Vladimir GOLOVANOW

Etes-vous d'accord avec l'affirmation "Je pense que dans les églises orthodoxes l'office doit être célébré en russe moderne et non en slavon. "?

Posée lors d'un sondage réalisé en 2011 par l'institut Sreda, réputé proche du patriarcat, cette question a vu les Russes divisés en 3 groupes quasi-équivalents: deux gros tiers se sont retrouvés dos à dos en répondant "oui – plutôt oui" au russe moderne (37%) et "non – plutôt non" (36%), un petit tiers n'ayant pas d'avis (27%). Mais parmi ceux qui se sont définis comme Orthodoxes pratiquants (allant régulièrement à l'église et communiant) le "non – plutôt non" au russe moderne l'emporte à 55%... et le débat est relancé en Russie. Je vais en restituer quelques éléments à historiques.

"Ce petit nid de toutes les hérésies"

Depuis des siècles les Orthodoxes ont choisi de prier en utilisant des langues traditionnelles qu'ils ne parlent pas et ne comprennent pas parfaitement. Ils font l'effort d'apprendre les prières, d'adhérer à ces offices et cette façon de faire à été sanctifiée par tous ces croyants, qui ont compté parmi eux de très nombreux saints; tous les néo-martyres sont en particulier dans ce cas. (1)

La question de la traduction commence à se poser au début du XIXème siècle, avec la traduction en russe du Nouveau Testament puis de toute la Bible par "la Société biblique russe" (2). Ce ne fut pas sans rencontrer de résistance: la Société fut dissoute par l'empereur Nicolas I en 1826 et "L'idée même d'une traduction en russe venait d'une source contestable: cette idée n'est pas née dans l'Eglise russe, ni dans sa hiérarchie ni parmi son peuple, elle vient plutôt de la même source que l'idée d'une traduction en grec moderne: elle vient d'Angleterre, ce petit nid de toutes les hérésies, des sectes et de la révolution:" (3). Les textes furent néanmoins publiés: des 1819, les quatre Évangiles parurent en russe avec le texte slave en regard, puis en 1823 en russe seulement. Le Saint-Synode publia une révision du Nouveau Testament en 1862 et la Bible entière en 1875, traductions toujours utilisées dans l'Eglise russe. La Société britannique publia la Bible en russe en 1874 et d'autres traductions de source protestantes sont actuellement en circulation en Russie.

Saint Andronik de Perm

La question de la traduction des textes liturgique fut posée dès la fin du XIXème siècle et largement débattue lors du processus préconciliaire. Saint Andronik de Perm (4) présenta un court rapport sur le sujet le 10 juillet 1917: il commence par souligner qu'on ne peut utiliser une langue ordinaire pour s'adresser à Dieu alors qu'on utilise "un langage élevé" même pour "les grandes occasions civiles". De plus "Oui, le slavon est beaucoup plus expressif et plus profond que le russe même le meilleur. Pour s'en convaincre, comparons par exemple les épitres du saint apôtre Paul dans les traductions russe et slavonne: comme le texte slavon est plus profond et plus proche de l'original et comme, à l'inverse, la traduction russe est inexpressive, allant souvent jusqu'à quasiment occulter la vraie pensée des sublimes enseignements pauliens. Pour toutes ces raisons il ne faut absolument pas traduire nos offices orthodoxes en russes… Car, de plus, cela risquerait d'amener un nouveau schisme encore plus terrible que l'ancien."

"Mais, continue-t-il plus loin, il serait très utile de traduire en russe au moins une partie des textes des offices pour un usage domestique et personnel, de sorte que l'utilisation d'une telle traduction permette de mieux approfondir le sens du texte slavon." Et il insiste ensuite sur la possible correction des textes slavons qui peuvent être erronés, et surtout sur la nécessité de l'apprentissage du slavon dans les écoles et dans les paroisses et l'obligation d'expliquer les textes liturgiques au cours des sermons et des prêches. "Ainsi, conclut-il, il ne faut pas traduire nos offices orthodoxes en russe. Par contre, outre la correction des textes des chants liturgique, il faut faire étudier et expliquer les offices pour les rapprocher de la compréhension des fidèles afin qu'ils en deviennent des participants conscients."(5)

Je n'ai pas trouvé de compte rendu du débat qui aurait suivi la présentation de ce rapport ni d'une session du Concile qui aurait été consacrée à cette question et il semble que les choses en sont restées là, la parole du saint hiéromartyr prenant un caractère définitif. On peut en tout cas constater que les arguments présentés actuellement par les représentants officiels de l'Eglise russe ne font que reprendre et illustrer ses idées: oui à la traduction pédagogique et missionnaire et à l'éducation des croyants, mais non à la célébration des offices dans une autre langue que le slavon, car cela nous ferait perdre un bien inestimable et courir un grand risque de schisme comme avec le "Nouveau calendrier". (6)

Notes
(1) J'ajoute que les derniers saints occidentaux que je connais, saint Nicolas d'Ohrid, saint Jean de Shanghai, saint Alexis d'Ugine, sainte Marie de Paris… ont, à ma connaissance, toujours prié en slavon
(2) La fondation de cette Société biblique russe fut due à l'influence de la Société britannique: un délégué de la Société britannique faisait présenter à l'empereur Alexandre 1er un projet de société biblique russe au commencement de décembre 1812 l'empereur approuva le projet. le 18 décembre
(3) Cf. Florovsky Georges, "Les voies de la théologie russe", Traduit du russe par Jean-Louis Palierne. Lausanne ; [Paris] : l'Âge d'homme, 2001; p. 329
(4) Andronik Nikolsky (1870-1918) devint l'évêque de Perm et de Koungour en 1917 et l'un des sept hiérarques au synode préconciliaire préparant le Concile local de 1917-1918. En 1918 il excommunia ceux qui pillaient les biens de l'Église et il fut fusillé et enterré encore vivant le 20 juin 1918. Il fut canonisé en 2000 et devint le hiéromartyr Andronik, archevêque de Perm.
(5) Traduction VG
(6) La question du calendrier me semble prendre source dans le même type de raisonnement rationaliste que la question de la traduction: le calendrier julien s'est écarté de la réalité scientifique – il faut le corriger. Et un synode panorthodoxe peut représentatif décide en 1923 de passer au calendrier dit "julien révisé" (pour résumer, les fêtes fixes y suivent le calendrier grégorien alors que les fêtent mobiles suivent le calendrier julien), ce qui est accepté par la majorité des Eglises, y compris par l'Eglise russe où le saint patriarche Tikhon accepte ce passage sous la pression des autorités en octobre 1923. Mais ce changement a été rejeté par la majorité des fidèles: les Églises de Russie, Serbie, Géorgie et Jérusalem ainsi que le mont Athos, qui constituent la majorité de l'Orthodoxie en nombre de fidèles, sont de fait restées à l'ancien calendrier alors que les autres Églises, passées au julien révisé, subissent les dissidences des "paléo-calendaristes" (tenants de l'ancien calendrier). Seule l'Église orthodoxe de Finlande a adopté strictement le calendrier grégorien.

Voir aussi:
- Le métropolite Hilarion se prononce contre une « russification » complète des offices
- Comprendre réellement les offices n'est pas une question de langue
-Contre le passage au russe moderne



Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 22 Mai 2012 à 10:50 | 16 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Daniel le 22/05/2012 18:24
Un propos attire mon attention : "Et il insiste ensuite sur la possible correction des textes slavons qui peuvent être erronés". Pourriez-vous détailler ce que Saint Andronique évoquait comme erreurs possibles? C'est embêtant ça et contredit la thèse du calque parfait slavon ou de la traduction parfaite en slavon.

Vous dites : "Depuis des siècles les Orthodoxes ont choisi de prier en utilisant des langues traditionnelles qu'ils ne parlent pas et ne comprennent pas parfaitement. Ils font l'effort d'apprendre les prières, d'adhérer à ces offices et cette façon de faire à été sanctifiée par tous ces croyants, qui ont compté parmi eux de très nombreux saints; tous les néo-martyres sont en particulier dans ce cas. (1) "

Voici le bilan par églises autocéphales :

Constantinople : grec liturgique
Alexandrie : large majorité de langues vivantes africaines et européennes (français et anglais)
Antioche : arabe
Jérusalem : arabe prédominant, je pense car la majorité de fidèles sont arabes mais le grec est sûrement utilisé comme l'épiscopat est grec
Russie : slavon prédominant
Géorgie : géorgien ancien très largement prédominant
Serbie : serbe et slavon en forte diminution (le passage au serbe débute au début du 20e siècle)
Bulgarie : slavon prédominant
Pologne : slavon prédominant
Grèce : grec liturgique
Chypre : grec liturgique
Albanie : albanais mais aussi grec pour les régions peuplées de Grecs
Roumanie : roumain (passage au roumain au 18e siècle)
République tchèque et slovaquie : slavon prédominant je suppose

Ce qui donne 6 églises autocéphales en langue moderne, 4 en langue ancienne (grec et géorgien) et 4 avec une langue purement liturgique qui a été créé pour des besoins liturgiques (le slavon).


Eglises autonomes :

OCA : anglais prédominant
Japon : japonais
Chine : vu la misère de l'orthodoxie chinoise, difficile de répondre, mais la mission initiale fonctionnait en chinois entre autre
Finlande : finnois
Mont Sinaï : grec je suppose
Ukraine et Bélarussie : slavon

Pour les langues dans lesquels priaient les saints occidentaux, je ne vois pas très bien ce qu'est un saint occidental. Ayant vécu en Occident? Les exemples cités sont ceux d'immigrés ou de réfugiés qui avaient donc l'habitude de prier dans une langue donnée, habitude qu'ils ont gardées en émigrant, ce qui est logique et naturel. Saint Jean de Shangaï a aussi célébré et donc prié en français... Ainsi Saint Raphaël de Brooklyn a prié pour sûr en arabe langue moderne, mais ce n'est pas la langue qui fait la sainteté.

2.Posté par vladimir le 24/05/2012 12:52
Une amicale provocation m'a lancé dans l'analyse d'une magnifique stichère des mâtines de l'Ascension:
- En slavon: "Возшел еси Христе к Безначальному Отцу Твоему, неописанных Его недр не разлучивыйся, *и прилог силы хваления трисвятаго не прияша*, но Единаго Сына и по вочеловечении познаша Тя Господи, Единородна Отцу: во множестве щедрот Твоих помилуй нас."
- Traduction (*): "Ô Christ, tu es monté * vers ton Père éternel, * dont tu n’avais pas quitté le vaste sein, * et les Anges ne firent pas d’ajout à la louange du Trois-fois-saint ; * même après l’Incarnation * ils virent en toi seulement*le Fils unique du Père * qui, dans l’abondance de son amour, * Seigneur, a pitié de nous."

Même en le lisant, je ne comprend pas complètement le texte slavon mais la traduction française, dont je comprends les mots, ne me parait pas claire non plus et, surtout, en grande partie fausse.

- entre "/Son/ vaste sein" et "неописанных Его недр" il y a plus qu'une nuance. "Ineffable sein" correspondrait mieux
- la traduction par "ajout des Anges à la louange" ne me satisfait pas mais je n'ai rien à proposer car je ne comprends pas "прилог силы хваления": Si "Anges" veut traduire "силы" (nominatif pluriel) il y a glissement du sens, les "Forces" étant une catégorie d'anges particulière, et si "силы" est un génitif singulier de quel force (sans majuscule) s'agit-il?
- Dans "ne firent pas" je ne retrouve pas "не прияша" et là il peut y avoir un écart théologique: s’agit-il de ne pas accepter/prendre le surplus de louange (не приять) ou de ne pas ajouter à la louage?
- entre "Amour" et "щедрот" il y aussi une différence: "largesses" serait plus exact.

Conclusion: cet exemple montre à quel point la traduction change le sens et nous fait dévier de l'original... Maintenant il faudrait revenir au grec pour vérifier si le slavon ne le trahit pas ... mais j'en suis totalement incapable!

En tous les cas, cet exemple confirme aussi bien la pensée de saint Andronic: "Oui, le slavon est beaucoup plus expressif et plus profond que le russe même le meilleur. … comme le texte slavon est plus profond et plus proche de l'original et comme, à l'inverse, la traduction russe est inexpressive, allant souvent jusqu'à quasiment occulter la vraie pensée des sublimes enseignements pauliens.."

Mais de fait, durant l'office je ne m’arrête pas au sens et j'adhère à la Liturgie comme par une forme de contemplation mystique: je suis prêt à chercher le sens profond des textes, mais seul j'en suis incapable - même si je comprends les mots il me faut un guide et cela ne peut se faire qu'en dehors de l'office. En l'état actuel, les traductions bancales plaquées sur des musiques qui ne leurs conviennent pas me choquent et m'excluent de la participation au Règne. Je préfère encore un culte en français, bien terre à terre et sans vision du sacré, mais sans rien d'artificiel, et où tout le monde participe gentiment ... comme à un feu de camp scout! Je n'ai jamais eu l'occasion de participer à un "rite occidental" mais j'imagine que, là aussi, la langue et le rite correspondent plus naturellement (les frères Kovalevsky ont écrit des musiques pour cela)…

(*) Pentecostaire, Traduction père Denis Guillaume, édité par la Diaconie Apostolique, 1994, p.364

3.Posté par Daniel le 25/05/2012 11:56
@ Vladimir

Ce n'est pas une provocation...

Vous ne comprenez pas "прилог силы хваления" qui traduit "ajout des Anges à la louange" mais moi non plus je ne comprends pas ce que veut dire "d’ajout à la louange du Trois-fois-saint". Parfois, les auteurs des canons écrivent avec des allusions peu nettes... et peu évidentes. Un exemple est "L'homme au verbe malaisé" (en français) pour désigner Moïse.

Naturellement, au vu des exemples que vous montrez, les termes français ne sont pas entièrement équivalents; il n'y a pas contresens pour autant. Beaucoup d'entre nous ont dit que la traudction française était perfectible, devait être revue avec honnêteté et sérieux à partir de l'original. La critique est facile, l'art est difficile et je ne jette donc la pierre qu'aux traducteurs qui font le choix de contresens. Je vais comparer avec ma version espagnole traduite de l'arabe (à priori).

Cela dit, j'ai du mal à participer au Règne quand j'entends :

"Bozchel iéci Khriste k Biéznatchal'nomou Otsou Tvoïémou, néopicanikh Yévo niédr nié razlytchivicia, i prilog cili khvaliéniya tricbiatago nié priasha, no Yédinago Cina i po etc"

J'ai essayé de retranscrir les choses telles que je les entendrais et dans cette phrase je ne reconnais que Otsou pour le père, Cin pour le fils, Gospodi pour Seigneur et pomiluï nas... Croyez-moi, ce n'est pas facile!! Je ne suis pas un contemplateur mystique, n'en ai pas la prétention (je ne pense pas que mon confesseur qui m'avait cité cette sentence : "Quand tu vois ton frère en prière léviter, rattrape-le et remet le au sol" apprécierait le concept), et encore faudrait-il que la "contemplation mystique" soit en accord avec ce qui se passe au moment de l'office. Il serait ennuyeux de contempler mystiquement la crucifixion alors qu'on parle au moment même de la Dormition... Mais dans certains cas, je peux saisir le sens des textes (je ne vais dire profond, restons modeste) pendant l'office (sans avoir à aller consulter des encyclopédies chez moi) quand il y a des choses évidentes qui sont dites mais il me faut saisir la langue... Par ailleurs, le fait d'entendre le texte dans une langue comprise force à se concentrer sur ce qui est dit et donc bride un peu l'esprit un rien prompt à divaguer alors que la contemplation mystique peut mener à des endroits peu recommandables (je pense à l'illusion spirituelle)

Et pourtant notez que je suis de ceux qui disent qu'on peut suivre la liturgie dans n'importe quelle langue, même en tibétain ancien, car elle a une part fixe très importante qu'on finit par assimiler mais pour les parties variables...

4.Posté par vladimir le 25/05/2012 19:20
Bien cher Daniel
Merci pour votre commentaire 1. Je vais y revenir dès que j'ai un peu de temps.

Pour votre 3, la "provocation" consistait à prouver que l'office en slavon est incompréhensible. Démonstration réussie à 100%... Sauf que la traduction est aussi obscure et en partie fausse. Mon "provocateur", qui connait le slavon et le grec, m'explique:

"La stichère dit d'une manière poétique, que les anges, qui sont à l'origine de l'hymne du Trisagion n'ont pas vu la nécessité de modifier cette hymne après l'Incarnation, parce que la divinité du Verbe est restée pleine, entière et inchangée: pas besoin de modifier Saint Fort, il est immuable, même après l'Incarnation." Magnifique! Lympide!

Et pour le reste, il me démontre qu'elle n'est pas si fausse qu'elle semble aux Russes qui connaissent mal le slavon (comme moi), du fait du "glissement de sens entre slavon et russe avec le temps, ex: jivot = vie -> ventre en russe." J'ajouterais le très connu krasny = beau -> rouge en russe… Cela répond en partie à votre question sur "la correction du slavon".

Sa démonstration principale porte sur "неописанны": "Le terme grec correspondant est ἀπέριγραπτος (ἀ - privatif, πέρι – autour, γραπτος - vient de γραφω écrire) et veut dire vaste, infini, immense s’il s'agit d'un lieu (dictionnaire Bailly), "dont on ne peut décrire le tour" (en géométrie dont les Grecs étaient friands, une figure non-inscriptible est une figure (généralement un polygone) que l'on ne peut inscrire dans un cercle). Dans la traduction anglaise c'est "uncircumscribed" (un-circum-scribed), donc le calque du mot grec et "не - о - писанны" est le calque du mot grec en slavon (mais plus en russe) … Si ce mot en russe a pris le sens d'indescriptible ou d'ineffable, le slavon s'est "contenté de recopier" le mot grec. Donc c'est le chrétien russe qui, ne comprenant pas le slavon, trahit le sens que le slavon conserve comme copie du grec jusqu'à aujourd'hui. D'où l'urgence de remettre dans un langage compréhensible par les contemporains des beaux textes qui sans cela deviendront lettres mortes sauf pour ceux qui ont terminé le séminaire. L'exemple de *uncircumscribed* est intéressant comme calque, en français ce serait "incirconscriptible" (c'est imprononçable) et on comprend que le père Denys ait préféré vaste."

Pour moi, "vaste" n'est pas immense ni infini et il y a donc bien déperdition du sens car les profondeurs (sein si on veut, traduction faible couramment admise: par exemple dans la prière pour les défunts figure dans ce sens "le sein d'Abraham") divines sont au moins immenses, voire insondables. C'est bien le problème de la traduction: il faut essayer de rendre et le sens et la forme: si "incirconscriptible" n'existe pas en français, "insondable" rendrait peut être le mieux cette idée d'impossibilité …

Mais surtout cette démonstration montre bien les limites de la traduction: elle fausse le sens et n'explique pas tout. Cela qui confirme la pensée de saint Andronik: la traduction est utile comme moyen d'explication, mais ne saurait remplacer l'étude… Oui, cela demande un effort, mais l'effort n'est-il pas à la base du Christianisme? Comment "devenir parfait comme le Père" sans faire d'effort?

Vous me dites que vous saisissez quelques mots (et vous connaissez les lettres!). Si vous aviez eu ce texte en face du texte slavon le problème était résolu comme pour moi… restait à prévoir la note explicative pour la partie essentielle – la non nécessité de modifier le Trisagion…

Cette démonstration confirme aussi le passage ou saint Andronik parle de la fadeur de la traduction… Et nous en arrivons à la contemplation mystique qui, pour moi, fait AUSSI partie de la tradition orthodoxe: ne me faites pas dire qu'il n'y a QUE cela, mais il doit y en avoir une part et, à force de l'évacuer sous diverses accusations (piétisme, obscurantisme, superstition…), on en arrive aux cultes protestants et catholiques, rationnels, aseptisés, "clean" …

5.Posté par vladimir le 26/05/2012 17:36
Bien cher Daniel,

Merci donc pour votre intéressant commentaire 1. Vous y donnez nombre d'informations intéressantes, et j'y reviendrai plus bas, mais vous n'y abordez pas le fond de mon article: traduire pourquoi et pourquoi-faire?

POURQUOI TRADUIRE: Pourquoi les Orthodoxes s'en sont passé pendant des siècles et s'y refusent encore aujourd'hui? D'où vient donc cette demande? "Cette idée n'est pas née dans l'Eglise orthodoxe, ni dans sa hiérarchie ni parmi son peuple" dirais-je en paraphrasant le métropolite de Kiev (ibid. (3). Elle est dans la suite logique de la Réforme (traduction de la Bible par Luther, cette même Vulgate qui servait de base à la traduction en russe qui fut condamnée par le Saint Synode), comme on le voit dans la source anglaise des "Sociétés bibliques" qui s'y attaquent; elle se propage au catholicisme avec l'apothéose de l'abandon de la messe en latin pour que tous comprennent et participent. La traduction est donc le résultat d'une exigence "moderne" occidentale qui progresse dans l'Orthodoxie depuis le début du XIXe siècle, avec un succès variable selon les Eglises et l'exception spécifique de l'Eglise de Roumanie, seule à avoir officiellement opté pour une langue vernaculaire moderne (première traduction complète de la Bible en 1688 et remplacement du slavon par le Roumain au XVIII-XIXème siècle).

NB: on me rétorque souvent que les textes slavons sont une traduction et qu'il aurait donc fallu en rester au grec, mais c'est clairement un malentendu ou un procès d'intention. Comme il n'y a pratiquement jamais correspondance parfaite entre mots et concepts dans deux langues différentes, le propre de toute traduction c'est de choisir parmi plusieurs mots possibles dans la langue vers laquelle on traduit celui qui rend le mieux, d'après le traducteur, la pensée de l'auteur exprimée dans la langue source. Nous en avons une bonne illustration dans la stichère citée avec le choix de l'adjectif "vaste". Mais, comme le montre aussi cet exemple, la démarche du passage au slavon a été différente puisque les saints traducteurs ont crée des CALQUES: le mot "неописанны" n'existait peut-être pas en vieux bulgare, ou n'avait pas ce sens là, mais les traducteurs l'ont plaqué comme cela. De la même façon "Богородица" a été calqué sur "Theotokos" et il y aurait une multitude d'exemples comme cela, sans compter les mots grecs repris tels quels: alléluia, axios, myron, panaghia, odigitria, Deisis, … Et c'est pour cela que le slavon n'a pas eu de problème pour s'adapter aux offices byzantins: il été fait pour cela!

NB 2: d'autre disent que les textes ont été traduits dès l'Eglise ancienne. Bien entendu, mais ces traductions se sont stabilisées au premier millénaire et, pendent plus de 1000 ans, plus personne n'en a plus éprouvé le besoin avant le réveil protestant. Eux aussi affirment revenir aux sources et traduire pour cela…

TRADUIRE POURQUOI-FAIRE?

A l'heure actuelle, et comme le dit déjà saint Andronik, personne ne conteste plus l'utilité de la traduction pédagogique: "il serait très utile de traduire en russe au moins une partie des textes des offices pour un usage domestique et personnel, de sorte que l'utilisation d'une telle traduction permette de mieux approfondir le sens du texte slavon." Toute mission commence par la traduction des Ecritures, puis des principaux textes des offices… cela ne signifie pas que les offices sont traduits et j'avoue ne pas avoir d'information précise là-dessus. Donc oui, traduire et "faire étudier et expliquer les offices pour les rapprocher de la compréhension des fidèles afin qu'ils en deviennent des participants conscients." Mais " il ne faut absolument pas traduire nos offices orthodoxes en russe" ou, j'ajoute, en une autre langue. Pour ma part, je pense qu'il est tout à fait satisfaisant d'introduire des partie traduites dans nos lectures, pour des raisons pédagogiques et missionnaires, mais, je le répète, les traductions bancales plaquées sur des musiques qui ne leurs conviennent pas nous font perdre une bonne part de la beauté mystique qui caractérise nos offices orthodoxes.

Et remarquons que les Occidentaux de souche les plus impliqués apprennent le slavon, comme Mgr Gabriel de Comane, le père Quentin de Castelbajac et bien d'autres… (je ne connais pas d'exemple pour le grec, mais je suis bien certain qu'il y en a…)

AUTRES COMMENTAIRES:

CORRIGER LE SLAVON: saint Andronik ne spécifie pas de quoi il s'agit mais Mgr Hilarion de Volokolamsk et d'autres y sont revenus récemment. Il s'agit d'abord de palier le glissement sémantique du à l'influence du russe moderne: l'exemple cité montre que "неописанны" n'est plus compris comme le calque de ἀπέριγραπτος et il faut donc changer le mot pour rendre au texte sa signification. Allant dans ce sens, soulignons que tous les textes slavons sont publiés en utilisant une police cyrillique moderne, dont les caractères se distinguent nettement de ceux du slavon ancien, mais cela permet à tous les slaves orthodoxes de lire les textes slavon (même sans tout comprendre!) Je ne sais pas si c'est bien cela que saint Andronik avait en vue, mais c'est bien cela qui s'applique de nos jours…

"GEORAPHIE LYNGUISTIQUE": très intéressant mais invérifiable faute de sources. Quelques remarques à partir de mes informations:
- Constantinople me semble majoritairement passé à l'anglais, la majorité des ses fidèles se trouvant aux USA et officiant dans la langue locale à ma connaissance (Tchetnik peut-il éclaircir ce point?)…
- Jérusalem: toutes les transmissions d'offices que j'au vues étaient en grec
- Russie: russe très minoritaire et se heurtant à une forte opposition
- Serbie: passage au serbe très controversé. Refusé par l'Eglise schismatique de Macédoine et les vétéro-calendaristes.
- Bulgare: situation voisine de la Russie
- OCA: vous êtes le premier à la classer en Eglise autonome; le statut d'autonomie a été clarifié à Chambésy et ne saurait convenir, car une Eglise autonome n'est pas détachée de son Eglise-mère (confirmation du Primat et des évêques, myron…). Toujours par référence à Chambésy, l'OCA est engagée dans la voie de l'autocéphalie même si le processus n'est pas achevé (le récent incident en entre Constantinople et le métropolite de Prague (1) a montré que le processus peut être long!). Pour ce qui est de la langue liturgique, Serge Schmemann, journaliste, fils du père Alexandre, constatait récemment un retour en force du slavon sous l'influence des nouveaux migrants…

Vous omettez des Eglise autonomes importantes:
- Ukraine: slavon
- Moldavie: roumain
- Kazakhstan: slavon
- Estonie: slavon pour l'Eglise majoritaire (Moscou), estonien ou grec pour l'autre (Constantinople)

SAINTS EN OCCIDENTS: j'ajouterais que saint Jean de Shanghai a non seulement célébré et donc prié en français, mais il a aussi béni le "rite occidental" en France et aux USA.

(1) http://www.orthodoxie.com/actualites/constantinople-prague-echange-de-lettres-entre-le-patriarche-oecumenique-et-le-metropolite-de-prague/

6.Posté par Daniel le 26/05/2012 19:52
Je pense au contraire que le mouvement de traduction n'est pas une influence protestante. La première traduction est la Septante en grec, à partir de l'hébreu, La question fut purement pratique : il y a des juifs dans la diaspora qui ne connaissent pas l'hébreu... Que fait-on? Réponse, on traduit en grec, ce qui ne dénie pas l'intérêt d'apprendre l'hébreu. A cette époque, Luther était loin d'être né.

Par la suite, la traduction s'est encore justifiée par l'incompréhension de la langue liturgique. Les Roumains ne comprenaient plus le slavon, les Arabes ne comprenaient plus le grec à Antioche, les Japonais n'ont jamais compris le slavon... Pour la Serbie, je n'ai pas noté d'opposition au passage au serbe, il n'y a pas eu de schisme sur cette question. Les vieux-calendéristes sont un petit nombre en Serbie et c'est la question de l'oecuménisme qui enflamme les débats...

Il est souhaitable que des gens apprennent les langues liturgiques et les langues anciennes, mais soyons réalistes, cela demeurera une minorité de gens... On peut être impliqué dans son église sans pour autant apprendre ses langues car pendant que certains les apprennent, il y a aussi d'autres tâches pour l'église à effectuer... Tant que la langue liturgique peut-être comprise sans trop d'efforts, l'intérêt de traduire est faible. Or la langue évolue lentement, ce qui explique le gel des traduction pendant longtemps. Mais quand elle n'est plus comprise ou quand on aborde un nouveau peuple avec une démarche missionnaire que ce soit au Japon, aux Etats-Unis, en France, la question de la traduction ne manque pas de se poser. D'ailleurs typiquement, chaque peuple a reçu la bonne nouvelle dans SA langue depuis la Pentecôte avec textes sacrés et liturgiques pour célébrer dans sa langue...

Mais même en Russie où on utilise le slavon, celui-ci adopte certains mots russe pour plus de compréhension : jivot (vie) est ainsi devenu jin pour éviter la confusion avec ventre etc. C'est aussi une forme de traduction!

7.Posté par Daniel le 30/06/2012 09:50
Je note, dans la recension du dernier livre du métropolite Hilarion:

"Contre une certaine idolâtrie que manifestent les conservateurs à l’égard du slavon, il constate que les textes liturgiques comportent assez souvent des fautes de traduction malheureuses par rapport aux textes grecs originaux, outre qu’ils sont aujourd’hui en partie hors des possibilités de compréhension du commun des fidèles;"

Bon au moins, c'est dit clairement, la traduction slavonne n'est pas non plus parfaite...

http://www.orthodoxie.com/lire/recension-metropolite-hilarion-alfeyev-de-volokolamsk-lorthodoxie-tome-2-la-doctrine-de-leglise-orthodoxe/

8.Posté par vladimir le 30/06/2012 15:39
Bien cher Daniel
La suite de l'excellent texte que vous citez en 7 est importante: "mais d’autre part, il note, pour tempérer l’ardeur des progressistes qui veulent russifier l’ensemble des textes liturgiques, que les traductions modernes existantes ne sont guère à la hauteur, se montrant même parfois partiales ou triviales" "

Sachant que les traductions en français sont nettement plus faibles que celles en russe, il y a bien de quoi " tempérer l’ardeur des progressistes qui veulent FRANCISER l’ensemble des textes liturgiques"

Tout cela montre bien à quel point la conclusion de saint Andronik est toujours valable: oui, IL FAUT TRADUIRE pour mieux comprendre et explique; oui, il faut corriger les imperfections du slavon... mais passer complètement en langue vernaculaire amène une déperdition de sens (exemple commentaire 2) et la perte totale des composantes non rationnelles, comme la poésie et la musique des mots, qui constituent une part essentielles de la Liturgie pour une majorité d'Orthodoxes.

Pour revenir sur votre 6, faire commencer les tentatives modernes de traduction à la Bible de Luther me semble pourtant assez largement accepté; vous remontez évidement à la Septante (IIIe siècle avant JC), vous pourriez aussi citer les traductions en latin, achevée vers le Ve siècle à ma connaissance... puis pratiquement rien pendant 1000 ans (nous sommes d'accord que le "calque" slavon n'est pas une véritable traduction) et voilà Luther (1534)... Pour ce qui concerne la traduction des textes orthodoxes, le paragraphe que je cite ("cette idée n'est pas née dans l'Eglise russe, ni dans sa hiérarchie ni parmi son peuple, elle vient plutôt de la même source que l'idée d'une traduction en grec moderne: elle vient d'Angleterre, ce petit nid de toutes les hérésies, des sectes et de la révolution") est extrait de la réponse du métropolite de Kiev à l'Ober Procureur du Saint Synode à propos de la traduction de la Bible en russe (1856, cité par Florovsky. Cf. (2) dans l'article). Le métropolite est farouchement opposé à ce projet de traduction, parlant de "traductions impies" et fait état de ses craintes de voir surgir l'idée de traduire aussi les textes liturgiques... idée qu'il combat à l'avance avec les arguments que saint Andronik reprend dans son rapport au Concile. La traduction de la Bible en russe ne sera officiellement entreprise par le saint Synode qu'en 1858, après la mort du métropolite de Kiev... (ibidem)

9.Posté par Daniel le 30/06/2012 18:04
"Franciser", j'ignore ce que cela veut dire... Traduire en français, je le sais en revanche... J'attends avec impatience que vous corrigiez les erreurs qui existent en slavon... A moins de repasser au grec le temps de corriger ces erreurs... Soyez logique, il faut commencer par nettoyer sa propre port pour montrer l'exemple.

10.Posté par Daniel le 30/06/2012 19:35
@ Vladimir

Je crains que le métropolite en question n'ait raté quelques épisodes de la vie de l'Eglise de Russie où l'on traduisit au traduisait notamment pour les peuples non slaves de l'Empire : ziriane, estoniens, peuples en Asie centrale. Si mes souvenirs sont bons une grande partie de ce travail se faisait à Kazan, avant Luther... S'il avait été logique avec lui-même, il aurait dû célébrer en grec également.

Ce qui motive la traduction est la nécessité pastorale : en général, l'évangélisation va de pair avec la traduction dans une langue comprise par le peuple évangélisé. Une mission sans traduction désolé, mais je n'ai jamais vu cela. Dans l'extrait de la vie du Saint Apôtre Bartholomée, je lis : "The Apostle Bartholomew set off to India, and there he translated from Hebrew the Gospel of Matthew, and he converted many pagans to Christ. Donc cela voudrait dire primo que l'Evangile de Matthieu était en hébreu et non en grec (le grec étant une traduction), mais aussi qu'il fut traduit depuis l'hébreu dans une langue indienne.

http://www.holytrinityorthodox.com/calendar/ Aller au 24 juin du calendrier civil et cliquer sur le nom en gras Bartholomew pour avoir sa vie.




11.Posté par vladimir le 30/06/2012 23:02
Je me permets de penser, bien cher Daniel, que le métropolite de Kiev connaissait bien la réalité de la vie de l'Eglise russe, qu'il vivait personnellement: il était considéré comme une référence et l'Ober-Procureur du Saint Synode, véritable "patron" de l'Eglise depuis la réforme de Pierre le Grand, se référait à son opinion. Mais d'où tenez-vous que ce sont bien les textes liturgiques qui ont été traduits en "ziriane, estoniens, peuples en Asie central" et pas seulement les Ecritures? Pour ce qui concerne les peuples d'Asie central, par exemple, les traductions en kazakh (les Kazakhs en sont le peuple le plus important et le premier intégré à l'Empire) sont à peine entamées actuellement (il en est question dans les différents articles sur le Kazakhstan que j'ai postés sur ce site...)

Pour Kazan je pense que vous vous trompez d'époque: c'était la capitale d'un khanat tatare musulman jusqu'en 1552 (conquête par Ivan le terrible). La conquête de la Sibérie date de la même époque et les traductions des Ecritures (et uniquement elles!) en langues locales datent de la fin du XIXe (Kazan a alors été un centre pour les traductions en langues turciques, dont le kazakh…). La traduction en anglais pour les Amériques a été commencée par l'Eglise russe, saint Tikhon étant alors métropolite, au début du XXe... Tout cela est bien postérieur à Luther et au " petit nid de toutes les hérésies ".

Il me semble que vous créez un amalgame entre les deux aspects que je distingue (en suivant la plupart des représentants de l'Eglise russe, de saint Andronik à Mgr Hilarion de Volokolamsk): la nécessaire traduction pédagogique, qui peut aussi être éventuellement introduite dans les offices avec discernement, dans un but explicatif et missionnaire, et " l’ardeur des progressistes qui veulent russifier (franciser) l’ensemble des textes liturgiques". Je crois vraiment qu'il faut les distinguer et je me place résolument pour la première solution et contre la seconde…

J'imagine que votre remarque concernant la correction des " erreurs qui existent en slavon" tient de l'humour: la dernière fois que cela a été tenté (par le patriarche Nikon en 1653), il en est résulté le schisme des Vieux Croyants qui n'est toujours pas résorbé…

Merci pour la référence à la vie du Saint Apôtre Bartholomée. Cela n'a rien à voir avec notre débat, qui concerne les tentatives modernes de traductions, mais cela m'ouvre un nouvel horizon: je croyais que tous les textes canoniques étaient en grec depuis le concile de Nicée et le "De doctrina Christiana" de saint Augustin. Ainsi la Septante est la seule version de la Bible valable canoniquement et "là où celle-ci diffère du texte hébreu (ce qui arrive assez souvent) l'Orthodoxe croit que les différences sont dues à l'inspiration du Saint Esprit et qu'elles doivent être acceptées comme une part de la continuité de la Révélation de Dieu" (In Kallistos Ware, évêque de Diocleia, "L'orthodoxie. L'Eglise des sept Conciles", Cerf Paris 2002, p.257-258)

Croyez bien que j'apprécie toujours vos remarques, érudites et constructives (malgré les petites erreurs de datation relevées au début) et j'espère bien que nous continuerons ensemble à rechercher la vérité de l'Eglise sur toutes ces questions.

12.Posté par Daniel le 01/07/2012 13:11
@ Vladimir

Vous citez : "là où celle-ci diffère du texte hébreu (ce qui arrive assez souvent) l'Orthodoxe croit que les différences sont dues à l'inspiration du Saint Esprit et qu'elles doivent être acceptées comme une part de la continuité de la Révélation de Dieu"

C'est une réflexion typiquement erronnée qui voudrait que le texte hébreu de la massorétique soit un original et la traduction de la Septante fait à partir de cet original qui serait la massorétique. Que nenni! La Septante est une traduction d'un original hébreu antérieur à la massorétique. Donc les orthodoxes pensent que la Septante est une traduction correcte et acceptée d'ailleurs par les Juifs, quand ces derniers étaient d'ailleurs le Peuple de Dieu, alors que la massorétique a été compilée ultérieurement avec des intentions anti-chrétiennes par des Juifs. En somme, ce n'est pas la Septante qui diffère de la massorétique mais l'inverse.

Pour la traduction des textes liturgiques en zyriane, je suis référé à ce lien :

http://www.histoire-russie.fr/icone/saints_fetes/textes/etienne_perm.html

"Saint Etienne traduisit en langue Zyryani le Chasoslov [le Livre d'Heures], le Psautier, les lectures choisies de l'Evangile et les Epîtres, le Paroemnik [les lectures liturgiques de l'Ancien Testament], le Stikhirar [les stichères des Offices], Oktoikhon [le traité des Huit Tons], plusieurs offices de fêtes et la Divine Liturgie. " C'était au 14e siècle. Luther n'était pas né.


13.Posté par vladimir le 01/07/2012 22:37
Bonne fête de dimanche bien cher Daniel,

Merci pour ces détails. Je n'identifiais pas réellement les "Zyrianes", plus connus actuellement sous le nom de Komis, peuple de Russie du Nord dont j'ai effectivement visité la capitale Syktyvkar, et je ne pensais pas que cette traduction ait été aussi ancienne et complète… Merci pour l'information. Il est par contre certain que les traductions en estonien et langues d'Asie ou d'Amériques sont nettement plus tardives comme je le signalais.

Pour la Bible en hébreux, je ne crois pas que Mgr Kalistos fasse référence uniquement au texte massorétique. En effet, si ce texte a été imposé comme seul canonique au Juifs après la destruction du Temple, les milieux académiques actuels le considèrent comme une variante parmi d'autres versions en hébreux (Bible Samaritaine, Manuscrits de Qumrân) qui présentent tous des divergences entre elles et avec la Septante. Je pense que Mgr Kalistos est un assez bon spécialiste du domaine pour ne pas imaginer qu'il se trompe là-dessus.

Pour conclure sur le fond de la question, la traduction des textes liturgiques orthodoxes, je vois trois positions principales dans le débat:
• Les conservateurs qui manifestent une certaine idolâtrie à l’égard du slavon (en reprenant les termes de Mgr Hilarion) et ne tolèrent aucune idée de modification des textes: ce groupe me parait majoritaire parmi les Orthodoxes pratiquants dans les pays de tradition orthodoxe (55% en Russie comme mentionné dans l'article) et trouve aussi des soutiens parmi les hiérarques.
• Les progressistes qui veulent russifier/franciser/passer en langue vernaculaire l’ensemble des textes liturgiques: très minoritaire parmi les Orthodoxes pratiquants dans les pays de tradition orthodoxe (son plus ardent partisan en Russie, le père Georges Kochetkov, avait été interdit ad divinis…), cette position tient le haut du pavé dans les pays occidentaux mais je ne lui connais pas de références qui fassent réellement autorité.
• Une voie médiane consistant à concilier la nécessaire traduction pédagogique, éventuellement introduite dans les offices avec discernement dans un but explicatif et missionnaire, et la conservation de la base des textes en langues traditionnelles pour ne rien perdre ni de leur sens profond ni des composantes non rationnelles (poésie, musique des mots) qui constituent une part essentielles de la Liturgie. Cette option me semble actuellement retenue par une majorité de nos paroisses ici; ainsi, il y a quelques années, Mgr Gabriel de Comane avait défendu cette position en disant qu'il y avait assez de traductions disponibles pour que chacun puisse suivre en français des offices en slavon…Et cette position s'appuy sur l'avis d'autorités ecclésiales comme saint Andronik ou le métropolite Hilarion de Volokolamsk.

Je suis personnellement toujours un peu gêné par les positions radicales, qui se croient seules dépositaires d'une vérité révélée. Aussi, si j'admets parfaitement le droit à l'existence des deux premières options là ou leurs partisans peuvent se retrouver entre eux, sans chercher à imposer leur point de vue aux autres, je crois que c'est évidement la troisième qui correspond le mieux aux besoins de l'Eglise dans le monde actuel.

14.Posté par Daniel le 02/07/2012 16:09
Merci pour cette information... Je n'étais pas sûr que les zyrianes et les komis soient une seule et même personne, ou un peuple pour être précis. Je vous rejoins sur les 3 positions que vous distinguez. La question que je me pose est de savoir s'il y a jamais eu un peuple qui n'ait pas été évangélisé dans sa langue (je prends le monde orthodoxe ou les églises qui ont été orthodoxes au moment de cet évangélisation). J'ai l'impression qu'évangélisation a toujours rimé avec passage à la langue directement comprise...

15.Posté par Vladimir le 07/07/2012 17:57
Bien cher Daniel

C'est une idée intéressante de regarder les langues d'évangélisation car la traduction des textes liturgiques ne me semble pas être la règle:
- Dans l'antiquité, après la traduction en latin, achevée vers le Ve siècle semble-t-il, je ne suis pas certain qu'il y ait eu des traductions; les "rites occidentaux", développés en langues locales (lesquelles?) n'étaient justement pas des traductions …
- Au Moyen-âge, à part le calque du slavon, je ne vois pas vraiment de traductions: les Roumains officiaient en slavon jusqu'au XVIIe siècle, les Allemands ont attendu Luther pour la Bible, je n'ai jamais entendu parler de traduction en lituanien, polonais, letton, finlandais ou estonien avant le XIXe, voire XXe siècles…
- En Russie, on a donc traduit en ziriane/komi, mais pas en oudmourte, en tatar, evenk ou tchoukhtche…
- Je ne parlerai pas de l'évangélisation des Amériques ou de l'Afrique.

Il semble donc bien que tout dépendait de la personnalité et de la volonté des missionnaires.

Pour ce qui concerne les textes orthodoxes en Occident, il me parait difficile de considérer l'Europe occidentale comme terre d'évangélisation, sauf à considérer de même les pays de tradition orthodoxe… ce que certains "missionnaires" n'hésitent pas à faire.

16.Posté par Vladimir le 19/07/2012 02:37
Je voudrais verser au débat un nouveau témoignage personnel: je viens de visiter le "Lazaret de Arméniens" à Venise dans le cadre d'une visite commentée par un père moine arménien et il a donné des précisions intéressantes.

1/ L'Arménie a été évangélisée par les apôtres Thaddée et Barthélemy puis par saint Grégoire l'Illuminateur (vers 257 - 331) et devint le premier royaume chrétien par la conversion du roi Tiridate IV en 301. Mais il n'y eut aucun texte traduit en arménien avant le Ve siècle, quand Mesrop Machtots créa l'alphabet arménien, la Bible devenant le premier livre écrit dans cette langue (405). L'évangélisation aux IIIe et IVe siècles s'est faite en utilisant les textes grecs.

2/ / La langue liturgique actuelle de l'Église apostolique arménienne est l'arménien ancien, langue morte que la majorité des fidèles ne comprend pas plus que les Russes ne comprennent le slavon...

3/ Les Arméniens ne sont pas monophysites et considèrent le monophysisme condamné à Chalcédoine comme une hérésie; ils adhèrent à la doctrine formulée par saint Cyrille d'Alexandrie et fixée en 726 (synode de Manazkert) dont j'ai trouvé cette formulation: « L'unique nature du Verbe de Dieu s'est faite homme, en prenant une chair corruptible et mortelle, comparable à celle d'Adam après la chute ; mais, par le feu de sa divinité, le Verbe a rendu cette chair immortelle et incorruptible, comme celle du premier homme au paradis. En conséquence, le Christ est naturellement impassible. S'il est mort sur la croix, après avoir souffert, ce n'est pas l'effet de sa nature, mais la décision de sa volonté, en vue de notre salut. ». D'ailleurs l'Eglise d'Arménie est restée sous l'autorité de l'évêque de Césarée (patriarcat d'Antioche) jusqu'au synode de Dvin (553), quand elle devint indépendante. (Source: http://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/l_eglise_armenienne_histoire_et_apostolicite.asp).

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