Vingtième anniversaire de la chute du Mur
LE PROPHÈTE VENU DE L'EST

PAR BERNARD LECOMTE

Si le pape élu en 1978 avait été italien, français ou brésilien, le mur de Berlin serait peut-être encore debout...

Nous sommes le 17 août 1980. A Castel Gandolfo, dans sa résidence d'été, le pape Jean-Paul II a allumé la télévision : il a l'habitude de regarder le journal de la RAI. Ce soir-là, c'est la Pologne qui fait l'actualité. A Gdansk, au bord de la Baltique, des milliers d'ouvriers en grève occupent les chantiers Lénine. La tension, au cœur du bloc communiste, est à son comble. Soudain, le visage de Jean-Paul II se fige. Sur l'écran, le pape voit distinctement que les ouvriers de Gdansk ont accroché, sur les grilles de leur usine, son propre portrait...

L'histoire innove. De la révolte ouvrière de Berlin-Est (1953) au Printemps de Prague (1968) en passant par l'insurrection de Budapest (1956), jamais aucune révolte populaire en Europe de l'Est n'avait eu de connotation religieuse. Cette fois, les représentants de la classe ouvrière - les vrais, pas les fonctionnaires du parti qui prétendent en être l'avant-garde - assistent à la messe chaque matin, prient la Sainte Vierge sans complexe, et en appellent ostensiblement au souverain pontife, à ce pape polonais qui les a visités un an plus tôt, sitôt élu par le conclave. Tous ont en mémoire l'extraordinaire tournée pastorale de l'ancien archevêque de Cracovie à travers son pays natal, en juin 1979 - un voyage qui restera, pour tous les historiens, la première brèche opérée dans le rideau de fer.

Jamais un pape italien, français ou brésilien n'aurait entrepris pareil périple. A l'heure de la « détente » entre l'Est et l'Ouest, et alors que le communisme continue de progresser dans le reste du monde (de l'Angola au Laos, du Mozambique à l'Afghanistan), seul un pape venu de l'Est pouvait oser affirmer, au mépris de toutes les censures, que le pouvoir communiste était une «parenthèse» dans la vie de ces pays, et que la coupure de l'Europe en deux était un «accident» de l'histoire !

«N'ayez pas peur !» avait lancé le pape slave le jour de son intronisation, en octobre 1978. En Tchécoslovaquie, en Hongrie, mais aussi dans les régions catholiques de l'URSS (Lituanie, Ukraine occidentale), on a vite compris le message. «Ouvrez, ouvrez les frontières des Etats !» a-t-il clamé lors de son premier voyage à l'Est, en ce fameux mois de juin 1979, avant d'en appeler avec obstination, de discours en homélie, à la réunification de l'Europe.

Vingtième anniversaire de la chute du Mur
Jean-Paul II a multiplié les signes en direction des chrétiens de ces pays, qu'on appelait collectivement « l'Eglise du silence ». Il avait lui-même assuré à Assise, quelques mois après son élection : «Il n'y a plus d'Eglise du silence, puisqu'elle parle par ma voix!» Message reçu par tous les dissidents de l'Est, les Vaclav Havel, Jan Patocka et autres Adam Michnik. Quelques semaines plus tard, au micro de la BBC, Alexandre Soljenitsyne s'enthousiasme : «Ce pape est un don du ciel !»

«Le pape, combien de divisions ? » avait demandé Staline, un jour, avec ironie. Jean-Paul II n'est pas un chef de guerre. Pas même un homme politique. Les « divisions » du pape slave, ce sont les chrétiens de l'Est, apparus partout aux premiers rangs de la contestation : Lech Walesa et l'abbé Popieluszko en Pologne, Mgr Tomasek et Vaclav Maly en Tchécoslovaquie, Doina Cornea et le pasteur Tökes en Roumanie, etc. Ses armes, ce sont ses paroles : à toute occasion, ce pape humaniste et polyglotte prône les droits de l'homme, la liberté religieuse, la dignité humaine, le droit à la vérité. Autant de valeurs particulièrement subversives dans les pays du « socialisme réel ». Au point que dans toute l'Europe centrale, en mai 1981, l'attentat qui manque de coûter la vie au pape est attribué, évidemment, au KGB ! En décembre 1981, si Jean-Paul II s'engage, contre l'avis de ses cardinaux, à ne pas laisser tomber la Pologne écrasée sous la botte du général Jaruzelski, c'est parce qu'il en fait un combat emblématique, universel, contre le mensonge et l'oppression.

Lorsque Mikhaïl Gorbatchev arrive au pouvoir en URSS, en mars 1985, les Occidentaux sont sceptiques sur sa capacité à réformer le système soviétique. Le pape slave, lui, sent très vite qu'il se passe quelque chose, que la glasnost et la perestroïka vont lui permettre de pousser son avantage. Notamment de contraindre le général Jaruzelski, en 1988, au dialogue avec Solidarnosc, le syndicat interdit qu'il est venu spectaculairement conforter à deux reprises, en 1983 et en 1987. A Moscou, à l'occasion du millénaire de l'Eglise russe en juin 1988, Jean-Paul II envoie son « Premier ministre », le cardinal Casaroli, entamer un vrai dialogue avec Gorbatchev : celui-ci, pris au piège de sa propre stratégie réformatrice, assure que le temps de la lutte antireligieuse est terminé, et accepte le principe d'une rencontre avec le pape.

Gorbatchev au Vatican ! Le 1er décembre 1989, quand le chef du communisme mondial vient rencontrer le chef de l'Eglise catholique à Rome, les jeux sont faits : le Mur est tombé, son régime entre en agonie. Il faudra moins de deux ans pour que le président de l'URSS soit obligé de céder la place aux nouveaux dirigeants de la Russie, de l'Ukraine, de la Lituanie, du Kazakhstan, etc. L'empire des « soviets » a explosé. Dans un article fameux qu'il publie deux mois plus tard, Mikhaïl Gorbatchev revient sur cette suite d'événements extraordinaires : «Rien de ce qui s'est passé en Europe de l'Est n'aurait pu se produire sans ce pape-là...»

Rédigé par l'équipe rédaction le 4 Novembre 2009 à 09:30 | 6 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par vladimir le 04/11/2009 13:01
Cet excellent article rappelle à juste titre le rôle joué par l'Église catholique dans la chute du communisme. Le Pape jean-Paul II a effectivement été ce «don du ciel» dont parle Soljenitsine. Mais il ne faut pas pour autant minimiser la longue action qui l'a précédé et préparé, et pas seulement en Pologne comme cet article tend à le dire. Je pense en particulier à la Hongrie, où Mgr Joseph Mindszenty et Mgr Zoltan Meszlenyi, qui vient d'être béatifié, ont payé de leur vie leur résistance à la bolchévisation.

2.Posté par B. Volkoff le 04/11/2009 14:06
Un mur qui tombe, ça se fête. De préférence en musique.

Petit rappel des faits, pour ceux qui n'étaient pas nés ou qui auraient tout oublié...
Pourtant, le tout premier musicien à avoir célébré la fin du « mur de la honte » ne jouait pas de rock. Mstislav Rostropovich fut l'un des plus grands violoncellistes du siècle dernier. Le voici, un jour de novembre 1989, donnant l'aubade au pied du mur, quelques heures à peine après sa destruction...


3.Posté par Père Nicolas Jean Sed le 05/11/2009 10:32
Qu'il soit permis d'attirer votre attention sur le livre qui vient de paraître,
de l'historien
Philippe Chenaux,
L'Eglise catholique et le communisme en Europe, 1917-1989,
de Lénine à Jean-Paul II.
Conférence de presse lundi 9 novembre à 17h.30
aux éditions du Cerf.

4.Posté par l'équipe de rédaction le 05/11/2009 17:37
Mur de Berlin : Déjà 20 ans qu’il est tombé !

Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin tombait, apportant son lot de liberté, mais aussi de nouveaux défis à l’Eglise de la zone soviétique. Parmi ces nouveaux défis : les sectes, la pornographie, le trafic de drogue et la mafia, auxquels les chrétiens, à peine délivrés du joug soviétique, ont dû faire face.
Vingt ans après, qu'en est-il de la liberté de croyance pour les chrétiens de l'ancien bloc de l'est ?
En Russie, le mois dernier, deux prédicateurs ont reçu une amende pour avoir distribué des évangiles dans la rue. Alors qu’ils faisaient valoir leurs droits constitutionnels, un policier leur a répondu : « Vous avez la loi, mais nous, nous avons des instructions ».
Suite.....

5.Posté par Xenia Krivocheine le 06/11/2009 12:29
"Le soir du 9 novembre 1989, le monde assista incrédule au spectacle de milliers d'Allemands de l'Est en liesse tombant dans les bras de leurs compatriotes de l'Ouest, après l'ouverture inattendue des postes-frontières décidée par la RDA sous la pression du peuple"

Ci-joint un texte de Xenia Krivochéine paru le 6 novembre dans "Ejednevny Journal"

"Наш и свой — вечно живой"
http://www.ej.ru/?a=note&id=9591

6.Posté par Artur Rudzitsky le 25/08/2012 17:50
Семь стран, включая Чехию, договорились о создании европейского музея тоталитаризма.
По сообщению информагентства MTI, представители Венгрии, Чехии, Польши, Словакии, Литвы, Латвии и Хорватии договорились о создании музея тоталитаризма, который должен помешать в будущем повторению исторических ошибок. Это произошло в ходе конференции о тоталитаризме в Будапеште.

Пока непонятно, где музей будет располагаться. В прошлом году в Праге была основана Платформа памяти и совести, возникновения которой еще в 2009 году добивалась Чехия, председательствующая тогда в ЕС.

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