Victor Loupan: Litige de propriété ("La Pensée Russe", 28 mai 2009)
Nous publions ci-dessous la traduction française de l'article paru dans la "Pensée russe" de Victor Loupan, membre du conseil de l'église Saint-Alexandre-Nevski à Paris (rue Daru), relevant de l'exarchat des paroisses russes d'Europe occidentale du patriarcat de Constantinople.

Sous le titre « Le Kremlin n’a pas renoncé à récupérer l’église russe » le quotidien, Nice Matin a publié le 22 mai un nouvel article consacré au procès retentissant entre la Fédération de Russie et l’église orthodoxe de l’association cultuelle niçoise.

Ce litige de propriété concerne la cathédrale saint Nicolas, une des plus belles églises orthodoxes russes située hors des frontières de la Russie. La Pensée russe a publié plusieurs articles à ce sujet et aux conséquences qui en découlent –non seulement pour l’image de la Russie et de l’orthodoxie russe, mais aussi pour les habitants de Nice, fidèles de cette église. Nous avons décrit les nombreux scandales, concernant l’opposition entre le recteur, le Père Jean Gueit et les paroissiens. Rappelons à ce sujet que Christian Estrosi, principale figure politique locale et maire de la ville, a reçu une pétition signée par 90 paroissiens en protestation contre la gestion du recteur de la paroisse. Ce fait a joué un rôle déterminant dans le changement d’attitude des instances dirigeantes françaises concernant autant cette affaire que la rhétorique et la personnalité du Père Jean Gueit.

Cet article attire tout d’abord l’attention par son attitude vis-à-vis de la Russie. En voici le début :
« C’est le combat de David contre Goliath. Depuis trois ans une association cultuelle niçoise se bat contre l’État russe. Le plus vaste pays du monde (17millions de Km2) contre l’un des plus petits territoires du monde –la minuscule enclave de la cathédrale orthodoxe de Nice.
La Russie en revendique la propriété en arguant de l’expiration d’un bail emphytéotique de 99 ans signé en 1009. Cependant la paroisse (enregistrée selon la loi française comme association cultuelle) s’estime, elle, légitime propriétaire des lieux et n’entend pas céder la place. (…) Une audience était fixée au 17 juin prochain. Elle a finalement été reportée au 2 novembre.

Aujourd’hui encore, les responsables de l’association cultuelle sont sous le choc du coup de force du 7 février 2007 : à 11h30, un huissier de justice s’est présenté au portail de la cathédrale sur requête de la Fédération de Russie, pour procéder à l’inventaire des lieux…

« On lui a refusé l’accès, on a fermé l’église et mis l’alarme » raconte Jean Gueit, le recteur de la cathédrale et président de l’association. »


Voilà bien un style journalistique- car c’en est un en effet. Pourquoi parle-t-on d’un coup de force russe, lorsqu’il s’agit d’un huissier de justice français ? Il ne s’agit pas ici du talent ou du manque de talent de l’auteur anonyme de cet article, mais bien de son attitude vis à vis de la Russie. Il y a un an ou deux, l’église orthodoxe de Copenhague, se trouvant dans une situation juridique analogue, a été rendu sans discussions à la Fédération de Russie et continue à vivre de sa vie antérieure. En fait le scandale à Nice s’inscrit dans le contexte du rejet total de la hiérarchie de l’archevêché des Églises orthodoxes russes en Europe occidentale (rue Daru) envers l’Église de Russie.

Cette démarche va à l’encontre de la tendance du retour dans le sein de leurs Églises mères des entités ecclésiales émigrées. Tout à fait récemment une paroisse parisienne d’émigrés roumains « particulièrement anticommunistes » s’est réintégrée à l’Église de Roumanie. Le métropolite Joseph a su réunir une diaspora orthodoxe roumaine particulièrement belliqueuse et morcelée, en dépit d’une opposition radicale.

En s’unissant avec l’Église russe hors frontières, l’Église de Russie a fait un immense pas vers l’unité. Cependant manque encore à cet appel, le séduisant petit exarchat parisien, qui se pourvoit en justice contre la Russie et l’Église russe, non seulement à Nice, mais aussi à Biarritz, à Londres et Dieu seul sait où encore.

L’article se poursuit ainsi :

« A l’époque, les politiciens locaux ont volé unanimement à notre secours » souligne le Père Jean Gueit « mais aujourd’hui l’association s’estime quelque peu lâchée par les politiques pour des motifs de haute diplomatie » continue ce prêtre « Elle craint d’être sacrifiée sur l’autel des intérêts supérieurs de la France dans ses relations avec le Kremlin. La cathédrale Saint Nicolas est en effet un des biens les plus convoités parmi tous les édifices religieux, hors du territoire de l’ex Union Soviétique, que le patriarcat de Moscou entend récupérer. » (…) Pour le Père Jean Gueit, il ne fait pas de doutes que la Fédération de Russie, si tôt en possession des lieux, en remettra les clés au clergé moscovite. »

A ce point il faut se poser la simple question suivante : pourquoi un prêtre orthodoxe russe de l’émigration doit-il se comporter avec une telle hostilité envers des prêtres orthodoxes de Russie ? L’Église russe est-elle toujours sous la surveillance du KGB ? Y a-t-il au Kremlin des représentants d’un pouvoir athée ? Démolit-on et ferme-t-on toujours les églises ? Enferme-t-on le clergé comme jadis dans des camps ? Non le problème ne se situe pas dans l’action judiciaire. Car finalement un litige pour une propriété n’est pas scandaleux en lui-même. Le scandale ici est la politisation de ce conflit, comme si la partie adverse était encore aujourd’hui le pouvoir soviétique honni.

«Approchée par le cabinet du député-maire », l’association s’estime l’objet de pressions plus ou moins discrètes pour accepter « une médiation judiciaire » qu’elle considère comme un piège. Elle soupçonne fortement l’État russe d’avoir soufflé une manœuvre à des hommes politiques français pour tenter d’influencer, en faveur d’un arrangement, le patriarche de Constantinople Bartholomé Ier, auquel est rattachée la cathédrale de Nice. (…) Nous irons jusqu’au bout assure le Père Jean Gueit, jusqu’à la cour européenne des Droits de l’Homme s’il le faut »

En quoi « les Droits de l’Homme » sont-ils concernés par un litige de propriété ? Pourquoi la cause d’une des parties doit-elle déjà au départ être illégitime ? La Russie peut perdre ce procès. Dans ce cas doit-elle, elle aussi, porter plainte contre la France à la Cour internationale des Droits de l’Homme ? Dans tous les pays du monde, les diasporas s’efforcent de favoriser un rapprochement entre leur patrie historique et leur terre d’accueil. Grâce à Dieu l’époque soviétique est à présent derrière nous. Entre la Russie et l’émigration, il n’y a plus d’opposition idéologique. La Russie a besoin de l’expérience de l’émigration, tout autant que l’émigration a besoin du soutien de la Russie, si elle veut conserver en Occident son patrimoine unique.

Pourquoi ne pas effectivement s’assoir autour d’une table et ne pas essayer de trouver une langue commune ? Le Père Jean Gueit a raison sur un point, il n’a plus le soutien des instances politiques françaises. Et cela non pas parce que la Russie les aurait en quelque sorte achetées, mais parce que son maximalisme a finit par lasser tout le monde. Et aussi parce que sa paroisse ne le soutient pas. Même ceux des fidèles qui le soutenaient au départ, ont été choqués par la rhétorique anti russe qui transpire dans son discours.

Nice est une des villes les plus « russes » d’Europe. Ses habitants aiment sincèrement la Russie. Les Russes ont beaucoup fait pour Nice et pour la Côte. Il serait inadmissible que par la faute d’un petit groupe de personnes intransigeantes, cette ville symbole d’une amitié vieille de plusieurs siècles entre la France et la Russie devienne le symbole d’une russophobie sans fondement étayée sur un antisoviétisme absurde en 2009

Rédigé par l'équipe de rédaction le 29 Mai 2009 à 22:09 | 0 commentaire | Permalien


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