«Tzar», un film de Pavel Lounguine
Avec un tel personnage, Pavel Lounguine se devait d'imposer un souffle imposant à ce moment d'une richesse dramatique intense. Il n'y parvient que par intermittences et passe donc à côté du grand film annoncé.
Nicolas Schiavi

Il a filmé les espoirs et les dérives de la perestroïka, avant de plonger au tréfonds de l'âme russe. Avec Ivan le Terrible, Pavel Lounguine s'attaque à l'un des personnages les plus complexes de l'histoire russe.
Pendant cinq mois, le réalisateur de "Taxi Blues", d'"Un nouveau Russe" et "L'île" a tourné ce film ambitieux, qui retrace la confrontation entre le tsar despotique et le métropolite Philippe, symbole de la conscience éclairée, à Souzdal, au coeur de la Russie éternelle.
"Pour moi, c'est un film sur la contradiction entre le pouvoir absolu et l'idée du Christ, de spiritualité. Il y a là quelque chose de profondément antinomique", explique Pavel Lounguine, dont le film est monté à Moscou en vue d'une sortie au printemps 2009.

Se croyant investi d'une mission divine dans une Russie en proie aux complots et au désordre, Ivan le Terrible (1530-1584) instaura un pouvoir absolu en écrasant, avec une cruauté légendaire, tous ceux qui pouvaient le gêner.
Dans ce climat de terreur, le métropolite Philippe, grand érudit, ami d'Ivan, osa se lever et dénoncer la tyrannie mystique du souverain, malgré la certitude d'une mort brutale. Il finit exilé dans un monastère, où un des hommes de main du tsar l'étouffa dans sa cellule.

"C'est l'histoire d'une amitié trahie, entre deux personnages très shakespeariens, dont l'un est devenu un saint et l'autre un monstre", constate Pavel Lounguine qui rejette toute idée de film politique et tout lien avec la Russie d'aujourd'hui, beaucoup plus "paisible", note-t-il.

«Tzar», un film de Pavel Lounguine
"Philippe, c'est un architecte, un ingénieur, une figure de la Renaissance comme Léonard de Vinci (...) Ivan le Terrible était un tyran, qui pensait vraiment remplacer Dieu sur terre."

Avec la chute de l'URSS, le "monstre" sanguinaire, "l'ennemi du peuple", semble avoir retrouvé une certaine aura, un statut de grand personnage de la Russie, tout comme Staline, certains suggérant même qu'il soit béatifié.

"Je reçois des lettres me demandant d'arrêter le film sur le thème "n'y touche pas avec des mains sales", raconte Pavel Lounguine, qui voit derrière ces menaces un mélange de relents "nationalistes, communistes, monarchistes, avec une légère touche d'orthodoxie réactionnaire".
A travers Ivan le Terrible, le réalisateur poursuit sa quête de spiritualité, qui lui a valu un grand succès en 2007 avec "L'île", un film sur la rédemption à l'esthétique époustouflante, l'histoire d'un marin repenti échoué dans un monastère où il devient une sorte de vieux sage.
"Il me semble que dans la Russie d'aujourd'hui, la question principale qui se pose, c'est celle du sens de la vie", note-t-il, en évoquant la fièvre consumériste qui s'est emparée du pays.
Après 70 ans de trou noir, de la Révolution d'octobre à la chute de l'URSS, une vague de films consacrés à des personnages historiques (Gengis Khan, le prince Vladimir, etc.) commence à émerger.
"Pour comprendre le présent, on se tourne vers le passé. Avant on vivait dans la peur, on survivait. Aujourd'hui on a besoin de se comprendre", esquisse le réalisateur. S’exprimant sur la contemporanéité de son film, Pavel Lounguine déclare : "C’est une métaphore de la Russie tout court. La différence aujourd’hui est que l’exercice du pouvoir ne découle d’aucune idéologie : la raison du plus fort est toujours la meilleure. Cependant Le Tsar rappelle la période stalinienne, il n’y avait alors pas de stratégie de survie possible et on pouvait disparaître sans raison. Aujourd’hui, la situation reste difficile mais le mode d’emploi est clair : respecter les règles permet de conserver la liberté, mais il y aura toujours les règles du pouvoir et celles du peuple."
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"TSAR"
Un film de Pavel Lounguine
Avec Piotr Mamonov, Oleg Iankovski, Youri Kuznetzov
Durée : 1h56

Rédigé par Xenia Krivochéine le 17 Octobre 2009 à 09:21 | 2 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Xenia Krivocheine le 06/11/2009 12:19
Un texte qui me paraît très pertinent. Le cinéma russe a produit ces tous derniers temps des films d'ordre religieux tous très réussis: "L'île", "Le pope", (financé par "L'Encyclopédie orthodoxe") "Le miracle de Samara" (Zoïno stoajanje), "Le tsar"...
Xenia Krivocheine

Le «Tsar» violent de Lounguine irrite les Russes
Projeté jeudi à Moscou, le nouveau film de Pavel Lounguine divise le pays.

Depuis la sortie, mercredi, dans les salles moscovites, du dernier film de Pavel Lounguine, Tsar, le public russe redécouvre Ivan le Terrible, l'un des personnages les plus sombres de l'histoire nationale. Tel qu'il est dressé par le réalisateur de Taxi Blues et d'Ostrov (L'Ile), le portrait de cet homme cruel et maladif, qui a assis son autorité monarchique sur le meurtre et la torture de masse, tout en faisant découler ses actes d'une intercession divine, trouble et divise le pays. Bien qu'habitués à la brutalité des reportages télévisés, les spectateurs russes jugent le film violent. Ce dernier, qui sortira en France le 11 janvier prochain, permet néanmoins au pays de s'adonner à son exercice favori : l'introspection.
La veille de la sortie en salle, le 3 novembre, l'Union des porte-bannières, une frange réactionnaire de l'Église orthodoxe, avait manifesté à Moscou, assimilant le film à une «parodie de la Russie et de son histoire». Cette date était chargée de symbole. Le lendemain, la Russie célébrait la journée de « l'unité du peuple», commémorant la victoire, en 1612, de l'armée populaire russe - alors guidée par l'Église orthodoxe - sur l'envahisseur polonais qui occupait Moscou. C'était trente ans après la mort d'Ivan le Terrible.
L'Union des porte-bannières a rappelé que le tsar « était un homme souffrant qui a essayé de construire un pays puissant à partir de petits royaumes épars ». Contrairement à Eisenstein qui, pour complaire à Staline, avait dépeint le Terrible sous les traits d'un unificateur de la terre russe, mu par une ambition de fer, Lounguine préfère creuser la paranoïa du personnage et insister sur ses échecs politiques et militaires. Parfois au détriment de la vérité historique, il met en lumière le personnage du métropolite Philippe, ami d'Ivan, qui tentera en vain d'arrêter le bain de sang et de faire prévaloir la vocation «humaniste» de l'Église. «La mythologie russe a toujours tourné autour du mal. Avec Philippe, j'ai voulu insérer dans mon film la figure du bien», explique Pavel Lounguine dans un entretien au Figaro. «Par ailleurs, les Russes s'appuient uniquement sur la mythologie et pensent que l'histoire n'existe pas, ce qui les empêche de rationaliser l'idée du pouvoir», ajoute le cinéaste. Ce dernier souhaite ainsi faire œuvre de pédagogie.
Il a pu développer ces idées lors d'une projection privée à la Douma, l'équivalent du Parlement, puis à l'occasion d'une rencontre publique avec le président russe, Dmitri Medvedev, mercredi. « Lounguine évoque les relations entre le pouvoir et l'Église et l'attitude de ce même pouvoir envers le peuple, ce qui est très intéressant d'un point de vue philosophique », a résumé un député, Arthur Tchilingarov.
Ce débat est au cœur des interrogations russes, chacun s'efforçant de dresser un parallèle entre les figures d'Ivan le Terrible, de Staline et de Vladimir Poutine aujourd'hui. Un film spécifiquement russe mais qui devra également, demain, séduire le public étranger.


2.Posté par Gabriel Kevorkian le 07/11/2009 17:44
Tsar a été projeté à Paris dans le cadre du festival "Regards de Russie". La salle était comble. Il a fallu attendre plus d'une demi-heure le début du film, le temps tout le monde soit placé. Forte impression. Qu'il y ait prise de liberté avec la réalité historique (fort vraisemblable eu égard à certains aspects semble-t-il exagérés, e.g. le sadisme caricatural attribué à la tsarine) n'enlève rien à l'intérêt du film, aux questions philosophiques qu'il pose (non seulement le rapport entre les sphères temporelles et spirituelles mais également la relation à Dieu). A cet égard, c'est une réussite. Un reproche à adresser toutefois, le pessimisme profond qui s'en dégage. Si quelques rayons de lumière traverse le film de part en part, notamment à travers le personnage de la simple d'esprit, la dernière partie en est particulièrement pénible. Au final, le sentiment d'une traversée de l'enfer qui n'en finit pas (quelques personnes ont quitté la salle avant la fin) et qui s'achève abruptement dans une solitude glaciale.

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