La polémique autour de la destruction délibérée des peintures murales de Dimitri Stelletsky ne devrait pas être partisane.

Les faits sont têtus. Impressionné par l’information qui m’est arrivée le WE dernier, je me suis rendu lundi après-midi au 93 rue de Crimée. Constater le désastre de visu est bien plus impressionnant que de le voir en photo. Même si elle reflète, comme c’est le cas ici, la vérité nue.

Quand un geste iconoclaste se produit dans une église, il apparaît comme plus grave que s’il était le fait d’un pouvoir laïc ou antichrétien. Les responsables de cette action ne devraient pas s’abriter derrière l’argument de la nécessité de restaurer. Il ne tient pas. Car il y a une différence de taille entre la restauration, disons, d’un fauteuil abîmé et la restauration d’une œuvre d’art. Dimitri Stelletsky est un des génies de l’art russe du XX siècle. Et ses peintures murales de l’église de l’Institut Saint-Serge font partie de ses travaux de référence, reproduits à d’innombrables reprises, admirés par les connaisseurs. Le fait que ces chefs-d’œuvre aient pu être laissés à l’abandon est, bien attendu, accablant pour ceux qui en avaient la charge.

C’est leur responsabilité et leur honte. Nous n’avons pas à les juger à la va-vite. Mais il y a une différence de taille entre une attitude irresponsable devant un trésor qui vous a été confié, et une destruction délibérée et définitive. Le premier cas relève de notions telles que la paresse, l’ignorance, l’incapacité, l’inconscience, alors que le second se rapproche déjà plus de la barbarie. Un chef-d’œuvre laissé à l’abandon peut être sauvé, même partiellement. Cela s’est déjà vu plus d’une fois. Il suffit de songer à certaines merveilles d’Andrei Roublev à moitié brûlées et qui nous bouleversent au-delà du dicible. Restaurer ne signifie pas remettre à neuf. Il y a dans cette démarche artistique et patrimoniale des degrés et des subtilités que les spécialistes connaissent. Mais que les dilettantes, visiblement, ignorent.

Détruire plutôt que de réfléchir, plutôt que de sauver, plutôt que de réunir des spécialistes, est tout simplement inadmissible. C’est cette attitude que nous devons condamner avec vigueur. Qu’elle soit individuelle ou collective, la décision qui a mené à cette action qu’on a du mal à qualifier tant elle est inqualifiable, doit être condamnée avec vigueur. Quand on a un peu de jugeote, on ne jette pas le bébé avec l’eau du bain.
Ce qui s’est passé à Saint-Serge est donc indéfendable et les responsables doivent être identifiés. Non pas pour les châtier nécessairement. Mais pour les empêcher de sévir à l’avenir, pour préserver le patrimoine spirituel et artistique de l’émigration du marteau et du burin. On frémit à l’idée de ce que ceux qui ont décidé de détruire le chef-d’œuvre de Stelletsky parce qu’il était abîmé serait capable de faire, par exemple, à Biarritz ! Car l’église orthodoxe russe Saint Alexandre Nevsky de Biarritz, tristement célèbre par le procès dont elle a fait l’objet il y a quelques années, est sur le point d’être déclarée insalubre et interdite au public par les autorités municipales. Là aussi, le marteau et le burin seraient sans doute une solution pour certains ! Les morceaux de plâtre cesseraient ainsi de tomber sur la tête de gens.

Ceux qui ont la charge de notre patrimoine religieux et artistique et qui le laissent se détruire quant ils ne le détruisent eux-mêmes portent une lourde responsabilité devant l’Histoire. Certains diront devant Dieu. Une chose est certaine, l’arbitraire, le brutal, le destructeur, l’irréparable, l’imbécile ne sont pas des notions qui ont cours dans l’orthodoxie.
Je vois avec tristesse, que la division en camps opposés s’opère à nouveau. Il y a ceux qui attaquent et ceux qui défendent. Mais nous attaquons qui ? Et nous défendons qui et quoi ?

La chose qui est arrivée à Saint-Serge est une folie. Et un malheur. C’est notre malheur à tous. Comment en sommes-nous arrivés là ? Voilà la question qu’il faut se poser. Je répète : non pas pour châtier les coupables, encore qu’ils doivent être mis hors d’état nuire, mais pour prévenir à l’avenir ces poussées d’hystérie qui nous mènent, comme dans le cas tragique qui nous préoccupe, à une forme effrayante d’autodestruction.

Le conseil paroissial de Saint-Serge essaie maladroitement de justifier l’injustifiable. Il a tort. Même si on peut comprendre voire plaindre ses membres. Le mauvais jugement, l’insuffisance de la réflexion, l’incompétence, l’ignorance sont des faiblesses humaines. Aucun d’entre nous n’est à l’abri d’une mauvaise décision à un moment ou un autre de sa vie. Mais il faut reconnaître ses erreurs. Persister dans l’erreur au lieu de se repentir, au lieu d’appeler à l’aide, au lieu d’essayer de réparer la faute est une attitude qui ne contribue pas à résoudre le problème qui a mené à la destruction de la peinture murale de Dimitri Stelletsky. Je résume : avant, nous avions un chef-d’œuvre abîmé qui nous déchirait le cœur, maintenant nous avons à la place un mur de briques nues et des larmes pour pleurer. Qui peut défendre cela ?
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"Parlons d'orthodoxie" vous recommande de visiter le site ARTCORUSSE Les photos sont impressionnantes; surtout celles qui nous rafraichissent la mémoire quant aux peintures murales qui ont été détruites.

Rédigé par Victor Loupan le 30 Mai 2012 à 13:19 | 6 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par vladimir le 30/05/2012 15:02
Je voudrais ajouter que. comme toute icône, cette peinture murale à une profonde signification théologie: le fidèle qui passe devant est, de fait. accompagné par les saints jusqu'à l'entrée de l'église et le message continue sur les murs du temple pour se terminer en apothéose par l'iconostase et le sanctuaire. Le croyant est ainsi appelé à voir l'invisible, la présence des saints et des forces céleste, leur concélebration à la Liturgie. Je pense que c'est Kyrill Semenoff-Tian-Chansky qui pourrait le mieux détailler ce message et je me permets de lui lancer un appel à le faire.

2.Posté par Jean Kourdukoff le 30/05/2012 15:23
Je ne trouve pas de mots pour exprimer mon dépit et ma colère.

3.Posté par Tchertkoff Alexis le 30/05/2012 17:56
Sans parler du fait que ces fresques étaient bénies...Les morceaux sont-ils partis à la déchetterie ?

4.Posté par Clovis le 30/05/2012 20:57
J'ajoute que si le poste 34 (Childéric) sur l'article "appel d'urgence de Institut" dit vrai le restaurateur en question Agafonov, n'est pas du tout restaurateur, simplement iconographe.

5.Posté par Daniel le 30/05/2012 21:41
@ Alexis TCHERKOFF

Juste pour la petite histoire, la pratique de bénir les icônes et les fresques (je l'apprends) est une pratique "décadente" née d'influences catholiques et qui n'est d'ailleurs pas universelle Dieu merci. Le Père Bigham a écrit un intéressant article à ce sujet. A l'époque du 7e concile, on ne bénissait pas les icônes comme cela ressort des actes du concile car l'icône tout comme la Croix est sainte par elle-même en raison du personnage représenté. Elle ne nécessite pas de bénédiction et d'ailleurs si elle en nécessitait, cela voudrait dire qu'elle n'est pas sainte, ce qui serait une idée iconoclaste... En l'espèce, le problème se pose pour Saint Maxime qui est passé au burin, moins pour les autres motifs...

6.Posté par Artémus le 31/05/2012 13:38
On se croirait au début d'un roman d'Umberto Eco où le politique se cache sous l'apparence du religieux.Tout y est. Le site poétique d'un colline agreste parsemée de bâtiments à l'abandon. Un jardin sauvage dont prend soin un botaniste affable, quasiment sans moyens mais avec générosité. Une église entièrement recouverte de peintures murales sublimes, suspendue dans les arbres au-dessus d'une bibliothèque. Un patrimoine précieux, unique. Où travaillent des enseignants dont la plupart sont exceptionnels, des étudiants studieux, des participants à des colloques, ainsi que des paroissiens en partie récents, suite à une cabale qui a littéralement vidé la paroisse il y a peu.

Des tensions fratricides traversent ce lieu paisible. Un exécutant a dérapé, révélant malgré lui l'incurie des coulisses qui l'ont mis en place. En y allant carrément au burin et marteau, en éradiquant des peintures de l'escalier couvert, il détruit au passage l'icône murale - pourtant restaurable elle aussi comme le démontre remarquablement M. Semenoff-Tian-Chansky -, de St Maxime le Confesseur. Très grande figure de la chrétienté, auteur d'ouvrages essentiels, il lutta au 7ème siècle de concert avec le pape de Rome Martin 1er contre une gravissime hérésie - au prix de persécutions et de mutilations corporelles abominables à l'encontre de leurs personnes - en précurseurs qu'ils furent du 6ème Concile. Tout un symbole.

Cependant il convient de garder la tête froide même devant ce consternant vandalisme profanateur de la rue de Crimée que certainement personne n'a voulu. Mais ne nous y trompons pas, c'est une insuffisance de respect, de soin, de piété, d'amour pour ce lieu sacré qui a conduit à cette aberration désinvolte, et qui révèle qu'elle est d'abord manifestée contre l'Eglise. Le véritable enjeu est d'ordre idéologique. Tout se tient.

Il ne faut pas perdre de vue les intrigues des dispensateurs de l'idéologie du renouveau, de la simplification à tous vents et pas seulement "des tournures et des formules liturgiques", pour satisfaire les "besoins de notre temps"dans "le langage d'aujourd'hui". Sans oublier "l'ouverture, la transparence", et tous les poncifs des sempiternelles rengaines sur l'incontournable créativité. Les mêmes dialecticiens aguerris se proclament eux-mêmes ouvertement "sans Eglise-mère", ne se cachant pas de vouloir mettre enfin en place un patriarcat dominant, au mépris absolu de l'essence même de notre ecclésiologie. Harcelant non sans cynisme les esprits sur la soit-disante nécessité d'un concile validateur pour ratifier leurs obsessions, leur Vatican II. Tout se tient dans les errements actuels. Ne tombons pas dans ce piège.

Mais au fait où est passée l'AMEITO* ?
*Association pour le Maintien et l'Entretien de l'Institut de Théologie Orthodoxe à Paris, fondée en 1948

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