence sa cohésion ultime faisant d’elle un tout vécu globalement avant d’être analysé dans ses parties ». C’est pourquoi dans l’orthodoxie il n’existe pas de différences entre mystique, théologie et poésie ; entre les expressions par les mots et par les images ; entre la pensée et l’action .

En concluant cet excursus dans les matières purement théologiques, ne faudrait-il pas reconnaître, avec Y. Congar, que « tout est foncièrement commun à l’Orient et à l’Occident, et tout est différent » ?

***
M. Dmitriev. "Europe « latine » et l’Europe orthodoxe" (matériaux pour un livre à venir)
Traduit du russe par Élisabeth Teiro
Titres de Vladimir Golovanow
Source:http://gs.refdt.ru/docs/1300/index-287167.html

Mikhaïl Dmitriev est professeur d’histoire à l’Université Lomonossov de Moscou depuis 1994. Il est spécialiste de l’histoire religieuse et politique des territoires russe, ukrainien et polonais. Ses recherches portent sur les dissidents, les réformes et les rapports entre les groupes religieux et les structures politiques entre le XIVe siècle et le XVIIe siècle. Il est professeur invité dans de nombreuses universités au Canada, en Pologne, en Hongrie, en Allemagne et en France (Paris, EPHE, IVe Section, Montpellier, Le Mans). http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=RHIS_093_0645
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Notes de l'auteur
Cette liste de succession des Pères occidentaux est proposée dans l’article de J. LIÉBART, « Patrologie», in Catholicisme. Hier-Aujourd’hui-Demain, t. X, Paris, Letouzey et Ané, 1985, col.838-840.
Idibem, col.849.
J. MEYENDORFF, Orthodoxie et Catholicité, Paris, Seuil, 1965, p.110-111.
L.P. KARSAVIN, Katoličestvo, Petrograd, 1918, p.72-74.
J. DELUMEAU, Le péché et la peur. La culpabilisation en Occident. XIIIe-XVIIIe siècles, Paris, Fayard, 1983.
J. MEYENDORFF, op.cit., p.115-117.
L.P. KARSAVIN, op.cit., p.56.
L.P. KARSAVIN, op.cit., p.67, passim.
SERGIJ (STRAGORODSKIJ), archimandrit, Pravoslavnoe učenie o spasenii. Opyt raskrytija nravstvenno-sub"ektivnoj storony spasenija na osnovanii Sv. Pisanija i tvorenij svjato-otečeskich, Kazan’, 1898.
S.S. AVERINCEV, « Pravoslavie », in Filosofskaja enciklopedija, t.IV, Moscou, 1967, p.334.
J. MEYENDORFF, op.cit, p.117.
I.V. POPOV, Ideja oboženija v drevnevostočnoj cerkvi, Moscou, 1909, p.51.
Y. CONGAR, « Conscience ecclésiologique en Orient et en Occident du VIe au XIe siècle », in Istina 6 (1959), p. 193
Y. CONGAR, op. cit., p. 194.
V.M. ŽIVOV, Svjatost’. Kratkij slovar’ agiografičeskih terminov, Moscou : Gnosis, p.70-71.
J. MEYENDORFF, op.cit., p.110.
Ibidem, p.115-116.
Y. CONGAR, Neuf cents ans après. Notes sur le “Schisme oriental”. Chevetogne, 1954. P. 43
Y. CONGAR, op. cit., p. 43-45.
B. SARTORIUS, L’Eglise orthodoxe, Paris, 1968, p.66, passim.
Y. CONGAR, op. cit., p. 48.




Rédigé par Vladimir Golovanow le 23 Mai 2014 à 09:27 | 11 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Vladimir.G :« tournant décisif » le 24/05/2014 14:59
J'ai trouvé tout à fait passionnant ce texte qui met bien en lumière ce « tournant décisif » de l’Occident entre la fin du XIe et celle du XIIe siècle qui va l'éloigner de l'Orthodoxie et entrainera, ou au moins accentuera, les divergences dans les domaines "dogmatique, liturgique et institutionnel (Filioque, purgatoire, primauté et infaillibilité papales, immaculée conception, communion sous une ou deux espèces, célibat, langue des offices, existence ou absence d’ordres monastiques, icônes, etc.)". Je me demande si, dans l'avenir, "le regard d’un historien des sociétés" verra un tournant décisif inverse au XX-XXIe siècles, qui permet au père J. Meyendorff de trouver des points d'accord avec le dominicain Y. Congar (et pas seulement eux, mais toute une pléiade de théologiens "orthodoxes" et "latins" contemporains), en particulier sur la lecture des Pères et "les effets de la chute sur la nature de l’homme, sur la conditio hominis, sur l’histoire humaine"...

2.Posté par justine le 28/05/2014 13:11
Pour une fois, je suis d'accord avec Vladimir: cet article est fort intéressant. Ce qu'on doit pourtant y objecter, c'est que cette "tradition latine" devrait plus justement être appelée "déviation latine", devenue au cours du temps tradition, mais sans posséder l'authenticité de la Tradition orthodoxe. La Tradition orthodoxe a pour base exclusive la Révélation divine telle qu'elle nous est transmise par la Sainte Ecriture et par l'expérience de la Déification. C'est la raison pour laquelle elle a pu se préserver des erreurs latines. Si l'homme occidental s'est à tel point s'éloigné de la Vérité, de la Tradition biblique et apostolique, c'est que très tôt, il a commencé à accorder trop de crédibilité à lui-même, à sa pensée, son intellect, ses propres forces et capacités. Il a succombé à la tentation des Premiers Parents de s'ériger lui-même en critère et mesure, d'où cette manie des définitions et précisions rationalistes. En fait, il s'agit du problème très général des passions, dont l'orgueil est la racine universelle. L'Orient a accordé une extrême importance au développement de l' "art des arts", du combat spirituel (et puisse Dieu nous aider à y persévérer), mais en Occident, on a cultivé l'intellect rationnel et donc l'égoïsme, avec tous les résultats qu'on sait, si bien qu'aujourd'hui, le monde entier est englouti par cette maladie.

3.Posté par justine le 28/05/2014 13:31

Voici encore un point important: L'auteur écrit: ".....depuis s. Anastase, s. Grégoire de Nazianze, s. Cyrille d’Alexandrie, « la théologie orientale a son assise la plus ferme dans le grand principe de sotériologie : il [c'est a dire Dieu] est devenu ce que nous sommes afin que nous devenions ce qu’il est..." En réalité, ce "principe" n'est pas une trouvaille de ces Saints Pères du 4e siècle. Il est déjà énoncé par Saint Irénée de Lyon au 2e siècle, lequel, comme on sait, a hérité sa doctrine en ligne directe des Apôtres et plus particulierement de l'Apôtre Jean, par l'intermediaire de Saint Polycarpe de Smyrne. Après lui, St Athanase d'Alexandrie l'enseigne, et après celui-ci les Pères Cappadociens.On ne peut donc dire que c'était là un principe particulier de la théologie orientale, car St Irénée est un Père d'Occident, et St Athanase était très lu en Occident. Simplement, l'Occident a fait des choix différents, selon l'inclinaison de ses passions.

4.Posté par Tchetnik le 28/05/2014 18:48
En n'oubliant pas toutefois que l'Occident resta Orthodoxe quand en Orient se développaient moultes hérésies bien plus nombreuses...

Il suffit de relire les lettres adressées par Saint Basile aux frères des les appelant à l'aide pour s'en souvenir. L'Occident a toujours pensé que l'Intelligence jouait son rôle dans l'identification, le vécu et la compréhension de Dieu, de même les Pères Grecs quand ils utilisaient les concepts Platoniciens. En Occident à l'époque, utilisation de l'intelligence et de la réflexion ne signifiaient pas encore "spéculation".


5.Posté par Vladimir.G : « tournant décisif » de l’Occident entre la fin du XIe et celle du XIIe siècle le 28/05/2014 19:48
Au risque de me répéter, j'insiste sur le fait que l'auteur situe ce « tournant décisif » de l’Occident "entre la fin du XIe et celle du XIIe siècle". Parler ici de l'antiquité est hors sujet...

6.Posté par Tchetnik le 29/05/2014 11:27
C'est vrai que Saint Augustin, qui est mentionné dans le même article, date bien du IXième siècle...

7.Posté par Vladimir.G : « tournant décisif » de l’Occident entre la fin du XIe et celle du XIIe siècle le 29/05/2014 14:44
Denys l’Aréopagite et Jean Chrysostome, mentionnés dans le même article, sont encore plus anciens et c'est "’au début du Ve siècle /que/ va se marquer un clivage théologique important entre l’Orient et l’Occident". Mais le « tournant décisif » de l’Occident, lui, a lieu entre la fin du XIe et celle du XIIe siècle...
et "à partir du XVIIe siècle la théologie orthodoxe subit une profonde latinisation. Au XXe siècle, en Occident, l’on redécouvre la pensée théologique byzantine et byzantino-slave. "

Je trouve personnellement que ces jalons historiques sont particulièrement pertinents.

8.Posté par justine le 29/05/2014 16:10
.A Tchetnik, poste 4: Bien d'accord. Mais l'Orthodoxie occidentale des premiers siècles, que personne ne saurait nier - pas plus que les multiples hérésies orientales - avait été possible parce qu'alors on faisait de l'intelligence (gr. noũs), don éminent de Dieu, un juste usage. L'intelligence illuminée par la Grâce conduit à la connaissance de Dieu, alors que cette même intelligence sans la Grâce permet dans le meilleur des cas la connaissance du monde matériel seulement et peut devenir, l'adversaire aidant, l'instrument de tous les maux.

9.Posté par Tchetnik le 29/05/2014 19:44
@Justine

En effet, l'intelligence seule ne permet pas de saisir dans toute sa vérité la réalité de Dieu ni le sens qu'elle peut donner à la vie. Elle permet en revanche de l'identifier, de la comprendre, d'établir dessus des raisonnements de cause à effet, mais les postulats d départ sur lesquels se fondent de tels raisonnements doivent bien sur être suscités par une révélation.

Socrate et Aristote, par leur seule intelligence, étaient parvenus à la conclusion de l'existence d'un grand démiurge universel, mais, faute de révélation, ils n'ont pu pousser plus loin leur compréhension d sa réalité.

Ce caractère à la fois indispensable, mais aussi limité et insuffisant de l'intelligence était bien perçu comme tel en Occident, avant la Scholastique du reste.

Simplement, l'Occident ne fut pas le seul à connaitre une telle perversion d'une intelligence considérée alors comme critère absolu pour expliquer, à savoir donner une cause à Dieu (or comment donner une cause à ce qui est incréé?), l'"Orient" subit aussi ce travers.
.....................

En l'occurrence, le Vième siècle connut des clivages théologiques entre orient et orient bien plus grands et nombreux qu'entre orient et occident.

10.Posté par justine le 30/05/2014 13:40

Les généralisations sont toujours fallacieuses, ainsi celles d'Orient et Occident. Dans notre contexte, ce sont des réalités plus spirituelles que géographiques, si bien qu'on peut dire qu'il y a des "occidentaux" en Orient et des "orientaux" en Occident.
Le domaine où se départagent les choses est celui de l'état spirituel des personnes, car celui qui est dominé par les passions succombera aussi aux erreurs dogmatiques et vice-versa, parce qu'il perd la Grâce qui seule peut le préserver de l'erreur et le soutenir dans la lutte contre les passions

En tant qu'Orthodoxes, nous croyons en la possibilité du redressement, du repentir, de la "métanie", c'est à dire de la transformation du "noũs", grâce au combat spirituel, à l'effort de l'homme en conjugaison avec l'aide de Dieu. L'expérience et l'enseignement de l'Orient sont ici infiniment supérieurs à celui de l'Occident où le combat spirituel est faussé par de mauvaises doctrines.

A cet égard, il est utile de lire une récente interview avec l'Archimandrite Gabriel Bunge, autrefois moine catholique, maintenant retourné à l'Eglise orthodoxe. Toujours mal à l'aise dans le climat catholique contemporain (un "oriental en Occident"!), il avait découvert les Pères orientaux et dès lors se dirigeait par eux. A la longue il comprit que l'Occident lui aussi avait possédé autrefois ce trésor, mais l'avait abîmé, "la source a été remplie d'ordures", comme il dit. Alors il se donna pour tâche de montrer à ses frères occidentaux la source pure de leur propre tradition, mais il a fini par se désillusionner du fait du manque d'intérêt de ces derniers. A un endroit de l'interview il dit que plus encore que les autres, ce sont les moines catholiques qui se sont révélés les plus indifférents à ce retour à leurs propres sources, et plutôt que de vouloir creuser ici, ils s'élancent vers les religions asiatiques comme le bouddhisme zen par exemple. "Le succès de mes efforts, du moins parmi les moines, a été pratiquement nul. Surtout parmi les moines. Mes livres sont lus avant tout par des laïcs, non pas par des prêtres et des moines. Les moines sont ceux qui pratiquent le yoga, le reiki etc."

Et le père Gabriel poursuit: "Quand tu dis cela à des moines russes, ils sont choqués, ils ne peuvent imaginer qu'une telle chose puisse exister. Je ne les juge pas (les moines catholiques). Dieu merci, c'est le Seigneur qui va juger le monde et non pas moi. Mais cela signifie que les gens ne cherchent pas une solution dans leur propre tradition. Ils cherchent en-dehors d'elle, dans des religions non-chrétiennes. Pour moi, des moines catholiques qui pratiquent la méditation Zen, c'est comme des moines Zen qui prieraient les stations de la Croix. C'est complètement absurde."

Sur l'éloignement progressif de l'Eglise Catholique de l'Orthodoxie, le père Gabriel souligne: "L'Eglise Catholique est entre ces deux positions – l'Orient orthodoxe et l'Occident protestant. Mais l'évolution générale n'a pas été en direction de l'Est, mais vers l'Ouest. Elle est devenue une lente auto-protestantisation de l'Eglise Romaine, une auto-sécularisation, avec toute la destruction, physique autant que spirituelle, que nous avons vue. Cela a été un véritable désastre historique de dimensions sans précédent. Voyez-vous, le protestantisme est un virus intra-catholique. Et l'Eglise catholique romaine n'a pas d'anticorps à ce virus. L'anticorps, c'est l'Orthodoxie, laquelle n'a jamais été tentée, pendant cinq cents ans, par le protestantisme. Même s'il devait y avoir un patriarche œcuménique qui sympathise avec le calvinisme (et il y en a eu un), cela reste une phénomène local. Cela n'a aucune influence sur la conscience orthodoxe..."

[Dans cette dernière constatation, Vladimir pourrait trouver, s'il veut, une réponse à son interrogation et son étonnement pourquoi la "grande masse" du plérôme de l'Eglise Orthodoxe reste réfractaire aux déviations oecuménistes de certains "leaders" orthodoxes]

Le texte entier de cette interview très intéressante (qui date d'octobre 2013) est accessible en anglais sur http://www.pravoslavie.ru/english/65138.htm

11.Posté par Vladimir.G: La représentation de deux mondes et d''''une loi venant d''''en-haut n''''a pas eu cours en Orient le 05/11/2014 12:50
La représentation de deux mondes et d'une loi venant d'en-haut n'a pas eu cours en Orient

Voilà un autre point qui différencie les pensées théologiques de l'Orient et de l'Occident:

"L'Orient n'a connu ni verticalité descendante, ni verticalité montante – ni soumission, ni subversion. A cette histoire et à la verticalité ou ses avatars qui, en Occident, ont fondé la légitimité du pouvoir en même temps que le droit, l'Orient oppose une autre histoire. Un binôme non plus vertical, mais horizontal où le ciel et la terre se tiennent côte à côte. Et cela, grâce à cet événement inouï qu'est l'Incarnation : Dieu s'est fait homme... Dans l'Incarnation, les deux espaces se rejoignent ; les deux royaumes dont parle le Christ sont contigus et ont vocation à se confondre. Avant que cette confusion ne produise vraiment, la perspective ouverte par la venue du Christ est celle d'une rencontre et d'une coopération, ou tout du moins celle d'une réconciliation, entre Dieu et les hommes. Cette vision horizontale du rapport entre les deux pôles constitue ce qu'on a appelé la symphonie byzantine et que résume le mot de Saint Athanase d'Alexandrie, un contemporain de Saint Augustin : « Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu ». La formule est aussi lapidaire que grandiose ; elle est aussi programmatique et exprime parfaitement l'horizon de la foi orthodoxe.

LA COHÉRENCE DES DÉCISIONS EST ASSURÉE PAR LA TRADITION ET L'"ÉCONOMIE" ET NON LE "CODE CANONIQUE"

Nos textes de référence sont, en premier lieu, le Nouveau testament, puis ce sont les canons des premiers conciles qui ont énoncé les interprétations théoriques et pratiques que réclamaient les évangiles. Quant à la jurisprudence, elle est largement du ressort de chaque prêtre agissant au nom et avec la bénédiction de son évêque. Dans le cadre des règles canoniques, notamment pastorales et disciplinaires, l'appréciation du comportement des fidèles prend largement en compte, ce point est capital, le facteur humain dans toutes ses dimensions, ce que l'église orthodoxe appelle l' « économie ». (...) Les prêtres orthodoxes sont explicitement appelés à faire preuve de discernement. Le prêtre catholique, lui, appartient à une hiérarchie et se doit d'appliquer le Code canonique. En orthodoxie, le prêtre dispose d'une plus grande marge d'appréciation. Il se souvient que le Christ est venu pour les malades et non pour les bien-portants comme le rappelle l'Evangile. A l'instar de certaines Eglises orthodoxes locales on peut dire de lui qu'il est autonome, certes par délégation de l'évêque. (...)

D'après le père Jean Gueit, prêtre orthodoxe, professeur de droit public retraité, in http://www.fait-religieux.com/monde/religions-1/2014/11/05/pere-jean-gueit-l-eglise-orthodoxe-n-autorise-pas-le-divorce-elle-le-pardonne-

12.Posté par Vladimir G: Le christianisme orthodoxe face aux défis de la société occidentale le 27/07/2019 19:45
Le christianisme orthodoxe face aux défis de la société occidentale par Christophe Levalois

par Franck ABED (son site)
vendredi 26 juillet 2019

Christophe Levalois est enseignant, prêtre orthodoxe (1), rédacteur en chef du site orthodoxie.com. Ses derniers ouvrages portent sur le christianisme et la communication, ainsi que sur la place du sacré dans l’histoire des sociétés.

L’objet du livre est énoncé dès les premières lignes : « Les pages qui suivent présentent une sélection d’écrits récents, courts et incisifs. Ceux-ci proposent à la fois une présentation du christianisme orthodoxe aujourd’hui, de son développement et de son rayonnement actuel dans ceux-ci [les différents pays], mais aussi des éléments fondamentaux de sa tradition qui le distinguent des autres confessions chrétiennes, ainsi qu’une réflexion sur les défis, notamment les questionnements nés de la confrontation avec la société occidentale, plus généralement avec l’esprit dominant du monde moderne, notamment son matérialisme et l’individualisme qu’il diffuse. » Le programme se veut dense et ambitieux. Cependant, le livre reste accessible au plus grand nombre grâce au talent d’écriture de l’auteur.

Cet ouvrage s’articule autour de quatre grands thèmes : Le christianisme orthodoxe et l’Europe occidentale ; Eléments de la pratique et de la foi du christianisme orthodoxe ; Pour une communication qui mène à la communion ; Face aux défis du temps présent.

Levalois rappelle donc avec intérêt que « la présence du christianisme orthodoxe en Europe occidentale à l’époque contemporaine est un phénomène qui n’est plus nouveau. En effet, on peut considérer globalement qu’il a deux siècles d’ancienneté, un peu plus ou un peu moins selon les pays. »

Il stipule également que « la démarche fut souvent la même dans la plupart des pays. Ce sont tout d’abord des communautés d’étrangers qui furent à l’origine des paroisses orthodoxes. Avec le temps, les générations suivantes, d’autres arrivées, les mariages mixtes et les conversions, ces communautés se sont intégrées dans la société d’accueil. La plupart du temps, elles ont conservé un lien avec le pays d’origine, lien juridictionnel, mais aussi culturel et assez souvent linguistique. »

Suite: https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/le-christianisme-orthodoxe-face-216862

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